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Cet ouvrage collectif interdisciplinaire est issu d’un congrès, Hockey Conference (Fredericton, University of New Brunswick, 2016) et d’une exposition au Musée canadien de l’histoire (Hockey : More than Just a Game) en 2017. Ces deux événements coïncidaient avec l’anniversaire de trois moments de l’histoire du hockey et du Canada : le 150e anniversaire de la Confédération, le 125e anniversaire de la création de la coupe Stanley et le 100e anniversaire de la mise sur pied de Ligue nationale de hockey (LNH). L’introduction rend compte de cette exposition où des choix ont été faits : les origines croisées du sport, l’apport des peuples des Premières Nations dans le développement du sport et de son équipement, les questions de genre dans l’histoire du hockey féminin, celle de la jeunesse et enfin de la professionnalisation de ce sport. L’exposition comme l’ouvrage ont pris le parti de ne pas se substituer aux temples de la renommée avec statistiques et records.

À la lumière des débats et des discussions universitaires, on veut montrer que le sport national qu’est le hockey est à la fois un facteur de cohésion nationale et le miroir des divisions nationales en termes de genre, d’ethnicité, de classes sociales mais aussi de langage, d’orientations sexuelles et de la diversité des expériences selon les régions. C’est un projet d’histoire publique en ceci qu’à la lumière du présent, l’exposition réinterprète, réévalue et commémore le passé en partant de recherches récentes. Puis, c’est une approche d’histoire sociale parce qu’elle se préoccupe du plus grand nombre. Deux concepts structurent la démarche épistémologique de l’exposition et de l’ouvrage : les communautés imaginées de Benedict Anderson (1983) et l’invention des traditions d’Hobsbawm et Ranger (1983). Le hockey est un important marqueur de cette identité de la communauté imaginée par des générations de Canadiens et de Canadiennes. Il est également, par ses rituels dont les origines sont souvent inventées, une métaphore et une tradition canadienne symbolisant la cohésion sociale et permettant une forme de nationalisme canadien.

Les trois premiers chapitres de cet excellent ouvrage se consacrent aux origines du sport. Bien appuyés par une historiographie récente, Andrew C. Holman, Paul W. Bennett et Mickael A. Robidoux font un travail de déconstruction remarquable. Ils démontrent à quel point ce sport a été l’objet d’une fécondation croisée pluriethnique, des différences régionales notables et d’une date de naissance bien antérieure à celle qu’on a souvent donnée dans l’historiographie et par conséquent du lieu géographique. La deuxième partie porte sur la jeunesse et la création des ligues mineures et la troisième porte sur le hockey féminin. On apprend beaucoup des articles de Julie Stevens et de Denyse Lafrance Horning. On comprend notamment la stratégie des équipes féminines tournées vers l’international. La quatrième partie, quant à elle, s’intéresse aux médias. L’analyse de Tobias Stark au chapitre dix, sur la représentation de la masculinité des hockeyeurs canadiens de la ligue internationale dans la presse suédoise, est assez similaire à celle des joueurs de curling dans la presse canadienne, comme le montre Kristi A. Allain au chapitre onze. Cette représentation dans la presse suédoise montre l’hypermasculinité à l’oeuvre dans la violence au hockey canadien qui se retrouve par transmission dans le curling canadien.

Le chapitre douze de Cheryl A. MacDonald s’intéresse à cette conception de la masculinité dans la LNH. Des ligues professionnelles (National Basketball Association, Major League Baseball et Canadian Football League) ont admis des homosexuels ouvertement déclarés alors que la LNH ne l’a pas fait. L’homophobie et la misogynie existent à la fois dans la ligue et parmi les commentateurs et les partisans s’exprimant dans les médias sociaux. La représentation de la communauté LGBTQ dans les médias sociaux pourrait évoluer grâce à la recherche, du fait des activistes ou encore des programmes de sensibilisation, mais pour le moment, rien n’est acquis, conclut l’auteure.

Il en va de même chez les joueurs professionnels. La quatrième partie s’intéresse aussi aux efforts des joueurs pour fonder une association entre 1956 et 1958, à l’affaire Eric Lindros et aux résultats d’entrevues avec les joueurs professionnels sur les questions de racisme et de violence. Qu’en est-il de nos jours et dans les faits du projet multiculturel canadien ? se demande Nathan Kalman-Lamb. Il démontre que le multiculturalisme libéral est un discours qui ne renvoie nullement à une réalité où s’exprime de nos jours le racisme contre les joueurs non blancs. On le voit, les questions identitaires sont au centre de ce processus de construction de l’identité canadienne par le hockey. Comme le souligne le titre de l’exposition du Musée canadien de l’histoire, les auteur.e.s de cet ouvrage démontrent que le hockey est infiniment plus qu’un jeu.

L’ouvrage a l’immense mérite de présenter le hockey comme facteur de création d’une identité canadienne tant dans ses divisions que dans l’unité dans son long processus de modernisation des origines à nos jours. Il convient de souligner l’apport intéressant des documents, des archives et la riche iconographie présente dans cet ouvrage qui est également un bel objet en papier glacé. Le caractère interdisciplinaire de cet ouvrage autour d’une épistémologie partagée est le défi que se sont donné les organisateurs du Congrès de Fredericton, les curateurs de l’exposition au Musée canadien de l’histoire et les éditrices de l’ouvrage. Cette interdisciplinarité est réussie en cela qu’elle démontre que les concepts d’Anderson et d’Hobsbawm sont universels en sciences humaines, de la muséologie à l’histoire. On aurait souhaité voir cette interdisciplinarité à l’oeuvre sur la perception des partisans et des commentateurs qui, d’une certaine façon, conditionne celles du plus grand nombre. Plus largement, le lecteur aurait apprécié un développement plus important quant au rôle des médias écrits et télévisuels des chaînes spécialisées, acteurs majeurs dans l’acceptabilité sociale des femmes et de la communauté LGBTQ dans ce sport, tant amateur que professionnel. Enfin, le cas du Québec est très peu traité dans cet ouvrage, lequel, pourtant, comme le reconnaissent les éditrices, a sa propre mythologie (p. 8). Les différences ou les divisions culturelles ne reposent pas seulement sur la langue dans le cas du Québec. Elles sont identitaires. C’est dommage parce que la rigueur des auteur.e.s est impeccable sous plus d’un rapport : genre, classes sociales, ethnicité, orientations sexuelles, acceptabilité sociale, modernisation, régionalismes et identités revendiquées.