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L’arrivée du nouveau millénaire a eu comme effet de placer brièvement l’histoire à l’avant-plan de l’actualité, et les musées ont abondamment participé à l’entreprise commémorative qu’elle a générée. Au Musée des civilisations, l’exposition Sous le signe de la croix. L’expression créative du christianisme au Canada en a été la principale manifestation. L’ouvrage qui l’accompagnait, Revelations, souligne à sa manière le nouveau millénaire en regroupant des travaux, issus du Musée canadien de la poste, du Musée canadien de la guerre et du Musée canadien des civilisations, qui témoignent de diverses manifestations du religieux au Canada et ailleurs.

Au départ, l’ouvrage a le mérite de présenter des perspectives et des approches méthodologies diversifiées. Plusieurs articles procèdent de recherches fondamentales, qui demeurent la base de tout projet muséal. C’est le cas de l’étude approfondie et rondement menée de Ian Dyck, qui retrace les origines de la création d’une Division d’anthropologie au sein de la Commission géologique du Canada en 1910. Pour l’auteur, cette nouveauté s’explique par la convergence d’un ensemble de facteurs : l’intérêt accru du grand public pour les sciences naturelles ; la montée d’un nationalisme canadien et la construction d’une histoire nationale qui inclut les premiers occupants ; la nécessité de détenir suffisamment d’information sur les cultures et les langues des Premières Nations pour assurer leur conversion ; les questionnements scientifiques et théologiques sur la place des Amérindiens au sein de la Création ; l’émergence d’un mouvement de retour à la nature à la fin du xixe siècle et la redécouverte de l’Amérindien en tant que modèle d’harmonie avec son milieu.

On remarquera aussi les contributions de Stephen Inglis sur les artisans Velar, qui produisent poteries et images selon les calendriers agraires et religieux de cette population de l’Inde, et de Jean-Pierre Chrestien, qui reconstruit minutieusement, grâce au journal de bord de Jean Marin Le Roy, second officier à bord du navire français Saint-André, un voyage de pêche dans les grands bancs de morue de Terre-Neuve en 1754. John Willis, du Musée canadien de la poste, aborde, pour sa part, le rôle essentiel du système postal canadien dans la conduite des affaires religieuses de l’évêché de Montréal par Mgr Lartigue mais aussi cette pratique toujours étonnante de Dupuis et frères de produire un catalogue de commandes postales destiné spécifiquement au clergé catholique. En présentant un casier postal utilisé à la Trappe d’Oka à la fin du xixe siècle, Willis rend aussi compte d’un des aspects les plus stimulants de la profession d’historien de la culture matérielle : le défi offert par l’objet mal documenté dont on doit reconstruire l’utilisation.

D’autres articles procèdent directement de l’étude de collections. C’est le cas de la réflexion que propose Laura Brandon au sujet de la collection canadienne des mémoriaux de la guerre. L’auteure y avance qu’au sortir de la Première Guerre mondiale, le Canada donne un sens aux pertes encourues en se les représentant, dans les tableaux de ce musée national qui ne sera jamais construit, à travers les symboles religieux du sacrifice et de la résurrection. Peter Rider et Emily Davis se livrent, pour leur part, à une analyse des objets chrétiens conservés au Musée de la civilisation. Tout en s’attardant sur des pièces particulièrement dignes de mention, ils en concluent que la collection, en regroupant surtout des témoins matériels de l’Église catholique, est peu représentative des fidèles, qu’elle est loin d’être exhaustive et que son élément protestant devra être augmenté. À ces études s’ajoute un court texte dans lequel Robert Klymasz se contente de décrire le contenu religieux des affiches de guerre russes de la première moitié du xxe siècle conservées au Musée canadien de la guerre.

L’ouvrage ne néglige pas non plus une des principales traditions scientifiques du Musée de la civilisation : l’enquête ethnographique. On y retrouve avec plaisir un texte de Paul Carpentier qui propose une synthèse de ses recherches sur un symbole religieux qui a longtemps dominé le paysage québécois : la croix de chemin, « signe de prise de possession, monument commémoratif, prémices votives ou ex-voto, et talisman » (p. 69). L’enquête de Mauro Peressini permet, quant à elle, de comprendre la place primordiale qu’occupent le religieux et le magique dans la vie d’immigrants italiens à travers quatre grands thèmes : la mort, la guerre, l’émigration et la malavita.

Dans un tout autre ordre d’idées, Morgan Baillargeon et Allan Pard abordent de manière fort convaincante une réalité désormais incontournable dans les musées : la gestion des objets sacrés amérindiens collectionnés par le passé et au sujet desquels des institutions comme le Musée canadien des civilisations ont été sensibilisées au fil de leurs discussions avec des représentants des Premières Nations.

On retrouve enfin dans Revelations une bibliographie, colligée par Christel Aurieres et Geneviève Eustache, des ouvrages écrits, des enregistrements sonores et des photographies portant sur la religion et les croyances conservés aux Archives du Musée canadien des civilisations.

Malgré son contenu nécessairement éclaté, qui s’éloigne parfois un peu de l’univers religieux, Revelations trace, grâce à la contribution de chercheurs reconnus dans leurs domaines respectifs, un portrait très juste de la diversité et du professionnalisme des approches et des intérêts de la recherche dans les musées. Plus spécifiquement, l’ouvrage propose un état de la recherche au sein d’une corporation qui regroupe des institutions prestigieuses et qui exerce une forte influence sur le paysage muséal canadien. En définitive, le fait que ces études aient toutes été produites dans un contexte muséal inquiète et réconforte à la fois. La seule existence de ce livre rappelle en effet que, sauf exceptions, seules les grandes institutions riches en personnel et en ressources financières peuvent encore se permettre de faire des recherches de cette envergure alors que, depuis plus d’une décennie, les petits et moyens musées ploient sous le poids du quotidien et se retrouvent trop souvent à n’être que les diffuseurs de connaissances produites ailleurs. Pour ceux qui, parmi les professionnels de la muséologie, déplorent que la recherche soit repoussée toujours plus bas dans les priorités des musées à travers le pays, un ouvrage comme Revelations confirme cependant qu’elle est encore possible en milieu muséal.