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Les objets provenant des cultures amérindiennes ont séduit les collectionneurs de curiosités européens dès la période de contact, comme en témoignent les collections de plusieurs musées d’Europe. Ces objets sont alors recueillis en tant que « curiosités artificielles » et sont exposés aux côtés de curiosités d’origine naturelle (Maurer 2000). Le développement de l’ethnographie au XIXe siècle a peu à peu amené les collecteurs à rechercher les objets qu’ils jugeaient les plus représentatifs d’une culture, ou encore des objets uniques, représentants exemplaires d’un style ou d’un mode de vie passé, bref, des objets-témoins, et à les regrouper selon certains principes organisateurs. Mais, si l’objet ethnographique est un témoin, il faut savoir de quoi il témoigne, pour quoi et pour qui (Jamin 1985 : 68). Il atteste certainement tout autant, sinon plus, de la culture du collecteur et du contexte de collectionnement que de la société ou du passé qu’il est censé représenter.

Le concept de « collection ethnographique » réfère généralement à des objets provenant de cultures exotiques. L’exotisme se retrouve autant dans le temps que dans l’espace, l’Autre étant non seulement l’étranger vivant au loin, mais aussi l’Autre « antérieur », généralement incarné par le paysan qui a conservé un mode de vie et des pratiques traditionnels. En rassemblant l’un ou l’autre de ces types d’objets, les collections ethnographiques typiques ont regroupé des objets témoignant de ce qui semblait être un mode de vie traditionnel proche ou lointain, opposé à la modernité. Elles ont ainsi constitué une certaine image de l’Autre.

Regrouper des objets en une collection, c’est créer un nouvel objet qui se construit par la médiation d’un processus culturel. Objets souvent déclassés, qui n’ont plus de valeur d’usage, les objets collectionnés prennent une nouvelle valeur, celle d’objets de collection. Coupés de leurs contextes culturels et historiques, rassemblés dans une collection, ces ensembles d’objets participent à la création de représentations culturelles, à la fabrication de références matérielles[2] illustrant l’identité collective. Les objets conservés deviennent des sémiophores, codes porteurs de sens, sélectionnés non pas pour leur valeur d’usage, mais à cause de leur signification, en tant que représentants de l’invisible : des pays exotiques, des sociétés différentes ou du passé (Pomian 1987 : 49 ; Martinet 1982 : 61). Les collections ethnographiques ont ainsi souvent contribué à la construction de représentations collectives nostalgiques et idéalisées des cultures (Clifford 1996 : 230 ; Hawes 1986 ; Dubé et Lapointe 1997 ; Pearce 1994).

Si les débuts de la collection ethnographique nationale[3] du Québec remontent aux années 1920, ce n’est toutefois que près de 50 ans plus tard, soit en 1968, que son développement prendra réellement son envol, lorsque le Ministère des Affaires culturelles achète une partie de l’importante collection constituée par William H. Coverdale. Cette collection, qui regroupe des objets associés à la vie traditionnelle des Canadiens français et des Amérindiens, est alors considérée comme l’une des plus remarquables en ces domaines. Les spécialistes chargés de son évaluation jugent qu’elle « forme un trésor inestimable et rarissime » et qu’elle doit être achetée par le Gouvernement du Québec, puisqu’il s’agit selon eux « d’une occasion unique et certainement la dernière d’acquérir un échantillonnage complet des civilisations indiennes et québécoises » (Canada Steamship Lines c. 1967 : 4). Dans le cadre de cet article, j’analyserai uniquement la collection amérindienne rassemblée par William H. Coverdale.

Pour comprendre cette collection, qui fait maintenant partie de la collection du Musée de la civilisation à Québec, il importe d’étudier les objectifs et les motivations du collectionneur qui en est à l’origine, et d’analyser les critères de ses choix en fonction du contexte socio-culturel dans lequel il évolue. L’analyse des contextes de collectionnement s’avère révélatrice non seulement des valeurs du collectionneur, mais aussi de celles de la société dans laquelle il vit. En effet, le rassemblement d’objets dans une collection est loin de se faire en vase clos et de manière anodine : ce qu’un collectionneur choisit de conserver ou de rejeter reflète bien plus que son goût et ses intérêts personnels. Le processus de sélection est très complexe et reflète les interactions entre ce qui est signifiant pour la société (les valeurs qu’elle véhicule et les objets qu’elle privilégie), les excentricités du collectionneur et l’attrait de l’objet en lui-même (Pearce 1995 : 27 ; Pomian 1987 : 46-47 ; Guillaume 1980 : 50).

Le collectionneur

William H. Coverdale (1871-1949) était ingénieur et homme d’affaires. Né à Kingston (Ontario), il était, entre autres, président de Canada Steamship Lines, compagnie célèbre pour ses bateaux blancs offrant des croisières sur le Saint-Laurent, des Grand Lacs jusqu’au Saguenay. Depuis sa formation en 1912, Canada Steamship Lines était propriétaire de deux hôtels dans la région de Charlevoix, hôtels construits par la Richelieu & Ontario Navigation Company, l’une des compagnies à l’origine de la formation de Canada Steamship Lines. Ces hôtels sont situés dans une région réputée pour sa beauté et son pittoresque depuis déjà près d’un siècle (Dubé 1986).

Passionné par l’histoire, Coverdale collectionnait au départ des objets médiévaux : tapisseries, armes et armures ornaient sa résidence new-yorkaise, alors que sa bibliothèque était garnie d’oeuvres classiques de la littérature[4]. Très attaché au Canada, il achète en 1917 une résidence estivale près de Kingston, Lemoine’s Point Farm, où il élève du bétail de race[5]. Ses nombreux séjours estivaux dans la région de Charlevoix, dans les hôtels de la compagnie, semblent avoir dirigé peu à peu son intérêt pour l’histoire en général vers celle du pays et de cette région associée aux premiers temps de l’histoire du Canada.

Ainsi, à compter de novembre 1928, William H. Coverdale commence à collectionner des oeuvres d’art et des objets qui viendront orner les hôtels de Canada Steamship Lines. Son premier projet en ce sens consiste à bâtir une collection d’oeuvres d’art pour décorer le nouveau Manoir Richelieu qui doit ouvrir ses portes en juin 1929, suite à l’incendie du premier Manoir en septembre 1928. En moins de onze mois, il rassemble, avec la collaboration de son conservateur Percy F. Godenrath, plus de 1 150 oeuvres. Il s’agit d’aquarelles, de gravures, de peintures, de cartes anciennes, etc., dont le principal critère de regroupement est que ces oeuvres représentent des sujets de l’histoire canadienne[6]. Cette collection et sa collection personnelle seront au centre des activités de collectionneur de William H. Coverdale jusqu’en 1941.

À ce moment, le second hôtel de la compagnie, l’Hôtel Tadoussac, a bien besoin de rénovations. Face à l’importance des travaux à entreprendre, Canada Steamship Lines décide plutôt de construire un nouvel hôtel, et obtient les autorisations nécessaires pour entreprendre un projet de cette envergure en période de guerre. William H. Coverdale élabore alors un autre concept décoratif original, qui utilisera cette fois-ci des antiquités du terroir québécois comme éléments de base de l’aménagement des espaces publics de l’hôtel. Pour mener à bien ce projet, il embauche une jeune femme possédant elle-même une bonne connaissance des antiquités du Québec et partageant sa passion du collectionnement, May Cole.

Dès lors, celle-ci fréquente des antiquaires montréalais à la recherche de pièces de mobilier qui orneront l’hôtel et qui constitueront l’essentiel de la collection. Elle arpente aussi les campagnes québécoises, visitant des maisons et des fermes en quête de quelques trésors. Des petites annonces sont publiées dans des quotidiens, mais donneront semble-t-il bien peu de résultats. Les objets achetés pour la collection seront disposés dans les espaces publics de l’hôtel, aux côtés de mobilier fait sur mesure pour les besoins de l’établissement, c’est-à-dire inspiré de l’intérieur de « l’habitant » canadien-français, mais correspondant aux critères de confort attendus dans un hôtel.

L’époque où William H. Coverdale se lance dans le collectionnement d’objets anciens du Canada français en est une où les actions en faveur de la préservation des traces du passé se multiplient, même si celles-ci restent relativement modestes. Depuis la fin du XIXe siècle, des folkloristes se préoccupent de la collecte et de la sauvegarde de certaines traces des modes de vie traditionnelle alors en pleine transformation, tels les contes, légendes et traditions. Des collectionneurs commencent à s’intéresser peu à peu aux objets qui y sont associés (Martin 1987 ; Gelly et al. 1995 ; Simard et al. 1992 ; Kammen 1991 : 148 ; Schaer 1993 : 96-97). Au cours des années 1920 et 1930, on assiste à la création d’institutions nationales vouées à la conservation des « reliques du passé » : créations d’archives et de musées nationaux, adoption de lois visant la protection des monuments historiques[7].

L’intérêt de William H. Coverdale pour les objets amérindiens se situe dans le prolongement de sa fascination pour l’histoire des débuts de la colonie, les Amérindiens étant un des groupes en présence. La curiosité des collectionneurs de cette époque pour les objets amérindiens semble d’ailleurs souvent intimement reliée à leur intérêt pour l’histoire canadienne[8]. Contrairement à plusieurs autres collectionneurs, il ne semble pas avoir eu d’expériences ou de liens précis avec aucune communauté autochtone, bien qu’il ait pu occasionnellement rencontrer certains Amérindiens micmacs qui vendaient de la vannerie à Pointe-au-Pic ou à Tadoussac.

La construction du poste Chauvin

Au moment de la reconstruction de l’Hôtel Tadoussac, John Clarence Webster, lui-même collectionneur, membre de la Commission des Monuments et Sites Historiques du Canada et ami de William H. Coverdale, écrit à Coverdale le 7 août 1941 pour lui transmettre la suggestion du président de la Commission, E. Fabre-Surveyer : pourquoi ne pas profiter des travaux de reconstruction de l’hôtel pour tenter de localiser l’emplacement du premier poste de traite de la Nouvelle-France, celui établi par Pierre Chauvin en 1599, qu’on suppose être sur le site même de l’hôtel ?

Coverdale est instantanément séduit par cette idée. Le 12 août, il écrit à John Clarence Webster :

I am leaving for Tadoussac tonight for the purpose of locating the exact site of the new hotel and regret that I have no more definite information on the subject of the Chauvin House, its location, its size, design, etc., as I should like to consider the matter in all its details while I am on the ground. Please furnish me with any information you can covering the exact location of the house, its size, general design, etc.[9]

MMGL, Coverdale à Webster, 12 août 1941

Quelques jours plus tard, le secrétaire de Canada Steamship Lines, R.B. Thomson, entre en contact avec l’abbé Victor Tremblay, de la Société historique du Saguenay :

We understand that the first building was built by Chauvin and that there are certain records as to the dimensions thereof. If we can obtain sufficient data covering this building, we propose to erect a duplicate thereof on the hotel grounds as near as possible to the original site. Mr [Pierre-Georges] Roy states that from the data you have collected, you may be able to assist us in reproducing the building, and suggesting locations where we might endeavour to find evidences of the original habitation. Any information you can give in connection with the foregoing will be very much appreciated.

MMGL, Secretary [Thomson] à Abbé Tremblay, 23 août 1941

L’abbé Tremblay fournit du matériel de référence : les dimensions, une description et un croquis du site. Il s’agit probablement du récit de voyage de Samuel de Champlain de 1603 et de la carte qu’il a dressée du site (MMGL, Abbé Tremblay à Thomson, 4 septembre 1941). La société historique s’enthousiasme elle aussi pour le projet, d’autant plus qu’il sera entièrement financé par Canada Steamship Lines.

Des fondations de pierre sont découvertes à l’endroit exact où l’abbé Tremblay croyait les trouver. Toutefois, les dimensions des vestiges ne correspondent pas à la description que Champlain donne du poste Chauvin. Les fondations retrouvées ont 15 pieds anglais sur 30, alors que la description de Champlain donne 18 pieds français sur 25 (MMGL, Coverdale à Webster, 2 octobre 1941). Coverdale fait néanmoins dégager les fondations et confie la réalisation du bâtiment à Sylvio Brassard, architecte ayant travaillé à la reconstruction de Port-Royal et se spécialisant alors dans les reconstitutions historiques.

La plupart des personnes consultées pour ce projet sont d’avis qu’il ne s’agit pas des fondations du poste Chauvin :

We have not been fortunate in our researches on the question of identification of the ruins exhumated at Tadoussac. Father Angers[10], who is best learned on this part of our matters, has found quite sure that we are finding out the foundation of the first stone church in Canada, that built by Father De Quen in 1646. Dimensions and site are quite exact, and more than one details confirm this opinion.

ANQ, AbbéTremblay à Coverdale, 30 octobre 1942

Sylvio Brassard croit quant à lui qu’il pourrait s’agir d’un bâtiment de la Hudson Bay Company, qui ne s’installe à Tadoussac qu’à compter de 1822 :

If it is the right location of the building, it is possible that a part of the ancient foundations could have served later for a larger building.

MMGL, Brassard à Coverdale, 10 octobre 1941

William H. Coverdale lui-même écrira à son ami John Clarence Webster, le 2 octobre 1941 :

While we do not know that this foundation is any part of the Chauvin house yet we have uncovered much evidence of long residence on the spot, as many animal bones have been dug up, particularly those of the beaver including beaver jaws and beaver teeth. We have also found different pieces of iron implements, including a side lock of a flint lock gun.

There is a positive evidence that the building was destroyed by fire as much charcoal has been uncovered about two feet below the present surface of the ground.

The wall of one side of the house is missing and in the interior is a large block of stone work not connected with the walls and which was evidently the foundation of the chimney or fireplace.

MMGL, Coverdale à Webster, 2 octobre 1941

Néanmoins, William H. Coverdale et Canada Steamship Lines prétendront toujours que le site est celui du Poste Chauvin, affirmation beaucoup plus intéressante à des fins publicitaires pour vendre Tadoussac comme un endroit imprégné d’histoire. C’est ainsi que William H. Coverdale le présentera dans son livre Tadoussac Then and Now, publié en 1942, au moment de l’ouverture de l’hôtel et du poste Chauvin. Lorsqu’il demande des commentaires sur son manuscrit à Victor Tremblay, ce dernier rappelle ses réticences sur cette affirmation :

We think one was too quick to declare these substructions to be remains of Chauvin’s house. When we heard of it, we did not interfere the matter, because first we had not the opportunity of making personal investigations on the spot, and secondly because we did not want to cut the wings to a sort of propaganda actually useful to your project of reconstructions ; but we cannot admit that the discovered stones belonged to Chauvin’s.

MMGL, AbbéTremblay à Coverdale, 29 mars 1942

Figure 1

Vue extérieure du poste Chauvin

Vue extérieure du poste Chauvin
Archives nationales du Canada, Fonds Hayward Studios, PA-69273.

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Les pierres des fondations retrouvées ont été réutilisées pour ériger la cheminée. Il nous est donc impossible aujourd’hui d’étudier de nouveau ces fondations[11]. Cette pratique, qui pourra paraître scandaleuse aujourd’hui, n’est pas sans rappeler semblables pratiques lors de l’érection de monuments historiques, alors que les vestiges du monument antérieur sont intégrés à un nouveau monument commémoratif[12].

Même si la fouille du site et les travaux de construction se déroulent plutôt précipitamment, on sent une certaine volonté de bien faire les choses. Ainsi William H. Coverdale fait effectuer et procède lui-même à des recherches pour documenter l’histoire du site et planifier l’aménagement intérieur du poste[13]. Brassard propose l’achat de maisons anciennes, construites selon des procédés semblables à ceux qui ont pu être utilisés lors de l’érection du poste Chauvin, afin d’en récupérer le bois qui donnera tout de suite un certain cachet au bâtiment (MMGL, Brassard à Coverdale, 10 octobre 1941 et 17 octobre 1941).

Différentes personnes sont consultées et donnent leur avis sur le mode de construction. Cependant, l’objectif n’est pas tant de reconstruire une réplique exacte — la documentation existante est d’ailleurs plutôt limitée — que d’évoquer le poste Chauvin et d’en faire un lieu d’exposition témoignant de la période de contact entre Amérindiens et Européens. Voilà pourquoi William H. Coverdale demande à Brassard d’agrandir le bâtiment à 24 pieds par 30 et d’en rehausser le pignon, de façon à accroître l’espace d’exposition disponible (AUL, Memorandum Chauvin House, 29 janvier 1942 et Brassard à AbbéTremblay, 10 février 1942). Avant de procéder, Brassard demande l’avis de Marius Barbeau du Musée de l’homme du Canada (connu comme l’un des premiers chercheurs canadiens à s’intéresser à la culture matérielle), et fait approuver le plan par la Société historique du Saguenay (AUL, Brassard à Barbeau, 12 mars 1942 ; Extrait des minutes de la Société historique du Saguenay, 16 mars 1942).

Le bâtiment est donc conçu aux fins de contenir une collection qui reste à former et non pas dans le but d’abriter une collection déjà existante. Face à la frénésie du collectionneur, et malgré cet agrandissement, l’espace disponible pour exposer la collection devient rapidement restreint[14]. En mars 1944, William H. Coverdale écrit : « In fact, it is a matter of regret to me that Pierre Chauvin was satisfied with such a modest and diminutive habitation because the material which we have already collected promises to burst outward its walls if we continue to increase it » (MMGL, Coverdale à AbbéTremblay, 24 mars 1944).

« A museum for early Indian and French relics »

La description la plus détaillée du contenu de cette collection se trouve dans un texte de présentation du poste Chauvin publié par Canada Steamship Lines.

The Chauvin House contains literally thousands of stone arrow-heads, spears, flints and war points, adzes, axes, hammers, tomahawks, war club, daggers, rifles, muskets, pistols and other implement of Indian warfare. As many as thirty-five papoose boards, six small doll boards, and a number of Indian dolls are to be seen. There are five rare bird stones, as well as a number of discoidals and many pendants and gorgets. About forty-eight Indian pipes have been collected and hundreds of pieces of clay-pipes, showing traces of fire, have been unearthed. Seventy-three coins, mostly Double Tournois, and dated 1590 to 1650, with skull and rib bones, which were found while digging on this site, are believed to be those of a Frenchman who was buried with his money belt on.

A collection of sixty-one wooden bowls of various sizes, and the largest in any Canadian museum, many grain and corn mortars, and about thirty-five wooden spoons are also included. Twelve necklaces have been made from beads found in the earth where this trading post once stood and many other Wampum and early glass bead necklaces have been collected. An extensive display of beadwork containing over twenty pairs of Indian mocassins, bracelets, caps, ceremonial aprons and belts, leggings, et cetera, also add to this collection.

ANQ, texte « The Chauvin House », c. 1943

Figure 2

Vue d’ensemble de l’intérieur du poste Chauvin, après le réaménagement pour l’été 1943

Vue d’ensemble de l’intérieur du poste Chauvin, après le réaménagement pour l’été 1943

On remarque les vitrines inclinées le long des murs, les objets perlés disposés au-dessus ainsi que les porte-bébé suspendus, les bols sous les vitrines, les vêtements sur le mur pignon et les vitrines d’armes à feu autour du foyer.

Archives nationales du Canada, Fonds Hayward Studios, PA-69267.

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Ces objets sont de provenances diverses, mais les artéfacts retrouvés sur le terrain de l’hôtel sont le point d’origine de cette collection. En effet, les fouilles sur le site du présumé poste Chauvin et lors du creusement pour la construction de l’hôtel voisin ont permis de recueillir différents artéfacts, entre autres des perles de verre, des outils en os, des pointes de projectiles, des fragments de poterie et des pièces de fusils (ANQ, Cole à Wehrivem, 13 mai 1944). Ces trouvailles archéologiques incitent Coverdale à compléter son musée par des objets amérindiens visuellement plus percutants : vêtements, perlages, porte-bébé, paniers, bols, etc.

Pour se procurer ces objets, William H. Coverdale fait parvenir des lettres aux agents de Canada Steamship Lines en poste dans diverses villes où la compagnie a des comptoirs de vente de billets, espérant ainsi repérer des collections d’objets amérindiens qu’il pourrait racheter, qui lui permettraient de constituer une collection qu’il souhaite « worth while » (ANQ, Coverdale à Smith, 17 juillet 1943).

We have already uncovered several relics of both French and Indian occupation and the intention is to use the rebuilt house as a museum to show these relics.

If you know of any Indian relics in your territory, such as stone pipes, flints, tomahawks, stone axes, cradle boards, beadwork, etc. etc. or if you know of any collections of these relics in your territory it would be very helpful to us if you would so advise us, as otherwise, it will be difficult to secure particularly the Indian articles which we require to make the Chauvin Museum attractive.

ANQ, Coverdale à Linfoot, 13 décembre 1941

Cette procédure semble donner peu de résultats. Un des agents suggère à William H. Coverdale de s’adresser au Musée McCord, qui est fermé depuis quelque temps, et qui serait peut-être intéressé à vendre des objets (ANQ, Linfoot à Coverdale, 22 décembre 1941)[15].

William H. Coverdale fréquente aussi les ventes à l’encan aux États-Unis et embauche à compter de 1944 un « agent », William F. Stiles, employé du Museum of American Indian, Heye Foundation, à New York, qui, selon Coverdale,  « was greatly pleased with what we had accomplished at Tadoussac and tells us that we have many rare and valuable items there » (ANQ, Coverdale à Jury, 14 juillet 1944). Stiles prend des jours de congé du musée pour faire des voyages où il achète des objets à la demande de William H. Coverdale :  « Mr. Wm. F. Stiles has just completed a trip to various Indian reservations at Cattaraugus, Onondaga, Tonawanda, Oneida, etc., which he undertook at my request for the purpose of purchasing any additional material which might be suitable for Tadoussac. On his trip he purchased 27 items, such as Indian baskets, corn sifters, masks, rattles, beadwork, silver brooches, pipes, etc., etc. » (ANQ, Coverdale à Love, 13 octobre 1944). Il travaille aussi avec Coverdale à l’installation des artéfacts à Tadoussac et au Thousand Islands Club (ANQ, Stiles à Love, 25 mai 1949)[16].

Coverdale achète des collections auprès d’autres collectionneurs et archéologues, principalement des objets lithiques et des pipes. Bien que ces objets collectionnés en Ontario ou aux États-Unis puissent sembler avoir peu de liens avec Tadoussac, qui fait plutôt partie du territoire des Innus (Montagnais), William H. Coverdale acceptera pour sa collection les objets d’origine iroquoise en spécifiant que

the Iroquois Nation, with headquarters on the Mohawk River in New York State burned Tadoussac twice about 1640-50 and also overrun the whole of Canada and drove the Huron and Algonquin tribes from the Georgian Bay district into extermination and also overran the State of Illinois and the Mississippi River country, so that it might very well be that any collection of Indian relics gathered in Ontario would be appropriate for showing at Tadoussac, which is situated at the junction of the St.Lawrence and Saguenay rivers in the province of Quebec[17].

ANQ, Coverdale à Stratford, 7 janvier 1942

Quelques semaines plus tard, des objets sont refusés parce que « many of them are not suitable for Tadoussac because they have to do with the Western Plains Indians rather than Iroquois and Eastern Hurons » (ANQ, Coverdale à Lynott, 25 février 1942).

Néanmoins, la beauté d’un objet peut favoriser son acquisition, en dépit de son association culturelle sans lien avec Tadoussac. Ainsi, en juillet 1943, William H. Coverdale achète différents objets à l’encan : « The three most interesting items are similar in character and consist of beautiful beadwork baby carriers which I have never seen before and which look like small bathtubs entirely covered by beautiful beadwork, both as to sides and bottom. Also, a good deal of this stuff must be classed as western, yet it is very colorful and will be quite an addition to our collection » (ANQ, Coverdale à Cole, 10 juillet 1943).

William H. Coverdale n’explique cependant nulle part la présence de plus de 80 objets d’origine inuite dans la collection. Ces objets ont été achetés, au moins en partie, par William F. Stiles lors d’un de ses voyages (MC, Stiles à Coverdale, 20 juin 1946 ; Famille Fraser, 1948). Même si les Inuits du nord du Québec fréquentaient la Basse Côte-Nord du Saint-Laurent, au moins jusqu’au Havre-Saint-Pierre, ce n’est probablement pas en lien avec l’histoire de la région que la présence de ces artéfacts dans la collection s’explique. Ils pourraient plutôt être associés à une volonté de remonter le temps de façon à illustrer la théorie voulant que les communautés autochtones aient rejoint l’Amérique du Nord via le Détroit de Béring[18].

Comme le font la plupart des collectionneurs d’objets amérindiens, Coverdale privilégie les objets anciens illustrant la production traditionnelle des communautés et rejette la production contemporaine (ANQ, Coverdale à Clark, 15 avril 1944). Ce critère d’ancienneté est alors vu comme le reflet d’une authenticité, d’une époque où les cultures autochtones étaient plus « pures », non transformées par le contact avec les Blancs (Philipps 1998 : 50 ; Krech 1999 : 11 ; Brown 2001 : 26-27). Ainsi, lorsqu’Edward F. Murphy de Kenogami offre des objets fabriqués à sa demande par les Montagnais, ils sont refusés par William H. Coverdale parce qu’ils sont « modernes ». On songe néanmoins à les acheter pour les mettre en vente dans les boutiques de la compagnie, mais cette idée ne sera finalement pas retenue (MC, Love à Murphy, 21 août 1944).

Les curés de Tadoussac aident Coverdale dans cette recherche d’objets reliés à l’histoire de la région en invitant leurs fidèles à faire des dons pour le musée. Certains résidents de Tadoussac, particulièrement intéressés par le projet, fouillent aussi leur propriété à la recherche d’artéfacts. Régulièrement, May Cole écrit à William H. Coverdale et lui décrit les dernières trouvailles.

As you have learned — Mr. Imbeau sent to you his findings on his property[19] and Mr. Brown has brought back the items found on the Hotel grounds. It is rather odd, that on the Hotel area no Jesuit rings appear — Mr. Imbeau has contributed all those in the collection. The dainty silver buckle (about the size of a twenty-five cent piece) is I am sure Indian. The beads from both digs are similar with the exception of one very large one (Hotel) which is of crystal with an enamelled floral design. There are two very beautifully worked side-plates in brass that you will be most interested in. Mr. Imbeau has so far found none of these. But the finding of very fine textures Iroquois pottery shards on his property is a new project. Miss Love and I have matched four of these. I have brought down to your office more glass jars so that we shall be able to wash the new collection and keep them separate as to the source of origin.

ANQ, Cole à Coverdale, 13 octobre 1943

La volonté de garder les objets séparés et de bien identifier leur provenance montre un intéressant souci de documentation. Les relations de William H. Coverdale avec certains archéologues sont peut-être à l’origine de cette préoccupation, ceux-ci ayant pu le sensibiliser à l’importance d’associer les objets à une provenance. Toutefois, la documentation se limite à noter le site de façon générale, sans plus de précisions concernant la stratigraphie, ni même quant à la localisation exacte sur le terrain de l’hôtel, quoique l’on retrouve parfois des mentions disant : « près du tennis », « devant l’hôtel » ou « près de la chapelle »[20]. Quelques croquis indiquent aussi vaguement l’emplacement de certaines découvertes.

William H. Coverdale possède lui-même de bonnes connaissances des objets qu’il collectionne, comme en témoigne cette lettre de Borden Clark, le 25 avril 1944, alors que celui-ci a offert une collection de pipes à Coverdale : « I am sorry you did not find more of them worth your while, but the mere fact that you did not pick out the more spectacular ones, as I thought you would, shows me that you of course know far more about Indian pipes than I do » (ANQ, Clark à Coverdale, 25 avril 1944). Néanmoins, Coverdale n’hésite pas à demander l’avis de spécialistes pour l’aider à identifier et dater le matériel acheté ou trouvé à Tadoussac. Il correspond régulièrement avec l’archéologue Wilfrid Jury, allant jusqu’à lui proposer de choisir Tadoussac comme destination pour son voyage de noces : « Why don’t you come to Tadoussac on your wedding trip, as I can think of no other place which would be so closely in line with the work you are doing ? I only wish you could stay long enough there to help me on some necessary cataloguing » (ANQ, Coverdale à Jury, 28 février 1948). Coverdale fait appel à Joseph R. Mayer, conservateur de la section de l’histoire militaire au Rochester Museum of Arts and Science, pour l’identification et la datation des pièces de fusil retrouvées à Tadoussac. De même, il consultera plusieurs personnes afin d’identifier de petits objets en coquillages qui ont la forme de poissons « which are said to have been used as trading tokens between the early Frenchmen and the Indians in the same manner that the Hudson Bay Company copper tokens were used ». Arthur C. Parker (du Rochester Museum of Arts and Science), Aurèle Larocque (du Département des mines et ressources du Canada), le Dr. D. Leechman (archéologue au National Museum of Canada) et Lionel Judah (conservateur et directeur des musées de l’université McGill), concluront tous que ce type de coquillage ne se trouve pas en Amérique du Nord, mais qu’il abonde dans l’océan Indien, la mer Rouge et les mers du sud, et que sa forme est, elle aussi, caractéristique de l’est de l’Asie ou de l’est de l’Inde (ANQ, Jury à Coverdale, 1er mai 1943).

Figure 3

Vitrine présentant des pipes et des colliers de perles enfilées trouvés à Tadoussac

Vitrine présentant des pipes et des colliers de perles enfilées trouvés à Tadoussac
Archives nationales du Canada, Fonds Hayward Studios, PA-78885.

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Le don ou l’échange d’objets archéologiques entre archéologue et collectionneur semble être une pratique relativement courante. Lorsqu’il achète la collection Sonely, William H. Coverdale donne une « lizard pipe » à Wilfrid Jury[21], que celui-ci convoitait depuis longtemps (ANQ, Jury à Coverdale, 17 décembre 1943). En retour, Wilfrid Jury offre un « Clam shell Wampum taken 5’ deep from grave site in Beverly township » à William H. Coverdale pour Noël en 1943 (ANQ, Jury à Coverdale, 17 décembre 1943). En janvier 1946, Jury demande à William H. Coverdale de lui donner des clous trouvés sur le site de la maison Chauvin pour sa collection de clous provenant de sites historiques (ANQ, Jury à Coverdale, 17 janvier 1946). De même, Clifford P. Wilson donne des jetons (token) de la Compagnie de la Baie d’Hudson, où il travaille, et offre un fusil de traite (ANQ, Cole (?) à Wilson, 31 mars 1943 ; Wilson à Coverdale, 23 juillet 1945) ; William H. Coverdale lui donne une alêne retrouvée à Tadoussac (ANQ, Coverdale à Wilson, 29 juin 1944).

Les objets archéologiques ne sont pas inventoriés systématiquement comme le sont les autres collections rassemblées par William H. Coverdale. Outre la connaissance et la gestion courante des collections, les inventaires effectués par les conservateurs s’avéraient nécessaires aux fins d’assurance pour la compagnie et le prix payé ou la valeur de l’objet était systématiquement indiqué. Bien qu’il soit difficile de chiffrer la valeur monétaire des objets archéologiques, cette absence d’inventaire précis peut aussi laisser deviner le peu de valeur marchande qu’on leur attribue.

L’exposition des objets

Une première disposition des objets est faite rapidement pour l’ouverture du poste le 5 juillet 1942.

The Chauvin House was opened on the day I left Tadoussac and the interior arrangement, under the stress of circumstances with which we had to cope, was very good indeed. We brought down about twenty tables, all of one size, from the hotel, covered them with white linen and then arranged the various articles for exhibition on them, with the exception of the Indian beadwork which was put into glass cases at one end of the building and also arranged on the rear end of the building. The cradle boards were all hung at the eave line and looked very well indeed and the bowls were all placed at an angle of forty-five degrees at the back of the tables leaning up against the wall of the building. The main Indian relics made a very good showing but, of course, we did not arrange the smaller flints, et cetera, in patterns or in frames as there was no time for so doing and they are, therefore, put away for the time being.

ANQ, Coverdale à Montgomery, 13 juillet 1942

L’accès au poste Chauvin est gratuit, mais les dons sont acceptés et sont partagés, à la fin de la saison, entre les églises catholique et protestante de Tadoussac. L’exposition est sous la garde de religieuses, ajoutant au pittoresque du lieu : « The nuns took a great fancy to the Chauvin house and at least two of them preside over the exhibition every day. This adds quite a pleasant feature to the exhibition » (ibid.). De juillet à septembre 1942, 3 500 personnes ont visité le poste Chauvin (ANQ, Coverdale à Clarke, 21 septembre 1942).

L’aménagement des vitrines sera entièrement refait pour l’été 1943. Au cours de l’hiver, William H. Coverdale fait préparer douze vitrines qu’on lui envoie au bureau de Canada Steamship Lines à Montréal : « Mr. Coverdale has been making designs on masonite boards covered with velvet to be displayed in the twelve cases that you made and shipped to Montreal. [...] The cases look most attractive with all the Indian stones » (ANQ, Cole à Bergeron, 19 janvier 1943). Les vitrines sont expédiées à Tadoussac par bateau le printemps suivant. Les objets sont alors regroupés plus précisément par type. Certaines vitrines présentent des objets de la préhistoire amérindienne : pointes de projectiles, grattoirs et autres objets lithiques, outils en ivoire ou en andouiller. D’autres regroupent des artéfacts associés à la période de contact : objets perlés (sacs, mocassins), pipes, boutons, monnaies, perles de verre enfilées en collier, clous, couteaux, pièces de fusil et autres objets de métal, dont une bonne part provient des trouvailles faites à Tadoussac. Les artéfacts y sont disposés de façon artistique, de manière à créer des motifs. Les vitrines sont placées sur un plan légèrement incliné, le long des murs, tout autour de l’édifice.

Au-dessus de ces vitrines, des objets visuellement plus percutants recouvrent les murs : objets perlés tels que vêtements, mocassins et sacs, poupées et paniers. Des porte-bébé sont suspendus au-dessus des vitrines, de chaque côté de la pièce, alors que des vêtements garnissent les murs pignons. Sous les vitrines se trouve une collection de bols en bois. Des mortiers et pilons sont disposés par terre devant la cheminée centrale, qui est entourée de vitrines contenant des armes à feu et leurs accessoires. On y remarque entre autres des pistolets, des fusils, des cornes à poudre, des gobelets, objets associés plus spécifiquement à la traite des fourrures et à l’attirail du coureur des bois. De nouvelles vitrines sont préparées par Coverdale durant l’hiver 1943-1944 (ANQ, Cole (?) à Van Wyck, 12 juin 1944).

De courtes vignettes, d’abord uniquement rédigées en anglais — bilingues à compter de 1946 — (ANQ, Cole à Love, 16 septembre 1946), identifient les objets. Les objets retrouvés à Tadoussac y sont toujours indiqués plus ou moins précisément et quelques vignettes donnent des informations un peu plus détaillées sur les objets exposés. C’est probablement William F. Stiles qui a rédigé la version préliminaire des vignettes, version qui donne des précisions sur les techniques de fabrication des objets lithiques. Mais c’est William H. Coverdale qui a le dernier mot sur le contenu présenté, comme en témoignent ses corrections manuscrites et une autre copie dactylographiée de l’ensemble des vignettes. On remarque que Stiles se limite aux informations techniques sans avancer d’interprétation sur l’utilisation d’objets peu connus, et que William H. Coverdale y ajoute des données plus interprétatives, comme « probablement portée lors de processions » lorsqu’on parle d’une « pierre cérémonielle », ou encore « probablement d’origine française » au sujet de perles dorées trouvées à Tadoussac, à six pieds de profondeur (ANQ, Texte des vignettes).

Figure 4

Vitrine présentant des pointes de projectiles, des bagues, des jetons en coquillages et autres petits objets trouvés à Tadoussac

Vitrine présentant des pointes de projectiles, des bagues, des jetons en coquillages et autres petits objets trouvés à Tadoussac
Archives nationales du Québec à Québec, photo S.J. Hayward, Collection Coverdale, E6, S10, P35611.

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Un autre exemple de ces ajouts interprétatifs est encore plus frappant. Le texte préliminaire se lit ainsi : « This collection of Serrated Flints is extremely rare. Nothing is known regarding the use of this unusually shaped flints. It is evident from the serrated edges that these were obtained from the use of drills, and the incisions made were smoothed by twisted bark rubbed through the openings ». La version manuscrite de William H. Coverdale, celle qui sera présentée dans la vitrine numéro six, est la suivante : « The ceremonial artifacts shown in Case VI are extremely rare and nothing is known as to their use. They do not appear as ornaments on Indian costumes or paintings ». On remarquera une certaine antinomie créée par cette nouvelle formulation, lorsqu’on y affirme que l’usage de ces objets est inconnu après avoir avancé qu’il s’agit d’objets cérémoniels.

Les objets collectionnés et la façon de les exposer correspondent à l’approche de l’époque : emphase sur les aspects technologiques plutôt que sur les relations sociales ou la vie politique qui sont plus difficiles à illustrer par les objets (Phillips 1998 : 51). On remarquera aussi les nombreux porte-bébé inclus dans la collection. En plus de la beauté de ces objets souvent décorés, ornés de motifs sculptés et colorés, les porte-bébé incarnent, selon Ruth B. Phillips (1998 : 81), une image de l’indianité, celle du nomadisme et de la liberté des Amérindiens.

L’approche de collectionnement et d’exposition de William H. Coverdale peut être associée au « rare art collecting » par le choix des objets et la façon de les présenter qui, tout en les regroupant dans une typologie très générale, met l’emphase sur l’esthétisme de la présentation. Par ailleurs, tant William H. Coverdale que les gens qu’il associe à la réalisation du poste Chauvin montrent un grand enthousiasme pour ce projet, et semblent convaincus qu’ils feront ainsi avancer les connaissances sur cette période historique, tout en sensibilisant la population à la préservation de son patrimoine.

I expect these exhumed items will bring a great benefit both to the local museum and to scientific studies, and I feel very sad that so many relics of historic and prehistoric Tadoussac have been lost or scattered in past years. Father Lemieux [curé de Tadoussac] and myself are pleased to notice that people are now changing their mind ; this is one of the results of the attention called on the value of those things, by the exhibition and the researches.

ANQ, Abbé Tremblay à Coverdale, 16 septembre 1943

Une image de l’Autre ancré dans la tradition

La reconstruction du poste Chauvin et le collectionnement d’objets amérindiens par William H. Coverdale s’inscrivent dans une stratégie commerciale affirmée[22]. Considérant que ce projet est réalisé en période de guerre, l’investissement de Canada Steamship Lines dans la construction et l’installation du « musée indien » est relativement important : selon les chiffres du 31 août 1942, la construction du poste a coûté $5 264.55, et la collection a nécessité jusqu’à cette date un investissement de $7 530.05, soit un total de $12 794.60. Et ce projet n’est, rappelons-le, qu’une partie de l’oeuvre de collectionneur de William H. Coverdale.

Lorsque le Ministère des Affaires culturelles achète la collection Coverdale en 1968, il acquiert en même temps une certaine image de la vie traditionnelle du Canada français et des Amérindiens : une représentation qui correspond à la vision d’un collectionneur des années 1940, reflétant la certitude de la disparition imminente des peuples autochtones, et dont le contenu est partiellement déterminé par les disponibilités du marché à cette époque.

On peut s’interroger sur les conséquences culturelles qu’entraîne la transmission par un collectionneur d’un tel héritage au patrimoine collectif d’une société (Kammen 1991 : 315), d’autant plus que ce legs peut influencer le contenu et le développement subséquent des collections nationales, comme ce fut le cas avec la collection Coverdale au Québec (Dubé 1998 : 35). Aujourd’hui, plusieurs artéfacts de la collection amérindienne de William H. Coverdale sont réintégrés dans un discours muséal voulant offrir une optique contemporaine sur les nations autochtones du Québec, en particulier dans l’exposition « Nous, les premières Nations », actuellement présentée au Musée de la civilisation à Québec. Même si le communiqué de presse affirme que cette exposition souhaite aller « au-delà du folklore et des clichés qui masquent souvent les réalités autochtones contemporaines » (www.mcq.org/presse/nations.html), les objets exposés réfèrent toujours au mode de vie traditionnel, même si celui-ci n’est plus nécessairement vu comme plus « authentique ». Les objets illustrent la vie traditionnelle en la situant dans un discours actuel : ils montrent tour à tour un enracinement au territoire, une identité qui intègre traditions et vie contemporaine, les échanges culturels ou une adaptation des pratiques artisanales à la demande créée par le développement d’un marché touristique.

Les objets de la collection Coverdale continuent donc à incarner la vie traditionnelle des Amérindiens. Même si l’objet ethnographique est en principe apte à supporter diverses fonctions symboliques et de multiples discours, capacité qui favorise d’ailleurs sa conservation, les circonstances dans lesquelles sa sélection comme objet signifiant a été effectuée influencent ses utilisations subséquentes et orientent la signification qui lui est attribuée (Radley 1990). L’étude des démarches de collectionnement qui sont à l’origine des collections ethnographiques met en perspective les justifications derrière les choix des collecteurs et permet de saisir le sens que ceux-ci attribuent aux objets. Elle nous conduira peut-être à aller au-delà de cette image de l’Autre ancré dans la tradition. Mais pour aller où ?