Corps de l’article

Professeur titulaire au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke, Harold Bérubé s’est intéressé au cours des dernières années à diverses facettes du monde municipal québécois, notamment du point de vue de la gouvernance. Le présent ouvrage s’inscrit donc dans une certaine continuité. Il se distingue toutefois de sa production antérieure par l’origine du projet − une invitation de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) − et par son objet − que je qualifierais de méta-gouvernance. Ce dernier terme mérite explication.

L’UMQ a été fondée en 1919 pour donner une voix aux « créatures de la province », du moins à certaines d’entre elles, à un moment où l’État québécois peinait à relever les nombreux défis engendrés par l’industrialisation et l’urbanisation. Situées sur la ligne de front, les municipalités peuvent alors difficilement se défiler ; même si elles n’en ont pas nécessairement les moyens, elles n’ont d’autre choix que de s’adapter et, autant que faire se peut, d’innover pour trouver des solutions aux nombreux problèmes auxquels elles sont confrontées. Chez certains élus, la redéfinition de leur champ de compétence et de leurs pouvoirs s’impose rapidement. Mais comme les municipalités n’ont de pouvoirs que ceux que le gouvernement leur accorde, souvent avec parcimonie, il leur faut construire un rapport de force qu’aucune municipalité n’est en mesure d’établir en faisant cavalier seul, pas même Montréal. Pour ses fondateurs, l’UMQ sera donc un lieu de distanciation à l’égard de l’administration à la petite semaine et de revendication en ce qui concerne les principes et les modalités de l’ajustement nécessaire de la gouvernance locale aux enjeux de l’heure.

Comme l’auteur le signale d’entrée de jeu, trois grands enjeux sous-tendent le programme de l’UMQ. Celui de l’unité − comment concilier les intérêts d’une si grande diversité d’institutions locales ? −, celui de l’autonomie − comment vaincre la résistance d’un gouvernement jaloux de ses prérogatives et obtenir plus de latitude ? − et celui de la démocratie − comment faire accepter, notamment chez les municipalités membres de l’Union, la nécessité de reconnaître que ceux à qui on donne des services sont aussi des citoyens qui souhaitent faire entendre leur voix ?

Bérubé ne se contente pas de nous proposer un compendium des revendications et des réussites de l’UMQ. Il contextualise l’histoire de l’Union pour mieux faire ressortir les tenants et les aboutissants de ses positionnements, mais aussi pour expliquer les tiraillements internes attribuables notamment aux allégeances politiques, au positionnement idéologique ou aux intérêts parfois moins avouables des uns et des autres.

L’ouvrage comprend sept chapitres. Le premier brosse un tableau de l’évolution du monde municipal québécois, de l’instauration du régime actuel en 1855 à la veille de la fondation de l’Union en 1919. Il y montre à quel point les cadres spatiaux et socio-économiques se sont transformés au cours de ces six décennies au terme desquelles le Québec franchira le cap de 50 % de la population habitant dans les villes. Le deuxième chapitre campe le contexte immédiat de la création de l’UMQ et les motivations de ses fondateurs. Il montre notamment que la conjoncture, au sortir de la Première Guerre mondiale, était éminemment favorable à une telle initiative. Le chapitre 3 est consacré à la période pionnière, qui s’étend de la fondation aux premiers temps de la Crise des années 1930. Il y est entre autres question de la dimension pédagogique de la mission de l’Union. Le quatrième chapitre s’attarde aux difficiles années de la Crise et de la Seconde Guerre mondiale et aux modestes moyens dont disposaient les municipalités pour faire face à la musique. Il y est également question de la manière dont Maurice Duplessis, qui se plaisait à rappeler que les municipalités étaient les filles de la province, tablait sur les divisions du monde municipal pour manipuler les situations à l’avantage de son parti.

Le chapitre 5 porte sur l’immédiat après-guerre et les premières années de la Révolution tranquille. L’auteur y montre comment le monde municipal s’est positionné comme acteur du vaste chantier de modernisation multiscalaire de l’action publique. Le chapitre 6 couvre deux décennies (1966-1986) qui sont caractérisées à la fois par les réorganisations administratives, dont les fusions volontaires ou imposées, et l’adoption de nombreuses lois qui auront un impact majeur sur le rôle des municipalités, notamment en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Le septième et dernier chapitre explore le rapport Québec/municipalités sous l’angle de la décentralisation souhaitée et du délestage subi. Loin d’être un simple retour sur ce qui a été dit, la conclusion s’intéresse aux enjeux et défis de l’heure et notamment à ceux qui résultent du caractère archaïque de la fiscalité locale et de la reconnaissance des municipalités au titre de gouvernements de proximité.

Ce bref survol ne rend évidemment pas justice au travail d’Harold Bérubé. L’accès aux archives de l’UMQ lui a en effet permis de scruter les us et coutumes des têtes d’affiche de l’Union, de révéler les soubresauts qui ont affecté le fonctionnement et les prises de position de l’organisme et de documenter l’évolution des relations avec d’autres organisations, en particulier la Fédération québécoise des municipalités.

Cet ouvrage, pour qui connaît le monde municipal d’assez près, a par ailleurs le mérite de montrer qu’entre les aspirations du monde municipal discutées et avalisées lors des assises puis portées par les différentes instances de l’Union, d’une part, et l’exercice du pouvoir sur le terrain, d’autre part, il y a souvent des incongruités, voire des contradictions flagrantes. Les révélations de la commission Charbonneau concernant l’implication d’élus de premier plan dans des malversations et les ratés récents des processus de consultation publique dans de nombreuses municipalités l’ont bien montré. Mais c’est aussi ce dont ont témoigné le décalage entre l’intérêt porté par l’UMQ aux questions d’aménagement et d’urbanisme à compter des années 1940 et le retard qu’accusait toujours le Québec en la matière quatre décennies plus tard.

Il s’agit là d’une facette de la gouvernance municipale qui mériterait certainement d’être explorée. Mais, entretemps, il faut reconnaître l’intérêt de cette initiative de l’Union des municipalités du Québec et la qualité du travail accompli par Harold Bérubé.