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L’ouvrage Hockey PQ : Canada’s Game in Quebec’s Popular Culture que nous offre la « québéciste » Amy J. Ransom nous met en face des innombrables perceptions de soi et de l’Autre qu’entretiennent les nations canadienne et québécoise lorsqu’il est question de glace, de patins, de bâtons et de rondelles. C’est ainsi que Hockey PQ expose de multiples jeux de miroirs. Comment les Québécois se voient-ils eux-mêmes par le truchement de références culturelles reliées au hockey (films, chansons, etc.) ? Puis, par les mêmes canaux, de quelle manière le hockey forge-t-il leur opinion du Rest of Canada (ROC) ? De leur côté, quel regard les Canadiens anglais posent-ils sur ces mêmes Québécois à travers tout ce que le hockey peut leur permettre comme rapprochements avec l’autre solitude ?

Si le hockey « unit » le Canada à bien des égards (Hockey Night in Canada/Le Hockey du samedi soir, la Série du siècle de 1972, les Jeux olympiques, etc.), il ne permet pas moins d’en souligner des différences et des tensions identitaires importantes. Tout au long de l’ouvrage, Ransom étudiera principalement comment les discours (à forte teneur en testostérone) qui entourent le hockey nous rappellent constamment « qui nous sommes » et « qui nous ne sommes pas », et ce, autant du côté de l’identité nationale et collective que du côté de l’identité de genre.

À titre d’exemple de ce qui attend le lecteur, Ransom commence son analyse dès l’introduction en disséquant la comédie à succès Bon Cop, Bad Cop, où on appuie plutôt fort sur les stéréotypes. C’est ainsi que Ransom relève d’emblée le message fédéraliste du film et les réponses identitaires – à la fois nationales et masculines – qu’il donne, en mettant en vedette Patrick Huard, en policier québécois rebelle, immature, bon vivant et sexy dans sa virilité, et Colm Feore, dans le rôle du policier anglais by the book, sérieux, classy, urbain et quelque peu émasculé. Les deux doivent bien sûr faire la paire, bien contre leur gré, pour sauver le hockey, le sport national canadien

Révisant à peu près tout ce qui s’est dit de pertinent académiquement, sociologiquement et culturellement sur le hockey au Québec et au Canada dans son ouvrage, Ransom rejoint l’avis de plusieurs commentateurs selon lequel « pour le meilleur ou pour le pire, le hockey représente un, sinon le, trait culturel dominant de qui est “canadien” » (p. 6). Mais elle soulève du même coup que, la plupart du temps, lorsque ces discours et ces textes parlent du Canada, ils parlent en fait du Canada anglais. Implicitement, le Québec – le fait français – en est presque toujours séparé, avant la lettre. Ransom explique ce biais anglo-canadien par l’ignorance de ce que disent les Québécois sur le même sujet. C’est en partie pourquoi, par son ouvrage en anglais, elle vise à rejoindre les deux solitudes en faisant mieux connaître aux anglophones du ROC comment les Québécois, individuellement et collectivement, se perçoivent à travers leur rapport au hockey.

Le coeur de l’ouvrage est donc divisé en cinq chapitres, où Ransom entreprend une impressionnante étude culturelle québécoise du hockey, dont le style – images en moins – rappelle un peu celui utilisé par Benoît Melançon dans son très beau livre Les yeux de Maurice Richard (Fides, 2006).

Inspirée par la théorie de l’historien français Pierre Nora, Ransom traitera ainsi au chapitre premier des Canadiens de Montréal comme lieu de mémoire national au Québec. « Nos Glorieux », avec en avant-plan le « mythique » Maurice « Rocket » Richard, sont ainsi dépeints comme « lieux où persiste un sens de continuité historique » (p. 25). Le film de Charles Binamé, Maurice Richard, fera alors l’objet d’une analyse plus serrée. Aujourd’hui associé à un genre de Christ rédempteur sécularisé des Québécois – ce qui n’est pas faux –, le « Rocket », de « sang, de sueur et de larmes » (p. 28), de Binamé est bien sûr aussi dépeint comme héros national et modèle masculin québécois par excellence : fier Canadien français, homme de peu de mots, bon père de famille, habile de ses mains et sur patins, prêt à se battre s’il faut, résolu et confiant en général. Voilà pour l’Incontournable.

Au chapitre deux, Ransom se penche sur la littérature populaire québécoise, particulièrement sur celle de la période mélancolique de l’après-référendum de 1980, qui se servira d’un mélange inusité, et peu vu à l’extérieur du Québec, de hockey et de science comme « outils de critique sociale » pour réfléchir sur les questions entourant le nationalisme, la nation perdue ou le deuil de la patrie. Les oeuvres Ville-Dieu de François Barcel, Les Nordiques sont disparus de Gilles Tremblay et Le fantôme du Forum de Jean-Pierre April sont peut-être les meilleurs exemples de ces oeuvres qui se servent souvent d’un futur hypothétique et fantaisiste pour en dire plus sur la société « ici et maintenant ».

Au chapitre trois, Ransom nous offre une image d’un Québec « winner », viril, plus individualiste, mais aussi d’un Québec qui évolue très peu socialement parlant, par l’intermédiaire de la populaire série Lance et compte, qui s’échelonne maintenant sur quatre décennies. « Plus ça change, plus c’est la même chose » (p. 111), retient-elle en substance de l’image du Québec et des Québécois que nous renvoient Pierre Lambert et compagnie depuis les années 1980.

Ransom récidive au chapitre quatre avec une analyse du film et de la série Les Boys. Si cette comédie populiste nous montre une ouverture au changement social – principalement par rapport aux femmes dans l’arène du hockey (Les Boys III) et à l’homosexualité par le personnage de Jean-Charles –, celle-ci se fait toujours sur un fond très dominant de mâles blancs francophones hétérosexuels, plutôt immatures, dont la caractéristique principale ne serait toutefois pas la virilité hégémonique – malgré tout présente –, mais la ruse et la proverbiale « dureté du mental » ! Au dire de Ransom, c’est l’histoire d’un groupe composé d’individus quelque peu disparates sur le plan du genre, mélangeant sans complexe ni retenue le français et l’anglais, et pour qui la nation tourne davantage autour du hockey que de la recherche d’un véritable pays. Tantôt fédéralistes, tantôt nationalistes, tantôt apolitiques (Fern !), mais demeurant néanmoins unis et « gagnants », les Boys sont fiers de ce qu’ils sont.

Au chapitre cinq, l’auteure quitte le monde du cinéma et de la télévision pour s’arrêter à celui de la musique populaire. Distribuant la rondelle entre Loco Locass, Dédé, Éric Lapointe, Bob Bissonnette et en passant par Mes Aïeux et les Dale Hawerchuk, Ransom voit dans l’omniprésence de la musique populaire à la fois un lieu de « construction identitaire » et une façon de « vivre l’identité que l’on souhaite projeter » (p. 187). Cela est d’autant plus important au Québec, puisque écouter de la musique en français dans ce coin de l’Amérique du Nord est en fait un « choix » identitaire « significatif ». À noter que le thème de la masculinité hégémonique est surtout rattaché à « l’oeuvre » du subtil Bob Bissonnette à l’intérieur de ce chapitre…

Ce que retient Ransom au terme de son impressionnante étude du hockey dans la culture populaire québécoise, c’est que ce sport y joue le même rôle « miroir », opère la même fonction identitaire qu’au Canada, à la différence qu’il s’agit pour les Québécois d’abord et avant tout du miroir d’une « identité nord-américaine francophone ». En ce qui concerne l’identité masculine, disons que, pour le Québécois, le hockey donne souvent lieu à une image caricaturale, passant du macho fini, au rebelle, au petit Québécois rusé bien assumé, qui se souvient un peu (parfois beaucoup mais certainement pas tout le temps) d’où il vient et de qui il est politiquement.

Pour terminer, sans rien enlever à la grande qualité de l’ouvrage de Ransom, il faut tout de même exprimer un petit bémol, un agacement, au sortir de cette lecture : si, comme semble le reconnaître l’auteure, le Canada et le Québec sont deux nations qui se partagent un même sport national, pourquoi insister jusqu’à la dernière phrase sur l’appellation « Canada’s game » (p. 192) lorsqu’il est question du hockey ? On peut se demander si Ransom n’a pas elle-même été un peu victime du biais culturel qu’elle tentait pourtant d’éviter.