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J’appréhendais la lecture de cet imposant ouvrage qui, avec son titre définitif et l’aura de cette maison d’édition universitaire, me promettait des soirées de travail intense mais pleines de découvertes. Quelle ne fut donc pas ma surprise de constater que ce livre n’a que peu à voir avec une histoire du General (MGH). C’est plutôt une série de vignettes biographiques de ses artisans, surtout des médecins et chefs de service, qui ont été mis à contribution pour raconter la constitution de leurs secteurs respectifs. À travers leurs récits, souvent biographiques, on découvre en effet comment se sont constitués les spécialités et les départements médicaux. Chacun des chapitres est ainsi rédigé par le chef (à l’exception d’une cheffe, ce sont tous des hommes) de chacun de ces départements : oncologie, radiologie, médecine interne, urgentologie, pédiatrie etc. La dernière partie est constituée de quatre chapitres au féminin qui concernent les services infirmiers et l’importance de ce secteur dans la structuration du MGH.

Spécialiste dans ce domaine, et ayant moi-même étudié les archives de ce groupe d’infirmières et de dames anglo-protestantes qui ont été à l’initiative de la fondation de l’hôpital, j’ai cherché en vain de nouvelles références ou même des interprétations originales.

Je n’ai pas non plus trouvé d’analyse approfondie du General à l’instar de ces grands travaux d’histoire de la médecine, une discipline pourtant bien établie, à McGill même. En fait, le projet fut porté dès le début par deux médecins soucieux de préserver l’héritage de ce grand hôpital au moment où sa disparition était planifiée. C’est ainsi que les deux directeurs de l’ouvrage vont mobiliser tous les chefs de service pour écrire cette histoire qui devait être une sorte d’histoire finale de l’hôpital bicentenaire. Finalement, né sous les auspices les plus improbables, puisque c’était au moment de leur fusion au sein du super hôpital, le projet sera abandonné et le General maintenu et même en voie de rénovation. On voit au fil des pages, et des dix ans qu’il a fallu pour rassembler ces textes, que la préoccupation mémorielle l’emporte largement sur celle d’écrire une histoire du General, qui reste donc à faire.

Il faut donc lire cet ouvrage à deux niveaux : comme une série de témoignages, très intéressants au demeurant, de chacune des spécialités médicales et de leurs liens avec l’Université McGill ; et de l’autre comme une imposante prosopographie des principaux acteurs, et quelques actrices de la saga que représente l’histoire des médecins spécialistes qui oeuvrent dans un grand hôpital général.

La division sexuée nette entre hommes médecins de haut vol et administrateurs émérites et femmes philanthropes, spécialistes des collectes de fonds ou professionnelles du care, comme les infirmières, les bénévoles etc., est frappante. D’emblée, et ce, dès la fondation de l’hôpital par la Ladies Benevolent Society et par les Francs-maçons du Québec, on comprend que le General fonctionne comme une grande famille (patriarcale), ce dont la division sexuelle témoigne.

Parce que la communauté anglo-protestante de Montréal s’est mobilisée pour se doter d’un hôpital pour accueillir les pauvres, surtout immigrants, et les soigner, une des premières institutions hospitalières laïques du Canada voit le jour. Les grands noms de la philanthropie protestante se retrouvent comme des donateurs et des soutiens indéfectibles de l’hôpital, durant toute la période étudiée. À commencer par la famille Molson, qui a également soutenu la rédaction de cet ouvrage et à qui ce livre est dédié.

Au total, un beau gros livre, avec de très belles photos, qui montrent l’étroite relation qui unit cet ensemble d’institutions montréalaises, la faculté de médecine de McGill et le MGH qui s’alimentent et s’enrichissent l’une l’autre. La spécialisation accrue et la diversité des origines et des formations des médecins engagés dans cette formidable aventure attestent de la vitalité d’une communauté anglophone, qui ne connaît pas de frontières.