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INTRODUCTION

Au cours des trois dernières décennies, le monde a subi des changements économiques et institutionnels (mondialisation, régionalisation, décentralisation) en laissant place à l’émergence de nouvelles approches basées sur la notion de territoire. Ces nouvelles approches placent au coeur de leur analyse la dimension spatiale du développement remettant en cause la notion très réductrice de l’espace. Ainsi, Benko (1996) explique que l’espace n’est pas seulement un cadre de localisation des agents économiques, mais qu’il est « aussi le cadre de l’émergence d’un acteur économique particulier dont l’importance aujourd’hui est abondamment soulignée : le Territoire » (Benko, 1996, p. 7). Le territoire s’affirme donc comme un espace de référence et le lieu où s’identifie et se résout un problème productif jugé ou ressenti comme partagé par ses acteurs (Pecqueur, 2000, p. 132). Le territoire devient un facteur déterminant dans le renouvellement de la problématique du développement (Pecqueur, 2004). C’est par rapport à ces mutations et à ces nouvelles considérations que les perspectives du développement local et territorial émergent.

Le développement local peut se définir comme un processus utilisant les initiatives locales à l’échelle des collectivités comme moteur du développement économique. Il est considéré en tant qu’émanation du local inversement au national, à travers une propulsion ascendante, dont les acteurs se situent sur l’échelle de la sphère locale (Gouttebel, 2003). Il est une démarche impliquée des relations que tissent les acteurs dans la proximité. Cette démarche contribue à produire des marges de manoeuvre nouvelles et permet d’expliquer que le territoire est le niveau pertinent pour la réflexion et l’action économique.

Le développement local est en effet un concept dont la signification et l’émergence varient d’un contexte à l’autre. Mais on s’accorde néanmoins sur la nécessaire existence d’une multiplication d’acteurs (les entreprises, les autorités locales, les institutions élues, les mouvements associatifs, etc.), composant une entité territoriale dans laquelle ces différents agents porteurs de développement définissent les objectifs du développement local, en l’occurrence création d’emplois et distribution de revenus, prise en charge et couverture des besoins des citoyens en matière de santé, de logement, de formation, d’éducation et de culture, d’aménagement et de préservation de l’environnement, etc. (Sadoudi, 2001). L’implication de ces différents acteurs dans le processus de développement local suscite l’existence de rapports entre ces différentes parties prenantes, car, d’après Leloup, Moyart et Pecqueur (2005), le système territorial est « bâti sur la proximité géographique de ses acteurs, mais aussi sur la dynamique commune qui les rassemble » (p. 326). Ainsi, Le Roy (1997) affirme que tout système économique est un ensemble de sphères qui animent les liens et les relations que tissent ses divers composants et éléments. Le système territorial ainsi formé est donc appuyé par l’intensification des liens qu’il intègre.

Il est donc clairement établi que la construction d’un territoire dépend des actions d’un nombre d’agents porteurs du développement local qui interagissent afin d’orienter leurs intérêts individuels autour de la réalisation des objectifs collectifs, à travers la mise en valeur des ressources du territoire. En fait, les ressources locales tiennent une place fondamentale dans le processus de construction des territoires. Leur révélation, leur valorisation et leur spécification par la coordination des acteurs sont les facteurs clés de l’émergence des territoires et du développement local.

Dès lors, pouvoir mener à bien le processus de développement local dépend des capacités endogènes des territoires. En effet, assurer une bonne articulation entre les forces des acteurs locaux, valoriser et mobiliser les ressources territoriales ainsi que la prise en compte des initiatives locales sont des pratiques fondamentales dans la construction des territoires et dans leur développement.

En Algérie, la notion du développement local a évolué principalement sur deux périodes. La première est celle qui caractérise les premières années de l’indépendance, au cours desquelles l’acteur du développement local était un acteur unique, l’État en l’occurrence, qui définit et déploie des stratégies de développement dans le cadre d’une économie planifiée et centralisée. La deuxième période est caractérisée par la définition d’un ensemble de réformes s’inscrivant dans le contexte de l’ouverture du pays et de son intégration à l’économie de marché. De ce fait, le rôle de l’État en tant que principal décideur et entrepreneur commence à s’amenuiser avec la prise en considération de la capacité, de plus en plus forte, des échelons locaux à faire émerger des dynamiques locales et à propulser le processus de développement. C’est dans ce contexte que des réformes ont été engagées dès le début des années 1990. On a ainsi assisté à l’adoption de nouvelles lois relatives aux collectivités locales grâce auxquelles ces dernières ont bénéficié de larges prérogatives, notamment le fait que la commune doit être considérée comme collectivité territoriale de base et assise de la décentralisation.

Dans cette contribution, nous chercherons à préciser le rôle que peuvent jouer les communes dans le développement local en Algérie, particulièrement à Bejaia. Nous analyserons à cette fin les capacités des communes à prendre en charge les conditions de développement local par la mise en oeuvre des actions de mobilisation et de valorisation des ressources ainsi que par la promotion des relations de coordination avec les autres parties prenantes.

RÉTROSPECTIVE DU DÉVELOPPEMENT LOCAL EN ALGÉRIE : LA NÉCESSAIRE RECONNAISSANCE DU LOCAL

Depuis l’indépendance, l’économie locale en Algérie a été pendant longtemps marginalisée par l’État qui visait à mettre en place des politiques de développement local s’inscrivant dans la dynamique du développement national sans tenir compte de l’aspect territorial, puisque c’est le centre qui est le principal décideur. Dès lors, durant les années 1970 et 1980, la question du développement local a été réduite à des stratégies ayant pour but de remédier aux désastres de la colonisation et visant à instaurer l’équilibre régional ainsi que l’intégration des territoires locaux dans le territoire national. Cette politique stérile, qui n’a pas pris en considération les spécificités locales, a abouti à un échec de la stratégie de développement local. Des réformes profondes ont été engagées dès le début des années 1990 dans le contexte de la crise que subissait le pays à cause de la chute des prix des hydrocarbures. Ainsi, l’application du plan d’ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international (FMI) a atténué les démarches de développement local, car la stratégie suivie durant cette époque était de libéraliser le pays et d’ouvrir son économie qui avait été pendant longtemps dirigée et protégée. De ce fait, l’État était confronté à l’obligation de redéfinir son mode d’action ainsi que son intervention dans la sphère publique.

À partir des années 2000, et après avoir rétabli les principaux indicateurs économiques, l’autorité centrale, convaincue que le développement local ne pouvait être mené par un seul acteur, a commencé à envisager des stratégies portant sur l’implication d’autres parties prenantes dans le développement socioéconomique local. Cette nouvelle vision de l’État quant au développement local était soutenue notamment par l’aisance financière du pays. L’autorité centrale pouvait ainsi fournir aux collectivités locales des enveloppes financières importantes afin d’impulser la collaboration avec le pouvoir central dans la prise de décision concernant les actions à mener, du fait que ces acteurs locaux sont plus proches des préoccupations de leurs concitoyens et des besoins de développement.

Dans ce contexte de changement de la vision de l’État à l’égard de la démarche du développement local en Algérie, des plans de développement ont été définis, visant la relance et la promotion du développement socioéconomique des territoires locaux tout en intégrant d’autres acteurs aussi bien économiques qu’institutionnels. Dès lors, l’État a poursuivi le train des réformes afin de soutenir le rôle de ces nouveaux acteurs dans le développement local. Le rôle des collectivités territoriales, notamment des communes, a de ce fait été renforcé et appuyé par de nouveaux textes de loi[1] orientant leur position dans la quête du développement de leurs territoires.

La commune : l’échelon territorial de base

En Algérie, les collectivités locales sont composées par la constitution des wilayas et des communes. La législation définit la commune[2] comme étant la collectivité territoriale de base. Celle-ci est dotée d’une autonomie financière et constitue l’assise de la décentralisation. Elle exerce ses prérogatives dans tous les domaines de compétence qui lui sont dévolus par la loi et concourt, avec l’État, à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social et culturel, à la sécurité ainsi qu’à la protection et à l’amélioration du cadre de vie des citoyens.

Les missions et le fonctionnement de la commune ont été régis successivement par les textes suivants : la charte communale de 1966, le code communal de 1967 modifié et complété par la loi 81-09 du 4 avril 1981 et le code communal de 1990 et, enfin, le code communal de 2011. En tant qu’épine dorsale de l’exercice de la décentralisation, la commune dispose donc des compétences dévolues par l’État au profit de développement de son territoire. Ainsi, ces attributions font l’objet d’interventions de la commune dans différents domaines afin de répondre aux besoins locaux des citoyens.

La commune procède au développement de son territoire en mettant en oeuvre les activités de nature à impulser le développement économique en relation avec ses potentialités et son plan de développement. Elle prend également part à l’aménagement de son territoire par l’élaboration et l’adoption des programmes dans le cadre des attributions qui lui sont dévolues par la loi en lien avec le schéma national d’aménagement et de développement durable ainsi qu’avec les schémas directeurs sectoriels.

Elle vise, avec la participation des citoyens, à instaurer le cadre institutionnel d’exercice de la démocratie à l’échelle locale et de gestion de proximité. Par son organe élu[3], l’assemblée populaire communale prend toute mesure nécessaire pour informer les citoyens des affaires les concernant et les consulter sur les choix des priorités d’aménagement et de développement économique, social et culturel. Dans ce cadre et dans le but de réaliser les objectifs de la démocratie locale, l’assemblée populaire communale veille à mettre en place un encadrement adéquat des initiatives locales, visant à intéresser et à inciter les citoyens à participer au règlement de leurs problèmes et à l’amélioration de leurs conditions de vie[4].

La commune étant considérée comme un acteur incontournable dans le développement territorial, nous sommes amenés à nous focaliser dans ce texte sur quelques interrogations qui visent à vérifier si toutes ces considérations et attributions au profit des communes, dans le cadre de la loi, conduisent, en pratique, à des résultats satisfaisants quant à l’implication de celles-ci dans le développement de leurs territoires locaux. Autrement dit, les compétences dévolues aux communes permettent-elles d’engager un processus de développement qui puisse répondre aux aspirations de la population locale? Les communes en Algérie sont-elles en mesure de répondre aux attentes des citoyens?

C’est cet aspect que nous chercherons à analyser et à mettre en lumière dans ce qui suit à partir des résultats d’une enquête de terrain auprès des collectivités communales de la wilaya[5] (le département) de Bejaia. Les résultats de notre enquête auprès d’un échantillon d’une vingtaine de communes de la wilaya de Bejaia nous renseignent sur un ensemble d’éléments quant au rôle que peut jouer la commune dans le développement local. Il ressort par ailleurs un ensemble de faiblesses et de contraintes auxquelles la commune algérienne doit remédier afin de mener son rôle, d’une manière efficace, dans le développement.

LES COLLECTIVITÉS COMMUNALES AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT LOCAL : QUELS RÉSULTATS POUR LE CAS DE BEJAIA?

La wilaya (le département) de Bejaia, du nom antique « Bougie », située au coeur de l’espace méditerranéen, est l’une des 48 wilayas que compte l’Algérie. Issue du découpage administratif de 1974, la wilaya comprend 19 daïras (arrondissements) et 52 communes, et elle s’étend sur une superficie de 3 223,5 km2. Son territoire correspond aux territoires des communes qui la composent. La population de cette wilaya, en 2015, est évaluée à 954 550 habitants[6].

La question du développement local du côté des collectivités communales passe par la mise en pratique de nombreuses compétences et prérogatives qui sont prévues par la loi, notamment en matière de transport et de développement urbains, d’aménagement des espaces de vie et de sauvegarde de l’environnement, d’amélioration en général de la qualité de vie des citoyens. Ainsi, avant d’aborder la question concernant la contribution des communes au développement local et de savoir si ces dernières oeuvrent, sur leurs territoires, dans le sens de l’enclenchement d’une dynamique locale favorable ou porteuse d’amélioration du cadre de vie des citoyens, nous avons d’abord voulu interroger la notion de territoire telle que la perçoit l’acteur institutionnel, c’est-à-dire la commune ou les collectivités communales. Ensuite, nous avons examiné la capacité des communes à valoriser les ressources de leurs territoires dans des projets de développement local. Enfin, nous avons jugé intéressant d’analyser le rôle de la gouvernance.

De la notion du territoire et de sa perception par l’acteur « commune » de Bejaia

La notion de territoire est perçue par les collectivités communales de Bejaia comme « un espace physique délimité administrativement, construit par les acteurs qui le composent et qui sont en interrelation [7]». D’après nos interlocuteurs, ces acteurs qui interviennent dans la construction des territoires des communes comprennent l’État central, les entreprises, les associations, la société civile et les collectivités territoriales.

La perception de la notion de territoire et de ses acteurs par les communes de Bejaia révèle une part de conscience des dirigeants et des élus de ces communes quant à la contribution des parties prenantes à la construction de son territoire. En effet, les acteurs locaux sont les éléments dynamiques d’une démarche de développement territorial, puisque la mise en valeur des forces particulières et distinctes d’une localité permet d’assurer l’essor du potentiel des acteurs qu’elle regroupe. De là découle l’importance de la contribution et de l’implication de la collectivité communale comme actrice de son propre développement.

Le territoire n’est donc pas neutre ni abstrait, il constitue un facteur de développement à travers la valorisation des différentes ressources qu’il recèle. En effet, il est « une communauté d’acteurs publics et privés, offre un potentiel de ressources humaines, financières et physiques, d’infrastructures éducatives et institutionnelles dont la mobilisation et la valorisation engendrent des idées et des projets de développement » (OCDE, 1990, cité par Prévost, 2001, p. 17-18). Dès lors, la question du développement local est souvent liée à celle des ressources qui y sont engagées. Il s’agit en fait, dans ce qui suit, de décortiquer les actions des collectivités communales au profit de la dynamisation de leurs territoires par la mobilisation et la valorisation des ressources locales.

De la capacité de la commune dans la valorisation des ressources locales

On ne peut traiter de la question de construction territoriale ou de développement local sans se référer à la notion de ressources. En effet, les ressources locales sont considérées comme un levier du développement territorial. Ainsi, Lévy et Lussault (2003) définissent la ressource comme une réalité entrant dans un processus de production et qui est incorporée dans le résultat de celui-ci, c’est-à-dire comme un moyen qui sert à satisfaire les besoins et à créer de la richesse. Nous allons ainsi essayer de déterminer la nature des ressources dont disposent les territoires des communes étudiées ainsi que l’importance de ces ressources pour leur développement.

Les territoires des communes sur lesquelles nous avons enquêté nous renseignent sur la diversité des ressources locales dont disposent ces dernières. On observe ainsi l’existence de ressources naturelles très diversifiées offrant des potentiels touristiques attrayants (tourisme de montagne, tourisme balnéaire sur un littoral d’une longueur de 100 km et présence de stations thermales), de barrages hydrauliques en plus d’autres eaux non encore exploitées ainsi que de rivières et d’eaux souterraines, de terres agricoles et donc d’un potentiel en agriculture (notamment en arboriculture et en élevage), de ressources patrimoniales dont l’artisanat (tapisserie et poterie) ainsi que de produits du terroir (les olives, la figue de barbarie, les câpres et le caroubier, etc.), d’une jeunesse diplômée (ressources humaines) et des ressources financières relativement importantes. Ces différentes ressources illustrent bien la capacité du territoire à dégager une offre construite de biens ou de services spécifiques, qui aboutiraient, à terme, à la construction de la rente territoriale (Pecqueur, 2001).

Or, ce large potentiel de ressources diversifiées que recèlent les territoires des communes de Bejaia est largement sous-estimé. La question qui mérite d’être posée est la suivante : pourquoi s’intéresse-t-on peu à ce patrimoine pourtant appréciable pendant que les territoires locaux souffrent des problèmes socioéconomiques considérables?

En dépit de quelques pratiques de mobilisation et d’exploitation de ces ressources, la construction de projets de développement local à partir des ressources territoriales existantes est timidement mise en avant par les communes. L’absence d’une vision d’action sur le local et de promotion de projets d’envergure enferme les territoires des communes dans des réalisations de routine (petits projets : écoles, centres culturels, sportifs…) et accroît de plus en plus leur dépendance aux dotations de l’État. D’une part, l’ignorance des spécificités locales dans les investissements publics qui répondaient plutôt aux objectifs et exigences de la planification nationale centralisée et, d’autre part, l’insuffisance des ressources financières des communes font de ces collectivités communales des subordonnées de l’État, considéré dans le contexte algérien comme le principal acteur du développement local, alors que les territoires locaux sont vus comme de simples supports d’activités économiques.

La valorisation des ressources locales et leur mobilisation accrue par la reconnaissance des savoir-faire locaux et la prise en charge des initiatives locales permettront aux collectivités communales d’en tirer profit et de créer ainsi des avantages compétitifs, de développer des labels spécifiques et de créer une image territoriale. Car le développement du territoire, qui passe par la construction territoriale, se définit comme « la fabrication de différences » par la création de spécificités territoriales. Ainsi, « l’astuce est de faire ce que le voisin ne sait pas faire, ce qui est spécifique à son territoire » (Pecqueur, 2002, p. 24). Les ressources tiennent en effet une place fondamentale dans le processus de développement local. Leur connaissance, leur valorisation et leur spécification par la coordination des acteurs sont à l’origine de l’émergence du territoire.

Par ailleurs, ces communes de notre étude qui souffrent de l’incapacité de faire émerger des dynamiques locales appuyées par les ressources locales nous amènent à nous interroger sur le mode de gouvernance de leurs territoires.

La gouvernance locale et la gestion du développement local par les communes

Pour que le territoire émerge et se construise, il faut que les acteurs se coordonnent, quelle que soit l’approche ou l’optique adoptée. Sans coordination, le territoire est voué à rester un espace passif qui subit les évolutions et les contraintes de son environnement extérieur.

Le concept de coordination consiste à assimiler le territoire à un système de relations entre acteurs différents qui, par leurs interactions, aboutissent à la construction territoriale. Leloup, Moyart et Pecqueur (2005) désignent la coordination des acteurs par ce qu’ils appellent la « gouvernance locale », qui résulte de la confrontation de deux mouvements : émergence d’initiatives locales et désengagement progressif de l’État permettant d’intensifier, de ce fait, les prérogatives des acteurs locaux. Selon ces auteurs, cette forme ne consiste donc pas en un gouvernement au sens d’une organisation politique qui administre un territoire, mais en une coordination multiscalaire des acteurs privés et publics autour d’un projet en vue de résoudre un problème de développement. Elle résulte de l’interaction d’un certain nombre de groupes qui s’influencent mutuellement (Crevoisier, 2007).

La mise en place des réseaux de relations et d’action à l’échelle locale dans le contexte du développement territorial en Algérie révèle des réalités particulières quant à la nature des liens entre les différents acteurs locaux. En effet, en Algérie, la gouvernance territoriale qui constitue l’un des piliers du développement local paraît très insuffisante du fait de la faible coordination des acteurs, notamment en ce qui concerne l’implication des collectivités locales dans la construction de leurs territoires ainsi que de leur développement.

Les collectivités locales, notamment les communes qui sont considérées d’après la législation comme les collectivités territoriales de base, constituent en effet l’élément fondamental du processus de développement local en raison de leur connaissance réelle des besoins des citoyens ainsi que du potentiel de ressources locales dont elles disposent. Cependant, dans la pratique, le poids important que devrait jouer cette instance de base qu’est la commune semble très insuffisant et ne se reflète guère dans les prérogatives tant décisionnelles que financières qui lui sont conférées. Des défaillances et des dysfonctionnements multiples qui sont imputables à de nombreuses causes freinent le rôle des communes dans le développement de leurs territoires.

Ainsi, la décentralisation en Algérie, inachevée dans son processus et non effective sur le terrain, se trouve à l’origine de la faible implication de l’échelon local dans la quête du développement de son territoire. De fait, malgré les discours préconisant la décentralisation et malgré l’existence des wilayas et des communes, la structure de l’État demeure très centralisée en Algérie. Sa démarche, hésitante, confondant souvent déconcentration des services de l’État et décentralisation, reste empruntée et inhibée pour construire un échelon local apte à prendre en charge le développement de son territoire. En effet, selon Essaid (2002), deux considérations essentielles expliquent le non-aboutissement des processus de réforme de l’administration territoriale, engagés au début des années 1990. D’un coté, le maintien de la part de l’administration locale de pratiques autoritaires relevant du socialisme bureaucratique et, de l’autre côté, le manque de confiance et la méfiance de la part du pouvoir central à l’égard des capacités des instances locales.

Dès lors, la façon dont est pratiquée la décentralisation dans les collectivités locales n’a pas favorisé l’émergence d’un pouvoir local suffisamment autonome. Les communes ne cessent en effet de subir les appels à la soumission et les instructions émanant de leur hiérarchie, de sorte qu’elles continuent à être considérées comme un simple relais de l’État, ce qui les empêche d’élaborer une stratégie de gestion et d’action locales. Cette limite peut être expliquée principalement par la quasi-dépendance des communes au financement de l’État, car la plupart d’entre elles ne disposent pas de leurs propres ressources financières et, si ces ressources existent, elles sont souvent insuffisantes. Le manque de moyens d’intervention des communes fait de celles-ci des instances tributaires du financement de l’État, et leurs propres ressources n’ouvrent la voie qu’à quelques réalisations de base sans effet réel sur le développement du territoire (réalisation des centres de santé, assainissement, eau, électrification…). Souffrant ainsi d’un manque significatif de moyens d’intervention, la commune n’arrive plus à dépasser le cadre de la gestion pour se lancer réellement dans l’entreprise du développement proprement dit.

En outre, cette faible contribution des communes à l’émergence de dynamiques économiques issues de leurs propres territoires est contrainte par les nombreuses missions qu’elles doivent assumer. De multiples actions définies dans le cadre du code communal[8] les amènent à assurer des prestations au bénéfice de la population et à exercer des prérogatives de puissance publique avec un pouvoir de réglementation et de police. La commune est considérée, de ce fait, comme le principal facteur d’accomplissement d’une multitude d’attributions variées et complexes (programmes d’équipement, organisation de la vie sociale…). Cette surcharge de missions entraîne des contraintes d’organisation et de fonctionnement du côté des communes. En effet, loin des actions d’aménagement du territoire et de la réalisation de projets d’envergure pour le développement local, qui sont une tâche de l’État, les communes souffrent d’insuffisance de ressources pour mener à bien les missions de gestion de la collectivité et du maintien de l’ordre et de l’organisation dans la société à cause de l’absence d’une vision stratégique d’ensemble et de la faible aptitude managériale de la part de ces communes. Ainsi, la non-spécialisation des prestataires de services et leur surcharge ne font qu’engendrer des retards de plus en plus importants, provoquant ainsi une répartition des tâches sans critères, autrement dit des actions sans vision stratégique et affaiblissant la modeste assistance des services techniques que la commune doit fournir (Seriak, 1998).

La mise en place d’une conception stratégique et l’amélioration des capacités managériales des collectivités communales nécessitent la présence de dirigeants compétents et aptes à la réalisation des tâches qui leur seront confiées. Ainsi, il est nécessaire, pour qu’une meilleure adéquation soit établie entre la politique de décentralisation et son application, qu’un bon choix des élus soit axé sur les compétences qu’ils possèdent et qui leur permettent d’accomplir efficacement les tâches qui leur sont dévolues. La revalorisation de la fonction communale exige donc la qualification des agents en place. Le constat évident dressé à la suite de notre enquête sur les communes montre que, sur les vingt communes constituant notre échantillon, sept seulement sont dirigées par des élus qui sont diplômés. Les autres élus ont atteint différents niveaux de scolarité ou n’ont suivi aucune formation. De la sorte, le manque de connaissances techniques, le manque de compétence des dirigeants et des services des communes, d’une part, et la faiblesse des prérogatives qui leur sont accordées, d’autre part, ne font que diminuer le rôle de cet acteur local qu’est la commune. Celle-ci devrait pourtant être considérée comme le pilier du processus de développement des territoires des collectivités locales.

En définitive, il est clairement établi que l’atteinte des objectifs du développement local du côté de la wilaya de Bejaia est tributaire en particulier de la volonté des acteurs locaux ainsi que de celle des collectivités communales à s’impliquer, sérieusement et efficacement, dans la valorisation de leurs territoires par l’instauration d’un cadre dynamique de relations productrices à la fois d’actions et de projets générateurs de nouvelles ressources et de richesses.

CONCLUSION

En dépit des efforts consentis par l’État dans la démarche de développement local, des lacunes tant économiques qu’institutionnelles font obstacle à la mise en place d’une stratégie de développement local proprement dite. Bien que les codes des collectivités locales algériennes contiennent le plan de développement local adopté par les assemblées élues, il apparaît que l’ensemble des décisions ayant trait aux investissements et aux actions d’envergure sur le territoire local sont prises en charge à l’échelle du gouvernement central. La faiblesse de l’encadrement des collectivités territoriales et surtout l’insuffisance de ressources spécifiques constituent des facteurs d’affaiblissement du rôle important que devraient jouer ces collectivités dans le développement des politiques particulières de développement local.

Dès lors, afin que le développement local ait un sens dans le contexte algérien, il est indispensable, d’une part, de créer des réseaux de relations entre les acteurs locaux, car la coordination des différents acteurs peut lever rapidement les entraves aux actions sur le territoire. D’autre part, il est nécessaire d’approfondir davantage le processus de la décentralisation pour que la gestion des ressources locales ainsi que la prise de décision soient menées par le niveau local qui est mieux appréhendé par la commune, puisque celle-ci est plus proche de la réalité de son territoire et qu’elle connaît parfaitement ses potentialités et ses priorités en termes de ses besoins.