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Avec l’arrivée d’Internet dans un nombre grandissant de foyers, l’accès à l’information s’est démocratisé. Dans des proportions également impressionnantes s’est démocratisé l’accès à la publication. Depuis quelques années, les sites Web personnels, les blogues, les journaux intimes, les chroniques personnelles prolifèrent en ligne : le succès des Skyblogs, support de publication destiné aux adolescents, n’en est que l’indicateur le plus médiatisé. Le statut d’auteur semble désormais accessible à tout le monde. Derrière les projets d’écriture en ligne se dessine souvent le rêve de faire « oeuvre ». Qui dit oeuvre pense pourtant livre. Certains auteurs optent pour une publication en ligne « en attendant », dans l’espoir de se faire repérer par un éditeur papier. Beaucoup de blogues, de journaux intimes et de romans-feuilletons « en réseau » se présentent ainsi sous des formats assez traditionnels : le lien hypertexte, outil syntaxique révolutionnaire, n’est utilisé qu’à l’intérieur d’un sommaire facilitant le « feuilletage » ; l’animation textuelle, outil sémantique renouvelant profondément l’aspect graphique de la matière textuelle, y est soit absente, soit se trouve réduite à une fonction de gadget ; les codes de programmation présents sous la surface lisse de l’écran ne jouent qu’un rôle de langage secondaire et invisible.

À côté de cette première forme de littérature en réseau, une deuxième s’est développée, encore assez peu connue du grand public, et qui donne lieu à des trouvailles beaucoup plus surprenantes. Depuis une dizaine d’années, loin des circuits de publication et de diffusion des littératures papier, des cercles, des communautés d’écrivains se sont formés autour de l’idée d’une littérature exploitant pleinement les potentialités du dispositif informatique. L’animation, l’interactivité et une programmation créative caractérisent ces nouveaux types de créations littéraires sur support numérique.

Certes, l’animation et l’interactivité ne sont pas réservées aux écrans d’ordinateurs. Mais malgré certaines convergences, les écrans de cinéma, de télévision et d’ordinateurs ne semblent pourtant ni engendrer les mêmes formes d’expression, ni provoquer les mêmes usages. Rares sont par exemple les sites Web qui relèvent intégralement de la création vidéo. Une majeure partie de l’information sur le Web est transmise par voie textuelle. C’est ainsi dans les calligrammes et métaphores animés et dans l’animation syntaxique, dans les relations intersémiotiques entre le texte animé et l’image fixe, entre le texte fixe et l’image animée que se dessine une première particularité de la littérature numérique. La deuxième est la dynamisation de l’écrit par l’hyperlien (que le lecteur active par une panoplie de gestes de plus en plus diversifiée, du clic à l’attouchement, du balayage au rabotage[1]…), laquelle incite un nombre grandissant d’auteurs à expérimenter avec le support numérique. S’inspirant du premier roman hypertextuel proposé par l’auteur américain Michael Joyce, Afternoon, a story[2], certains d’entre eux, comme Lucie de Boutiny[3] ou Martyn Bedford[4], explorent les possibilités de l’hyperfiction[5]. Les auteurs de la littérature hypertextuelle et animée s’inscrivent souvent dans la filiation du Nouveau Roman, de la poésie concrète et sonore ou de l’art vidéo. Reiner Strasser[6], Sophie Calle[7] et certains auteurs du collectif Dreamingmethods[8] expérimentent avec l’animation sur la surface écranique de l’oeuvre numérique. Mots et images sont mis en évidence par différentes techniques d’« éclairage », ils apparaissent et disparaissent selon un rythme prédéfini. Ce faisant, les auteurs manipulent des objets ; ils ne saisissent souvent que des bribes de codes. Ils cherchent à créer des illusions de surface en faisant bouger les « coulisses », suggérant une profondeur d’espace par l’entremise de l’hypertexte ou de l’image 3 D. Basée sur une énergie suggestive du langage, de l’image, de l’éclairage, de la mise en espace, du graphisme et de l’animation, la littérature hypermédiatique veut fasciner, transporter, ravir ; les codes de programmation se font souvent oublier.

Un troisième type de littérature numérique met l’accent sur le fonctionnement du programme et les codes informatiques. Les oeuvres programmées les plus récentes se distinguent pourtant du software art, où les codes de programmation constituent l’oeuvre. Elles se démarquent aussi d’une première génération de créations « automatiquement générées », héritières de l’OuLiPo[9] où, comme l’explique Jean-Pierre Balpe, les textes produits par un générateur n’avaient pas de « valeur » en eux-mêmes[10]. Certes, la littérature programmée actuelle ne poursuit pas non plus les mêmes objectifs que la création hypertextuelle et animée où l’ordinateur ne joue qu’un rôle de support. Lorsque des auteurs comme Philippe Bootz mettent aujourd’hui en place des « générateurs adaptatifs » qui assurent la conformité du résultat produit sur l’écran avec leur projet esthétique, ils veulent surtout créer une relation signifiante entre codes de programmation et événements de surface.

À partir d’un certain nombre d’exemples, il s’agit maintenant de décrire plus précisément les caractéristiques de ces trois types de littérature numérique (qui ont tendance à se confondre de plus en plus à l’intérieur d’oeuvres hypermédiatiques). Il paraît nécessaire d’établir des catégories pour faciliter l’analyse des changements profonds de la matière textuelle sur support numérique[11] : le fait qu’elle devienne signal en restant porteuse de signification, qu’elle soit lue comme image et comme support signifiant, bref : qu’elle acquière une nouvelle « matérialité » tout en restant liée aux codes de programmation qui régissent son apparence visible. Des tentatives de catégorisation ont déjà été proposées par la critique, mais souvent elles ne prennent pas en compte la signification du texte hyperlié et animé.

Hyperfictions

Un lien hypertexte peut remplir des fonctions très différentes selon le genre, le style d’écriture et la mise en forme graphique d’un texte, selon son « contenu » et son « contenant », le contexte de publication, selon le découpage des fragments hyperliés et leur signification dans la matrice globale d’un site, et selon les actions que son activation provoque sur la surface visible de l’oeuvre numérique. Ce constat se vérifie facilement dans ce qu’on appelle les « hyperfictions ». Prenons comme exemple The Virtual Disappearance of Miriam de Martyn Bedford[12]. Miriam a disparu — sa place dans le lit du narrateur est vide. Le narrateur essaie de comprendre ce qui s’est passé. En explorant certains liens hypertextes signalés par surimpression verte, le lecteur apprend des détails sur la vie du narrateur avec la disparue, le cercle d’amis du couple, leur passé proche. Si on active par exemple le lien hypertexte dans le premier fragment sur « Miriam », une fenêtre contextuelle (pop-up) s’affiche et donne accès à un portrait et un bref descriptif (certes, il ne s’agit pas d’un véritable portait ; un clin d’oeil est ainsi adressé à tous les internautes trop curieux qui cliquent frénétiquement afin d’en savoir toujours plus). Sur le plan de l’organisation narrative de l’histoire, l’hypertexte sur Miriam remplit la fonction d’un « lien-incise[13] » : le fragment pourrait être omis de la matrice sans que l’organisation logicotemporelle du récit soit mise en danger. Dans une hyperfiction, le lien-incise appelle souvent des textes d’un ordre descriptif qui étoffent l’univers du récit sans faire avancer l’action « principale ».

Figure 1

Capture d’écran de The Virtual Disappearance of Miriam de Martyn Bedford, avant et après activation du lien sur « Here is a plan of Sam’s basement flat ». © et droits réservés.

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Pour affiner l’analyse de la fonction sémantique des liens-incises, je propose d’appeler « liens-catalyses » ceux qui comblent l’espace entre deux propositions narratives de base ; les « liens-informants », ceux qui confèrent un lieu et un temps à l’intrigue ; les « liens-indices », ceux qui impliquent une activité de déchiffrement, de reconstruction. Le lien sur « Miriam » entre dans cette dernière catégorie. Dans le troisième fragment de la deuxième partie intitulée « House of Sam », le lien-incise sur « Here is a plan of Sam’s basement flat » permet de connaître le plan de la maison de Sam, et remplit donc une fonction de lien-informant. Il faut insister sur le fait qu’en cas d’activation les multiples liens-incises dans The Virtual Disappearance of Miriam ralentissent le cours de l’action « principale ». Ils jouent néanmoins un rôle important dans la compréhension du contexte socioculturel, du cadre géographique et de l’atmosphère générale des actions racontées.

L’omission d’une autre catégorie de liens dans The Virtual Disappearance of Miriam aurait des conséquences désastreuses sur la compréhension de l’organisation logico-temporelle du récit. En activant des flèches vertes en bas de chaque fragment, le lecteur accède à l’épisode suivant sur l’axe temporel de l’histoire racontée. Alors que, dans le premier fragment, le lecteur se trouve seul au lit, il se lève dans le deuxième fragment, va aux toilettes, se lave, s’habille et entreprend une première démarche d’enquête : il appelle sur le portable de Miriam. Plus tard, il prend des renseignements au travail et dans un club de sport : le lecteur peut activer un lien sur le mot « office ». Le narrateur ne sait pourtant pas exactement ce que Miriam fait comme travail. Le lien se révèle ainsi analeptique : au lieu d’accéder par exemple à une carte (ce qui constituerait un lien-informant), nous apprenons des détails sur la vie de couple du narrateur et de Miriam avant sa disparition. C’est à partir de ce genre de « liens-bifurcations[14] » que se construisent dans un récit hypertextuel les parcours narratifs. Dans notre exemple, ces bifurcations n’amènent jamais loin de l’action « principale » ; dans d’autres hyperfictions[15], elles constituent des branches qui sont elles-mêmes dotées de liens hypertextes, si bien que le lecteur s’engage dans un long parcours de lecture alternatif avant de retrouver la branche principale (si l’on peut encore utiliser ce terme dans le cas d’un tel récit « arborescent »). Contrairement aux liens-incises, les liens-bifurcations régissent l’ordre chronologique des événements racontés dans le récit hypertextuel. L’activation des flèches vertes dans The Virtual Disappearance of Miriam permet de suivre l’histoire par ce que je propose donc d’appeler plus précisément des « liens chronologiques », suivant le déroulement temporel de l’intrigue. Des « liens analeptiques » appellent des fragments racontant des événements et actions survenus avant l’action principale du « texte-géniteur ». Des « liens proleptiques » projettent le lecteur vers l’avenir.

Il faut cependant préciser que l’inscription des liens-bifurcations sur l’axe temporel du récit est souvent conditionnée par le parcours d’exploration choisi par le lecteur. Dans le récit classique sur support papier, la position d’une bifurcation sur l’axe temporel du récit est fixe, déterminée par la numérotation des pages et des chapitres. Dans un récit hypertextuel, la position de la bifurcation est variable, car le lecteur peut l’activer à différents moments lors de son parcours d’exploration. Est-ce que ces fonctions protéiformes du lien-bifurcation mettent en danger la charpente logico-temporelle du récit ?

Certains critiques avancent en effet que les fonctions protéiformes du lien embrument la clarté architectonique du récit, qu’elles brisent son unité qui, selon Umberto Eco, n’est pas basée sur une multiplication, mais sur une réduction des possibles[16]. « Lorsqu’on lit, il est nécessaire d’organiser les informations présentées en les hiérarchisant pour donner du sens au lu. Dans les circonstances hypertextuelles, comment le lecteur parvient-il à hiérarchiser les actions proposées ? », se demandent par exemple Bertrand Gervais et Nicolas Xanthos[17]. La plupart des dispositifs hypertextuels isolent chaque fragment dans une fenêtre qui est consultable à partir d’autres fragments. Gervais et Xanthos considèrent ces fragments d’action comme sémantiquement détachés, ce qui leur donnerait une grande liberté, mais une faible valeur au sens sémiotique du terme, « celle-ci ne pouvant être attribuée que par comparaison ; tout s’équivaut, tout peut occuper la place de l’autre[18] ».

Nous pourrions répondre à ces critiques en insistant sur le fait que le récit hypertextuel ne s’inscrit pas obligatoirement dans la déconstruction des structures temporelles du récit traditionnel : nous avons vu que certaines hyperfictions sont construites, comme le récit traditionnel, à partir d’analepses et de prolepses narratives, à partir d’actions parallèles ; la structure hypertextuelle, qui permet au lecteur de parcourir le matériel textuel dans plusieurs directions, n’a aucune incidence sur le déroulement des événements de l’histoire racontée. Il semble donc que les observations d’Eco, de Gervais et de Xanthos se fondent sur des formes spécifiques du récit hypertextuel où le lien provoque effectivement un éclatement final de toute structure narrative — sur le plan du récit et sur celui de l’histoire. Dans ce cas, les liens-bifurcations disparaissent du récit hypertextuel. Un ordre tabulaire succède à l’ordre linéaire de l’enchaînement des événements : ne restent plus que des liens-incises. Un tel texte relève alors plutôt du poème où l’on ferait « rimer » des personnages, des lieux, des objets[19].

Comme le Nouveau Roman avait déjà expérimenté une telle « poétisation » du récit, se pose aussi la question de savoir si ces formes textuelles sont aussi révolutionnaires que certains critiques et auteurs aiment l’affirmer. Le danger de rester dans une situation épigonale par rapport aux avant-gardes littéraires du vingtième siècle s’est effectivement fait sentir au début des expériences textuelles sur support numérique. Aujourd’hui, une nouvelle génération se libère des influences parfois trop pesantes du Nouveau Roman et de l’OuLiPo. Certaines hyperfictions s’inscrivent dans une tendance de « renarrativisation du texte[20] ». Le récit produit de la fiction et surligne cette production, énonce du romanesque et le dénonce comme tel. L’usage des paramètres fictionnels se révèle être ambivalent : la frontière entre la fiction, le travail qui la produit et l’acte de lecture s’efface. Dans ce contexte « post-avant-gardiste », les auteurs d’hyperfictions, jouant librement des liens-incises et des liens-bifurcations, expérimentent parfois en se servant de nouvelles « figures de style » électroniques (hypertextuelles et animées) qui émergent sur la surface visible de l’oeuvre.

Très souvent, le transport de sens s’effectuant lorsqu’un lien hypertexte relie un mot au fragment textuel qu’il « représente » est en fait d’ordre métonymique : un mot-clé, une partie de phrase annoncent la suite du texte, ils « valent pour » un ensemble textuel activable par clic[21]. Beaucoup de liens internes dans le tiers livre de François Bon fonctionnent sur ce mode : dans le fragment intitulé « Comment Internet multiplie la littérature », nous lisons « voyez Malbreil[22] », et nous cliquons sur le nom d’auteur pour être dirigé vers un dossier sur la littérature numérique composé par Xavier Malbreil… un peu de la même manière qu’on aurait pu nous dire : « prenez votre Saussure ». Les liens métonymiques exploitent ainsi des relations entre entités fortement stabilisées : ils relèvent d’un souci d’efficacité dans un contexte de communication déjà fermement établi.

Certains auteurs chargent cependant le lien d’une fonction autre que métonymique, utilisant l’hypertexte pour créer une « impertinence » dans l’énoncé. Projetant de manière ludique et exploratoire un domaine de connaissance sur un autre domaine, ces liens rappellent plutôt le fonctionnement de la métaphore[23]. Voici un exemple tiré du texte « Comment Internet multiplie la littérature » sur le tiers livre de François Bon :

Ce qui est fascinant, côté Internet, c’est le lien qu’on peut constituer de pair à pair (peer to peer), l’idée de réticule commence par une auto prise en charge : elle s’annonce déjà trop tardive. Internet ne peut fonctionner selon des utopies de maison commune : aussi parce qu’il s’ancre désormais sur des lieux de création singulière, dont le principe serait plutôt de constellation, et que ce qui s’y affirmera peu à peu comme contenu de littérature le fera depuis ces singularités, par quoi en chacune le langage va au monde [24].

Le mot « réticule » désigne en même temps une constellation de l’hémisphère sud et un dispositif optique permettant d’effectuer des visées plus précises, en interposant dans le champ visuel net une croisée simple ou double de fils traçant un repère. Hyperlié, ce mot projette le lecteur vers le blogue de Patrick Rebollar, mettant en oeuvre l’idée d’une constellation de sites littéraires, redirigeant de manière très palpable le champ visuel vers un nouveau fil de lecture. L’activation du lien sur « constellation » provoque une délocalisation vers une page du site desordre.net. La métaphore n’est plus linguistique, mais visuelle : au milieu d’un ciel étoilé, un bouton est fixé, portant la légende « au hasard balthazar ». Tous les petits points lumineux sont activables, menant vers d’autres sites, donnant corps à ce que l’on a souvent métaphoriquement appelé la « galaxie Internet » ou le « cyberespace », et rendant sensible et visible ce que le texte énonce.

François Bon semble seulement commencer l’expérimentation du potentiel métaphorique des liens à l’intérieur du texte. À l’extérieur des fragments, dans les sommaires, il a déjà magistralement exploré ce potentiel. Plus qu’un récit hypertextuel, Tumulte et le blogue/journal sur le tiers livre sont des récits « bases de données ». Chaque fragment est rangé dans une catégorie qui s’affiche en haut à droite, entre crochets. Cinq fragments appartenant à la même catégorie sont proposés à la lecture au moyen de leurs titres hyperliés. Un clic sur la catégorie permet d’explorer tous les fragments appartenant à celle-ci : par exemple, « vie des gens » ou « de l’écriture », dans Tumulte. À droite du fragment « La Main numérique[25] » qui relève de la catégorie « de l’écriture », s’alignent verticalement les titres « de la sexualité dans l’écriture », « l’homme à compartiments », « occupations bizarres », « littérature par Madeleine Deloule », « le livre s’est noyé ». Ils représentent métonymiquement les fragments à venir, constituent ensemble la pointe de l’iceberg de tous les fragments appartenant à la catégorie. Les fragments forment une constellation de textes dont l’exploration est combinatoire, mais les titres forment aussi un poème sur l’espace blanc du site. Lorsqu’on fait bouger le curseur sur les entrées du sommaire, des fenêtres contextuelles précisent : « de la sexualité dans l’écriture – allégorie sur paysage autoroutier », « l’homme à compartiments – de la façon de se comporter, et inventaire d’une valise ». Libérant les fragments de Tumulte de la numérotation et de la reliure du livre, François Bon projette des situations, des personnages, des lieux dans un réseau de correspondances tout en faisant sentir ce qui échappe à toute tentative de représentation : Melville, Rabelais, Rimbaud ou Koltès, la mort de Sylvain Schiltz et les attentats de Londres, Calcutta et Katmandu, le chat-bocal et Normale Sup, Led Zeppelin et la lévitation de Jean Echenoz : « On se remet à lire, une histoire emporte vers une autre, on a oublié la première qu’on y cherchait[26] ».

Figure 2

Capture d’écran de Inside, A Journal of dreams avant et après l’activation du lien sur le mot « kid ». © et droits réservés.

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Par l’entremise des liens, le texte hyperlié montre aussi comment il a été tissé ; il exhibe sa mécanique. À la page 6 de A Journal of dreams, récit hypermédiatique publié sur dreamingmethods.com, le « je » note qu’il était en train de jouer au football sous la pluie, comme un enfant. Le mot « kid » est affecté d’un lien hypertexte. L’activation du lien provoque la disparition provisoire des pages blanches du journal. Se déroule un extrait vidéo flou où un petit garçon fait de l’escalade dans une aire de jeu, puis attend derrière une grille. Le passage du mot vers la vidéo s’emprunte avec le « je » : le narrateur et le lecteur passent d’un régime sémiotique à un autre. Entre les deux, des cercles concentriques se forment sur fond noir, comme si un objet avait été plongé dans un lac. Pour un court instant, activité et sensations du narrateur et du lecteur se rejoignent. Cette « intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique[27] » peut être appelée une « métalepse interactive ». La métalepse n’est évidemment pas réservée au support numérique : Lawrence Sterne avait déjà sollicité l’intervention du lecteur en le priant d’aider Mme Shandy à regagner son lit. Sur papier, l’activité du lecteur doit cependant rester imaginaire. Dans A Journal of dreams, le lecteur enfonce « matériellement » la porte qui le sépare d’un autre univers, celui du rêve dans sa concrétisation imageante : il clique. Le narrateur fait plonger son personnage dans un rêve, et en invitant le lecteur à activer le mouvement de plongée, et lui fait créer le même mouvement. Et surtout il montre qu’il a lui-même « créé », fabriqué ce mouvement. Plus encore que sur papier, ces effets métaleptiques soulignent :

l’importance de la limite qu’ils s’ingénient à franchir au mépris de la vraisemblance, et qui est précisément la narration (ou la représentation) elle-même ; frontière mouvante mais sacrée entre deux mondes : celui où l’on raconte, celui que l’on raconte. D’où l’inquiétude si justement désignée par Borges : « De telles inventions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou spectateurs, pouvons être des personnages fictifs[28] ».

Cette contamination inquiétante entre le niveau de la narration, celui des événements narrés et celui du lecteur va, comme l’indiquent John Pier et Jean-Marie Schaeffer, « à l’encontre même de la nature même de la représentation, et plus spécifiquement du récit[29] ». Certains hypertextes dans des textes narratifs déstabilisent ainsi le fonctionnement représentationnel, et cela, qu’ils servent à illustrer le mot hyperlié, à le déplacer vers une autre signification ou à le faire fondre dans un autre régime sémiotique. Car ils soulignent le caractère construit du discours ; ils exposent sa marque de fabrique. Cette marque de fabrique contamine le reste du texte. Ce n’est pas qu’elle écarte forcément toute illusion mimétique : le lecteur plonge dans A journal of dreams comme le narrateur a plongé avant lui, jusqu’au vertige. En même temps, l’hypertexte dénude cependant son procédé par le graphisme et l’interaction promise. Le curseur, indice de la dimension interactive d’un site, invite le lecteur à « lire sa propre lecture » et dote le texte d’une « forte composante réflexive[30] ».

Littératures animées

Lorsque le texte animé et/ou hypertextualisé semble, comme lors de la « plongée » dans un rêve du texte A journal of dreams, aspirer la main du lecteur qui clique sur le lien « kid », et qu’il imite ainsi l’activité motrice qu’il dépeint sur le plan de la diégèse, je propose de parler d’une « hypotypose animée ». L’hypotypose fait partie de ces procédés qui, « contournant de diverses façons le dogme saussurien de l’arbitraire du signe, stimulent les ressources plastiques et mimétiques du langage[31] ». Sur papier, l’auteur peut ainsi décrire des batailles par des bataillons de mots, les cavalcades par des galops de syllabes et des onomatopées. Sur écran, les mots animés peuvent se mettre à galoper matériellement dans tous les sens… Traditionnellement, « on fait voir par la ressemblance, on parle à travers la différence[32] ». Quand l’écriture sur support numérique redécouvre à son tour l’univers de la « matière », on constate qu’elle se rattache des qualités graphiques qui, pendant des siècles, avaient été réservées à l’image : la couleur, la forme, l’espace, et bien évidemment l’animation. Les signes écrits ne sont plus condamnés à seulement signifier, ils peuvent montrer ce qu’ils désignent ; ils règnent dans l’immontrable et dans le montrable. La redécouverte du potentiel plastique du texte a donc rapidement fait surgir l’utopie selon laquelle les mots et les choses trouvent sur support numérique un nouveau terrain d’entente. Les lieux d’expérimentation de cette utopie sont les figures mimétiques comme l’hypotypose, et surtout le « calligramme animé ».

En principe, un marteau dessiné paraît entretenir un rapport plus direct avec son référent que le mot hammer. Dans le cinquième fragment de la première partie de The Virtual Disappearance of Miriam, le mot marteau prend des contours et des couleurs de l’outil désigné : il forme un calligramme. Sur support numérique, ce calligramme peut même prendre son élan sur la surface de l’écran. Les calligrammes animés remédient ainsi à la fixité du dessin et du mot et les inscrivent dans un déroulement logico-temporel. En cliquant dessus, nous pouvons même « enfoncer le clou »… Doté d’une nouvelle « aura », le calligramme s’efforce pourtant, comme l’image traditionnelle, de ressembler le mieux possible à la chose — procès d’identification qui ne peut jamais aboutir, créant néanmoins un effet de redondance. Par ailleurs, le mot « marteau » qui martèle sur l’écran à la manière d’un marteau « réel », doit être lu pour être compris. À ce moment précis, les deux régimes de signes s’entrechoquent. Malgré ses contours, hammer reste un mot… Dans le calligramme animé, mot et image entrent ainsi en tension permanente avec la « chose » désignée sans jamais la rejoindre.

L’animation textuelle n’est pourtant pas condamnée à l’exploration d’effets mimétiques. Vingt ans après, création artistique réalisée à partir de textes et de photos de Sophie Calle[33], présente une panoplie particulièrement riche de ce que je propose d’appeler des « métaphores animées ».

Pour le sémioticien Jean-Marie Klinkenberg, la métaphore linguistique fonctionne selon un modèle de « suppression-adjonction[34] ». Paul Ricoeur définit la métaphore comme une « fusion » et un « transport » — fusion, parce qu’il y a intersection entre deux ensembles de sèmes ; transport, parce que l’action de la métaphore ne s’arrête ni à cette première étape, ni à l’exclusion des ensembles de sèmes se situant en dehors de l’espace d’intersection. Les sèmes exclus résonnent dans la production du sens, transportant celui-ci sur une « autre scène » qui n’est pas directement dicible, formalisable.

En s’animant, le texte dans Vingt ans après acquiert une dimension plastique : il se lit et se contemple, il signifie et il dessine. Dans le fragment « 10.38 », le texte s’affiche par exemple sous forme de carré textuel fixe. La première phrase du texte, « Cette histoire me colle à la peau », s’anime au passage du curseur : les lettres se détachent légèrement de la surface environnante et avancent en direction du lecteur en grandissant. Dès que le curseur est passé, la matière textuelle rejoint à nouveau son environnement stable. Alors que l’histoire d’une première filature par un détective, organisée vingt ans avant, semble encore coller « à la peau » du « je »-narrateur, l’animation des premières lettres de l’histoire nuance ce propos : les mots se décollent comme si un couteau passait sous leur surface. Lors de ce processus de suppression/adjonction intersémiotique, chaque mot acquiert une nouvelle résonance : « l’histoire », en se décollant de la surface, semble préfigurer la mise en route d’un processus narratif. Le pronom « me » subit un soubresaut. Le verbe « colle » est partiellement contredit par le mouvement de décollage. La « peau » se soulève, laisse passer l’air… Pour Marcel Proust, la métaphore est avant tout une métamorphose[35], indiquant comment deux objets permutent leurs déterminations au moyen d’effets de rétroaction (feed-back) réciproques, échangeant même le nom qui les désigne dans le milieu nouveau qui leur confère la qualité commune. Ce milieu nouveau, l’« essence » de la métaphore, ne se confond jamais avec les deux objets. Proust va jusqu’à affirmer que ce milieu révélateur ne forme pas seulement de nouvelles connexions encyclopédiques[36], mais nous montre la nature telle qu’elle est, poétiquement, avant que l’intelligence n’intervienne et remette de l’ordre dans les catégories de description. Même si l’on n’adhère pas à cette acception idéaliste de la métaphore, il faut reconnaître avec Klinkenberg une qualité fondamentale à cette figure : elle « permet de résoudre des contradictions, ou d’expérimenter des solutions à différents problèmes, en proposant des médiations entre les termes disjoints de ces problèmes[37] » ; comme nous pouvons le voir dans l’exemple cité de Vingt ans après, elle fait ceci de manière ludique et exploratoire, mais son pouvoir n’est pas pour autant négligeable : comme la métaphore classique, la métaphore animée « permet de décrypter le monde de manière nouvelle[38] ». Le texte s’ouvre ainsi, par l’entremise de l’animation, vers de nouveaux terrains de sens. Sa mise en mouvement renforce, nuance, transfigure le contenu.

La littérature animée vise souvent la suggestion, l’illusion de surface. Ses outils scénographiques rappellent ceux qui sont utilisés au théâtre : des jeux d’ombres et de lumières, des coulisses changeantes et des animations graphiques métamorphosent l’écran en un espace d’immersion onirique. Dans Vingt ans après, l’animation textuelle entre dans des synesthésies complexes avec l’histoire racontée : apparaissant et disparaissant selon des rythmes répétitifs, dessinant des mouvements monotones, certaines strates textuelles s’imposent comme des « idées fixes » ; d’autres, plus souples, passent et s’effacent, grandissent et rétrécissent avec le temps ; se détachent, se rattachent ; d’autres encore se trouent, rongées par le temps ; tombent dans l’oubli ; changent de sens ; resurgissent ; s’aèrent et s’envolent. L’animation, agissant sur le texte comme seule la métaphore est capable de le faire, intensifie, éclaire, contredit ou nuance le sens du mot sur l’écran. Le texte n’est plus seulement lisible ; il acquiert la « visibilité » d’une oeuvre plastique.

Ce glissement de la littérature numérique vers les arts plastiques atteint un paroxysme dans certaines créations animées de Jim Andrews. Au festival e-poetry 2007, l’artiste a présenté le poème électronique The Pen, où le mot TIME est expérimenté dans sa plasticité[39].

Figure 4

Capture d’écran de The Pen de Jim Andrews. © et droits réservés.

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Les lettres quittent leur position statique, se multiplient à l’infini sur fond noir en formant des guirlandes complexes. Il ne s’agit plus du tout de lire le mot formé ; les superpositions de lettres deviennent si denses, l’animation se déroule de façon si vertigineuse que le lecteur renonce vite à un quelconque déchiffrage. Il s’agit plutôt d’observer le processus de multiplication, de contempler les formes plastiques apparaissant et disparaissant à l’écran. Ces figures textuelles, tout en étant devenues illisibles, ne sont pas vides de sens. La multiplication « infinie » et parallèle de guirlandes à partir du mot Time fait par exemple penser aux multiples expériences de la temporalité sur Internet : dans le clavardage, lorsqu’on discute avec un interlocuteur outre-atlantique ; dans les processus de transmission de données transmises par FTP ; dans le mouvement lui-même, que chaque ordinateur « interprète » de façon différente. La forme des guirlandes fait également penser aux modèles d’ADN ; leur multiplication qui, en même temps, garde intacte la forme des lettres, pourrait aussi être associée aux fractales. Le texte gagne donc en plasticité ce qu’il perd en lisibilité.

Littératures programmées

Plus que les formes de littérature hypermédiatique discutées précédemment, la e-poésie de Jim Andrews pose aussi la question du rôle du programme dans la création numérique. Dans dbcinema[40], le lecteur est par exemple invité à saisir un mot-clé de son choix dans une petite case vide ; s’affichent, sur fond noir, des images puisées dans les résultats de moteurs de recherche. D’une part, dbcinema rend sensible le fait qu’une recherche d’images à partir de mots-clés fournit forcément des résultats surprenants (parfois aberrants, parfois « créatifs »). D’autre part, se pose la question de savoir qui crée ces résultats : l’auteur, inventeur du dispositif ? Les webmestres du monde entier, responsables des textes et des images référencés par les moteurs de recherche ? Larry Page et Sergey Brin, créateurs des algorithmes de Google ?

Figure 5

Capture d’écran du blogue/journal sur le tiers livre de François Bon avec, dans la fenêtre superposée, un aperçu des codes de programmation de la même page. © et droits réservés.

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En effet, le texte numérique doit être lu dans sa totalité, dans ses états de fusion intime avec ses formes graphiques et avec les codes de programmation qui le régissent « en profondeur ». Dans certains cas, ces codes contiennent des messages « secrets ». Sur le tiers livre de François Bon par exemple, « les rubriques parents », les « rubriques soeurs », « les rubriques racines si différentes » ou un petit merci à Julien Kirch apparaissent seulement dans les codes du site[41], illustrant l’affirmation de Philippe Bootz selon laquelle « le texte-à-voir n’est pas, comme on aurait tendance trop souvent à le croire, le simple résultat logique de l’exécution des algorithmes[42] ». Comme le fait remarquer Bruno Scoccimarro, les textes visibles et invisibles peuvent même entrer en contradiction « quant à leur syntaxe et à leur régime d’énonciation ». « On peut distinguer la narration du code, relatant l’apparition des objets sur la page, et la narration “classique” du texte[43] ». La connaissance du programme se révèle parfois indispensable pour saisir avec justesse la signification d’un texte littéraire sur support numérique.

Le poème animé « La Série des U » de Philippe Bootz[44] thématise le passage d’une femme, comme le fait le célèbre poème de Charles Baudelaire adressé « À une passante ». Le mouvement du passage qui, dans le poème de Baudelaire, avance à une cadence rythmée à travers le langage, se traduit chez Bootz par l’apparition et la disparition, la commutation et la recombinaison des lettres et des mots « elle », « le », « fil », « passe », « de l’eau ». Le feston et l’ourlet se balancent, chez Baudelaire ; mais les mots qui signifient ces mouvements restent fixés sur le papier. Sont focalisés d’abord les vêtements, ensuite la jambe, l’oeil de la passante : le texte lui-même reste inchangé ; ce ne sont ni les lettres ni les mots, c’est la lecture qui passe dans son déroulement temporel. Dans « La Série des U », le mouvement s’inscrit dans la matière textuelle de chaque lettre : chaque nouvelle focalisation est traduite par un changement de position des mots. Chez Baudelaire, ce sont la comparaison et la métaphore linguistiques qui mettent le texte en mouvement, qui transportent les mots conjoints sur une « autre scène » ouverte aux sens multiples. Dans « La Série des U », c’est n’est pas seulement l’animation de la matière textuelle qui est métaphorique, mais surtout la partie algorithmique du poème : l’« ouragan » baudelairien germe ici dans la programmation.

« La Série des U » est basée sur un double générateur : le premier, combinatoire, construit une séquence musicale selon une logique spécifique, le deuxième, adaptatif, génère l’aspect visuel du poème. D’un strict point de vue logique, précise Philippe Bootz dans les commentaires de son oeuvre, une synchronisation entre le visuel et le sonore est impossible : sur une machine donnée, le visuel se déroule toujours de la même manière, alors que le sonore varie. En revanche, d’une machine à l’autre, les lois de variation du sonore sont identiques, alors que la temporalité des comportements visuels est adaptée à la machine. Il est donc souvent impossible de reproduire une création numérique dans sa précision temporelle lorsqu’on change d’ordinateur. Passage, dont « La Série des U » constitue un extrait, a été conçu par Philippe Bootz comme une oeuvre musicale dont les différentes trames ont besoin d’être concertées dans leur déroulement temporel. Un générateur adaptatif assure partiellement cette concertation : il modifie « le paramétrage de chaque processus élémentaire constituant le produit multimédia lu, en fonction de mesures effectuées en temps réel sur la machine lors de l’exécution de l’oeuvre[45] ». Le lancement des séquences musicales dépend d’autorisations données par les comportements visuels. Inversement, certains événements visuels sont déclenchés par la séquence sonore. Cette logique de circulation entre les portions de programmes donne l’impression que la musique a été composée pour le texte afin de souligner son animation. Les résultats de « surface » de l’oeuvre sont conservés dans la plupart des environnements techniques : « Pour assurer la cohérence entre le niveau sonore et le niveau visuel, il a fallu transcrire dans le programme des contraintes psychologiques déduites de l’observation qui assuraient cette cohérence[46] », explique Philippe Bootz. Tout passage de la « Série des U » s’adapte donc à la configuration de notre ordinateur personnel suivant des « contraintes psychologiques » — imitant la manière dont chaque lecteur humain lit une oeuvre de manière différente, selon son intelligence spécifique. Selon Philippe Bootz, « l’exécution physique du programme, qui est une fonction et non un être, possède une réalité textuelle au moins aussi importante que le texte-à-voir qu’elle génère[47] ». Or, la complexité algorithmique de la « Série des U » ne peut être percée lors d’un unique passage à l’écran. Ce n’est qu’à travers une connaissance du programme[48] que le lecteur peut saisir la profondeur métaphorique de ce poème numérique — une profondeur qui, à travers la générativité adaptative, représente métaphoriquement les différentes lectures que chaque être humain fait d’un « passage ».

Mettant en relation les codes de programmation, seuls éléments stables du texte numérique, avec ses actualisations forcément éphémères sur la surface de l’écran, le lecteur comprend que « sens » et « non-sens » d’une oeuvre littéraire sur support numérique résident aussi dans sa dimension technologique.

Quel avenir pour la littérature numérique ?

Face à la prolifération de propositions littéraires et artistiques (faut-il encore maintenir cette distinction ?) sur Internet et sur DVD, il est aujourd’hui urgent d’observer avec précision si le dispositif et les outils du numérique sont mis en oeuvre de manière artistiquement convaincante — ce qui revient à revendiquer l’émergence d’une vraie critique de la création littéraire sur support numérique. Une critique qui impliquera des positionnements, des jugements de valeur.

Parmi les réalisations les plus convaincantes de la littérature numérique figurent les oeuvres qui explorent, comme Vingt ans après de Sophie Calle, l’animation textuelle comme moyen d’élargir le champ sémantique du mot : le calligramme, la métaphore animée (à travers des danses de mots, des palpitations, des explosions… le logiciel Flash a démultiplié et démocratisé les possibilités) ; qui expérimentent avec des figures dont nous n’avons pas encore inventé la terminologie, et qui pourraient prendre en compte le rythme d’apparition et de disparition du texte dans l’espace et dans le temps (voir par exemple la performance de Talan Memmott au festival e-poetry 2007[49]) ; avec les gestes du lecteur, lents ou frénétiques, et dont la panoplie a commencé à transgresser le simple clic ; avec les actions provoquées par ces gestes sur la surface de l’oeuvre, soient-elles déictiques, catastrophiques[50] ou constructives (voir les Gener_hâtif(s) de Luc dall’Armellina[51]) ; avec la relation entre les codes de programmation et tous ces événements sur la surface visible (voir « La Série des U » de Philippe Bootz)… En revanche, il faut aussi se demander si le mot résistera toujours aux « lectures inconfortables » provoquées par la nouvelle proximité visuelle entre mot et image, par l’invitation permanente à l’interaction, par l’entrechoc de temporalités entre images et textes animés et par la tension entre les événements visibles et les profondeurs cachées de l’oeuvre littéraire sur support numérique.