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Après avoir fait paraître l’oeuvre de Louis-Joseph Papineau chez divers éditeurs et sous de nombreux opus, puis s’être attaqué à celle de ses enfants les plus marquants, Georges Aubin publie maintenant les écrits du benjamin de la famille Papineau, Gustave : « né en 1829, après Amédée (1819), Lactance (1822), Ézilda (1828), mais avant Azélie (1834).  L’homme est fort peu connu et cette méconnaissance tient à la brièveté de sa vie : né le 15 décembre 1829, il meurt le 17 décembre 1851, à l’âge de 22 ans. » (p. 1) 

Bonne idée que cette collaboration avec Yvan Lamonde, ainsi que la solide introduction situant bien l’envergure réelle du jeune homme ainsi que la teneur de son oeuvre. On aurait cependant apprécié une présentation, même brève, du contexte politique très particulier des années 1849 et 1850 sur lequel portent spécifiquement les articles du jeune Papineau.

Mort prématurément, Gustave Papineau n’eut guère le temps que de faire deux choses. Il fut d’abord, de 1837 à 1849, élève turbulent et frondeur au collège de Saint-Hyacinthe, au point d’être exclu de l’internat. Le supérieur Raymond écrit de lui que : « Toute contrainte le blesse, toute règle lui pèse. » (p. 4) Louis-Joseph Papineau lui-même reconnaît que son « fils, je le sais et le déplore, est d’un caractère trop impétueux. » (p. 4) Son apprentissage du droit à Montréal ne fut guère ensuite prétexte pour Gustave qu’à une entrée tonitruante dans le monde du journalisme, essentiellement au journal ultralibéral L’Avenir (1847-1852), avant de prématurément mourir, sans doute des suites d’une méningite.

L’ouvrage propose d’abord 38 lettres personnelles d’un intérêt relatif, rédigées entre janvier 1839 et juillet 1851, ainsi que le texte de deux conférences données devant l’Institut canadien, dont l’une plus intéressante sur « La situation de l’Europe contemporaine ». Surtout, Aubin et Lamonde proposent une sélection de 31 des quelque 132 courts articles que Gustave fait paraître dans L’Avenir entre juin 1849 à juin 1851. Ces articles portent sur les thèmes de prédilection du jeune journaliste, qui arrive au monde à un moment où sont débattus des enjeux fondamentaux dans l’histoire canadienne : la reconnaissance de l’Union, l’électivité du Conseil législatif, la responsabilité ministérielle et comment de fiers patriotes de 1837 ont progressivement troqué l’idéal républicain pour la collaboration sous l’Union. Les titres à eux seuls sont évocateurs : « La Minerve de la veille et celle du lendemain », « Les Patriotes de 1837 changés en loyaux sujet de 1849 », « Le Gouvernement responsable mis à nu », « Lutte des Ventrus contre l’annexion », « Le Principe électif (1834 en regard de 1850) » ou « La Girouette de 1850 ». De toutes les cibles de Gustave, l’ex-lieutenant patriote de son père, Louis-H. La Fontaine, est particulièrement visé : « L’homme dont nous parlons est trop profondément dégradé à nos yeux, pour que nous ayons même souci de lui exprimer notre dédaigneux mépris. » (p. 224 ; 5 juin 1850) Par-delà sa critique à fond de train des réformistes, Gustave n’envisage dès lors qu’une option pour le Canada, soit de faire en sorte que : « la première assemblée nationale canadienne proclamera l’indépendance du Canada, et décrétera, au nom et en présence de tout un peuple-roi, la constitution d’un nouvel État souverain qui viendra s’allier, sous le beau nom d’État du Canada, à la colossale République du Nouveau-Monde. » (p. 18 ; 10 nov. 1849)

En plus de mettre au jour la pensée d’un autre membre de la famille Papineau, l’intérêt spécifique de cet ouvrage est double. Il offre d’abord un complément à la pensée du père, Louis-Joseph, à un moment où ce dernier entre dans un certain mutisme, désabusé par son retour en politique entre 1847 et 1849 et désormais surtout préoccupé par son manoir de Montebello et par les malheurs de sa famille. Défendre l’héritage du père est en effet l’un des leitmotivs du jeune Gustave qui rappelle que : « le but avoué du parti ministériel est d’arracher à M. Papineau les sympathies populaires, d’un homme qu’on sait ne pouvoir jamais amener à transiger avec ses convictions. » (p. 232 ; 26 juillet 1850) En dépit du ton juvénile et cassant du jeune Papineau – et peut-être grâce à lui – on a ainsi droit à un regard cru et sans fioriture de ce que pouvait au juste penser le père de ses anciens lieutenants, La Fontaine, Nelson ou Morin, durant ces années charnières de 1849 et 1850.

L’autre intérêt des articles de Gustave est de cerner le moment exact où éclate l’alliance réformiste, alors que de jeunes libéraux souhaitent de plus en plus ouvertement s’affranchir de leurs aînés réformistes pour fonder ce qui sera le parti des Rouges : libéral, anticlérical, annexionniste, nationaliste mais cosmopolitain. Mort prématurément à la fin de 1851, le jeune Gustave ne nous permet pas à lui seul d’entrevoir l’ensemble de cette gestation, mais il en constitue néanmoins un témoin privilégié. Ses attaques abrasives contre le groupe de La Fontaine, ses critiques cinglantes contre la responsabilité ministérielle ou l’ingérence politique de l’Église et son éloge sans nuance des idéaux de 1834, des 92 Résolutions et de la pensée du père Papineau permettent en particulier de voir comment les Rouges finissent par faire l’impasse sur l’épisode réformiste des années 1840 afin de jeter un pont entre l’idéal des patriotes de 1837 et celui des Rouges des années 1850.