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J’y arrive enfin, j’aborde les limites

fixées par d’autres que moi ;

une autre géographie s’offre,

plus personnelle et plus souple —

aux horizons plus ouverts —,

des territoires dans lesquels

j’imposerai mes frontières. Tout un été,

j’essaierai de reconstruire,

depuis le milieu, la maison

de mon âme : le lieu où le regard

est une fenêtre sur la liberté.

6 juin 2008

Le matin est frais mais je m’installe

seul sur la galerie, parmi les arbres ;

je commence une lente méditation.

Les lilas ont fleuri ; les fleurs des cormiers

aussi colorent la cour, mais plus modestement.

Je m’attarde à ne pas m’empresser,

à ne pas chercher autre chose

que cette occasion toute simple

d’être là où je suis. J’étudie

comment découvrir le peu de mystère

que révèle ma présence en ce lieu.

9 juin 2008

La lenteur se révèle un puits très profond

sur lequel je me penche : aucun reflet

ne me semble visible. Je me contente

de ce que j’observe : une corde à linge

sur laquelle sèchent les draps lavés ce matin.

Qu’attendre de plus significatif que cet indice

tout simple de l’été ? Je parcours enfin le vide,

je traverse l’espace sans me hâter, je trace

dans le ciel des sentiers où je m’éloigne

de tout pour m’approcher de moi.

10 juin 2008

Au loin passe un train, qui laisse

un bruit de métal, un écho de roues

se frottant aux rails. Le vent frais

chante dans les branches ; attentif,

j’écoute pour recueillir un peu

de cette quiétude. Au-dessus de ma tête,

le bleu du ciel est sans tache ; à mes pieds,

je vois la bonne tête de la chienne

couchée paisiblement. Les claquements

d’une cloueuse m’indiquent qu’on s’affaire

à la besogne. Rien n’est gagné sur l’heure.

Dans une rue voisine roulent les voitures

comme s’il fallait encore se presser.

12 juin 2008

Pas moins que les fleurs placées dans les pots

ou disposées dans les plates-bandes,

on compose un tableau auquel on participe.

Derrière la table sur le patio, avec son chapeau

et quelques livres, une tasse de café,

un ordinateur portable, on campe le rôle

du vacancier ou de l’écrivain de service,

pas plus important peut-être, en ce décor,

que la corde à linge mais aussi vivant

et effacé que les oiseaux et que la chienne

couchée en rond. Si l’on pouvait se retirer

en s’élevant au-dessus des choses, on signerait

d’un paraphe bien droit en coiffant l’ensemble

d’un titre clair, du genre « tableau d’été sur la terrasse »

ou « portrait d’un homme heureux sous les arbres ».

14 juin 2008

Un matin de juin, je m’égare en ville

au milieu des conversations de personnes

retraitées : j’entends qu’on parle d’argent,

de richesse et de problèmes de prostate

ou de cancer ; je ne sais ce qui compte,

sinon le fait que tombe la pluie. Autour,

les gens échangent leurs cartes d’affaires

en discutant d’entreprises, de contrats,

d’ouvertures de marchés, et toujours d’argent,

encore d’argent. Je range le livre de poèmes

d’Ossip Mandelstam dans mon sac et retire

mes lunettes. Je pense au poète qui agonisait

dans les rues de Volojèje et je ne sais plus

très bien ce qu’est le véritable principe

d’humanité. Je regarde ma montre : je dois

payer mon déjeuner et déplacer ma voiture…

18 juin 2008

Parmi les pierres dans le jardin, les fleurs

indiquent le mouvement des jours. Les heures

n’ont plus prise sur mon coeur ; bien retiré

derrière la maison, j’entends clairement

les mouvements de la ville. Je me lève

pour aller et venir autour de la maison,

sans chercher autre chose que ce qu’il y a

et que j’ignore. Je remarque des traces

du dernier hiver, comme de vieilles

blessures laissées par la neige sur les murs.

Même si je prends note de quelques

retouches qu’il faudra faire à la maison,

je m’inquiète peu de l’usure du monde.

25 juin 2008

Je dispose l’espace à ma guise,

j’ouvre la fenêtre qui donne

sur la vieille étable ; j’écoute

la musique très douce

de François Couturier et j’entends,

au loin, le cri d’un geai bleu.

Seul au milieu de la pièce,

je cherche appui : en équilibre

sur la crête d’ombre de mon être,

j’apprivoise la beauté

comme elle se présente.

Un autre jour de ciel couvert,

il fait « lent » sur la ville

où je traîne mes pas.

27 juin 2008

Au-dessus des toits, je cherche un point de fuite,

une arête de lumière sur laquelle orienter

la pente descendante des jours. Ce que je fuis

ressemble à ce que j’emporte avec moi

au milieu du labyrinthe des âges. Je perçois

les battements d’un coeur sur une chaise vide ;

la beauté d’un visage éclaire ma solitude.

Je tente de sauver de l’abîme un peu d’ombre,

la jeunesse des bras qui m’enlacent

et la grâce qui émane des livres de poèmes.

1er juillet 2008

J’ai tracé le cadastre du territoire

auquel j’appartiens. Je consens

rarement à quitter la page

sur laquelle je range les jours

en alignant mes pas. Si je vais

au hasard des rues, je m’égare aussitôt :

mais je recueille tout ce qui capte

mon attention : je vole des images,

je grave sur une pellicule d’ombre

de fines silhouettes, des poussières

qui rappellent les doigts que j’abandonne

sur la peau. Je reviens sur les bords

de la page, comme une vague qui vient

mourir sur le sable.

3 juillet 2008

La ville où je demeure n’était autrefois

qu’un village autour duquel gravitaient

quelques fermes. Aujourd’hui, la banlieue

a transformé le paysage, tout en bouleversant

le rythme de la vie. Il arrive qu’on remarque

encore des gestes de villageois, des écarts

de conduite : ici, un homme s’affairant

à réparer la clôture d’un potager

sur un terrain où il n’y a pas encore

de piscine ; là, une femme qui se berce

sur une galerie de bois. Dans l’ensemble,

le portrait a bien changé : on voit partout

les piscines bien alignées au milieu

des terrains encadrés de haies ou de clôtures,

les entrées pavées où l’on stationne deux

ou trois voitures. Tout est bien conforme,

n’est-ce pas ? Comme on l’imagine, l’ennui

et l’ordre règnent sur la vie : chaque propriété

rappelle la photo d’une banlieue américaine.

5 juillet 2008

à Stéphanie Lord

Tout à coup au bord d’une rivière,

j’ai éprouvé la lenteur du temps

dans les rebonds des cailloux sur l’eau ;

j’ai craint un moment de voir tomber

mon enfant qui s’amusait sur les pierres.

Au-dessus le ciel coulait bleu clair,

transparent dans la beauté des yeux :

nous tenions le vent entre nos doigts.

Sur les pierres, là où l’eau se casse

en cascades, le mouvement suspendu

m’est apparu encore plus beau

que le courant qui se jette dans les pierres.

18 juillet 2008

Nous attendons toute une année

que se déploie le chemin, mais le moment

venu nous ne pouvons plus inscrire

nos traces sur le sol, et le chemin

disparaît sous les arbres. Que faut-il

pour être là où nous espérons

loger nos ombres ? Attendre encore,

sans doute… Un poème ne se fait pas

autrement : on scrute l’horizon

en tentant de saisir le vent qui passe,

la lumière quand elle semble naître

ou simplement se répandre et filer

entre les branches ; on ne prend rien,

on se glisse plutôt au milieu des choses,

on se laisse bercer par le mouvement

mélodieux de la vie. Avec un peu de chance,

on transcrit sur une feuille ou sur l’écran

la mesure intangible du silence.

31 juillet 2008