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Ce livre de Michael Eamon, professeur d’histoire de l’Université Trent de Peterborough, est basé sur sa thèse de doctorat soutenue en 2011. L’auteur y décrit la communauté coloniale de l’imprimé (print colonial community), une exploration d’un ensemble de traditions, d’idées et de littérature britanniques qui avait cours entre 1763 et 1800. Cette étude approfondit la relation polyvalente qui a existé entre la presse naissante de langue anglaise dans les deux capitales provinciales, Québec et Halifax.

La seconde moitié du XVIIIe siècle a été une ère de grands changements, de révolutions atlantiques, de guerres civiles, de tensions économiques et politiques. L’imprimé était essentiel pour documenter et favoriser le changement. Bien que la production d’imprimés, tels les journaux et les magazines, ait été faible dans l’Amérique du Nord britannique comparée à Boston, Philadelphie et New York, les presses d’Halifax et de Québec offraient le registre de l’imprimé le plus long et le plus consistant qu’on pouvait trouver dans les régions de l’Amérique du Nord britannique. L’imprimé était plus qu’un moyen d’information et de loisir des membres de la communauté coloniale de l’imprimé ; il servait à influencer et à réguler le comportement. Pour les membres de la communauté dont la sociabilité s’exprimait dans les cafés, les clubs et le théâtre, l’imprimé devint un puissant forum d’interaction sociale qui pouvait apporter une constance et une normalité culturelle aux vicissitudes de la vie coloniale.

La presse à Halifax date de 1751, et celle de Québec, de 1764. Les imprimeurs tant à Halifax qu’à Québec croyaient en la valeur de leur travail, à l’importance de l’imprimé pour améliorer la société. Les imprimeurs avaient une fonction visible dans la société coloniale. En plus des journaux, ils imprimaient toutes sortes d’imprimés : brochures, livres, affiches, proclamations, documents officiels. La ville de Québec a profité d’une longue continuité d’imprimeurs, Brown et Gilmore, et les Neilson. Dans la ville de Québec de la fin du XVIIIe siècle, le tiers de la population de 12 000 à 14 000 habitants était anglophone. La Quebec Gazette était un journal de langue anglaise avec traduction française. La presse de langue anglaise d’Halifax et de Québec a renforcé l’appartenance et le loyalisme envers l’Empire britannique principalement pendant et après la Révolution américaine. Les journaux traitaient des réalités britanniques, faisant une large place à la famille royale et aux institutions britanniques.

Comparés aux lecteurs des grandes villes américaines comme Philadelphie, Boston et New York, ceux d’Halifax et de Québec étaient peu nombreux, chacune de ces dernières ayant seulement quelques centaines de lecteurs identifiés et une centaine d’autres tout au plus dans le reste de la colonie. La Gazette de Québec comptait 300 abonnés en 1768, 520 à la fin du siècle ; 60 % étaient de Québec et 40 % de Montréal. La communauté coloniale de l’imprimé comprenait l’élite traditionnelle, politique et religieuse, et un mélange de marchands alphabétisés, capitaines de marine, officiers et soldats, fonctionnaires, commis, avocats, médecins, commerçants et fermiers prospères.

La fondation de la Quebec Library/Bibliothèque de Québec par Haldimand en 1779, pour promouvoir une plus grande union entre vieux et nouveaux sujets de la Couronne, était vue comme une institution de sociabilité. On peut avoir une idée de cette communauté de l’imprimé par les nombreuses lettres envoyées aux journaux dont la vaste majorité était anonyme. Le pouvoir de l’imprimé était reconnu par les autorités coloniales pour informer les citoyens (proclamations, actes, ordonnances) et ces messages étaient à leur tour diffusés par l’Église, dans les marchés et les cafés. La presse publie les « connaissances utiles », champ d’intérêt dans le monde britannique atlantique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cela consistait en la diffusion des Lumières, l’observation des phénomènes naturels, l’encouragement public de la science, la promotion d’une agriculture scientifique.

Les imprimeurs d’Halifax et de Québec voyaient dans l’almanach un moyen essentiel de diffusion des connaissances utiles aux lecteurs coloniaux : calendrier annuel, prédictions météorologiques, listes des dirigeants et des personnes utiles, anecdotes, aphorismes et courts essais sur certains sujets. Le Quebec Almanac, créé par John Neilson en 1780, fut publié pendant 60 ans. De son côté, le Quebec Magazine/Le Magasine de Québec qui a paru de 1792 à 1794 ressemble en tout point au Nova-Scotia Magazine. Il traite de l’actualité locale et étrangère, des affaires publiques, des questions urbaines et commerciales.

Une relation dynamique existait entre la presse locale et la formation, la promotion et le fonctionnement des clubs et des groupes associatifs à Halifax et à Québec. Être membre de plusieurs clubs était une marque de la vie coloniale : société de débats, société d’agriculture, société d’incendie, club de vétérans, clubs privés de commerce, société de bienfaisance. Des sociétés comme la Quebec Benevolent Society (1789) étaient formées pour leurs membres et leurs familles en cas de maladie ou de décès. La plus populaire société de débat de Québec fut le Club constitutionnel formé en 1791 pour célébrer l’Acte constitutionnel. Il a attiré à sa première réunion 165 participants, dont un bon nombre de francophones.

Le théâtre était populaire tant à Halifax qu’à Québec et les journaux consacraient beaucoup d’efforts pour en diffuser les activités. On y retrouvait les programmes, les affiches, les ouvrages relatifs aux pièces. Les cafés furent aussi un important forum de sociabilité. Ils étaient des lieux de diffusion et de discussion des idées, des lieux de distraction dans la tradition britannique. Les journaux des deux villes avaient l’habitude de tenir leurs lecteurs informés des discours, des altercations et des événements qui avaient lieu dans les cafés. Les cafés étaient un lieu de lecture des journaux et, fréquentés pas les marchands, ils donnaient souvent lieu à des transactions commerciales.

Ce livre constitue un apport majeur à l’histoire du livre et de l’imprimé au Canada. Appuyé par une exploitation intelligente des archives et des journaux, il montre bien le rôle de l’imprimé comme élément de premier plan de sociabilité en relation avec le théâtre et les clubs dans une société coloniale de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La communauté coloniale de l’imprimé décrite dans ce livre était essentiellement anglo-saxonne et les francophones n’y étaient que des ombres.