Corps de l’article

De nos jours, la majorité des enfants atteints de cancer survivent à la maladie. Cependant, les données récentes sur le cancer au Québec indiquent qu’un enfant sur 400 est touché par cette maladie avant l’âge de 15 ans (Fondation Charles Bruneau, s. d.). Au Canada, près de 120 enfants âgés de 0 à 14 ans décèdent du cancer chaque année, alors que chez les 15-29 ans, le nombre de décès se situe à 290 annuellement. Ainsi, si les chances de guérison d’un cancer à l’enfance sont de plus en plus élevées, il demeure qu’environ 20 % des enfants atteints de cancer ne survivent pas à la maladie. D’ailleurs, le cancer représente la première cause de décès par maladie chez les enfants (Société canadienne du cancer, 2021). Le diagnostic de cancer d’un enfant constitue une épreuve bouleversante qu’aucun parent ne souhaite affronter, en particulier lorsque la maladie progresse et se solde par la mort de son enfant. L’expérience d’accompagnement engendre de nombreux bouleversements dans l’organisation de la vie personnelle et sociale du parent à travers l’ensemble de la trajectoire de son enfant. Cette trajectoire est marquée par plusieurs transitions, nommément le passage d’un enfant en santé vers le diagnostic de cancer et l’amorce des traitements, les changements de milieux de soins, la progression de la maladie, la fin des traitements actifs, la fin de vie et la mort. Par ailleurs, la transition des enfants atteints de cancer des soins curatifs vers les soins palliatifs est considérée comme l’une des plus difficiles pour les parents. Cependant, elle s’avère peu documentée. L’objectif du présent article est donc de présenter une revue de littérature sur l’expérience psychosociale des parents dans la trajectoire des soins curatifs vers les soins palliatifs de leur enfant atteint de cancer avancé.

Mise en contexte

Le concept de transition, couramment utilisé en psychologie et en sciences infirmières et sociales, se définit comme un processus de réorientation et de redéfinition de soi favorisant la capacité de la personne qui vit un changement de pouvoir composer avec une nouvelle situation ou un nouvel état de santé (Meleis, 2010). Ce processus, qui induit un passage d’un état à un autre, implique la mise en place de processus psychologiques pour favoriser l’adaptation de la personne afin qu’elle puisse se redéfinir et redonner un sens à sa réalité (Lavoie, 2015; Meleis, 2010). La théorie intermédiaire de la transition de Meleis (2010) décrit aussi ce processus comme complexe, puisqu’il est influencé par différents facteurs, soit l’espace-temps ainsi que la présence et la qualité des ressources personnelles, sociales et communautaires de la personne.

La transition des soins curatifs vers les soins palliatifs est une thématique qui fait l’objet d’écrits de façon plus importante depuis les 15 dernières années. La majorité des études sur cette thématique met en évidence un constat disant que l’expérience de transition vers la phase palliative est bouleversante pour la personne malade et ses proches, qui vivraient de l’incompréhension, de la confusion, de l’incertitude et de la peur. L’étude de Lavoie (2015) sur l’expérience de transition des personnes atteintes de cancer des soins curatifs vers les soins palliatifs met en lumière des facteurs susceptibles d’entraver cette transition chez les adultes, soit : l’incompréhension de la personne malade quant à la nature des soins palliatifs; des difficultés de communication observées entre la personne malade, ses proches et l’équipe soignante; l’introduction tardive des soins palliatifs dans la trajectoire, qui nuirait à la capacité des personnes à s’ajuster à la situation et à s’impliquer activement dans les prises de décisions concernant leur fin de vie.

Pour les enfants atteints de cancer et leur famille, la transition vers la phase palliative est une thématique très peu documentée. D’une part, cette transition se distingue de celle expérimentée par les adultes atteints de cancer, ne serait-ce qu’en raison des enjeux légaux et éthiques liés à l’âge des enfants et à la possibilité de les impliquer dans les décisions concernant leurs soins. D’autre part, la transition des enfants atteints de cancer des soins curatifs vers les soins palliatifs se distingue de celle des autres enfants ayant une maladie chronique complexe par le fait que la majorité des enfants atteints de cancer avancé continuent de recevoir des traitements actifs même lors de la phase avancée de la maladie (Sultan, 2020). Cet important pourcentage d’enfants qui poursuit des traitements concomitants est corrélé à une notion d’espoir qui en découle pour les parents. Cet espoir est également lié à la définition de la qualité de vie en soins palliatifs d’enfants atteints de cancer avancé qui est décrite, notamment, par un désir des enfants et des parents de maintenir une vie normale, et un désir de l’enfant malade d’entretenir des relations sociales et de s’investir dans des projets de vie significatifs, comme s’investir dans sa scolarité (Avoine-Blondin, 2018).

Méthodologie

La question de recherche à la base de cette synthèse de connaissances est la suivante : quel est le vécu psychosocial des parents à travers la trajectoire de soin de leur enfant atteint de cancer avancé? Une recension des écrits avec synthèse narrative a été privilégiée considérant le caractère émergent de la thématique de la transition des enfants atteints de cancer vers les soins palliatifs selon le vécu des parents, ainsi que la difficulté de produire des études avec de grands échantillons. Afin de répondre à la question, des recherches ont été effectuées dans les banques de données Medline, PsycINFO, CINAHL, Social Services Abstracts, Social Work Abstract, Embase, Érudit, Google Scholar et Proquest Thèses et mémoires. La consultation de bibliographies d’articles jugés pertinents a également été effectuée. Les publications retenues sont parues entre 2010 et 2021, en langue française ou anglaise. Les mots-clés utilisés pour interroger les bases de données sont les suivants : cancer, cancer trajectory, childhood cancer, transition, pediatric oncology, oncologie pédiatrique, end of life, end of life care, palliative care, soins palliatifs, soins palliatifs pédiatriques, parents, parents and sibling, parent well-being, bereaved parents, child, enfant, family, family functioning, family needs, family experience. Au total, 18 documents ont été inclus dans la présente revue de littérature en raison de leur apport au regard de la question de recherche. Il s’agit d’articles présentant des résultats originaux de recherche, des revues de littérature, d’un chapitre de livre et d’une thèse de doctorat. Les documents choisis permettent d’abord de décrire le vécu des parents à travers les différentes transitions associées aux phases de la trajectoire, de l’annonce du diagnostic jusqu’au décès. Ensuite, les documents recensés mettent en lumière trois principaux facteurs permettant de décrire le vécu des parents à travers la trajectoire de soin de l’enfant, spécifiquement lors du processus de transition des soins curatifs vers les soins palliatifs, et la fin de vie.

Résultats

Le vécu psychosocial des parents à travers les transitions dans la trajectoire de soin de leur enfant

Du diagnostic de cancer jusqu’au décès de leur enfant, les parents doivent s’adapter aux multiples transitions qu’engendre la trajectoire de soin pédiatrique. Les écrits retenus dans cette revue de littérature brossent un portrait du vécu des parents à travers les étapes de cette trajectoire et témoignent des pertes auxquelles ces derniers sont confrontés.

Diagnostic de l’enfant et évolution de la maladie

La première transition dans la trajectoire est marquée par le changement d’état de l’enfant en santé au moment du diagnostic de cancer. Ce diagnostic serait souvent perçu d’emblée comme potentiellement mortel par les parents, ce qui provoquerait un choc émotionnel, et ce peu importe l’issue de la maladie (Bouthier, Colmon-Demol et Joron-Lezmi, 2017). Dans son chapitre traitant de la transition des soins curatifs aux soins palliatifs chez les enfants atteints d’une maladie à issue potentiellement fatale, Hynson (2012) aborde l’impact de cette expérience chez les parents. Parmi les conséquences évoquées, la responsabilité de protection se trouverait foncièrement mise à l’épreuve par cette situation sur laquelle les parents n’ont aucun contrôle. Le chapitre fait également mention des deuils qu’une telle nouvelle peut entraîner pour les familles, dont la perte des rêves et des aspirations concernant l’enfant. Ce moment peut donc être empreint d’incompréhension, de colère, de chagrin, de peur et de désespoir. Dans certains cas, les parents chercheraient les indices qu’ils pourraient avoir manqués et qui, selon eux, auraient causé la maladie de l’enfant. Hynson (2012) souligne que le blâme de soi ou d’autrui serait commun à cette étape de la trajectoire. D’autres études abondent dans le même sens sur le vécu au moment de l’annonce de la maladie, en la décrivant comme une perte de repères marquée par l’angoisse, l’incertitude et l’impuissance. Ce moment dans la trajectoire serait également stressant pour les parents qui doivent à leur tour faire l’annonce de la maladie de l’enfant à leur entourage (Martin et al., 2014). La recension des écrits d’Hagedoorn, Kreicbergs et Appel (2011), documentant les répercussions psychosociales du cancer dans l’entourage de l’enfant malade, révèle que les parents de l’enfant atteint de cancer seraient à risque élevé de souffrir d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique, dont le stress serait lié aux récidives possibles, aux effets secondaires des traitements et à l’éventualité du décès de l’enfant. Les auteurs rapportent également que les parents auraient souvent l’impression de n’avoir personne à qui se confier et d’être évités par les membres de leur entourage après l’annonce du diagnostic de cancer de l’enfant (Hagedoorn, Kreicbergs et Appel, 2011).

Lors des traitements de l’enfant, les parents sont confrontés à plusieurs pertes, et ce, tout au long de l’évolution de la maladie. Champagne et Mongeau (2014), dans un texte sur les conditions de vie des familles ayant un enfant gravement malade, illustrent cette transition par les conséquences de la maladie sur l’organisation du quotidien des parents. Plusieurs mettraient leur carrière professionnelle sur pause afin de pouvoir assumer leurs rôles de parent et de soignant, en plus de coordonner les nombreux rendez-vous médicaux et d’y assister. Hynson (2012) abonde dans le même sens et évoque la perte de leur mode de vie, de leur entourage, de leur intimité et, dans plusieurs cas, de revenus. Selon l’auteur, les familles signaleraient d’ailleurs l’impact énorme de la maladie sur leur situation financière lorsque, en plus d’une perte de revenus, les dépenses sont augmentées par des déplacements entre les milieux de soins et par la médication. En effet, s’ils sont dispensés initialement dans un centre pédiatrique de soins tertiaires, les soins de l’enfant seront éventuellement appelés à changer au cours de la trajectoire et les familles devront faire face à plusieurs transitions entre les établissements. L’adaptation constante à de nouveaux visages, environnements et organisations s’ajouterait donc à la perte de confiance et de contrôle ressentie par les parents à cette étape de la maladie.

Annonce du pronostic et transition vers les soins palliatifs

L’annonce du pronostic est une étape marquante de la transition des soins curatifs vers les soins palliatifs. Hynson (2012) souligne que les parents auraient besoin de temps pour assimiler l’information qui leur est fournie, mais aussi d’un moment pour s’y ajuster. En outre, l’étude de Kars et collaborateurs (2011), portant sur l’expérience parentale dans la transition des soins oncologiques pédiatriques aux soins palliatifs, met en évidence les processus déployés par les parents lorsque les soins curatifs ne sont plus une option. Selon les entrevues menées auprès de 44 parents dont l’enfant est atteint de cancer, cette étape représenterait le début d’un long conflit interne pour les parents, opposant la préservation de la vie de l’enfant, malgré son inconfort, à la volonté de le laisser partir et de mettre un terme à sa souffrance. Alors qu’ils travaillaient de concert avec le personnel soignant dans l’espoir de maintenir l’enfant en vie tout au long de la phase curative, les parents seraient désormais confrontés à l’inévitabilité du décès de l’enfant (Kars et al., 2011).

La courte durée de cette période et la taille restreinte de la population concernée rendent, cependant, presque impossible la recherche à ce sujet. Néanmoins, le chapitre d’Hynson (2012) évoque certains enjeux connus par la famille de l’enfant malade à cette étape. Entre autres, l’auteur évoque le sentiment d’insécurité quant au transfert vers une maison de soins palliatifs ou au retour à domicile, lorsqu’il est possible, alors que la famille doit – une fois de plus – quitter l’équipe soignante avec laquelle elle a pu développer des liens tout au long des traitements. De surcroît, Hynson (2012) dégage une tendance accrue, chez les familles dont un enfant est atteint d’une maladie à issue potentiellement fatale et s’apprête à effectuer une transition vers les soins palliatifs, à déployer beaucoup d’énergie dans l’espoir de maintenir l’enfant dans une condition physique optimale afin d’éviter sa détérioration. À ce sujet, Kars et collaborateurs (2011) indiquent que l’ambivalence entre la préservation de la vie de l’enfant à tout prix et la volonté de mettre un terme à sa souffrance serait toujours bien présente chez les parents et jouerait même un rôle clé dans leurs prises de décisions.

Fin de vie

Devant l’inévitabilité du décès de l’enfant malade, les parents se trouvent plus que jamais dans une situation d’impuissance lors de la transition vers la fin de vie et la mort. L’étude de Kars et collaborateurs (2011) rapporte que certains parents auraient tendance à percevoir et à encourager toute manifestation de l’identité de l’enfant même si celui-ci peut à peine bouger, et ce, jusqu’à la fin de la vie. De cette façon, les parents auraient l’impression que les soins qu’ils prodiguent sont utiles. En outre, les auteurs indiquent que le deuil des parents de l’enfant malade s’amorcerait par étape, notamment à travers des prises de décisions. Par exemple, lorsque l’enfant ne s’alimente plus, les parents doivent prendre la décision d’inciter l’enfant à manger ou d’accepter qu’il s’agit là d’une étape de plus vers la fin de vie. Kars et collaborateurs (2011) mettent également en lumière les principes de préservation et de lâcher-prise, tous deux omniprésents lors de la fin de vie de l’enfant. Par la préservation, les parents tenteraient de protéger leur vie avec l’enfant par le biais d’interventions donnant l’impression de repousser son décès et en évitant toute action susceptible d’accélérer l’évolution de la maladie. Le lâcher-prise se manifesterait, quant à lui, dans la volonté des parents à faire passer le confort de l’enfant avant leur désir d’éviter le décès. Les résultats de l’étude laissent croire que la préservation et le lâcher-prise peuvent coexister chez les parents. Par exemple, ceux-ci pourraient accepter qu’aucune chimiothérapie ne soit administrée dans le but de prolonger la vie de l’enfant, mais poursuivre l’optimisation des conditions de vie de l’enfant avec la médecine alternative. La transition entre la préservation et le lâcher-prise ne serait pas linéaire selon les auteurs. La prépondérance de l’un ou de l’autre entraînerait des conséquences pour l’enfant et pour les parents dans la période de fin de vie (Kars et al., 2011). Enfin, le moment du décès de l’enfant pourrait constituer un soulagement pour certains parents. En effet, l’anticipation du décès serait une période particulièrement éprouvante pour la famille et la mort de l’enfant malade pourrait représenter la fin de ses souffrances. Toutefois, le deuil de l’enfant est également marqué par des pertes nombreuses pour les parents, notamment la perte de leur identité parentale, de leurs responsabilités de soignants et du contact avec les membres de l’équipe de soins (Hynson, 2012).

Les facteurs d’influence sur le vécu des parents qui accompagnent leur enfant atteint de cancer avancé

Les études recensées mettent en lumière trois principaux facteurs qui influenceraient le vécu des parents à travers la trajectoire de soin de leur enfant atteint de cancer avancé : 1) les sentiments mitigés qu’ils éprouveraient; 2) la qualité de la communication entre l’enfant, sa famille et l’équipe soignante; 3) la qualité du réseau de soutien et la pression des différents rôles sociaux assumés par les parents. Ces facteurs exerceraient aussi une influence considérable sur la façon dont les parents vivent leur deuil après le décès.

Des sentiments mitigés

Le vécu sentimental des parents d’un enfant atteint de cancer avancé est reconnu par plusieurs auteurs comme un facteur déterminant de leur expérience. Ces parents sont susceptibles de vivre des sentiments mitigés, voire parfois contradictoires, de façon simultanée ou à différents moments de l’évolution de l’état de santé de leur enfant.

L’espoir est parmi les sentiments les plus fréquemment identifiés par ces parents. C’est l’un des principaux constats de l’étude de Nafratilova, Allenidekania et Wanda (2018), laquelle explore l’expérience de 10 parents qui prennent ou ont pris soin de leur enfant atteint de cancer avancé. Les propos recueillis illustrent que, dans un pareil contexte, l’espoir devient une stratégie d’adaptation. Si, pour certaines familles, l’espoir se traduit par un espoir de guérison, il se concrétiserait pour d’autres dans le désir de voir leur enfant sourire, d’être heureux ou de ne pas souffrir dans ses derniers moments de vie (Nafratilova, Allenidekania et Wanda, 2018). La revue systématique de Kenny et collaborateurs, réalisée en 2020, qui porte sur les besoins des parents à travers l’ensemble de la trajectoire de soin de leur enfant, met aussi en évidence l’importance de l’espoir pour les parents, surtout dans les derniers jours de vie de leur enfant. Cet espoir se traduirait aussi, selon cette étude, par un souhait de guérison, de disposer d’un maximum de temps possible avant le décès et d’une mort sans souffrance pour leur enfant (Kenny et al., 2020). Selon les résultats de ces études, il serait essentiel que cette notion d’espoir en tant que stratégie d’adaptation soit comprise par le personnel médical plutôt que d’être perçue comme du déni, ce qui faciliterait la relation d’accompagnement avec ces familles (Kenny et al., 2020; Hendricks-Ferguson et Haase, 2019). Dans le même sens, pour les 12 parents endeuillés ayant participé à l’étude de Sedig et collaborateurs (2020) sur la caractérisation des soins de fin de vie pédiatriques, cette préservation d’espoir jusque dans les derniers moments de vie de l’enfant serait cruciale à l’expérience des parents pour leur permettre d’affronter cette étape douloureuse.

Un sentiment d’abandon est aussi fréquemment relevé dans les études portant sur le vécu des parents dont l’enfant atteint de cancer transite vers les soins palliatifs (Johnston et al., 2020; Kenny et al., 2020; Sedig et al., 2020). De fait, les parents ressentiraient un tel sentiment lors de la transition de leur enfant des soins curatifs vers les soins palliatifs de fin de vie, lors de la transition de l’hôpital vers la maison si c’est le choix privilégié pour le décès, et après le décès de l’enfant. Pour les parents, l’équipe de soins représenterait une deuxième famille, et leur présence, ainsi que l’hôpital, leur procurerait un sentiment de sécurité (Kenny et al., 2020). Les auteurs de cette recension estiment d’ailleurs que l’impact du sentiment d’abandon affecterait de façon importante le vécu des parents lors de la fin de vie de leur enfant ainsi que leur deuil. Kenny et collaborateurs (2020) avancent en outre que certains facteurs contribueraient à atténuer le sentiment d’abandon des parents, notamment le maintien d’une forme de contact avec l’hôpital lors d’un changement de lieu pour les soins ou après le décès de l’enfant. Les auteurs nomment cette préservation du lien le principe de nonabandonment. Ces contacts devraient être flexibles et prendre diverses formes afin de pouvoir être adaptés aux besoins spécifiques de chaque famille, de préférence avec une personne qui a bien connu l’enfant malade. Dans la même veine, Sedig et collaborateurs (2020) insistent sur le fait que la transition du curatif au palliatif est critique, et qu’il faut mettre en place des mécanismes afin d’assurer une continuité pour éviter ce sentiment d’abandon. Ils recommandent en ce sens d’intégrer l’équipe des soins palliatifs plus tôt dans la trajectoire de soin de l’enfant afin d’amoindrir ce sentiment d’abandon et de renforcer le lien avec l’équipe de soins palliatifs lors de la transition.

Deux autres sentiments sont régulièrement évoqués par les pères et par les mères d’un enfant atteint de cancer avancé, soit les sentiments de responsabilité et d’impuissance, tous deux intimement liés. D’une part, le sentiment de responsabilité est fortement associé à la pression ressentie lors des prises de décisions au sujet des soins de l’enfant. Kenny et collaborateurs (2020) notent que, lorsque l’enfant est mourant, les parents voudraient avoir le sentiment qu’ils ont tout fait pour sauver sa vie. Les parents assumeraient en ce sens un rôle de défense des intérêts de leur enfant, en vérifiant notamment que toutes les options de soins possibles ont été explorées pour leur enfant. Selon les auteurs de cette étude, dans les derniers moments de vie, les parents auraient besoin que les décisions relatives aux derniers soins soient placées entre leurs mains. D’autre part, l’impression d’être passifs nuirait à leur expérience et augmenterait leur sentiment d’impuissance, notamment lorsqu’ils voient leur enfant souffrir. Selon les conclusions d’une revue systématique de Montgomery, Sawin et Hendricks-Ferguson (2016), qui inclut 43 articles, le contrôle des symptômes pendant la fin de vie d’un enfant atteint de cancer avancé est un facteur important pour adoucir le vécu des parents lors de la fin de vie de l’enfant. Les auteurs mentionnent qu’il est primordial d’encourager les équipes à assister l’enfant et ses parents dans la recherche d’un confort et même, plus globalement, d’un sens. En vue de diminuer ce sentiment d’impuissance au moment où l’enfant est mourant, les parents exprimeraient le besoin d’être proactifs et impliqués dans des tâches pratiques, dont celles de donner des soins (Kenny et al., 2020). Ceci étant dit, les résultats de l’étude de Sedig et collaborateurs (2020) indiquent qu’il existe un sentiment de fardeau souvent ressenti par les parents en lien avec les responsabilités non désirées telles que donner de la médication, organiser des soins ou avoir le sentiment de responsabilité à l’égard de décisions vitales difficiles à assumer. Considérant ce qui précède, il apparaît que les responsabilités devraient être discutées et personnalisées selon les rôles que souhaitent assumer les parents lors de la fin de vie de leur enfant. Enfin, Pohlkamp, Kreicbergs et Sveen (2019) ont mené un sondage auprès de 133 mères et de 92 pères afin d’identifier les facteurs de la trajectoire de soin palliatifs pédiatriques susceptibles de contribuer à complexifier le deuil parental. Les résultats illustrent que les sentiments de responsabilité et d’impuissance se répercuteraient sur le processus d’adaptation à la perte que ces parents entament après le décès de leur enfant. Chez les pères, le deuil prolongé serait associé à la perception qu’ils n’ont pas eu suffisamment de responsabilités quant aux soins à donner à leur enfant durant le dernier mois de vie. Pour les mères, c’est plutôt l’impuissance liée au vécu de leur enfant en fin de vie qui produirait un impact sur le deuil. Cette impuissance serait liée à la perception que leur enfant a vécu de la douleur ou de l’anxiété durant ses derniers mois de vie (Pohlkamp, Kreicbergs et Sveen, 2019).

La qualité de la communication entre les acteurs

La communication influence de manière significative l’expérience des parents d’un enfant atteint de cancer avancé pendant la trajectoire de soin. La qualité de la communication fait d’ailleurs l’objet du thème le plus documenté de l’étude de Sedig et collaborateurs (2020). Dans celle-ci, la communication entre les parents et les soignants est décrite par les premiers comme étant souvent incomplète, mal vulgarisée, manquante ou contradictoire par les parents, ce qui les laisserait avec des questions et des incompréhensions après le décès de leur enfant. Si le prolongement du deuil chez les mères de l’étude est associé à leur perception de ne pas avoir reçu suffisamment d’information sur les soins à prodiguer à leur enfant, c’est plutôt le manque d’information sur la trajectoire de soin qui affecte le plus les pères (Pohlkamp, Kreicbergs et Sveen, 2019). Les parents interrogés dans l’étude de Sedig et collaborateurs (2020) insistent sur l’importance d’une communication de qualité avec le personnel médical. Pour les parents participant à l’étude, le personnel soignant devrait amorcer une communication claire et transparente qui expose les options de soins possibles selon une réelle représentation de la situation de l’enfant. Les parents de l’étude témoignent qu’ils auraient préféré pouvoir anticiper et préparer la fin de vie de leur enfant et l’aborder directement avec l’équipe soignante afin d’être mieux outillés pour cette étape. À ce propos, les conclusions de l’étude de Montgomery, Sawin et Hendricks-Ferguson (2016) suggèrent d’amorcer tôt dans la trajectoire de soin les discussions sur la fin de vie potentielle de l’enfant pour comprendre quelles composantes seraient à prioriser pour les parents et l’enfant pendant cette période de vie. Des communications précoces sur la fin de vie pourraient également faciliter des prises de décisions lors de l’annonce du pronostic et pendant l’évolution de la maladie. En outre, une communication ouverte, l’accès au personnel soignant chargé de l’enfant malade et la recherche d’une compréhension des perspectives des parents et de l’enfant lors de la mise en oeuvre des interventions visant à contrôler les symptômes seraient des facteurs qui peuvent influencer positivement l’expérience des parents.

La communication entre les parents et les enfants affectent également de manière considérable le vécu des parents lors de la transition de soins curatifs vers les soins palliatifs. Évidemment, la qualité de la communication entre les membres de la famille peut être affectée lorsqu’un système familial traverse un tel contexte. Les résultats de deux études recensées mettent en lumière que les parents souhaitent avoir une communication authentique avec leur enfant malade, particulièrement les adolescents, afin qu’ils participent aux décisions qui les concernent s’ils en ont la capacité (Blazin et al., 2018; Weaver et al., 2016). La description des procédures ainsi que la discussion des options, des risques et des bénéfices avec les enfants plus vieux sont identifiées comme un élément communicationnel aidant pour les parents, qui peuvent ainsi partager le fardeau des décisions avec l’enfant concerné (Sedig et al., 2020). Cependant, certains parents éviteraient de parler de la maladie, ou omettraient de transmettre des informations médicales aux enfants malades et aux autres enfants de la famille, dans le but de les protéger (Olivier-d’Avignon, 2013). Enfin, en ce qui a trait à la communication, il importe de considérer la variable culturelle qui influencerait la communication entre les acteurs concernés. En Inde, par exemple, les parents seraient réticents à parler de la mort avec leur enfant atteint de cancer avancé pour l’épargner, alors qu’une étude menée en Indonésie illustre plutôt la volonté des parents de parler de la mort avec leur enfant pour apaiser leur peur par rapport à celle-ci (Nafratilova, Allenidekania et Wanda, 2018).

Les changements de rôles et la qualité du soutien social

La majorité des études recensées font mention des rôles imposés aux parents par la condition de santé de leur enfant, dont celui de soignant, qui s’ajoutent aux rôles déjà présents dans leur vie et qui peuvent, pour certains, être sous-investis durant cette période (Champagne et Mongeau, 2014; Hynson, 2012). Les résultats issus de l’étude de Sedig et collaborateurs (2020) soulignent que certains parents d’un enfant atteint d’un cancer avancé auraient le sentiment d’assumer des rôles non souhaités lorsque leur enfant est en fin de vie. Cela serait notamment le cas lors de désaccords avec l’équipe de soins ou d’autres membres de la famille en ce qui a trait aux décisions de soins pour l’enfant. Pour veiller à la qualité de vie de leur enfant, les parents occuperaient alors un rôle de défenseurs des intérêts de leur enfant, qui se traduirait par des recherches pour obtenir de l’information additionnelle, pour obtenir une seconde opinion professionnelle ou pour défendre des points de vue divergents de ceux de l’équipe. Ceci contribuerait à la réappropriation de leur pouvoir d’agir, mais affecterait leur relation avec l’équipe soignante, ce qu’ils trouveraient difficile. Par ailleurs, les parents exprimeraient leur besoin de renouer avec leur rôle de parent « habituel », particulièrement lors de la fin de vie de l’enfant. En ce sens, l’étude de Kenny et collaborateurs (2020) met en lumière que la majorité des parents voudrait simplement saisir des moments de bonheur à travers ce contexte difficile et créer des souvenirs joyeux avec leur enfant mourant, lesquels deviendraient significatifs après le décès. Ce besoin serait aussi lié au désir que leur enfant puisse jouir d’une vie normale.

En lien avec la redéfinition de leurs rôles sociaux, le soutien social s’avère d’une importance capitale dans l’expérience des parents d’enfants atteints de cancer avancé. Les travaux de Kenny et collaborateurs (2020) et de Sedig et collaborateurs (2020) présentent des résultats similaires quant au soutien social nécessaire et souhaité par les parents. D’une part, ils auraient besoin de soutien émotionnel, qui se traduirait surtout par une recherche d’écoute active. D’autre part, un soutien pratique pour amoindrir l’impact de la situation sur la vie quotidienne serait aussi un besoin fréquemment exprimé, que ce soit pour de l’aide financière, domestique (par ex. gardiennage de la fratrie, préparation des repas, aide au ménage et à l’entretien) ou logistique (par ex. transport, accompagnement pour des rendez-vous) (Kenny et al., 2020). Parmi les facteurs qui influenceraient négativement le vécu de ces parents, le manque de services quant au soutien social est identifié (Sedig et al., 2020); le besoin de disposer d’un lieu d’expression, comme un groupe pour parents endeuillés, serait manifeste. Un tel groupe serait à la fois perçu comme un élément qui comble un besoin émotionnel et une façon de témoigner des legs de leur enfant (Kenny et al., 2020). Les résultats d’un article de Snaman et collaborateurs (2020) montrent que le soutien social se trouve parmi les facteurs de protection les plus importants à considérer pour faciliter le deuil des parents dont l’enfant est décédé d’un cancer. Le soutien offert par les membres de la famille, l’entourage et l’équipe de soins ainsi que la proximité géographique de la famille étendue et des amis proches s’ajouteraient à la nécessité d’améliorer l’accès aux services individuels et de groupes destinés à cette population.

Discussion

Cette revue de la littérature visait à décrire le vécu des parents à travers la trajectoire de soin d’un enfant atteint de cancer avancé. Les résultats issus de la recension permettent d’énoncer quelques recommandations susceptibles de contribuer favorablement au mieux-être des parents confrontés à accompagner leur enfant atteint de cancer avancé vers la fin de vie. D’abord, l’amélioration de la communication initiée par le personnel soignant constitue un facteur clé. Il est par ailleurs intéressant de constater la similitude entre, d’une part, les besoins sur le plan communicationnel des adultes atteints de cancer avancé et ceux de leurs proches lors de la transition des soins curatifs vers les soins palliatifs et, d’autre part, ceux des enfants malades et leurs parents. Ainsi, tout comme pour les professionnels qui interviennent auprès des adultes, il est crucial de bonifier l’offre de formation sur la communication visant à planifier les soins en prévision de la fin de vie, et ce, tant à la formation initiale que continue. De telles formations devraient inclure des volets visant à soutenir les intervenants en oncologie et en soins palliatifs pédiatriques, ainsi que des outils pour favoriser leur aisance à ouvrir le dialogue visant à introduire, de manière personnalisée à chaque famille, les soins palliatifs et la planification préalable des soins de fin de vie avec les parents d’enfants atteints de cancer avancé.

La recension effectuée met aussi en lumière la difficulté de documenter le vécu psychosocial des parents lors de la transition vers les soins palliatifs pédiatriques de leur enfant malade. Cette difficulté s’explique, notamment, par la rapidité de cette transition et sa complexité, considérant la concomitance entre la nature des différents traitements offerts jusqu’à tard dans la trajectoire de soin de l’enfant atteint de cancer avancé. Or les études recensées mettent aussi en évidence la détresse émotionnelle vécue par les parents, qui est accentuée par de multiples facteurs, ainsi que de nombreuses pertes, notamment un sentiment de perte de pouvoir, ainsi que des pertes au niveau du soutien social et de revenus. Le niveau de détresse et la perte de repères qui est associée à cette transition montrent l’importance de mettre en place des interventions pour soutenir davantage les parents dans ces moments difficiles. Ce constat rejoint d’ailleurs les recommandations de la récente revue systématique de Kochen et collaborateurs, publiée en 2020, sur les interventions à privilégier pour accompagner les parents lors de la fin de vie et après le décès d’un enfant. Les auteurs identifient cinq interventions à privilégier qui rejoignent les éléments soulevés dans la recension, soit : 1) miser sur la reconnaissance de la parentalité et honorer la vie de l’enfant; 2) créer des souvenirs avec et par le personnel soignant; 3) assurer une continuité de suivi pendant les soins de fin de vie et après le décès de l’enfant; 4) redonner du pouvoir aux parents par l’éducation et l’information (développer des outils tels que des dépliants, ateliers, séminaires et des groupes de soutien); 5) organiser des activités de commémoration. Les auteurs de la revue systématique notent l’importance, pour de telles interventions, de se concentrer sur la nature continue du deuil parental et donc d’amorcer de telles interventions avant le décès de l’enfant.

La présente revue de littérature comporte certaines limites qu’il importe de souligner. D’abord, la revue réalisée est une recension avec synthèse narrative, ce qui ne permet pas d’établir un portrait complet des écrits au sujet du vécu des familles dont un enfant atteint de cancer transite vers les soins palliatifs. Ce type de recension présente un niveau de preuve modéré puisque les critères de sélection des articles retenus ne sont pas précisés et la pertinence des études choisies est rarement discutée. Ceci étant dit, la recension avec synthèse narrative est tout indiquée afin de mettre en commun divers articles et documents ayant trait à un sujet afin d’offrir une vision d’ensemble au lectorat (Cronin, Ryan et Coughlan, 2008). C’était donc un bon choix considérant le caractère émergent de la thématique et la rareté des études sur celle-ci. Une deuxième limite de cette recension concerne le nombre restreint d’articles traitant spécifiquement de la transition entre les soins pédiatriques curatifs et palliatifs. En effet, la majorité des écrits recensés abordaient la trajectoire de soin dans son ensemble ou évoquaient exclusivement la phase palliative de la maladie. En somme, seulement quatre des écrits retenus pour cette revue se penchaient spécifiquement sur la transition entre les soins pédiatriques curatifs et palliatifs. De plus, la courte durée d’une trajectoire de soin pédiatrique palliative limitant la possibilité de collecte de données, la majorité des études ont été menées auprès de parents endeuillés. Seulement trois des études retenues abordaient la perspective des parents durant la trajectoire de soin. Dans le même ordre d’idées, la courte durée de la trajectoire de soin, couplée à la sensibilité du sujet à l’étude, peut nuire au recrutement et, conséquemment, restreindre la taille des échantillons. En ce sens, la taille limitée des échantillons est un obstacle à la généralisation des résultats de cette revue de littérature. Enfin, plusieurs études recensées ont été menées à l’extérieur du Québec et du Canada. Il est donc possible que les résultats concernant les enjeux entourant le processus de transition vers les soins palliatifs ne s’appliquent pas parfaitement à la réalité des familles québécoises dont l’enfant est atteint de cancer avancé, considérant les particularités de chaque système de santé. Cette limite soulève par ailleurs la pertinence de mener une étude québécoise sur l’expérience de transition des enfants atteints de cancer et celle de leur famille afin de pouvoir mieux documenter leur réalité, leurs besoins, et d’ajuster les interventions et les services en conséquence.

Pour conclure, cette revue de littérature a décrit la transition des parents dont l’enfant est atteint de cancer avancé à travers l’ensemble de la trajectoire de soin, et plus spécifiquement lors de la transition de l’enfant vers les soins palliatifs. Alors que la majorité de ces parents s’identifie peu comme des proches aidants et avant tout comme des parents, il n’en demeure pas moins que leur expérience d’accompagnement engendre de nombreux bouleversements dans l’organisation de leur vie personnelle et sociale à travers l’ensemble de la trajectoire de leur enfant. Ils doivent également assumer de nouveaux rôles sociaux qui leur sont imposés, bien que leur volonté de retrouver leur rôle de parent « habituel » auprès de leur enfant soit particulièrement criante en fin de vie. Par ailleurs, la présente recension constituait une étape préliminaire à un projet de recherche en cours, dont la prochaine étape consiste à recueillir le point de vue des professionnels de la santé en oncologie et en soins palliatifs pédiatriques afin de documenter les pratiques, les besoins et la réalité des intervenants et des familles dont un enfant est atteint de cancer avancé au Québec. Cette évaluation des besoins est également prévue auprès des parents endeuillés. Ultimement, ce travail en collaboration avec les personnes impliquées est susceptible de favoriser le développement de formations adaptées aux besoins des intervenants en oncologie pédiatrique, ainsi que des services répondant aux besoins des enfants malades et de leur famille.