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Les pêches des Amérindiens de l’est du Québec sont en développement depuis une quinzaine d’années et demeurent donc relativement peu étudiées. Les revendications amérindiennes au Canada et au Québec concernant les terres et la pratique de la chasse le sont plus. Ainsi, cet ouvrage collectif, dirigé par Paul Charest, Camil Girard et Thierry Rodon, apporte une véritable contribution à la connaissance des Amérindiens du Québec. De plus, par leur démarche de recherche, les auteurs apportent des éclairages sur des enjeux politiques et socio-économiques plus globaux.

Cette étude retrace le développement des pêches amérindiennes au Québec depuis l’arrêt Sparrow de 1990, reconnaissant la pêche alimentaire, et l’arrêt Marshall de 1999, la pêche commerciale, comme droits ancestraux des Autochtones. L’ouvrage est divisé en deux parties. Sept chapitres sont consacrés à la pêche traditionnelle ou alimentaire et cinq à la pratique commerciale et industrielle. L’étude couvre la majorité des communautés Innues, Malécites et Micmaques du nord-est et du sud du golfe du Saint-Laurent. Un intérêt prononcé est dirigé vers les Innus qui sont les plus nombreux et dont les négociations territoriales et politiques avec le gouvernement québécois sont en cours.

Né d’un projet mené par les anthropologues de l’Université Laval, l’ouvrage se veut pluridisciplinaire intégrant des perspectives sociologiques et historiennes. L’étude vise un public vaste et les auteurs indiquent clairement leur intention de combattre certains préjugés négatifs au sujet des Amérindiens et de leur rapport au travail (p. 3 et 4). Ainsi sont visés les spécialistes des études autochtones mais aussi les Autochtones eux-mêmes et les décideurs politiques. Néanmoins, tant le sujet que le ton, assez techniques, auront du mal à attirer le public en dehors des sphères universitaires.

La principale question de recherche porte sur l’accès et la gestion des ressources halieutiques et sur le développement économique qu’elles génèrent. Cependant, le propos se veut plus profond car il démontre les impacts positifs du développement des pêcheries autochtones sur les plans culturels et sociaux.

Les méthodes employées sont communes au collectif d’auteurs, à savoir études de cas comparés et recherche documentaire classique – généralement à travers des sources de seconde main et des sources ministérielles récentes. Par ailleurs, les chercheurs ont appliqué l’observation participante propre à l’anthropologie et la conduite d’entrevues ciblée parmi les Autochtones et les individus impliqués dans les pêcheries.

Le collectif entend mener l’analyse des pêches sous l’angle des droits des peuples autochtones et de leur reconnaissance constitutionnelle. Il entend aussi rendre compte de la confrontation entre les visions occidentales et autochtones de la gestion des ressources naturelles, entre exploitation intensive et « gérance » responsable. Surtout, il cherche à évaluer les relations de pouvoir à travers le prisme des pratiques de pêche. Enfin, les enjeux de transferts culturels intergénérationnels et les rapports symboliques à la nature chez les Amérindiens sont au programme.

La première partie explore la pêche alimentaire des Amérindiens en eau douce, notamment celle du saumon. Il s’agit d’une succession d’études de cas localisés. Leur progression suit une logique partagée avec une présentation du contexte historique, axée sur la dépossession des Amérindiens au XIXe siècle, puis sur la reconnaissance des droits et la mise en place des pêches autochtones à partir des années 1980, pour terminer avec leur évaluation sous les angles politiques, socio-économiques et culturels. Le rôle des communautés autochtones dans la gestion de la pêche est un aspect primordial de cette recherche tant il est parfois significatif d’une reprise de pouvoir, voire d’une entreprise d’autonomisation. Ainsi, par la mise en place de Zones d’exploitation contrôlées et d’ententes particulières avec le gouvernement provincial ou la reprise de pouvoir autonome des Autochtones, comme chez les Innus d’Essipit (chapitre 2) ou dans les rivières Manitou et Mingan (chapitre 5), les diverses modalités de cogestion et d’autogestion sont explorées, illustrant ainsi les limites concrètes de ces concepts. Le saumon étant une espèce fragilisée, ces études traitent non seulement des modalités d’accès à la ressource mais aussi de sa gestion durable. Le cas des Innus d’Ekuanitshit est particulièrement saisissant car après une longue lutte pour la « reconquête » de leurs rivières, ils se sont imposé un moratoire de quatre ans, entre 1984 et 1988, afin de préserver une ressource trop fragile (p. 146). La pêche alimentaire est une pratique culturelle ancestrale mais cette recherche démontre également que sa résurgence est un facteur de renforcement du lien social et intergénérationnel au sein des communautés autochtones. Cependant, dans le cas de la préservation de la ressource de la rivière Natashquan, les auteurs remarquent également des tensions entre le savoir scientifique des jeunes générations et le savoir traditionnel des aînés (p. 177).

N’ayant pas l’ambition d’être une étude historique sur les pêcheries autochtones, cet ouvrage appelle néanmoins à une recherche plus approfondie et mieux intégrée des multiples revendications amérindiennes concernant les territoires de pêche au XIXe siècle. Face à la problématique de dépossession, l’autonomie politique des Autochtones et le rôle d’intermédiaire des missionnaires auprès des instances gouvernementales méritent un examen plus détaillé.

La deuxième partie de l’ouvrage, portant sur les pêcheries commerciales, est plus lourde en détails spécifiques à la pratique industrielle. Elle est moins attrayante pour l’historien, car focalisée sur des évolutions récentes. Le chapitre 8 introduit la politique fédérale concernant les pêches autochtones depuis Sparrow et Marshall. Volontariste, elle cherche à conserver tout en mettant en valeur les ressources et à contribuer à l’autonomie économique et politique des Autochtones. Surtout, elle a opéré le transfert de permis de pêches de non-Autochtones vers les Autochtones par un système de compensation. De leur côté, les Autochtones impliqués dans la pêche commerciale se sont organisés au sein de l’Agence Mamu Innu Kaikusseth (AMIK) en 2006 pour faire valoir leur point de vue, leur expertise auprès des acteurs gouvernementaux et contribuer au contexte de cogestion. Cette politique, menée depuis une vingtaine d’années, semble efficace, mais les auteurs remarquent que la participation autochtone à la gestion de la pêche commerciale peut largement progresser. Ses résultats sont plutôt positifs sur le plan économique, notamment pour l’emploi, mais les difficultés sociales demeurent malgré certaines améliorations. Les auteurs mentionnent néanmoins la fierté générée chez les Autochtones par le travail et les gains économiques de la pêche. De même, on remarque que l’optique de développement économique autochtone est communautaire et privilégie l’accès à l’emploi.

L’implication des gouvernements et des Autochtones dans la gestion de la pêche est une question primordiale. Cependant, illustre-t-elle « l’association optimale de l’Autochtone et du nonAutochtone » voulue par le géographe Louis Edmond Hamelin impliquant « une association fructueuse entre Autochtones et non-Autochtones et, cela, d’un bout à l’autre de l’échelle socioéconomique » ? C’est sans doute la principale interrogation qui se pose après cette lecture enrichissante.