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Cet ouvrage collectif se propose de partir d’un bilan de l’éducation autochtone de la Confédération à aujourd’hui pour mieux tracer la route à suivre en vue d’un renouveau pédagogique et curriculaire inspiré par les conclusions et recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015) dans ce domaine. Les 11 contributions sont réparties en trois sections, qui intéressent l’histoire à des degrés variables.

La première section, consacrée à l’héritage colonial et à la mise en place d’un système scolaire pour enfants autochtones, souligne à plusieurs reprises la violation de la promesse faite aux Premières Nations au moment de la signature des traités numérotés (1871-1921) de leur fournir des écoles adéquates dans toutes les réserves qui en feraient la demande pour dispenser un enseignement occidental en complément à l’éducation traditionnelle. Le gouvernement fédéral, en déléguant cette obligation aux églises concurrentes intéressées surtout par la christianisation, a gravement manqué à cette responsabilité et a laissé les établissements d’enseignement concernés sombrer dans un manque chronique de fonds et pâtir de l’incompétence du personnel. Il est intéressant de noter combien le modèle des écoles industrielles destinées aux pauvres en Suisse ou encore les « maisons de correction » pour enfants des « classes dangereuses » en Europe puis en Amérique du Nord ont inspiré la politique gouvernementale canadienne dans la mise en place des pensionnats pour Autochtones. Avec la Loi sur les Indiens et ses dispositions toujours plus restrictives quant au droit des communautés autochtones de contrôler l’éducation des enfants, les écoles de jour sont progressivement remplacées par les « écoles résidentielles », séparant les jeunes de leurs familles. Plusieurs auteurs et autrices font observer que l’attitude du gouvernement bascule alors d’une volonté d’assimilation à une politique de ségrégation, une idée qu’il serait utile d’approfondir pour mieux appréhender les étapes de ce glissement. Ces deux objectifs sont-ils incompatibles ou plutôt complémentaires ?

Les contributions de la deuxième section, intitulée « Racisme, trauma et survivance », proviennent d’enseignants, de psychologues et de thérapeutes qui ont exploré, sur le terrain, l’impact des stéréotypes imposés aux élèves autochtones par l’institution scolaire, entre autres, et la nécessité de contrer non seulement le racisme personnalisé auquel ils font ainsi face depuis leur plus jeune âge, mais aussi le racisme internalisé qui finit par faire des enfants autochtones leur propres oppresseurs. Ce problème sera-t-il résolu en l’appelant « oppression raciale », comme le propose Noella Steinhauer (p. 141) ? Il est permis d’en douter, comme de l’assertion que le traumatisme des aïeux des enfants autochtones serait responsable de leur échec scolaire, mais il ne revient certes pas à la production historique de trancher de telles questions selon l’hypothèse avancée par Karlee D. Fellner (p. 159).

Si la première section du recueil traite de l’histoire et la deuxième de la situation actuelle, la dernière est vouée à définir les contours d’une future éducation autochtone capable de tourner la page d’un passé lourdement hypothéqué et de combler enfin l’écart qui distingue, dans le domaine de l’éducation, les jeunes Autochtones des jeunes Canadiens en général. Une partie des auteurs plaide même pour l’abandon de cette perception qui désignerait comme un retard à rattraper ce qu’il convient de concevoir plutôt comme une dette vis-à-vis des Premières Nations, accumulée depuis un siècle et demi. À travers leurs différentes perspectives, ils et elles, pour la plupart des professionnels en éducation, se rejoignent dans l’idée qu’une décolonisation de l’éducation autochtone nécessiterait une nouvelle définition des contenus et des approches pédagogiques et devrait passer par la prise en compte des conceptions du monde spécifiques aux Autochtones et des savoirs traditionnels ainsi que des langues autochtones. À part l’insistance sur le lien avec la terre comme fondement essentiel de toute éducation, les enjeux de la discussion rappellent ceux des grands débats de la didactique « occidentale » — le savoir encyclopédique vs les compétences, la pédagogie active, la valeur de l’erreur, la tête bien pleine vs la tête bien faite — à ceci près que les termes employés ne sont pas les mêmes et que, différence de taille, la distinction entre savoirs et croyances, sacré et profane, science et spiritualité, semble loin des préoccupations d’une future éducation autochtone, tout comme le développement de l’esprit critique.

Toutes les contributions de cette troisième section formulent des souhaits et réfléchissent à une éducation autochtone encore à venir. Aux tentatives faites en ce sens depuis La maîtrise indienne de l’éducation indienne (déclaration de principe de la Fraternité des Indiens du Canada en 1972), on reproche globalement d’avoir failli, soit en voulant copier le système provincial, soit par manque de moyens, sans pour autant en citer une seule : ni la Kahnawake Survival School et son manuel pionnier Seven Generations (1980), ni la Commission scolaire Kativik, ni la Commission scolaire crie, qui a publié une remarquable Histoire du Québec et du Canada (2002), ni l’Institut Kiuna, pour n’en nommer que quelques-unes.

Cela serait-il dû au fait que la perspective des contributions se limite aux deux provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, dont sont originaires l’ensemble des auteurs et autrices autochtones et non autochtones ? Si l’on cherche à s’inspirer ailleurs, c’est uniquement et explicitement dans d’autres « régions anglophones internationales comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie et des parties des États-Unis » (p. 220). Or, un regard au-delà des frontières linguistiques, à commencer par d’autres provinces canadiennes, non seulement aurait justifié le titre qui prétend englober le Canada en entier, mais aurait permis également de mieux apprécier les différences historiques, notamment dans le domaine de l’éducation autochtone, qui séparent le siècle et demi de colonialisme dans les Prairies d’une bien plus longue expérience de scolarisation en Nouvelle-France et en Acadie[1], histoire qui explique aussi pourquoi celle des pensionnats diverge tant entre ces deux univers[2]. En résumé, si le présent recueil offre des contributions pertinentes et précieuses, une véritable vue d’ensemble sur l’histoire de l’éducation autochtone au Canada se fait encore attendre.