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Bien que la popularité des classes de maternelle quatre ans ait varié au cours des dernières années, les effectifs se trouvent en constante augmentation depuis leur création en 2013 (MEES, 2020). Au Québec, plus de 5000 personnes enseignantes oeuvrent à l’éducation préscolaire et il est anticipé que, si 50 % des enfants de 4 ans fréquentent les maternelles dans les prochaines années, 3500 personnes supplémentaires seront nécessaires (MEES, 2020). Des praticiennes de la petite enfance sont donc invitées à effectuer une transition vers l’enseignement préscolaire, avec leurs connaissances considérables sur le développement des jeunes enfants. Certes, ce sont des professionnelles, mais comment les aider à devenir enseignantes ?

Les recherches sur les transitions professionnelles d’un métier vers l’enseignement (ex. Baeten et Meeus, 2016 ; Balleux et Perez-Roux, 2011) montrent que ce passage doit être accompagné, car il peut entraîner une perte de repères techniques, socioculturels et environnementaux et un choc des conceptions, malgré les rapprochements entre le métier et la nouvelle prestation d’enseignement. À cet égard, deux priorités ont été identifiées en collaboration avec 12 personnes étudiantes en enseignement anciennes éducatrices (PEEAE). Nous les présentons et exposons quelques pistes de réflexion qu’elles suscitent.

Accompagner la construction des savoirs professionnels

Les PEEAE reconnaissent que l’expérience de formation en enseignement est positive. Comme plusieurs aspects du travail enseignant s’apparentent à celui d’éducatrice, le réinvestissement des savoirs professionnels construits semble faciliter la transition, comme l’exprime une PEEAE :

« J’ai une belle aisance pour animer et enseigner devant une classe, résultat de mes 3 stages précédents [en éducation à l’enfance]. Comme ce point est facile pour moi, j’ai pu aller plus loin dans chacun de mes stages en prenant des initiatives, en prenant plus de moments en charge, en animant plus d’activités, etc. J’aime beaucoup la suppléance aussi ! Le changement de groupe ressemble quelque peu au remplacement en tant qu’éducatrice, ce qui ne m’a pas trop déstabilisée »

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Les réponses des PEEAE laissent même entrevoir que cette transition vers l’enseignement était prévue ou désirée, comme lorsqu’elles mentionnent : « J’ai fait ma technique dans l’intention d’aller faire mon BACC » (É2), « Je trouve que c’est une continuité pour moi. Je voulais faire la TÉE pour ma formation. Je le savais aussi que je continuais au BACC après » (É8).

Pourtant, un élément retient l’attention dans leur discours : les PEEAE tiennent à travailler avec les élèves plus jeunes (préscolaire ou premier cycle).

« J’aime mon expérience jusqu’à maintenant. Je sens que je suis à ma place. Par contre, je sais que je veux travailler à l’éducation préscolaire. J’aime un peu moins être dans les classes aux 2e ou 3e cycles »

É8

Le fait est qu’elles se sentent moins outillées et à l’aise avec les enfants plus vieux. Il appert que les principaux savoirs construits (Morales Perleza, 2019) depuis qu’elles sont en formation sont les savoirs expérientiels, soit ceux développés sur le terrain, suivis des savoirs liés aux relations et à la posture d’enseignante. Les savoirs plus « formels » comme les savoirs disciplinaires, curriculaires, théoriques, didactiques, pédagogiques, ainsi que les savoirs liés au contexte de l’éducation préscolaire sont ceux que les PEEAE considèrent avoir le moins développés. Ce constat invite à s’interroger en priorité sur la manière de les accompagner dans la construction de leurs savoirs professionnels.

Accompagner la transition de l’identité professionnelle

Pour comprendre leur dynamique identitaire, il apparaît pertinent de mentionner qu’elles ont choisi l’enseignement pour deux principales raisons, soit l’amélioration de leur salaire et l’amélioration de l’horaire de travail. Dans une moindre mesure, il y a également le désir de relever de nouveaux défis. De même, elles conservent un souvenir positif de leur expérience de travail en tant qu’éducatrices.

« J’ai eu la chance de travailler dans un merveilleux CPE avec une équipe de travail formidable. J’y ai créé de belles amitiés. J’adorais travailler avec les tout-petits et les voir évoluer si rapidement. Par contre, je trouvais parfois les journées longues. Il manquait un petit plus à mon travail. Je voulais avoir un plus grand impact sur le développement de l’enfant et former la génération de demain »

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Ainsi, lorsqu’elles sont invitées à se définir professionnellement pendant leur formation en enseignement, les propos de nos collaboratrices témoignent d’un processus de transition plus ou moins avancé, de « je suis une éducatrice qui a poursuivi sa carrière pour devenir enseignante au préscolaire » (É1), en passant par « je suis une étudiante et future enseignante qui a bien hâte de se retrouver sur le marché du travail » (É8), jusqu’à « je suis une future enseignante qui a été une excellente éducatrice avec les enfants » (É12).

L’identité professionnelle étant un construit social, entre l’affirmation de soi et l’ouverture à autrui (Balleux et Perez-Roux, 2011), il a aussi été demandé aux PEEAE de s’exprimer à propos de ce qui les distingue de leurs collègues étudiantes n’ayant pas de formation ou d’expérience à la petite enfance. Trois éléments sont soulevés : la connaissance de l’enfant d’âge préscolaire (caractéristiques, développement global, besoins), la maîtrise des compétences professionnelles en contexte d’éducation préscolaire (conception d’activités, planification et gestion, préoccupation pour la place du jeu) et les aptitudes personnelles (confiance en soi, maturité, capacité d’organisation, passion). Elles vont même plus loin en distinguant leur travail d’enseignantes de celui d’éducatrices en mentionnant principalement des limites liées au contexte de l’enseignement, comme le fait de moins suivre le rythme des enfants, d’enseigner de manière plus formelle ou de moins répondre aux besoins spécifiques des enfants (de moins bouger, jouer ou explorer). Ces limites qu’elles intègrent comme des référents pour agir et exercer leur rôle d’enseignantes au quotidien incitent à s’interroger en priorité sur la manière de les accompagner dans la transition de leur identité professionnelle.

Que faire à la lumière de ces priorités ?

Les résultats nous amènent à poursuivre la recherche et la réflexion pour une meilleure prise en compte des besoins de développement professionnel des personnes étudiantes en enseignement ayant effectué une transition depuis le milieu de la petite enfance. Une formation en enseignement axée sur le préscolaire et adaptée à la réalité particulière d’insertion professionnelle des PEEAE, par la prise en compte des savoirs professionnels construits et de l’identité professionnelle consolidée antérieurement, apparaît incontournable afin de limiter le décrochage au cours des premières années de carrière en enseignement (Desmeules et Hamel, 2017).