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Ce texte porte sur la place qu’occupe le chien dans la communauté de Kuujjuaq au Nunavik dans les contextes politique et culturel actuels. Bien que la relation entre les Inuit et leurs chiens se soit radicalement modifiée depuis leur sédentarisation au milieu du XXe siècle, les propriétés de cette relation, à savoir ce qui a changé, persisté ou encore disparu, sont mal documentées. Ce texte présente les principaux résultats d’un mémoire de maîtrise dont l’objectif est d’offrir un regard anthropologique sur la relation contemporaine entre les chiens et les habitants de Kuujjuaq.

Ce texte répond également à un besoin de connaissance sur la place actuelle du chien dans les communautés inuit. Bien que les données concernant sa place dans la culture inuit traditionnelle soient relativement nombreuses (Cummins 2002 ; Laugrand et Oosten 2002, 2007, 2014 ; Lévesque 2008, 2010, 2011 ; Reinhart 1964 ; Saladin d’Anglure 2006), la situation actuelle n’est pas documentée, ni à Kuujjuaq, ni ailleurs dans l’Arctique canadien. Pourtant, dans un contexte où les risques pour la santé et la sécurité associés aux chiens font partie des préoccupations constantes des Kuujjuamiut[1], il est primordial de comprendre cette place pour développer des mesures de santé publique et animale efficaces et respectueuses des spécificités culturelles inuit. En effet, malgré une variété de politiques de santé publique et animale (vaccination, obligation d’attacher les chiens, abattage, etc.) successivement mises en place depuis les années 1960 afin de minimiser les risques associés aux chiens (maladies animales transmissibles à l’être humain, morsures) (Croteau 2010 ; Lévesque 2015), des accidents impliquant des chiens surviennent toujours et des cas de rage animale sont signalés sur une base annuelle dans la région (CBC News 2014 ; George 2013b). En plus d’avoir une efficacité sanitaire et sécuritaire limitée, ces mesures peuvent générer des tensions (George 2013a ; Lévesque 2015), surtout dans les villages où habitent plusieurs non-Inuit, comme c’est le cas à Kuujjuaq.

Cet article postule que ces tensions ont leur origine dans la place occupée par le chien dans la culture inuit et dans celle des non-Inuit à l’heure actuelle. Il a pour objectif principal de présenter les résultats issus d’une enquête de terrain menée à Kuujjuaq (Nunavik), en septembre 2016, à propos de la place du chien dans les contextes politique et culturel contemporains. Les résultats décrits dans ce texte sont axés sur la classification des chiens, ainsi que la place qu’ils occupent auprès des familles de la communauté de Kuujjuaq. Une petite section s’attardera tout de même au contexte dans lequel s’inscrit la gestion des chiens dans la communauté afin de bien comprendre les différentes dynamiques présentes à Kuujjuaq.

Relation entre humains et animaux, et importance des réalités multiples

Ce texte s’inspire des travaux d’Ariel de Vidas qui a travaillé auprès des Teenek du Mexique (Ariel de Vidas 2002). Chez les Teenek, les chiens peuvent faire partie de catégories différentes, selon leur origine. Ils distinguent les chiens locaux, à qui on s’adresse en langue teenek, des chiens importés par les Européens, à qui on s’adresse en espagnol. Si les premiers sont identifiés au passé, les seconds sont associés au temps présent. Bien que l’auteure aborde en partie le chien comme un élément symbolique de la culture Teenek, elle prend la peine de spécifier que l’étude de la relation entre l’humain et l’animal s’inscrit tant au niveau de l’univers symbolique des Teenek qu’au quotidien, dans l’interaction et la place laissée aux chiens dans la société (Ibid., 534).

Les travaux d’Ariel de Vidas s’inscrivent dans toute une série de travaux anthropologiques qui redéfinissent les relations humains-animaux, ainsi que les significations associées en Occident aux catégories animales, humaines, naturelles et culturelles. Ces travaux ont montré que la dichotomie nature-culture propre à la culture occidentale moderne n’est pas opératoire dans la majorité des cultures non-occidentales : dans plusieurs, la nature n’est pas une catégorie qui s’oppose à la culture (société), et les frontières entre l’humain et l’animal sont fluides (Descola 2005 ; Latour 2012 ; Mullin 1999). Dans ces réalités, les animaux peuvent penser comme des personnes; la pensée humaine peut se réincarner dans les animaux, et inversement. Nadasdy (2007, 31), lorsqu’il parle des chasseurs Kluane, en vient à la conclusion que « for them, animals are people. This does not mean that they cannot distinguish between human people and animal people. […] There are many different kind of people and the social rules and conventions for dealing with human people are different from those governing social relations with rabbit people ». Quant à Ingold, il avance que, lorsque les animaux sont dotés de sentiments, de comportements caractéristiques, d’une sensibilité et qu’ils agissent de manière autonome et consciente, l’interaction avec le non-humain est très similaire à l’interaction humaine (Ingold 2000). Ainsi, bien que les règles sociales qui s’appliquent varient, l’interaction elle, reste sensiblement la même puisque tous sont considérés comme des personnes dotées d’agencéité et d’autonomie, qu’elles soient humaines ou non-humaines. Cette conception de la relation entre l’humain et l’animal rend les frontières entre le monde animal et le monde humain flexibles, fluides et surtout différentes d’une réalité à une autre.

Cette posture est très utile pour comprendre la place actuelle du chien à Kuujjuaq. En effet, dans cette communauté, Inuit et non-Inuit partagent le même espace de vie. Il est donc essentiel d’utiliser une approche qui permet de postuler l’existence de réalités multiples, de mondes différents et distincts. Cette posture déconstruit les catégories propres à l’approche occidentale moderne où il n’existe qu’une seule (vraie) réalité et différentes perspectives (ou représentations culturelles) de cette réalité (Blaser 2012). Elle permet aussi de considérer un sujet et ses propos tels qu’ils sont, tout en tentant de comprendre la réalité qui vient leur donner un sens (Piette 2012). Cadrer une pratique ou une situation en référence à nos propres conceptions viendrait à réduire celle-ci à une simple perspective d’une seule et même réalité commune à tous. En effet, si certaines pratiques nous semblent erronées, c’est que l’on a atteint les limites de notre propre réalité ; d’où l’importance de saisir celle dans laquelle s’inscrit une pratique. Il faut ainsi tenter de comprendre les données ethnographiques pour ce qu’elles sont sans chercher à comprendre le sens (le pourquoi) de leur existence (Holbradd in Carrithers et al. 2010). De fait, en essayant de saisir le sens d’une pratique et non ce qu’elle est en elle-même, nous nous référons à notre propre réalité et perdons de vue la réalité propre à la pratique observée. Nous obtenons ainsi la capacité de mettre en relation plusieurs réalités dans lesquelles s’inscrivent des pratiques et des évènements qui doivent être compris tels qu’ils sont, ici et maintenant. Postuler l’existence de réalités multiples permet donc d’approfondir la réflexion sur la place du chien, car elle permet de faire bouger les frontières entre l’homme et l’animal. Les réalités multiples permettent d’affirmer clairement l’existence de plusieurs mondes et donc, de plusieurs réalités tangibles et complexes. Concrètement, le cadre théorique brièvement décrit ici servira à la fois à saisir les différents statuts des chiens au sein d’un contexte bien précis en ayant la possibilité de comprendre les différentes réalités qui cohabitent ou se confrontent concernant les chiens dans la communauté de Kuujjuaq.

Méthodologie : Approche qualitative et analyse de contenu thématique

Cet article s’appuie sur 21 entrevues semi-dirigées effectuées à Kuujjuaq, en septembre 2016, auprès de 12 Inuit et 9 non-Inuit résidents de la communauté. L’entrevue a été choisie comme outil de collecte de données puisque le type d’information que l’on cherchait à obtenir s’inscrivait dans la nuance, dans le détail et dans la perception reliée à l’expérience personnelle. Ces éléments sont difficilement quantifiables, à moins d’effectuer un très grand nombre d’entrevues, ce qui n’était pas envisageable dans le cadre de ce projet. Pour bien saisir la pensée des locuteurs et comprendre leurs propres réalités, une analyse qualitative plus en profondeur est nécessaire.

Il ne s’agit pas ici de compiler le nombre de chiens dans la communauté ou de faire un bilan de santé, mais bien de comprendre de quelle manière les habitants de Kuujjuaq agissent, réagissent et entrent en relation quotidiennement avec les chiens de la communauté. Selon Oliver de Sardan « [p]our parler des autres, et pour les faire parler, l’enquête seule donne, en science sociale, autorité ultime » (Olivier de Sardan 2008, 21). Ce projet s’arrime avec l’étude quantitative effectuée par le Groupe International Vétérinaire (GIV) auprès des Kuujjuarmiut (les habitants de Kuujjuaq) afin de cerner leurs habitudes et leurs perceptions relatives aux chiens. Ainsi, l’utilisation des entrevues et d’une analyse qualitative ouvre la porte à plus de profondeur et de variété dans les propos des participants. L’entrevue peut même permettre d’entrer dans la conception qu’ont les participants d’une idée, d’un fait ou encore d’un animal pour, au final, comprendre la relation qu’ils entretiennent avec cet élément.

Une analyse du contenu thématique, dont l’objectif vise à réduire l’information obtenue par les entrevues à une série de variables qui peuvent être étudiées de manière plus quantitative (Bernard 1994), a été utilisée pour donner sens aux entrevues effectuées. Les différentes thématiques, grossièrement définies lors de la préparation de l’enquête, se sont affinées et transformées pour offrir un portrait le plus fidèle possible des données recueillies lors des entrevues.

Présentation des résultats

La gestion des chiens à Kuujjuaq : Le rôle des organisations

Il est essentiel, pour bien situer les résultats de ce terrain, de s’attarder au contexte actuel qui définit le quotidien des habitants et des chiens de la communauté de Kuujjuaq. Les entrevues effectuées auprès des gens qui travaillent de près ou de loin sur la question des chiens ont permis de dresser un portrait clair des services offerts et non-offerts à Kuujjuaq. Cinq organisations différentes jouent un rôle plus ou moins important dans la gestion des chiens de la communauté :

  1. La municipalité de Kuujjuaq (Northern Village of Kuujjuaq, NV), est la plus importante. Elle offre deux types de services : un service de fourrière (dog catcher), ainsi qu’un service de soins de base et d’identification pour les chiens. Le dog catcher a aussi la tâche d’abattre les chiens dangereux (chiens vicieux, agressifs, malades, etc.) et d’appliquer les diverses réglementations relatives aux chiens errants. Cependant, lors de l’enquête de terrain, il n’y avait pas de dog catcher en poste. Seul le vaccinateur bénévole s’assurait de maintenir les services d’identification et de soins de base pour les chiens.

  2. Une personne affiliée à la municipalité offre des services de base. C’est elle qui a la tâche d’identifier les chiens à l’aide d’une médaille. Elle est également en charge de les vacciner contre la rage, le parvovirus ou la maladie de Carré, et de distribuer des vermifuges et du matériel de premiers soins. Comme l’accès aux soins vétérinaires est limité, cette personne éduque les propriétaires pour qu’ils apprennent à donner les premiers soins à leurs chiens en cas de blessure. Le ou la responsable municipale les aide aussi à reconnaître les symptômes de différentes maladies canines.

  3. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) effectuait toujours, en 2016, une campagne de vaccination annuelle dans sept des quatorze villages du Nunavik. Officiellement, la campagne visait à vacciner les chiens contre la rage. Officieusement, le MAPAQ distribuait aussi des vaccins contre le parvovirus et la maladie de Carré, des vermifuges, ainsi que du matériel de premiers soins aux communautés. Les surplus étaient d’ailleurs laissés à la municipalité pour que la population puisse y avoir accès tout au long de l’année. Le rôle du MAPAQ était directement relié à la santé publique : il n’avait donc pas le pouvoir d’intervenir dans la gestion quotidienne des chiens en tant que telle. Depuis 2017, cette campagne est prise en charge par les vétérinaires de l’Université de Montréal.

  4. Le centre de recherche du Nunavik (NRC), qui appartient à la société Makivik, s’implique dans la gestion des chiens en prenant en charge les cas de rage où un chien (ou un renard) a mordu un humain et a été abattu par la suite. Le NRC est aussi la principale association à Kuujjuaq à appuyer les chercheurs et leurs projets de recherches concernant les chiens : les chercheurs ont accès aux locaux, aux ressources du centre, ainsi qu’au soutien du personnel, si nécessaire. Le gouvernement régional Kativik (KRG) offre également son soutien aux chercheurs, mais n’offre pas de services concrets à la population.

  5. Enfin, l’association Qimuksiq, qui venait tout juste d’être créée en septembre 2016 par les quelques mushers[2] de la communauté, a comme principale mandat d’offrir aux mushers de la nourriture à prix moindre afin de rendre plus accessible financièrement le fait de posséder un attelage de chiens.

Les soins vétérinaires à Kuujjuaq : Inexistants et nécessaires

Lors des 21 entrevues effectuées à Kuujjuaq, 19 personnes ont mentionné l’absence de services vétérinaires. En effet, seuls la vaccination, quelques vermifuges et du matériel de premiers soins sont disponibles pour les propriétaires. Or, la vaccination permet de prévenir, mais ne guérit pas les chiens. À Kuujjuaq, lorsqu’un chien est blessé plus gravement, qu’il est malade ou qu’il doit se faire stériliser, celui-ci doit être envoyé dans le sud de la province. Sur les 21 participants, 10 ont d’ailleurs parlé de cette pratique, qui existe surtout auprès des travailleurs étrangers qui sortent régulièrement de la communauté. Cependant, comme le résume le répondant A2[3], « if I could afford it, I would send it down south. But it’s almost impossible on my part, it’s just too expensive to send one down. Like if my dog was just injured, there is no vet service up here so you are basically on your own ». Le répondant A2 n’est pas le seul dans cette situation : la plupart des résidents n’ont pas les moyens de faire soigner leur(s) chien(s) de cette manière. Comme ce service est coûteux et n’est accessible qu’à une petite partie de la population, plusieurs des participants ont mentionné avoir cherché des alternatives au sein de la communauté. Un autre participant à la recherche (A5) observe d’ailleurs que « le monde, souvent, il essaie de voir sur internet, de se renseigner sur Facebook s’il y a des ressources qui sont disponibles pour Kuujjuaq. C’est quand même limité ». Un troisième (A16) raconte même que « when my puppy was sick, I was desperately looking for somebody to help. Myself, I’ve taken the puppy to the hospital. Few other people have tried to, but they can’t do anything ». Deux mushers ainsi qu’un autre répondant ont aussi dit que grâce à leur expérience avec les chiens, on leur demandait des conseils et de l’aide par rapport aux soins médicaux à donner aux chiens.

Le besoin criant de services adaptés à la communauté

D’une manière très pratique, on constate que la majorité des interventions menées auprès des chiens est encore et toujours effectuée dans une optique de santé et de sécurité publique. De manière globale, la perception des chiens comme enjeux de santé publique est encore très présente auprès de la majorité des vétérinaires, des municipalités et des gouvernements, qui veulent d’abord tenter d’éviter la propagation de maladies, sensibiliser les propriétaires aux soins canins et tenter de contrôler la population canine dans les villages (Lévesque 2015). La réglementation est d’ailleurs sévère. En effet, des amendes sont imposées aux propriétaires qui n’attachent pas leurs chiens ou qui ne les ont pas enregistrés à la ville ; les attelages de chiens doivent être tenus à l’écart de la ville ; un chien en attelage est considéré comme un chien libre ; un chien non-identifié peut être abattu si les autorités responsables ne peuvent l’attraper ou le considèrent comme un danger public ; un chien qui montre un signe de maladie est immédiatement abattu et envoyé pour analyse, etc. (Council of the Northern Village of Kuujjuaq 2007). Bien que certaines organisations, comme le GIV de l’Université de Montréal, offrent des soins de manière sporadique, les soins et les services offerts sont limités, puisqu’ils sont axés sur la santé humaine avant tout.

Le bien-être du chien, ce qu’il apporte à son propriétaire ou encore son importance au sein de la communauté ne sont pas des facteurs qui sont considérés dans les interventions. Plus récemment, le GIV a fourni un guide des premiers soins adaptés aux propriétaires de chiens du Nunavik (Cléroux et Houle 2012). L’équipe a également effectué un sondage, en automne 2015, dans le but de décrire les habitudes, les perceptions et les besoins des propriétaires de chiens de Kuujjuaq, ainsi que de dresser un portrait démographique de la population canine (105 chiens au total, selon le Groupe International Vétérinaire 2016). Bien que ces résultats permettent aux professionnels de la santé de décider le genre d’intervention clinique à effectuer à Kuujjuaq, ils n’en disent que peu sur la place qui est laissée aux chiens dans la communauté. Or, il s’avère nécessaire de comprendre ce point si la communauté veut être en mesure d’obtenir des services adaptés à ses réalités culturelles variées.

Portrait de la population canine à Kuujjuaq

Il existe plusieurs types de chiens à Kuujjuaq (voir figure 1). Une première division peut être faite, selon le contexte dans lequel on retrouve les chiens, entre les chiens libres et les chiens attachés. Une seconde division basée sur la fonction qu’occupe le chien, peut également être faite entre les chiens de traîneaux et les chiens que l’on retrouve en ville ; les chiens de compagnie. Dans cette dernière catégorie se retrouve une variété de types de chiens, soit les chiens du Nord (huskies), les chiens du Sud (autres races et toy dogs), ainsi que les bâtards (mixed dogs).

Figure 1

Les chiens à Kuujjuaq

Les chiens à Kuujjuaq

-> Voir la liste des figures

Les chiens libres

Lorsqu’on se promène dans les rues de Kuujjuaq, il est inévitable d’apercevoir à un moment où à un autre de la journée quelques chiens qui se promènent librement. Pour définir ces chiens libres, deux termes ont émergé lors des entrevues : chiens errants (stray dogs) et chiens laissés en liberté (chiens « lousses », roaming dogs). Les « chiens errants » désignent ici les chiens qui n’ont pas de propriétaire. Quant à l’expression « chiens laissés en liberté », elle est employée pour désigner un chien qui a un propriétaire mais qui est laissé libre pour une raison ou pour une autre. Une troisième catégorie, celle des « chiens libres » se réfère en général aux chiens qui se promènent librement dans la communauté, indépendamment du fait qu’il ait ou non un propriétaire. Même si les entrevues ont permis de donner une définition du chien errant et du chien laissé en liberté, plusieurs participants trouvent difficile de les distinguer. Le collier semble un bon indicateur pour classer un chien dans la catégorie « chien laissé en liberté ». Par contre, son absence ne permet pas de catégoriser un chien comme « errant ». En effet, « s’il a un collier, il appartient à quelqu’un, mais même s’il n’a pas de collier, peut-être qu’il a enlevé son collier et qu’il se soit juste sauvé. […] S’il n’a pas de collier, ça ne veut pas dire qu’il est errant. » (entrevue A13).

Enfin, la perception du nombre de chiens qui se promènent librement dans la communauté varie considérablement selon les participants. Trois catégories ont pu être clairement établies : sur les 21 participants, onze trouvent qu’il y a beaucoup de chiens libres à Kuujjuaq, alors que sept affirment, au contraire, que les chiens libres ne sont pas nombreux. Ceux-ci se fient surtout à ce qu’ils ont vu il y a quelques années avant l’arrivée en poste d’un dog catcher. Un troisième discours a également émergé auprès du tiers des participants : la population de chiens libres varie dans le temps et dépend de plusieurs facteurs, dont la présence d’un dog catcher ou d’une hausse soudaine du nombre de chiots. Selon un autre participant, « there used to be a lot of stray dogs which was a problem and there is a bit now because right now, the municipality doesn’t have a worker, but they had a dog control worker – they have a worker for about five years now. Different guys, but they are really helping the stray dog population, reducing it. » (entrevue A11).

Les chiens de traîneaux

Plus souvent appelés huskies ou sled dogs en anglais, les chiens de traîneaux se distinguent des autres chiens de Kuujjuaq. De par leur physique, leur tempérament et leur socialisation unique, les huskies utilisés pour tirer les traîneaux occupent définitivement une classe à part. Lors des entrevues, 12 personnes sur 21 ont clairement dit que les chiens de traîneaux n’étaient pas traités comme des animaux de compagnie (pet, en anglais), mais plutôt comme des chiens de travail. Cependant, certains mushers ayant participé aux entrevues n’ont pas exclus leurs chiens de la catégorie « animal de compagnie ». La grande différence entre les commentaires des mushers et les autres participants à propos du statut de leurs chiens réside dans la définition de ce qu’est l’animal de compagnie : pour les mushers, le terme « partenaires » permettrait de mieux décrire la relation affective qui les lie à leurs chiens. Ceux-ci affirment qu’ils ne peuvent être traités comme des chiens qui vivent dans la communauté, mais qu’ils demeurent tout de même de fidèles compagnons. Les chiens de traîneaux « are more a part of a team, I would suggest. You don’t treat them the same. They don’t get your newspaper or keep your feet warm when you’re sitting watching TV. […] But they’re still given attention and care, just different methods for different reasons » (entrevue A18). Un musher d’expérience abonde dans le même sens :

« The relationship we have, they’re not really our pets. They are more our partners. We pet them, we reward them with petting and stuff when they do a good pull, when they do their jobs. But we don’t treat them like pets, like we would in a house ».

entrevue A20

Enfin, les chiens de traîneaux semblent respectés à Kuujjuaq. Aucun commentaire négatif n’a été émis lors des entrevues à propos de ces chiens, même au point de vue de l’agressivité qu’ils dégagent, car celle-ci est nécessaire au bon fonctionnement d’un attelage de chiens. Les participants savent qu’un husky entraîné peut être dangereux et se tiennent à l’écart de ceux-ci. Il semble également bien établi que ces chiens soient gardés à l’extérieur de la ville et qu’il est très rare d’en croiser dans la communauté. Il serait même possible d’avancer qu’il y a une tolérance, voire une valorisation des chiens de traîneaux en comparaison des autres chiens que l’on retrouve à Kuujjuaq, par l’absence marquée de commentaire négatif et par la justification faite des comportements agressifs qu’ils peuvent avoir.

Les chiens de compagnie

Les chiens de compagnie regroupent tous les chiens qui ne sont pas des chiens de traîneaux et que l’on retrouve dans la communauté, qu’ils soient gardés à l’intérieur, laissés à l’extérieur, attachés ou laissés en liberté. Quelques sous-catégories de chiens de compagnie ont émergé lors des entrevues auprès des habitants de Kuujjuaq.

D’abord, il y a les « chiens du Nord » qui incluent tous les chiens qui ressemblent physiquement aux huskies utilisés pour les traîneaux à chiens. Ces chiens sont souvent les chiots qui n’ont pas été sélectionné pour faire partie d’un attelage de chiens. Ces chiens sont, en majorité, gardés à l’extérieur. À ce sujet, une petite distinction entre les Inuit et les non-Inuit a été observée durant les entrevues : les Inuit gardent exclusivement ces chiens à l’extérieur, alors que les non-Inuit vont les faire entrer dans la maison pour diverses raisons : durant la nuit, par mauvais temps, par froid extrême, etc. En effet, « c’est rare les huskies qui rentrent dans la maison ici, à part peut-être les Blancs qui en ont, mais en général, les Inuit, ils les gardent dehors » (entrevue A19). Ensuite, viennent les « chiens du Sud » : ce sont les races de chiens qui ont été importées par les travailleurs non-Inuit et, de plus en plus, par les Inuit eux-mêmes. À la différence des chiens du Nord, les chiens du Sud semblent avoir accès à l’intérieur des maisons de manière plus régulière. Il est cependant impossible de généraliser à toute la population de Kuujjuaq ce comportement. Or, le fait que ces chiens ne soient pas adaptés physiquement aux grands froids laisse croire qu’une majorité des habitants garde, du moins en alternance, les chiens du Sud à l’intérieur. Une sous-catégorie vient particulièrement se distinguer lorsqu’on parle des chiens du Sud avec les participants : en effet, dix d’entre eux ont mentionné qu’il y avait de plus en plus de « petits chiens » (small dogs, toy dogs) qui étaient exclusivement gardés à l’intérieur. Une Inuk observe que

« A lot of people have little toy pet dogs like Shih tzu or, you know, Terrier […]. I know that these smaller dogs are more in tune with staying indoors in the apartments or small homes while their owner’s at work. You know, they adapt well by just being constantly with their dog owner and they don’t need to be outside ».

entrevue A14

Bien que l’utilisation du terme toy dog (« chien jouet », en français) soit très intéressante, les entrevues n’ont pas permis d’approfondir son utilisation. Un Inuk associe d’ailleurs ce type de chiens aux enfants : « Most dogs are kept outside. It’s only the toy dogs that are kept inside, you know the little children dogs » (entrevue A2).

Enfin, une troisième catégorie de chiens que l’on retrouve en ville a souvent été nommée par les participants : celle des dits « bâtards » (mutts, mixed dogs, « chiens mélangés »). Cette catégorie regroupe tous les chiens issus de croisement entre les différentes races présentes à Kuujjuaq et est souvent associée au fait que les chiens se promènent librement et se reproduisent entre eux. Pour les mushers, ces chiens ne sont pas valorisés, car s’ils se rendent où leurs chiens sont gardés, ils peuvent compromettre la pureté de la race. Un participant à la recherché associe même ces chiens au danger : « There’s a whole mix of dogs, too many mixes. It would be, I think, less dangerous if there wasn’t so much mixed dogs » (entrevue A20). Les chiens bâtards que l’on retrouve à Kuujjuaq sont donc bien reconnus par la population, mais semblent être les chiens les moins valorisés.

La place du chien à Kuujjuaq

L’intégration des chiens au paysage culturel de Kuujjuaq

Même si plusieurs débats ont lieu à propos des chiens et de leur gestion dans la communauté de Kuujjuaq, le fait que le chien fasse « partie intégrante du social fabric de la vie ici » est indéniable. « Ça fait partie de l’identité culturelle, autant dans la vie quotidienne des gens d’ici que dans l’imaginaire des gens venant du Sud qui viennent dans le Nord. Ils s’attendent à voir des chiens » (entrevue A13). Cet énoncé est encore plus vrai pour les non-Inuit : six des neuf Qallunaat ayant participé aux entrevues ont explicitement mentionné que Kuujjuaq ne pouvait être défini sans la présence des chiens. En effet, qu’ils soient libres ou attachés, les chiens sont présents en grand nombre dans la communauté. Selon un participant à la recherche, presque tous les foyers possèdent un chien, qu’ils soient Inuit ou non (entrevue A3). Un autre avance même que les Qallunaat qui viennent travailler à Kuujjuaq doivent aimer les chiens pour se plaire dans la ville (entrevue A4). Cependant, cette réputation de « ville à chiens » amène parfois son lot de comportements indésirables. Pour certaines personnes, « Ça fait partie du décor les chiens, alors c’est comme si, pour fiter [aller] dans le décor, on avait l’impression qu’il fallait que [les nouveaux arrivants] aient un chien aussi » (entrevue A12). Ce que la participante A12 déplore de ce comportement, c’est que ces chiens sont parfois abandonnés lorsque le contrat de travail se termine et que le maître doit repartir.

Pourquoi avoir un chien ?

Au cours des dernières décennies, les changements reliés aux modes de vie et de transport ont limité le rôle du chien à un moyen de déplacement principal dans les communautés inuit (Harris et al., 2013). Il est donc pertinent de se demander ce qui fait que pratiquement chaque famille possède ou a déjà possédé un chien dans la communauté de Kuujjuaq de nos jours. La raison donnée par le plus haut nombre de répondants (11) est celle où le chien fait partie de l’identité culturelle. Du côté des Inuit, le chien fait partie de la tradition familiale : « It’s in my family. If our dog ever dies, we have to get another one. We are a dog family, for sure », mentionne l’un des participants (entrevue A2). Un autre répondant avance également que « Some elders have them [dogs] because it’s a part of their life. Like my mother, she can’t live without a dog because she grew up with dogs. She was a child and got raised with dogs so she feels like she needs a dog by her side all the time to feed, for something to do. I know a lot of elders that are like that because they grew up with dogs and they need it » (entrevue A7). Les Qallunaat reconnaissent aussi cette importance culturelle des chiens liés à l’identité inuit.

De manière plus pratique, les chiens à Kuujjuaq sont aussi utilisés comme protection lors des sorties sur le territoire. Dix répondants sur 21 en ont fait mention. L’un d’eux explique très clairement que, « To me, I mean, I owned dogs in the past because I needed something to alarm us when we’re at the camp if there was a bear coming. Because there were a lot of polar bears near we were camped and we needed something to give us an early warning that an animal was coming. That was the main reason why we had a husky. So it was really for safety purpose » (entrevue A14). Comme beaucoup d’Inuit pratiquent encore la pêche et la chasse sur le territoire, avoir un chien à leurs côtés comme système d’alarme et moyen de protection est très utile pour se défendre contre les prédateurs potentiels ou simplement contre les animaux qui voudraient venir fouiller dans les camps. Dix répondants sur 21 ont mentionné avoir un chien pour avoir de la compagnie, soit parce qu’ils voulaient se divertir, parce qu’ils se sentaient seuls ou parce qu’ils voulaient un compagnon avec qui partager les activités quotidiennes. Pour un autre répondant qui vit seul à Kuujjuaq, loin de sa famille « I’m alone, so it was nice to have a friend » (entrevue A18). Pour d’autres, la compagnie d’un chien se ressent comme un besoin : « Some people just feel like they need a pet, to have something to do » (entrevue A7).

Pour plusieurs participants, la présence des chiens à Kuujjuaq s’explique également par le désir d’avoir un attelage de chiens, que ce soit pour les courses de traîneaux[4] (8/21 répondants) ou pour garder en vie les traditions inuit asociées aux traîneaux à chiens (5/21 répondants). D’autres mushers ont des chiens de traîneaux, en partie, pour garder un lien fort avec la culture inuit : « I use them for my cultural aspect. I like to connect to my culture ; I like to be out on the land. I like to see what my grandparents saw, what my ancestors did. I like to challenge myself so I have dogs » (entrevue A7). D’une manière plus pratique, sept répondants sur 21 ont mentionné que les résidents avaient des chiens pour manger les restes de nourriture. Un participant prend cependant le temps de spécifier que ses chiens « are not fed dog food. They are fed good scraps » (entrevue A2). Un Inuk explique plus en détails pourquoi il donne les restants de table à ses chiens : « I don’t know if it’s just my culture, but I hate throwing food away and I’d rather giving it to a dog. […] I mean, there was starvation in the past, and my grandmother was telling me stories about that. So, when I throw leftovers in the garbage… I mean it hurts a bit, you know ? » (entretien A9).

Les liens avec le passé

Lorsque la question « Pourquoi avez-vous un chien ? » ou « Pourquoi les gens ont des chiens ? » a été posée aux participants, plusieurs d’entre eux (13/21 participants) ont pris le temps de parler des chiens avant la sédentarisation. Tous, sans exception, ont mentionné qu’il y avait eu un changement soit dans la manière d’utiliser les chiens, soit dans la relation entre les chiens et les Inuit. Un Inuk, par exemple, affirme au sujet des chiens que, « They are more pets now than before » (entrevue A17). Un autre Inuk ajoute : « Back then, before the dog slaughter, before the Inuit were put into those communities, dogs were part of family, were part of small community, you know. They were respected more and they were treated differently because they were needed. They were needed to take you to places, they were needed to help you hunt. Today, they’re just animals for the fun of it, to have » (entrevue A14).

Les chiens n’auraient donc plus leur place au sein de l’unité familiale inuit aujourd’hui, du moins, pas comme autrefois, alors qu’ils étaient nécessaires au bon fonctionnement de la société. Un musher déclare cependant, que cette relation est encore présente avec ses chiens : « With the dog team owners, it’s still the same, the relationship is still there. We care for the dogs. They are part of our family. We try to… it’s a respect relationship, you know. […] So that relationship still exist between dog teams, owners, and their dogs. But, I think majority of the population, unless they have many dogs, don’t have that understanding » (entrevue A20).

Toutefois, même si les chiens ne sont plus essentiels à la survie, les savoirs liés aux chiens, eux, restent les mêmes : « The fundamental basic things haven’t [changed] : the way you harness the dog, the way you fix your sled and all the skills it takes ». Ce sont d’ailleurs ces savoirs que tous les mushers interrogés souhaitent pouvoir transmettre en continuant d’élever des chiens de traîneaux et de participer à des courses et à des évènements comme la course annuelle d’attelages de chiens, Ivakkak, organisée au Nunavik par la société Makkivik.

Discussion

La place du chien à Kuujjuaq

À la lumière des sections précédentes, on comprend que la valorisation et, à l’inverse, la dévalorisation d’un type de chiens en particulier ne sont pas homogènes. Les préférences des participants reflètent autant la diversité canine retrouvée à Kuujjuaq que la diversité de la population. En règle générale, les huskies et les chiens de traîneaux sont des chiens qui semblent plus valorisés que les autres auprès de leurs propriétaires. Un répondant a également remarqué la tendance suivante : « Les gens vont acheter des chiens du Sud. Il y a beaucoup de gens qui aiment beaucoup les Labrador, qui font monter [dans le Nord] des Labrador, qui vont payer quand même assez cher. Même pour les petits chiens de compagnie, ils vont payer assez cher. […] Donc les chiens qui sont achetés, qui sont apportés ici sont beaucoup valorisés. » (entretien A13). Défrayer des coûts pour un animal lui accorderait donc une certaine valeur. Cette logique pourrait s’appliquer à la valorisation des chiens de traîneaux, puisque leurs propriétaires s’investissent énormément auprès d’eux. Une Inuk propriétaire de deux petits chiens affirme préférer les chiens d’intérieur : « When they’re outside, they are dirty and not taking care of well and they make babies more because they’re outside, so » (entrevue A17). À l’inverse, certaines catégories de chiens ne sont pas du tout appréciées : c’est le cas des chiens errants et des chiens laissés en liberté. Pour les participants, ceux-ci représentent un danger pour la population, car ils envahissent parfois la propriété privée et sont au coeur de plusieurs conflits culturels.

La classification des chiens de Kuujjuaq devient plus complexe lorsqu’un chien appartient à plus d’une classe, selon le contexte dans lequel il se trouve. Ainsi, un petit chien du Sud qui se promène librement entre aussi dans la catégorie des chiens laissés en liberté. Cependant, l’appréciation sociale n’est pas la même : lorsqu’il est à l’intérieur, le chien du Sud sera apprécié, voire valorisé, puisqu’il a souvent été acheté et qu’il agit comme animal de compagnie avec une présence importante. Cependant, lorsqu’il se retrouve à l’extérieur, il est perçu comme une nuisance générale, ainsi qu’un danger potentiel, surtout pour les enfants. Ainsi, selon le contexte dans lequel le chien est rencontré, il se réfère à deux réalités complètement différentes qui ne sont généralement pas conflictuelles.

C’est ici que la possibilité d’associer le chien à des réalités distinctes comme le fait Ariel de Vidas (2002) est utile pour comprendre la place des chiens à Kuujjuaq. Dans cette communauté, deux éléments semblent déterminer le statut d’un chien : la fonction qu’il occupe (chien de traîneaux, animal de compagnie, chien errant, toy dog, etc.) et le lieu où on le retrouve (à l’extérieur de la communauté, libre dans la communauté, attaché près d’une maison, à l’intérieur d’une maison). Cependant, le lieu où on le retrouve semble primer sur la fonction qu’il occupe. Ainsi, un chien appartenant à un attelage de chiens sera respecté par les habitants s’il se trouve à l’extérieur de la communauté, sur une île, en attelage, ou dans toute situation où il est « normal » de retrouver un chien de traîneaux. Les habitants seront prudents envers lui et agiront d’une manière précise en sa présence, puisqu’ils connaissent son statut particulier, ainsi que le type de socialisation dont il a besoin pour pouvoir remplir la fonction de chien de traîneaux. Cependant, si ce même chien se retrouve libre dans la communauté à fouiller dans les ordures et à passer trop près des enfants, son statut de chien de traîneaux n’a plus de valeur : celui de chien laissé en liberté prend le dessus et il est, dès lors, perçu comme une nuisance et un danger à éliminer. Les chiens de Kuujjuaq peuvent donc faire partie de plusieurs réalités, lesquelles sont déterminées selon l’espace et la fonction que le chien occupe au sein de la communauté.

Comme il a été mentionné plus haut, pour la plupart des répondants, les chiens n’occupent plus la même place qu’ils occupaient autrefois dans la société inuit : leur présence n’est plus liée aux activités de subsistance, mais plutôt aux activités culturelles qui sont aujourd’hui associées à la tradition et aux loisirs. Malgré une modification des fonctions attribuées aux chienx, les entrevues révèlent qu’ils demeurent une partie intégrante de la communauté, et que celle-ci ne serait pas ce qu’elle est sans la présence des chiens. D’ailleurs, les raisons d’avoir un chien sont multiples et bien définies : que ce soit pour se protéger lors d’une sortie sur le territoire, pour se débarrasser des restants de tables, pour maintenir en vie la tradition des chiens de traîneaux ou encore pour la simple compagnie qu’ils apportent, les chiens occupent une place centrale, mais très variée, au sein de la communauté de Kuujjuaq.

Services et interventions à Kuujjuaq : Pistes de réflexion

Cette recherche propose certaines pistes de réflexions afin d’améliorer la gestion des chiens à Kuujjuaq, tout en respectant les besoins des propriétaires de chiens et de la population de Kuujjuaq, en général. Bien sûr, il ne s’agit pas de parler au nom des vétérinaires ou des Inuit qui habitent la communauté. Néanmoins, il est possible de présenter une réflexion préliminaire à la lumière des résultats et de la discussion présentés ci-dessus. En premier lieu, il est très clair que les habitants veulent avoir accès à des soins vétérinaires de meilleure qualité et plus permanents. Or, l’approche biomédicale, aussi utile soit-elle, ne règlera pas tous les enjeux liés à la présence des nombreux chiens dans la communauté. Ce que cette recherche suggère, c’est qu’il pourrait être intéressant, par exemple, de faire la promotion de l’utilisation des chiens pour la pratique des activités traditionnelles comme la chasse ou encore, de valoriser les savoirs liés à la santé canine traditionnelle. Ainsi, les savoirs sur les chiens que les Inuit possèdent pourraient être à la fois connus de la population et utilisés dans le quotidien par les propriétaires de chiens (par exemple : comment enlever des épines, quoi faire avec une blessure, comment réagir en cas de morsure, etc.). En deuxième lieu, les informations recueillies lors des entrevues pourraient éventuellement venir guider les autorités municipales sur l’adaptation de la réglementation liée aux chiens libres. En effet, il pourrait peut-être y avoir un encadrement des activités canines qui pourraient, par exemple, bénéficier de périodes ou de lieux où ils pourraient être en liberté au lieu de les garder attachés en permanence. En troisième lieu, les connaissances partagées par les participants de ce projet de recherche sont aussi utiles pour mettre en place des formations qui expliqueraient aux Qallunaat comment les Inuit se comportent avec leurs chiens. Cela favoriserait la compréhension de certains comportements et permettrait sans doute d’éviter certains malentendus comme le vol de chiots ou encore, pour comprendre que tous les chiens en liberté ne sont pas des chiens abandonnés. Ces pistes de réflexions ne sont évidemment pas exhaustives, mais permettent d’identifier quelques actions possibles afin d’améliorer la gestion des chiens, ainsi que la relation qu’entretiennent les habitants avec eux.

Conclusion

Cet article visait d’abord à présenter les faits saillants d’une enquête de terrain réalisée à Kuujjuaq, en septembre 2016. Le principal objectif était de documenter la place du chien dans la communauté et ce, dans les contextes culturels et politiques actuels. Les résultats obtenus illustrent clairement que les chiens ont toujours leur place dans la communauté. Cependant, le contexte dans lequel on les retrouve, ainsi que la fonction pour laquelle ils sont utilisés, vient jouer sur l’appréciation qu’en ont les habitants de Kuujjuaq. Indubitablement, les chiens laissés en liberté sont perçus comme une nuisance et un danger, peu importe leur race ou leur fonction. La place du chien dans la communauté de Kuujjuaq se situe donc au coeur de réalités multiples, ainsi qu’aux limites des frontières entre l’amour et la répulsion.