Corps de l’article

Introduction

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la problématique des maisons semi-souterraines hivernales multifamiliales, documentées au Labrador et au Groenland entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle (Bird 1945; Jordan 1978; Jordan et Kaplan 1980; Kaplan 1983; Kaplan et Woollett 2000; Murphy 2011; Richling 1993; Schledermann 1971, 1976a, 1976b; Taylor 1974, 1977; Taylor et Taylor 1977; Whitridge 1999, 2008; Woollett 1999, 2003, 2010). En effet, ils semblent avoir été intrigués par la taille considérablement plus imposante de ces habitations uniques par rapport à celle des maisons thuléennes unifamiliales, ainsi que par le fait qu’elles pouvaient abriter jusqu’à 20 individus en moyenne (Taylor 1974: 71). Étant donné l’importance de la maisonnée[1] dans l’organisation sociale et le calendrier économique annuel des communautés inuit, l’adoption de ce nouveau type d’habitation témoigne certainement de grands changements dans le contexte historique, social et environnemental de l’époque.

Les murs des maisons multifamiliales étaient composés de tourbe, de terre, d’os de baleine et de pierres alors que leur toit semble avoir été fabriqué à l’aide de tourbe ou de peaux recouvrant une structure de bois (Kaplan 1983: 238; Taylor 1977: 51). Ces maisons comportaient un accès unique: un tunnel d’entrée partiellement creusé dans le sol qui était pavé de pierres plates et qui possédait parfois des alcôves (Kaplan 1983: 238) utilisées comme aires d’entreposage ou de préparation des repas (Bird 1945: 132; Brewster 2005: 27; Woollett 2003: 58). Un coupe-froid se situait au seuil du tunnel d’entrée et avait pour fonction d’empêcher l’air froid d’y pénétrer. L’autre fonction de ce tunnel était, bien entendu, la circulation vers l’intérieur de la maison, mais des utilisations en tant qu’aires de rejet des déchets et d’entreposage ainsi que pour garder les chiens par mauvais temps ont aussi été proposées par certains chercheurs (Brewster 2005: 27; Murphy 2011: 29; Nansen 1894: 81; van Londen 1999: 116).

Le plancher, qui était également dallé, incluait des aires de rejet des déchets, ainsi que des caches (Brewster 2005: 27; Murphy 2011: 29). Ces habitations comportaient de multiples plates-formes compartimentées ayant fonction de bancs ou de lits et dans lesquelles se trouvaient des zones d’entreposage, des aires de cuisine et des supports pour les lampes en stéatite. Chaque compartiment était occupé par une famille nucléaire (Kaplan 1983: 238; Nansen 1894:79; Taylor 1968: 194). Les données archéologiques et ethnographiques indiquent que les occupants de la maison s’asseyaient sur les plates-formes pour fabriquer leurs outils, coudre et consommer leurs repas (Nansen 1894: 94, 126).

Les raisons entourant l’adoption des maisons multifamiliales par les Inuit de la fin du XVIIe siècle ont fait l’objet de nombreux débats. Alors que certains sont d’avis que cette transition architecturale est due à une détérioration des conditions climatiques associée au Petit Âge glaciaire (Richling 1993; Schledermann 1971, 1976a: 45, 1976b), d’autres (p. ex. Jordan 1978), suggèrent plutôt qu’elle aurait été motivée par des facteurs sociaux reliés aux contacts et au commerce grandissants avec les Européens. Plus récemment, une hypothèse combinant les facteurs environnementaux et sociaux a été mise de l’avant par Kaplan et Woollett (2000).

Notre recherche ne prétend pas être en mesure d’offrir des pistes de réponse quant aux raisons de l’adoption des maisons multifamiliales par les Inuit du Labrador. Toutefois, elle permet de documenter davantage l’organisation interne de ces habitations en fournissant une perspective qui n’a jamais été utilisée: l’étude du sédiment composant le sol d’occupation archéologique. En général, l’étude géoarchéologique d’habitations a surtout été appliquée à des sites historiques et agraires puisque les traces laissées sur la matrice sédimentaire sont davantage marquées en raison d’une occupation du territoire intensive et continue (p. ex. Entwistle et al. 1998). Par conséquent, notre recherche géoarchéologique d’un contexte d’occupations saisonnières et sporadiques représente également une innovation dans l’étude de la maisonnée. De plus, alors que plusieurs études géoarchéologiques sont basées sur les données provenant d’un ou de deux types d’analyses, notre étude combine plutôt les résultats issus de trois méthodes d’analyses: la sédimentologie, la micromorphologie et la géochimie (voir Couture 2014) bien que seuls les résultats des deux dernières seront présentés dans cet article. Cette combinaison d’approches méthodologiques constitue une première dans l’étude géoarchéologique d’habitations en milieu arctique.

Jusqu’à maintenant, les études géoarchéologiques menées en milieu arctique demeurent principalement tournées vers une perspective de reconstruction paléoenvironnementale, avec quelques exceptions cherchant à documenter l’occupation de sites archéologiques par des populations de chasseurs-cueilleurs (Aubé-Michaud 2012; Bernier 2014; Butler 2008; Lemieux et al. 2011; Roy et al. 2012; Todisco et Bhiry 2008a, 2008b). Notre étude comble ce vide en observant des données géoarchéologiques sous l’angle de l’archéologie de la maisonnée[2] afin de mieux documenter l’organisation interne d’habitations multifamiliales inuit. Ce contexte domestique permet d’étudier ce qu’on pourrait appeler la « géoarchéologie de la maisonnée » car plusieurs familles cohabitaient dans ces maisons, complexifiant ainsi l’utilisation de l’espace et l’organisation des différentes aires d’activités comparativement à une habitation occupée par une seule famille nucléaire. Puisque l’étude géoarchéologique de l’espace domestique demeure peu utilisée dans l’Arctique, nous avons préféré nous pencher sur les sites d’Oakes Bay-1 et d’Uivak Point 1 qui présentent un contexte archéologique bien connu afin de vérifier l’efficacité de notre approche méthodologique.

Figure 1

Carte de la région d’étude et localisation des sites étudiés

Carte de la région d’étude et localisation des sites étudiés

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Région et sites d’études

Le Labrador se situe au nord-est du Canada et le nord de sa côte (Figure 1) appartient à la province géologique de Nain, qui est constituée de roches sédimentaires plus ou moins métamorphisées, d’intrusions d’anorthosite, de granites, de gneiss et de roches volcaniques (Mengel et al. 1991: 1409), avec un relief accidenté caractérisé par des fjords et des chaînes de montagnes. Cette région est aussi ponctuée de plusieurs vallées glaciaires qui sont drainées par de nombreuses rivières. Elle est également caractérisée par la présence de nombreuses îles et baies (Payette et Bouchard 2001: 14). Les données indiquent un retrait des glaces, daté d’environ 8500 AA, s’y étant opéré selon un axe NE-SO, en parallèle avec une transgression marine atteignant jusqu’à 70 m d’altitude (Clark et Fitzhugh 1990: 302). Le relèvement glacio-isostatique s’est ensuite graduellement réalisé, engendrant une régression marine.

Le nord de la côte du Labrador est un milieu de transition entre les zones climatiques subarctique et arctique et abrite des zones de pergélisol continu, de pergélisol discontinu ainsi que des zones dépourvues de pergélisol (Payette 2001: 205). Cette région se situe à l’interface entre la toundra forestière septentrionale et la toundra arctique arbustive et herbacée (Payette et Bouchard 2001: 31) et renferme également une vaste biodiversité animale (Banfield 1974).

Oakes Bay 1

Le site d’Oakes Bay-1 (HeCg-8) est situé dans la baie de Nain, à 35 km au nord-est de la communauté de Nain (Figure 1). Il est localisé à l’ouest de l’île de Dog Island, où l’on retrouve des occupations allant de la période Archaïque au XXe siècle. Les sept maisons multifamiliales qui composent le site d’Oakes Bay-1 ont été occupées entre le milieu du XVIIe siècle et 1772 (Hood 2008: 5-11; Woollett 2010: 248). Les Maisons 1 et 2 font l’objet de cette étude (Figure 2a à 2c).

Uivak Point 1

Le site d’Uivak Point 1 (HjCl-09) est localisé à 125 km au nord de Nain, dans la baie d’Okak (Figure 1). Neuf maisons semi-souterraines multifamiliales se trouvent sur ce site (Figure 3a). La période d’occupation de ces maisons s’étend du dernier quart du XVIIIe siècle à 1807. Uivak Point 1 fut un établissement important dont la population a varié entre 35 et 125 individus (Taylor et Taylor 1977: 61). Notre étude s’est concentrée uniquement sur la Maison 7 (Figure 3b), dont la fouille a été réalisée entre 1993 et 2000 par Susan Kaplan et James Woollett (Woollett 2003: 293).

Figure 2

a) Plan du site d’Oakes Bay-1; b) Plan d’échantillonnage de la Maison 1; c) Plan d’échantillonnage de la Maison 2

a) Plan du site d’Oakes Bay-1; b) Plan d’échantillonnage de la Maison 1; c) Plan d’échantillonnage de la Maison 2

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Figure 3

a) Plan du site d’Uivak Point 1; b) Plan d’échantillonnage de la Maison 7

a) Plan du site d’Uivak Point 1; b) Plan d’échantillonnage de la Maison 7

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Méthodologie

Nous avons d’abord déterminé de quelles façons l’occupation des trois maisons multifamiliales à l’étude a eu un impact sur le sédiment en identifiant différents types de signatures anthropiques dans le sol d’occupation. Ces signatures témoignent principalement d’un apport de résidus d’activités anthropiques se traduisant par des altérations de la géochimie (appauvrissement ou enrichissement géochimique) et de la micromorphologie (perturbation de la microstructure ou présence de résidus d’activités culturelles) naturelles du sol (Rapp et Hill 2006: 122). Ensuite, l’analyse statistique des données géoarchéologiques avait pour objectif de distinguer des signatures anthropiques selon les aires (plate-forme, tunnel, plancher, cache, support de lampe) des maisons multifamiliales. Enfin, nous avons utilisé les résultats des signatures anthropiques pour vérifier si le portrait de l’organisation interne des maisons, tel qu’il apparaît dans nos données géoarchéologiques, concordait avec celui des données archéologiques, historiques et ethnologiques.

Stratégie d’échantillonnage

Chacune des aires ciblées pour l’échantillonnage géoarchéologique (tunnel, plancher, plate-forme) a été sélectionnée en se basant sur un examen visuel des maisons ainsi que sur les données tirées des fouilles ayant été réalisées sur les sites à l’étude (Woollett 2003). À chaque emplacement choisi, un puits de sondage de 30 cm par 30 cm a été excavé jusqu’au sédiment stérile. Un relevé stratigraphique des parois a été effectué afin d’identifier les différentes unités stratigraphiques. Ensuite, un échantillon en vrac de deux litres a été prélevé dans chacune de ces unités, à l’exception du sédiment stérile et de la litière subactuelle. À Oakes Bay-1, 23 échantillons ont été collectés dans six puits de sondage dans la Maison 1 alors que 21 échantillons provenant de la Maison 2 ont été prélevés à la suite de la fouille de huit puits de sondage (Figure 2b et 2c). Au total, 28 échantillons en vrac, provenant de huit puits de sondage, ont été prélevés dans la Maison 7 du site d’Uivak Point (Figure 3b). L’échantillonnage micromorphologique, réalisé à l’aide de boîtes de Kubiëna de 10 cm3, s’est concentré dans l’unité stratigraphique d’occupation archéologique de plusieurs des puits de sondage fouillés. Seize échantillons, dont deux dans la Maison 1, sept dans la Maison 2 et sept dans la Maison 7, ont été collectés afin de produire des lames minces.

En prévision des analyses géochimiques, des échantillons de contrôle, cinq à Uivak Point 1 et 12 à Oakes Bay-1, situés à au moins 200 m des deux sites archéologiques ont été collectés, dans le but de déterminer la composition naturelle du sol entourant chacun de ces deux sites. Ces échantillons sont donc utilisés comme niveau de base dans la détermination de l’ampleur de l’impact anthropique sur le sol archéologique. Il faut noter que le prélèvement des échantillons de contrôle à Uivak Point 1 a été réalisé dans le cadre d’une étude paléoenvironnementale et que leurs emplacements se situent à parfois plus de 300 m du site archéologique.

Les analyses en laboratoire se déclinent en deux aspects: les analyses micromorphologiques et géochimiques. Ces analyses seront définies et leurs objectifs dans le cadre de notre étude seront spécifiés ultérieurement. Une description plus détaillée des différentes étapes des protocoles d’analyses que nous avons privilégiés peut être consultée dans Couture (2014).

Analyses micromorphologiques

La micromorphologie, qui consiste en l’étude des composantes et de l’arrangement du sédiment à l’échelle microscopique, permet de documenter la composition, la structure et les processus naturels et culturels de modification sédimentaires (Bhiry 2001: 275). Grâce à un inventaire de traits reconnus dans le sédiment témoignant de processus culturels, il a été possible pour plusieurs chercheurs d’attester l’influence anthropique sur la matrice sédimentaire d’un site archéologique et également d’interpréter différentes structures archéologiques (Gebhardt et Langohr 1999; Homsey et Capo 2006; Simpson et al. 2005; Simpson et al. 1999; Todisco et Bhiry 2008a; Zerboni 2011).

Nos analyses ont été réalisées à l’aide d’un microscope polarisant à lumière transmise Leica DM-4500 et ont été essentiellement concentrées sur les éléments anthropiques présents dans les lames minces. Des tableaux présentant les données de fréquence pour chacun des éléments micromorphologiques observés peuvent être consultés dans Couture (2014: Tableaux 6 à 9).

Analyses géochimiques

Le sédiment a la capacité de s’imprégner de la composition géochimique des résidus d’activités anthropiques ayant été pratiquées lors de la période d’occupation d’un site archéologique. Cette propriété permet d’étudier l’utilisation de l’espace par les occupants d’une habitation ou d’un site archéologique en procédant à une analyse spatiale de la géochimie du sol d’occupation (Middleton 2004: 47). Afin de réaliser cette analyse spatiale, des échantillons de sédiments prélevés dans le sol d’occupation des trois maisons multifamiliales à l’étude ont été soumis à une analyse au spectromètre à émission atomique avec plasma à couplage inductif (ICP-AES). Un total de 26 éléments chimiques ont été quantifiés, soit la silice, le titane, le fer, le manganèse, le magnésium, l’aluminium, le potassium, le calcium, le sodium, le phosphore organique, le soufre, le baryum, le chrome, le lanthane, le nickel, le scandium, le strontium, le vanadium, le zinc, le zirconium, le cobalt, le cuivre, le plomb, l’arsenic, le molybdène et le cadmium. Le choix de ces éléments a été basé sur les précédents travaux en géoarchéologie.

À la suite de l’analyse par ICP-AES, les résultats impliquant le molybdène, l’arsenic et le cadmium ont été éliminés puisqu’ils présentaient trop souvent des concentrations inférieures aux limites de détection de l’instrument. Certains autres éléments ont également été écartés de notre traitement statistique puisque leur concentration ne présentait pas d’enrichissement ou d’appauvrissement significatif. L’aluminium, la silice et le zirconium ont également été exclus puisque leurs fluctuations ont été documentées comme étant influencées par la minéralogie du sédiment local (Knudson et al. 2004: 451). L’analyse statistique s’est donc focalisée sur les concentrations d’éléments démontrant un enrichissement ou un appauvrissement significatif, soit de plus d’un écart-type de différence avec la moyenne des échantillons de contrôle, et sur celles d’éléments identifiés par d’autres études géoarchéologiques comme étant des indicateurs anthropiques fiables. Au final, le titane, le fer, le manganèse, le magnésium, le calcium, le sodium, le potassium, le phosphore organique, le soufre, le baryum, le strontium, le vanadium, le zinc, le cuivre et le plomb ont été identifiés comme ayant un bon potentiel d’indicateurs anthropiques.

Les données géochimiques brutes peuvent être consultées dans Couture (2014: Tableaux 10 et 11). Le traitement statistique des résultats d’analyses géochimiques a consisté en la réalisation de diagrammes bivariés, de classifications ascendantes hiérarchiques et d’analyses de composantes principales. Ces analyses statistiques n’ont été réalisées que sur les éléments présentant un potentiel d’indicateur anthropique.

Résultats et interprétation

Stratigraphies de l’intérieur des maisons d’Oakes Bay 1 et d’Uivak Point 1

Quatre unités principales ont été identifiées dans les coupes stratigraphiques des maisons étudiées. Elles présentent toutes des caractéristiques distinctes, ce qui a permis de les identifier dans chacune des maisons étudiées (Figure 4). Tout d’abord, à la base de chacune des coupes stratigraphiques, on retrouve l’unité U0, qui est composée de sable de plage stérile. Elle représenterait la période précédant l’occupation des maisons. Dans le cas des puits de sondage fouillés dans la plate-forme arrière de la Maison 2, le sédiment composant l’unité U0 était sous l’emprise du pergélisol.

L’unité U1 consiste en un sédiment hétérogène d’aspect noirâtre et ayant une texture graisseuse. Des artéfacts, restes fauniques et fragments de plumes et de fourrures y ont parfois été trouvés lors de l’échantillonnage. Des fragments de bois, du sable et de la tourbe, accumulés sous forme de lamines, ont aussi été notés par endroits. Certains éléments observés dans U1 sont plus particuliers à des aires spécifiques de chacune des habitations: par exemple, la présence accrue d’inclusions de sable dans les plates-formes ainsi que la présence d’une couche de bois dans le tunnel d’entrée. L’ensemble de ces éléments suggère que U1 représente le niveau d’occupation. Lors de la fouille des puits de sondage situés dans la plate-forme arrière de la Maison 2 (Oakes Bay-1), du pergélisol a été rencontré à la base de l’unité U1.

Figure 4

Coupes stratigraphiques de puits de sondage fouillés dans les Maisons 1, 2 et 7

Coupes stratigraphiques de puits de sondage fouillés dans les Maisons 1, 2 et 7

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L’unité U2 est formée de sédiments organiques brun foncé contenant des inclusions de racines et de bois. U2 est dépourvue d’artéfacts, à l’exception du cas de la coupe stratigraphique 4N4E dans la Maison 7. Le fait que cette unité renferme très peu d’indices d’occupation anthropique suggère qu’elle représente la phase d’abandon des maisons multifamiliales. Finalement, la phase U3 représente la litière subactuelle moderne des coupes stratigraphiques.

Les tendances visibles dans l’ensemble des résultats d’analyses des échantillons archéologiques seront présentées d’abord, suivies des tendances à l’échelle de chacun des sites archéologiques à l’étude. Finalement, les tendances observées au sein des résultats d’échantillons provenant des différents éléments architecturaux des différentes maisons (plate-forme, tunnel, plancher, cache, support de lampe) seront décrites. Le Tableau 1 contient un résumé des interprétations qui ont découlé de l’analyse statistique des résultats.

Similarités géoarchéologiques intersites

Une grande variété de composantes bio-pédologiques, tant végétales que fongiques et animales, a été notée. Les restes fécaux identifiables présentent une faible diversité d’espèces évoluant en milieu arctique, notamment, les mites oribates ainsi que les enchytréïdes et/ou collemboles. Le bon niveau de préservation des fragments d’os frais semble indiquer un enfouissement rapide au sein de la couche active (Todisco et Bhiry 2008a: 18). Des fragments de feuilles de mousse, de racines, d’écorce et d’aiguilles de conifères ont été identifiés dans l’ensemble des échantillons. La présence de fragments de bois non carbonisés a été notée à de multiples occasions (Figure 5a). En ce qui a trait aux restes fongiques, la présence de manteaux d’ectomycorhize (Figure 5b) issus probablement des sclérotes de Cenoccocum geophilum est indicatrice de conditions extrêmes et d’un milieu froid caractérisé par une faible diversité d’espèces de plantes (Todisco et Bhiry 2008a: 7).

Deux grandes tendances ont été observées du point de vue de la microstructure de l’ensemble des échantillons micromorphologiques. Premièrement, on note la présence de quelques lits de sable, dont l’orientation est horizontale ou légèrement oblique (Figure 5c). Ils présentent une organisation de type granulaire et un arrangement de type énaulique (configuration caractérisée par la présence d’agrégats organiques et/ou fécaux dans les vides intergranulaires). Les vides observés dans ces lits de sable sont, quant à eux, plutôt de type vide d’entassement simple (vide présents entre les grains), mais, par endroits, des vides d’entassements complexes (vides présents entre grains minéraux et agrégats) ont été identifiés. C’est cependant une microstructure dominée par les composantes organiques qui caractérise les échantillons. La fabrique présente surtout des agrégats intergranulaires, qui se caractérisent par des concentrations de matière organique à disposition aléatoire, compacte et massive. Ces zones, qui témoignent généralement d’un mauvais drainage, sont caractérisées par une distribution relative de type porphyrique (configuration présentant un fond matriciel dense dans lequel s’insèrent des grains du squelette sédimentaire) et énaulique. On y note également des vides d’entassement complexes et composés (vides présents entre les agrégats) ainsi que des chenaux, des chambres et des vides plans, ces derniers générés par la ségrégation de lentilles de glaces interstitielles dans le sol (Figure 5d).

Figure 5

a) Fragment de bois de conifère (H7 2S8E 40-50 cm, ~ 49 cm/surf., PPL); 2S8E 24-34 cm, ~ 44 cm/surf., PPL); b) Manteaux d’ectomycorhize (H1 T1 32-42 cm, ~ 35.5 cm/surf., PPL); c) Lit de sable avec vides d’entassement composés (H2 10S3E 4-14 cm, ~ 13.5 cm/surf., PPL); d) Vides en plan (H2 15S5E 20-30 cm, ~24.5 cm/surf., PPL); e) Microcercle (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 21.5 cm/surf., XPL); f) Coiffe de matière organique au sommet d’un grain de quartz altéré (H7 2S8E 24-34 cm, ~ 30 cm/surf., PPL)

a) Fragment de bois de conifère (H7 2S8E 40-50 cm, ~ 49 cm/surf., PPL); 2S8E 24-34 cm, ~ 44 cm/surf., PPL); b) Manteaux d’ectomycorhize (H1 T1 32-42 cm, ~ 35.5 cm/surf., PPL); c) Lit de sable avec vides d’entassement composés (H2 10S3E 4-14 cm, ~ 13.5 cm/surf., PPL); d) Vides en plan (H2 15S5E 20-30 cm, ~24.5 cm/surf., PPL); e) Microcercle (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 21.5 cm/surf., XPL); f) Coiffe de matière organique au sommet d’un grain de quartz altéré (H7 2S8E 24-34 cm, ~ 30 cm/surf., PPL)

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La cryoturbation est le processus pédologique naturel dont les effets ont été les plus fréquemment observés dans les lames minces. Ce type de perturbation du sédiment est causé par l’action répétée des cycles de gel et de dégel (Bockheim et Tarnocai 1998: 282). À titre d’exemple, des microcercles, qui se présentent sous forme de configuration circulaire de particules minérales, pourraient avoir été causés par ce processus (Figure 5e). En effet, des mouvements répétitifs du gel-dégel provoquent des déplacements rotationnels du sédiment. Ces déplacements causent aussi la présence de grains verticaux, observés à de multiples reprises dans nos échantillons. Des vides plans (Figure 5d) suggèrent également des processus de cryoturbation (ibid.: 288). On remarque également des coiffes de sédiment fin en bordure de grains minéraux grossiers (Figure 5f). Ces coiffes résultent du drainage du sol par l’eau de fonte dans un sol encore gelé, qui entraîne le matériel fin et le dépose sur les marges des grains grossiers (Bertran 1993: 654-655; Harris et Ellis 1980: 23).

Les indices de processus anthropiques observés dans les lames minces sont représentés par des fragments de plumes, de charbons de bois, de même que par des morceaux d’os partiellement brûlés (Figure 6a et 6b). Leur niveau de carbonisation se limitant aux bords suggère un degré de chauffage inférieur à 400 °C (Courty et al. 1989). Des traces de piétinement, parfois équivoques, ont aussi été identifiées, principalement dans le tunnel d’entrée (Figure 6c). Des agglomérats vacuolaires noirâtres ont été observés lors de l’analyse (Figures 6d). Notre hypothèse concernant ces agglomérats est qu’il s’agirait possiblement de résidus carbonisés de graisse animale. Il est cependant à noter que la comparaison avec des échantillons de référence de gras carbonisé n’a pas été faite à fort grossissement.

Figure 6

a) Fragment de plume (H2 8S6E 16-26 cm, ~ 23 cm/surf., PPL); b) Os brûlé (H7 2S8E 24-34 cm, ~ 32.5 cm/surf., PPL); c) Possibles traces de piétinement (H2 8S6E 16-26 cm, ~ 19 cm/surf., PPL); d) Matière organique carbonisée compacte (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 25.5 cm/surf., PPL); e) Agglomérats vacuolaires (possible graisse animale) (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 20.5 cm/surf., PPL); f) Fragment de chert ferrugineux (possible microéclat) (H7 2S1E 29-39 cm, ~34 cm/surf., PPL)

a) Fragment de plume (H2 8S6E 16-26 cm, ~ 23 cm/surf., PPL); b) Os brûlé (H7 2S8E 24-34 cm, ~ 32.5 cm/surf., PPL); c) Possibles traces de piétinement (H2 8S6E 16-26 cm, ~ 19 cm/surf., PPL); d) Matière organique carbonisée compacte (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 25.5 cm/surf., PPL); e) Agglomérats vacuolaires (possible graisse animale) (H2 10S7E 17-27 cm, ~ 20.5 cm/surf., PPL); f) Fragment de chert ferrugineux (possible microéclat) (H7 2S1E 29-39 cm, ~34 cm/surf., PPL)

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De manière générale, on note un enrichissement en phosphore organique, lequel peut être attribuable à un apport en matière organique telle que des cendres, des tissus végétaux, des ossements ou des excréments (Middleton et Price 1996: 679). Cet apport se reflète également dans la tendance d’appauvrissement généralisé des échantillons archéologiques en fer et en manganèse. La dissolution réductrice d’oxydes de fer et de manganèse a en effet été reliée à la décomposition de matière organique (Oonk et al. 2009: 1226). L’enrichissement global en baryum pourrait, quant à lui, avoir été généré par la présence de cendres d’os ou de plantes marines (Entwistle et al. 1998: 64).

L’appauvrissement en titane et en vanadium, qui caractérise pratiquement l’ensemble des échantillons archéologiques analysés, est une tendance rarement mentionnée dans les travaux en géoarchéologie. Il se pourrait donc que ces deux éléments ne soient pas indicateurs d’activité anthropique ou qu’ils n’aient pas été documentés jusqu’à présent. Finalement, l’appauvrissement en magnésium pourrait être associé aux processus de lessivage dans les sols organiques et acides (Oonk et al. 2009: 1220).

Tendances géoarchéologiques intrasites observées

À Oakes Bay-1, les résultats de perte au feu[3] montrent une proportion significativement plus élevée de matière organique dans les échantillons archéologiques comparativement aux échantillons de contrôle. Dans la Maison 1, le plancher contient la quantité la plus élevée de matière organique, soit 56% en moyenne. Dans la Maison 2, ce sont les échantillons de la cache, située à l’avant de la maison, qui sont les plus riches en matière organique, soit 37% et 56%.

En termes géochimiques, les échantillons provenant des Maisons 1 et 2 présentent des similarités: des enrichissements en sodium, potassium, strontium, soufre, cuivre et plomb. Un enrichissement en potassium a été associé à la présence de cendres. Un rapprochement entre un enrichissement en sodium et strontium et une concentration d’ossement d’animaux, plus particulièrement d’ossements de poisson dans le cas du sodium, est plutôt suggéré (Knudson et al. 2004: 450; Middleton et Price 1996: 679). Le plomb, le cuivre et le soufre font partie d’une série d’éléments dont l’enrichissement a été associé au foyer, à l’aire de cuisine ou à l’accumulation de déchets (Entwistle et al. 1998: 64; King 2008: 1226).

À l’inverse d’Oakes Bay-1, les échantillons de contrôle du site d’Uivak Point contiennent davantage de matière organique que les échantillons archéologiques. Toutefois, le contenu organique de ces derniers demeure équivalent à celui des sédiments archéologiques d’Oakes Bay-1. Par ailleurs, le tunnel de la Maison 7 contient les concentrations les plus élevées en matière organique.

Plusieurs des tendances observées dans les données géochimiques d’Oakes Bay-1 n’ont pas d’équivalent dans les sédiments archéologiques d’Uivak Point. En effet, plusieurs éléments présentant un enrichissement significatif à Oakes Bay-1 ont des valeurs appauvries à Uivak Point. C’est notamment le cas du zinc, du soufre, du cuivre et du plomb. À moins de supposer que les activités pratiquées à l’intérieur de la Maison 7 étaient très différentes de celles pratiquées à Oakes Bay-1, il nous est difficile d’interpréter de telles différences géochimiques. En fait, l’ampleur de ces différences nous pousse à croire que les échantillons de contrôle d’Uivak Point ne sont pas représentatifs de la géologie locale du site archéologique. Il faut rappeler ici que ceux-ci ont été prélevés à des distances de parfois plus de 300 m du site archéologique.

Différenciation des aires d’activités des maisons multifamiliales

Les données micromorphologiques et géochimiques indiquent qu’en général les indicateurs anthropiques sont dispersés à travers toutes les aires analysées des maisons multifamiliales inuit étudiées. Autrement dit, on n’a pas pu déceler un indicateur micromorphologique ou géochimique exclusif à une aire d’activité donnée. Cette tendance à la dispersion se reflète également dans le traitement statistique des données géochimiques des Maisons 2 et 7, qui n’a révélé aucun ensemble distinct permettant de suggérer une différenciation géochimique des aires d’activités.

La tendance à la dispersion de la majorité des signatures anthropiques dans les maisons pourrait avoir été générée par des évènements de nettoyage pendant l’occupation des maisons semi-souterraines inuit. De tels évènements sont rapportés dans les travaux et les données archéologiques (Habu et Savelle 1994; Woollett 2003). Bien entendu, des processus post-dépositionnels et naturels ont probablement également contribué à la dispersion des différentes traces anthropiques présentes dans la matrice sédimentaire du site. La nature discontinue et à court terme de l’occupation des maisons semi-souterraines multifamiliales fait que ces traces se sont implantées de façon moins marquée dans le sédiment et que, entre les différentes périodes d’occupation, elles ont été exposées aux éléments et aux processus post-dépositionnels qui peuvent faciliter le déplacement des éléments microscopiques témoignant d’activités anthropiques.

Quelques indicateurs anthropiques divergent toutefois de cette tendance à la dispersion et montrent des fluctuations statistiques, ou de fréquence dans le cas des données micromorphologiques, entre les trois grandes zones de la maison semi-souterraine multifamiliale (tunnel, plancher et plate-forme). C’est le cas des concentrations de plusieurs indicateurs anthropiques géochimiques dans la Maison 1. En effet, le traitement statistique des données géochimiques a permis d’y distinguer ces trois aires. Il est possible de voir cette distinction dans les diagrammes d’analyse en composantes principales, de classification ascendante hiérarchique ainsi que dans le diagramme bivarié mettant en relation les concentrations du cuivre et du vanadium. Bien que cette différenciation puisse être due au fait que la Maison 1 n’a pas été échantillonnée de façon aussi extensive que les Maisons 2 et 7, il se pourrait également que ce résultat témoigne d’aires d’activités plus définies dans cette maison (Couture 2014: fig. 36 à 46).

Les données micromorphologiques suggèrent que la plate-forme renferme moins d’indicateurs anthropiques que les autres aires d’activités. L’une des explications qui pourrait justifier ces résultats est que, comme le mentionne Kaplan (1983: 238), la plate-forme arrière était recouverte de branchages et de peaux afin d’offrir un meilleur confort. Ce recouvrement pourrait donc avoir freiné ou même empêché l’imprégnation de résidus de cuisine et d’utilisation de la lampe dans la matrice sédimentaire de la plate-forme arrière. L’identification des restes ligneux dans la plate-forme lors de l’analyse des lames minces et lors des analyses archéobotaniques de Zutter (2009: 25) corrobore cette hypothèse. Les données géochimiques indiquent que les échantillons de plate-forme renferment des indicateurs de matière organique, de cendres et de restes animaux, découlant possiblement de la présence de résidus de cuisine et de déchets alimentaires. Notamment, on remarque à Oakes Bay-1 des concentrations enrichies en phosphore organique, baryum, calcium, strontium et en potassium et un appauvrissement en fer et en manganèse, qui ont été associées à la présence de matière organique, de cendres et d’ossements. Un autre indice de résidus culinaires réside dans l’enrichissement en sodium, qui a son pic d’enrichissement dans la plate-forme arrière des Maisons 1 et 2 (King 2008: 1226; Knudson et Frink 2010: 770; Wilson et al. 2007: 69). La tendance d’enrichissement en sodium ne se reflète pas, de façon générale, dans les échantillons archéologiques d’Uivak Point. La présence de charbons et d’os brûlés a été confirmée sur lames minces. Cette interprétation est aussi corroborée par la présence de restes animaux et végétaux, de même que de plusieurs artéfacts et agglomérations de gras carbonisé, qui ont été mis au jour dans ces zones par Woollett (2003: 326).

Dans le plancher de la Maison 1, la teneur en phosphore organique atteint son pic d’enrichissement. Plusieurs indices géoarchéologiques pointent également vers la présence de restes animaux sur le plancher. En effet, les concentrations de sodium sont élevées dans l’ensemble de la Maison 2, où plusieurs ossements (frais et brûlés) et charbons ont été identifiés sur lames minces. On note aussi sur le plancher de la Maison 1 des pics d’enrichissement en calcium et en strontium. En combinaison avec de fortes concentrations en baryum, des enrichissements en calcium et en strontium ont aussi été reliés à la présence de coquilles de mollusques dans le sol (Wilson et al. 2007: 74). Butler (2008: 129) a associé les concentrations élevées de ces deux éléments à des activités de préparation de la nourriture ou d’entretien de la lampe. Ceci est cohérent avec les concentrations de matière organique carbonisée et les amas vacuolaires qui ont été observés dans les lames minces du plancher (Figure 6d et 6e). Dans la Maison 2, la présence de cendres, notamment dans le support de lampe, est suggérée par un enrichissement en potassium, phosphore organique et en baryum.

C’est dans le tunnel d’entrée que l’on trouve le plus de traces anthropiques (fragments d’os, restes végétaux, charbons, etc.) identifiées sur les lames minces. Un micro-éclat de chert ferrugineux identifié dans le tunnel de la Maison 7 constitue un indice anthropique avéré (Figure 6f). Les sédiments du tunnel sont aussi caractérisés par un appauvrissement en fer et en manganèse, lequel est associé à la matière organique (Oonk et al. 2009: 1226). Les résultats géochimiques du tunnel d’entrée de la Maison 2 montrent un enrichissement maximal de quelques éléments chimiques indicateurs de déchets de nourriture (phosphore organique, calcium et strontium) et de l’utilisation de la lampe (soufre et zinc). Ces résidus anthropiques pourraient avoir été déplacés vers le tunnel lors des activités de nettoyage de l’intérieur de la maison. En effet, un balayage des déchets vers la sortie de la maison, dans le but de les jeter dans le dépotoir situé à l’extérieur, pourrait expliquer l’occurrence de résidus d’activités domestiques dans le tunnel d’entrée. En se basant sur ses données d’archéobotanique, Zutter (2009: 31) a suggéré que le tunnel d’entrée de la Maison 7 était jonché de déchets balayés du plancher lors du nettoyage. Cette auteure pense également que les restes de conifères trouvés dans le tunnel pourraient être rattachés à des branches utilisées pour empêcher l’air froid de pénétrer dans la maison.

Tableau 1

Synthèse des interprétations formulées à la suite de l'analyse des résultats

Synthèse des interprétations formulées à la suite de l'analyse des résultats

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La fonction d’entreposage, qui est caractéristique du tunnel d’entrée, pourrait également engendrer la déposition de plusieurs indicateurs anthropiques dans le sédiment du tunnel d’entrée. Butler (2008: 143) a d’ailleurs suggéré qu’un enrichissement en potassium, calcium, baryum et en strontium dans le tunnel découlerait de l’entreposage de viande (poisson, phoque, caribou, baleine) ou du balayage de déchets provenant du plancher vers le tunnel (causant aussi un enrichissement en plomb). Enfin, soulignons la fonction d’aire de circulation du tunnel d’entrée, qui, dans nos données micromorphologiques, est appuyée par la plus grande fréquence de traces de piétinement identifiées sur les lames minces.

Conclusion

À l’issue des analyses micromorphologiques et géochimiques des sédiments provenant de trois maisons semi-souterraines multifamiliales des sites d’Oakes Bay-1 et d’Uivak Point 1, il est clair que les sols archéologiques ont été imprégnés des activités humaines ayant eu lieu à l’intérieur des maisons. Les traces anthropiques qui ont été identifiées, notamment des résidus de cendres et de déchets alimentaires, ont été associées à certaines activités domestiques telles que l’utilisation de la lampe en stéatite ainsi que la préparation et la consommation de nourriture.

L’analyse statistique des résultats ne permet cependant pas de distinguer, sur une base uniquement géoarchéologique, d’aires d’activités bien définies dans l’espace domestique. Ceci ne signifie pas nécessairement que les habitations inuit de l’époque ne comportaient pas d’aires d’activités spécialisées. En fait, des évènements de nettoyage pourraient avoir causé un éparpillement des signatures anthropogéniques au sein des habitations. De plus, le contexte d’occupation irrégulier et saisonnier de ce type de maisons fait que l’implantation de ces signatures n’a probablement pas pu se faire de façon intensive. Les saisons d’inoccupation des maisons font également que, chaque année, le sol d’occupation des maisons était exposé aux éléments et aux processus post-dépositionnels susceptibles d’encourager la dispersion des traces anthropiques microscopiques dans le sédiment. Le fait que les aires d’activités de ces habitations soient contenues dans un espace restreint et ne soient séparées par aucune frontière physique qui aurait pu entraver le déplacement des signatures anthropiques dans le sol constitue également un facteur qui nuit à la différenciation spatiale des données géoarchéologiques.

Il est également possible que la variabilité plutôt restreinte des matériaux utilisés dans les activités domestiques quotidiennes des Inuit du Labrador à l’époque des maisons multifamiliales ait aussi un rôle à jouer dans l’absence d’aire d’activités distinctes dans nos résultats géoarchéologiques. Effectivement, puisque l’utilisation de certains matériaux est impliquée dans l’accomplissement de plusieurs activités (p. ex., des fragments d’ossements d’animaux peuvent témoigner autant de la consommation de repas que de la fabrication de certains outils), il devient ardu de distinguer avec précision quelles activités spécifiques sont reflétées par les concentrations de certains éléments chimiques retrouvées dans les différentes aires de la maison. Nos résultats confirment toutefois une empreinte humaine claire sur la micromorphologie et la géochimie des sols d’occupation. Ils démontrent donc le potentiel de l’approche géoarchéologique dans la documentation de problématiques d’archéologie de la maisonnée et de l’espace domestique en général.