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S’il est fréquent pour les chefs des partis politiques au Québec d’être l’objet du regard inquisiteur de biographes, rares sont cependant les ministres qui ont eu droit à une telle attention. Avec la biographie que lui consacre Jean-Claude Picard, ancien journaliste et aujourd’hui professeur au département des communications de l’Université Laval, Camille Laurin fait désormais partie de cette courte liste.

Divisé en 25 chapitres, l’ouvrage de Jean-Claude Picard couvre la vie de Camille Laurin de sa naissance, en 1922, à son décès survenu en mars 1999 en passant par ses deux carrières professionnelles : la psychiatrie et la politique. Et, pour mener à bien son entreprise, comme tout bon journaliste, l’auteur a mené plusieurs entrevues avec ses principaux collaborateurs en plus de consulter ses archives personnelles.

Les origines et le parcours de Camille Laurin, avant les débuts de sa carrière professionnelle, ressemblent à plusieurs égards au parcours d’autres membres de l’élite québécoise de la première moitié du XXe siècle. Quatrième enfant d’une famille qui en comptera treize au total, Laurin a grandi au sein d’une famille modeste à Charlemagne, petit village situé sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent à une trentaine de kilomètres à l’est de Montréal. Et, comme plusieurs autres Québécois de cette génération, tout au long de ses années de jeunesse, il sera marqué par la prédominance de l’anglais et les humiliations que subissent les francophones pourtant majoritaires.

Mais ce ne sont pas là les seules caractéristiques qui rapprochent Camille Laurin des autres membres de l’élite francophone québécoise de cette époque. Tout comme plusieurs autres, il aura la chance de poursuivre des études avancées. Bénéficiant du support financier d’un de ses oncles, il aura la chance de faire ses études classiques au Collège de l’Assomption. Il se dirigera ensuite en médecine à l’Université de Montréal, après quoi, il décidera de parfaire sa formation en psychiatrie à Boston et en psychanalyse à Paris. Après de longues et brillantes études, Camille Laurin entreprend en 1957, à l’âge de 35 ans, sa carrière en psychiatrie. Fraîchement diplômé, il revient au Québec avec une conception de la psychiatrie à la fine pointe des connaissances, alors qu’à ce moment, le traitement de la maladie mentale ressemble davantage à une gare où l’on entasse les patients. Quant à la philosophie du traitement qui prévaut, on « considère que la maladie mentale est une punition de Dieu » (p. 138). Au début des années 1960, Camille Laurin va dénoncer cette « conception archaïque et dépassée de l’assistance » et va entreprendre de réformer la psychiatrie au Québec. C’est notamment par « son ascendant sur ses collègues » aussi bien que par « ses interventions publiques auprès des autorités » qu’il va réussir à transformer la philosophie, les pratiques et les soins apportés aux malades atteints de problèmes psychiatriques. C’est aussi en raison du pouvoir considérable qu’il détient au sein de sa profession à cette époque. Responsable de l’enseignement de la psychiatrie à l’Université de Montréal et directeur scientifique de l’Institut Albert-Prévost, le docteur Laurin est un incon-tournable au sein de sa discipline, ce qui lui permettra de tirer plusieurs ficelles en même temps !

À la fin des années 1960, Laurin, ayant laissé sa marque dans son domaine et se voyant délester d’une partie de ses titres et de son pouvoir, décide d’entreprendre une nouvelle carrière où ses talents de psychiatre seront également mis à profit. Il décide de faire le saut en politique.

Camille Laurin assiste à la fondation du Parti québécois à l’automne 1968. À partir de ce moment, il sera littéralement happé par la politique. À l’occasion des élections du 29 avril 1970, il est élu député dans la circonscription de Bourget dans l’est de Montréal. Il devient alors le leader parlementaire du petit contingent des premiers élus de ce nouveau parti. Trois ans plus tard, il subit la défaite. Ce ne sera toutefois que partie remise. Il prendra sa revanche lors des élections du 15 novembre 1976 et verra le Parti québécois former le prochain gouvernement.

Nommé ministre d’État au Développement culturel dans le cabinet de René Lévesque, Camille Laurin allait alors entreprendre « le plus grand combat de sa vie » : redonner à la langue française la place qui lui sied au sein de la société québécoise. « Je voulais faire une loi qui répare, qui redresse et qui redonne confiance, fierté et estime de soi à un peuple qui tenait à sa langue mais qui était devenu résigné et passif. » (p. 247) « Le but ultime de la Charte de la langue française, c’était que de plus en plus de francophones prennent le pouvoir dans les entreprises, qu’ils en deviennent les cadres et les dirigeants et que l’économie québécoise soit enfin contrôlée par eux » (p. 248), confiera-t-il à son biographe quelques semaines avant son décès. Jean-Claude Picard le considère d’ailleurs comme « le véritable précurseur de ce qu’on appellera bien plus tard le Québec inc. » (p. 248).

Bien que la loi 101 n’ait pas été le fruit d’un seul homme ni d’une génération spontanée, et que Camille Laurin ait publié un livre blanc sur « La politique québécoise de développement culturel » et qu’il ait occupé les fonctions de ministre de l’Éducation de 1980 à 1984, il n’en demeure pas moins que l’Histoire reconnaîtra celui-ci comme le père de la Charte de la langue française. Sans doute une des lois les plus importantes adoptées au Québec au cours du xxe siècle.

Après avoir quitté René Lévesque lorsque ce dernier a accepté « le beau risque » que représentaient les conservateurs de Brian Mulroney afin de donner une ixième chance au régime fédéral canadien, et après avoir remis sa démission comme député de Bourget au début de l’année 1985, Laurin retourne à la pratique de la psychiatrie. En 1994, il fait un retour en politique avec Jacques Parizeau. Ses meilleures années sont cependant derrière lui.

Si, sur le plan professionnel, Camille Laurin a connu une carrière remarquable, on ne peut en dire autant de sa vie personnelle. Picard révèle plusieurs aspects peu connus de la vie privée de Laurin qui démontrent les difficultés qu’il y a à concilier vie publique et vie privée.

En lisant ce livre, on a l’impression, à l’image de la vie du principal intéressé, de faire « un sacré beau voyage ». Voyage d’autant plus agréable qu’il se fait en se laissant bercer par une écriture au style vif et alerte. Mais, comme tout voyage comporte son lot de petits désagréments, l’ouvrage de Jean-Claude Picard en offre aussi quelques-uns.

Par exemple, les spécialistes de la politique québécoise apprendront peu de choses nouvelles sur la carrière de Camille Laurin. Les textes publiés en annexe ont déjà tous fait l’objet de publications. Plusieurs aspects de sa vie avaient déjà été racontés, à l’exception de sa vie personnelle. Laurin avait déjà raconté les dessous entourant l’adoption de la loi 101 lors du colloque portant sur René Lévesque qui s’est tenu à l’Université du Québec à Montréal en 1991. De plus, de nombreux acteurs et analystes ont également écrit sur cette époque. Toutes ces références ne se retrouvent malheureusement pas dans la courte liste des ouvrages mentionnés dans la bibliographie. L’auteur, ayant privilégié les entrevues, n’a, somme toute, pas cru bon de retourner aux livres. Cela aurait pourtant apporté une dimension importante à son ouvrage.

Ce ne sont là, par contre, que des inconvénients de voyageurs avertis. Car, peu importe qu’on soit un spécialiste ou non, l’ouvrage de Jean-Claude Picard se retrouvera dans toutes les bonnes bibliothèques de ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire contemporaine du Québec.