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L’idée de « présence » impressionne autant la pensée de l’après-Lumières que l’apparition du fantôme de Banquo à la table de Macbeth, et elle vient de poser ses pénates à l’intérieur des murs des sciences humaines. C’est aujourd’hui un lieu commun d’affirmer que les objets sont doués d’une vie propre, qu’ils possèdent un statut existentiel et une capacité d’action. Certes, les objets, qu’il soient ou non esthétiques/artistiques, suscitent de vives sensations et ils portent une charge émotionnelle incontournable. Ils nous renvoient à des époques et à des lieux inaccessibles et nous parlent d’événements trop douloureux, trop heureux ou trop ordinaires pour être remémorés. Pourtant, ils servent parfois de monuments pour la mémoire collective, d’indices d’une valeur culturelle, de foyers de pratiques rituelles, et ils satisfont ainsi les besoins d’une communauté ou ceux, privés, d’une personne. Matériellement manifeste, jadis conjurée au nom de la lisibilité et de la rationalité, la « vie » du monde revient maintenant nous hanter[1].

Fatigués du « tournant linguistique » et de la thèse de la médiation de l’expérience par le langage, plusieurs penseurs et chercheurs sont maintenant convaincus que nous avons parfois immédiatement accès au monde, et que la distinction sujet/objet, longtemps jugée essentielle en épistémologie, n’est plus valide. Dans l’urgence de donner du sens au contexte qui nous est propre, on a souvent eu tendance à privilégier le « sens » au détriment de la « présence ». Des interprétations ont été plaquées sur les objets afin de les maîtriser, et on a prêté à ceux-ci des significations qui ne leur appartenaient pas nécessairement. Actuellement, les oeuvres d’art sont envisagées comme des objets qu’on rencontre plutôt qu’on ne les interprète. Une nouvelle génération de chercheurs se penche ainsi sur la manière dont les images captent l’attention et forment des réactions, puisqu’ils considèrent que les propriétés physiques des images sont aussi importantes que leur fonction sociale. En histoire de l’art et dans les études visuelles (visual studies), les termes « pictorial » et « tournant iconique » renvoient à une approche des artefacts visuels qui accepte ces exigences ontologiques[2]. Que ce soit en portant le regard sur ce qui ne peut être lu, sur ce qui excède les capacités de l’interprétation sémiotique, sur ce qui reste incompréhensible dans le cadre d’une convention et sur ce qu’il est impossible de définir, on tranche avec les paradigmes passés des principales disciplines — la sociohistoire dans le cas de l’histoire de l’art, la politique identitaire et les études culturelles (cultural studies) dans le cas des études visuelles.

Les théories les plus extrêmes affirment avoir accès au « réel » et soutiennent que la perception nous permet de « connaître » le monde d’une manière qui élude la fonction langagière. Le théoricien de la littérature Hans-Ulrich Gumbrecht affirme que l’insistance à « lire » le monde comme s’il s’agissait d’un système de signes nous a voilé son caractère existentiel, son « être ». Il refuse l’hybris de méthodes qui ensevelissent les objets de notre entourage sous d’abondantes couches de sens, et préfère plutôt examiner comment ces objets déterminent et définissent nos propres attitudes. Nous devons ainsi demeurer attentifs à l’« intentionnalité » de la nature, à la vie et à la fonction des objets, à leur rôle dans le subtil ondoiement de l’expérience. Gumbrecht désire plutôt des interprétations qui soient aussi attentives à leurs « effets de présence » qu’à des « effets de sens[3] » : las de régimes de représentation qui ne proposent que des attributions de sens, il désire rendre justice à la singulière vie des objets.

Cet essai trace une brève historiographie de l’émergence de la question de la présence, de cette exigence de prise en compte de ce que les objets « disent » avant d’être encadrés dans des systèmes de sens (dans les études visuelles anglo-américaines et allemandes, il s’agit de comparer et d’évaluer leur teneur interprétative). Sans prétendre à l’exhaustivité, j’ai « quadrillé » les essais de certains auteurs influents afin d’en tirer quelques conclusions préliminaires mais possiblement polémiques. Selon moi, l’intérêt récent pour le statut existentiel des images, lequel porte sur leur nature et leur structure, ajoute une dimension pertinente au programme interprétatif des études visuelles. Les études visuelles en Grande-Bretagne et aux États-Unis ont eu tendance à être dominées par un paradigme interprétatif dans lequel l’image est le plus souvent conçue comme une représentation, une construction visuelle qui trahit le programme idéologique de son émetteur et dont le contenu peut être manipulé par le récepteur. Par opposition, l’accent qui est actuellement mis sur la présence de l’objet visuel, sur la manière dont celui-ci engage le regardeur en s’écartant du cadre culturel pour lequel il a été conçu et en nous affectant souvent d’une façon qui échappe aux systèmes de signes, tout cela réclame d’envisager l’image sous l’angle de la présentation.

La prise en compte de la présence de l’objet, l’attention à son « aura », préserve l’immédiateté de sa disposition spatiotemporelle. Les interprétations qui captent la particularité de telles rencontres trahissent leur « situationnalité » (situatedness) ; elles révèlent la qualité singulière d’un processus de compréhension donné. Les textes qui admettent la force ontologique de l’objet voilent parfois la position subjective où s’élabore le sens, mais ils évoquent aussi du même souffle le « surplus » idéologique qui vient les hanter. La tentative de permettre à un objet historique d’échapper au temps en lui conférant une importance contemporaine et l’anachronisme du geste phénoménologique ont besoin de chronologie pour prendre sens. Une évaluation de l’« extériorité » de l’objet visuel, de ses interventions changeantes dans la vie de la culture et de sa vitalité en tant que représentation ne doit pas être envisagée comme une alternative aux efforts visant à en accepter l’« intériorité », sa capacité à nous affecter, son attrait poétique et esthétique et son statut de présentation. Les deux approches me semblent ajouter de la force et de la complexité à notre compréhension contemporaine du visuel.

Cette fascination contemporaine pour l’autre face de l’expérience, pour ce qui vient à notre rencontre plutôt que de se soumettre à notre regard, se retrouve dans les lettres et les sciences humaines. Des philosophes comme Gilles Deleuze et Félix Guattari[4] ou Alain Badiou[5] soutiennent que l’expérience humaine est formée par une multiplicité ontologique qui excède toute tentative de postuler l’« Être » comme une entité une (mais inconnaissable) qui fonderait la « réalité » à laquelle appartiennent les êtres humains ; une multiplicité ontologique qui confronte aussi un usage réducteur de la représentation linguistique, laquelle chercherait à proposer un discours consistant, un « grand récit » (master narrative) rendant compte de l’expérience. Cette perspective anti-épistémologique trouve un écho du côté des recherches récentes sur l’écriture historiographique. Frank Ankersmit[6], se positionnant par rapport à Hayden White[7] (lequel a suggéré d’une manière convaincante que le caractère intermédiaire du langage nous empêchait d’avoir accès au passé ou même de le connaître), propose ce qu’il appelle « l’expérience historique sublime », une expérience du passé immédiate et sans aucune médiation, semblable à la réponse esthétique et qui triomphe des ambitions totalisantes et universalisantes du langage. Dans les études des sciences (science studies), Lorraine Daston[8] et Bruno Latour[9], parmi d’autres, ont repensé le projet des sciences en affirmant que les « faits » que la recherche empirique vise à élucider et à interpréter sont autant « créés » que « découverts ». La recherche scientifique n’a ainsi rien de « pur » : c’est une entreprise complexe, éminemment sociale et donc culturelle et politique ; une entreprise où il est difficile de distinguer la limite entre la recherche empirique et l’imagination théorique (idéologiquement marquée). Les faits scientifiques ne sont pas construits, ils émergent du brouillage de la distinction sujet/objet dans l’interaction entre des formes humaines et non humaines de la nature. Les sociologues et les anthropologues font montre d’un nouveau respect envers le statut des objets : ceux-ci sont créés en vue d’un seul usage, mais ils se métamorphosent au fil du temps pour devenir tout autre chose. Arjun Appadurai[10] écrit sur la « vie sociale des choses », la capacité qu’ont les objets de passer d’un rôle à l’autre au cours de leur existence (par exemple, de la marchandise au don, et vice versa). Nicholas Thomas[11] décrit comment la « recontextualisation » des objets (leur forme d’échange) transfigure leur statut et leur valeur culturels au fil du temps. Alfred Gell[12] pour sa part se fait polémique en parlant des « vies » et des « familles » des images. Le rapport entre l’objet et le sujet engage une réciprocité telle qu’il devient impossible de distinguer la capacité d’agir (agency) de l’un ou de l’autre. Que le nerf de l’argument vise le fait que l’expérience nous donne accès à l’« Être » (lequel échappe à notre capacité à le transformer en « sens ») ou le fait que celle-ci enregistre des « événements » multiples et impossibles à unifier sous une idée, une déception post-derridienne quant au pouvoir du langage semble remplacée par une fascination envers le pouvoir des objets et le « langage » qu’ils parlent. La quête de sens dans le programme implicite de l’existence des objets remplace la tentative de saisir leur essence au moyen du pouvoir perdu du langage.

Qu’en est-il de l’histoire de l’art ? Comment cette discipline a-t-elle réagi à cet appel pour une reconnaissance de la présence intrinsèque aux objets ? Comment a-t-elle réagi aux tentatives de leur conférer une vie propre ? Les approches phénoménologiques dérivées des modèles proposés par Martin Heidegger ou Maurice Merleau-Ponty (dans les années 1930 et 1950) ont connu un nouvel essor[13], par opposition au paradigme épistémologique de la sociohistoire qui a dominé l’histoire de l’art dans les années 1980 et qui visait à chercher le « sens » des oeuvres d’art dans le contexte de leur production, et leur signification selon la fonction sociale qu’ils occupent. Georges Didi-Huberman est peut-être le critique le plus sévère de la manière dont l’histoire de l’art a pu recouvrir la simple présence des oeuvres, en s’occupant surtout de leur sens. Dans une série d’essais, il a cherché à voir comment des méthodologies répandues (l’iconologie de Panofsky ou la sociohistoire de Baxandall) ont échoué à saisir les caractéristiques les plus importantes des oeuvres étudiées[14] En mettant l’accent sur la réception du spectateur, Didi-Huberman soutient que l’expérience de l’oeuvre en guide l’appréciation.

Par exemple, dans un livre sur Fra Angelico, Didi-Huberman conçoit l’acte de peindre comme une allégorie du divin fait chair[15]. La peinture est un moyen par lequel les vérités transcendantales sont offertes aux êtres humains. Tout comme l’artiste, les théologiens de l’époque ajoutaient des gloses à la Bible sans jamais mettre fin au processus herméneutique. Tandis que Panofsky ou Baxandall placent l’oeuvre en regard (ou à l’intérieur) du contexte dans lequel elle est produite, approchant l’objet de l’analyse comme une chose inerte en mal d’« explication » et préférant faire référence à des circonstances plus stables et moins opaques, Didi-Huberman envisage l’oeuvre comme son propre principe, une oeuvre autonome capable de générer sa propre signification. Tout en faisant preuve d’une érudition qui ferait envie à un iconographe, il insiste sur le fait indéniable que nous rencontrons l’image au présent ; indépendamment de sa période de création, l’image vit nécessairement dans l’époque contemporaine.

Aussi n’est-il pas surprenant qu’Aby Warburg soit le modèle historiographique de Didi-Huberman, puisque Warburg a admis la capacité de l’image à « rompre » le temps. Tout au long du siècle dernier, des concepts comme Nachleben et Pathosformel ont désigné cette vie des images qui nous hantent encore longtemps après leur création[16]. L’une des conséquences de cette importance qu’accorde Didi-Huberman à la présence des artefacts visuels, c’est de remettre en cause la notion de développement historique en histoire de l’art. Si l’objet « rompt » le temps, il s’ensuit que l’histoire de l’art est nécessairement une pratique « anachronique ». L’intensité du rapport qui s’établit entre l’oeuvre et son spectateur contemporain ne nous permet pas de subordonner l’art à une trajectoire historique préétablie : « Il est faux de prétendre qu’il existe des objets historiques qui appartiennent à telle ou telle durée ; il faut plutôt comprendre que, dans chaque objet historique, les temps se rencontrent, s’entrechoquent ou s’appuient plastiquement les uns sur les autres : ils bifurquent ou s’enchevêtrent[17]. »

L’intérêt renouvelé pour la présence des objets, pour leur capacité à dépasser le sens que leur auront attribué des générations de commentateurs, a aussi d’importantes conséquences pour les études visuelles. W. J. T. Mitchell l’a pour sa part surnommé « tournant pictural[18] ». Mitchell récuse les analyses sémiotiques de l’image en vogue dans les années 1980, en raison de leur caractère réductif et de leur subordination à un modèle linguistique. Il soutient que les images devraient plutôt être abordées indépendamment du langage, même si elles en sont inextricablement captives : elles ont une présence qui échappe à nos facultés de description ou d’interprétation. Intimement liés, les mots et les images forment néanmoins des ordres de connaissance distincts qui ne peuvent être interchangés. En élaborant cette argumentation dans un livre intitulé à la forme interrogative, What Do Pictures Want ?, Mitchell affirme que les représentations ont « vécu » des vies qui ne sont qu’en partie contrôlées par ceux qui les ont engendrées[19]. Certes, nous créons des images, mais nous leur prêtons ce faisant des qualités humaines, y incluant la capacité anthropomorphique de l’agir (agency). Leur vie par postérité médiale (second-hand) leur permet de proliférer et de se reproduire. Les idées de Mitchell sont étonnamment proches de celles de l’anthropologue Alfred Gell, lequel conçoit l’art comme un moyen qu’ont les êtres humains pour allégoriser les principes fondamentaux de leur organisation sociale. Parmi les attributs typiques d’une culture visuelle figure « la capacité d’agir seconde » (secondary agency), soit la capacité qu’ont les images d’affecter et de contrôler la vie de leur créateur. Les images imitent ainsi nos vies et nous hantent à tout moment[20].

Le « tournant pictural » est important en ce que Mitchell ne restreint pas l’étude des images à celles qu’on privilégiait traditionnellement pour leur statut « artistique » : les oeuvres d’art (dont la signification et l’importance étaient auparavant garanties par des valeurs esthétiques données) ne sont pas les seuls objets visuels dont la présence mérite d’être reconnue. L’esthétique n’est qu’une des forces des objets visuels, et Mitchell reconnaît que leur attrait se présente sous plusieurs formes. Les études visuelles s’intéressent aux familles multiples et éclectiques auxquelles la culture visuelle appartient, tout comme à la nature changeante de la visualité et de la perception humaine[21].

Quant à James Elkins, un autre théoricien influent des études visuelles, les images dites artistiques ne constituent pour lui qu’une mince part de l’océan d’images où la culture mondiale se trouve à dériver. Il ne voit pas pourquoi les études visuelles devraient continuer de s’intéresser à un petit archipel entouré d’une vaste étendue d’objets visuels dignes d’attention :

Selon moi, les images non artistiques sont aussi subjuguantes, éloquentes, expressives, historiquement pertinentes et théoriquement engageantes que les images traditionnellement étudiées en histoire de l’art, et rien dans cette discipline ne légitime que leur soit refusé un traitement équivalent aux manifestations canoniques et extra-canoniques de l’art[22].

Elkins croit que l’histoire de l’art a une envergure encyclopédique, bien qu’elle se limite méthodologiquement à la nature spécifique de chaque médium pictural[23]. Les sciences ne sont pas les seules disciplines à recourir à des « images informationnelles », mais elles manifestent en cela une immense inventivité et beaucoup de créativité. Elkins est fasciné par la façon dont les scientifiques inventent et manipulent la technologie afin de trouver un moyen de visualiser des phénomènes étudiés qui souvent n’ont jamais été vus. Son dernier ouvrage, Visual Practices Across the University, est une anthologie de l’emploi des données visuelles dans l’ensemble des disciplines qui constituent les arts et les sciences. Certes, ces images sont créées pour permettre l’échange d’information et elles ont en cela un caractère représentatif, mais du même souffle, leur statut perceptif et leur impact sur l’expérience optique varient selon le médium qui les produit. Ainsi, le statut de l’image comme présentation est aussi important que les transactions informationnelles qu’il engage. Par conséquent, Elkins croit que les objets visuels ont plus qu’une simple charge représentationnelle, aussi est-il prêt à leur conférer une valeur affective ou esthétique : « Les stratégies que les scientifiques emploient pour manipuler les images peuvent être qualifiées d’esthétiques au sens propre, puisque ceux-ci cherchent à parfaire et à rationaliser des transcriptions de la nature[24]. »

Question de complexifier davantage ce portrait historiographique, je souhaiterais maintenant présenter quelques développements théoriques qui ont suivi une voie analogue mais distincte, en Allemagne. Curieusement, les recherches anglo-américaines et allemandes semblent ne rien savoir l’une de l’autre, tout en partageant pourtant beaucoup de points communs. Dans l’introduction à un ouvrage collectif intitulé Was ist ein Bild ? (Qu’est-ce qu’une image ?)[25], Gottfried Boehm a déclenché un nouvel intérêt pour la présence des images et leur statut d’objets doués d’une vie propre. Contrairement à l’anglais ou au français où « image » (image) peut être opposé à « image composée » ou « tableau » (picture) pour désigner des formes d’artefacts visuels qui ont ou non une valeur esthétique, l’allemand utilise le mot « Bild » qui recouvre les deux notions. Aussi Boehm ne fait-il pas une telle distinction. Bien que la plupart de ses exemples appartiennent au monde de l’art, les conséquences de son argumentation s’appliquent à tous les objets visuels. Boehm invoque la notion de présence divine intrinsèque au concept d’icône religieuse, et son concept de « tournant iconique » arrive à saisir plus efficacement le sens de la vie attribuée aux objets visuels, mieux peut-être que le « tournant pictural » de Mitchell (même s’ils ne parlent pas exactement du même objet). Selon Boehm, le discours traditionnel voulant que la linguistique domine le visuel en tant que forme supérieure de signification n’a aucun fondement philosophique. Pas plus que les images, les mots ne sont porteurs de certitude épistémologique. S’appuyant sur Nietzsche et Wittgenstein, Boehm soutient que les images font partie intégrante des opérations linguistiques. Plutôt que de transmettre des informations selon des séquences linéaires et ordonnées sur une base logique, le langage repose sur des métaphores visuelles pour faire passer le sens (meaning) d’un niveau de signification à l’autre[26]. Boehm souligne aussi la manière dont Jacques Lacan développe les idées de Merleau-Ponty. Il établit un parallèle entre le concept de « regard » du premier (la façon dont des conventions de regard préexistantes, des modèles de vision, des paradigmes de visualité servent à modeler la subjectivité) et celui du second, où la vision nous entoure[27]. Son affirmation intransigeante de l’autonomie du visuel s’accompagne d’un formalisme perceptif radical qui tend à éviter les considérations de contenu :

Ce que nous voyons dans les images, ce sont des dispositions [Fügungen] de couleurs, de formes et de lignes qui ne décrivent aucun objet et ne présentent aucun signe, nous donnant plutôt quelque chose à voir. […] Ainsi, le peintre ne traduit pas une idée intérieure dans l’extériorité d’une couleur, il ne se projette pas sur l’écran [Schirm] de la toile, mais travaille plutôt entre les taches, les lignes et les formes ; il les agence, les construit et les transforme [umbauen]. Il est autant l’auteur que le support de ses actions[28].

Hans Belting et Horst Bredekamp, deux des plus éminents historiens de l’art allemands, ont poursuivi cette reconnaissance de la vie des images (autant celles traditionnellement désignées comme artistiques que les autres) en exigeant que l’histoire de l’art étende les paramètres de son cercle disciplinaire pour étudier l’ensemble de l’imagerie visuelle qui caractérise notre culture. Belting choisit l’anthropologie comme modèle pour son étude de la culture visuelle. Dans le chapitre d’introduction à son livre Bildanthropologie (« Medium-Bild-Körper »), il soutient que les artefacts visuels sont imbriqués dans les médias et que l’un ne peut être étudié sans l’autre (fig. 1). La notion de médium, cruciale pour sa conception de l’image, est une métaphore du corps humain : les artefacts visuels se déploient dans un média donné, tout comme des images internes s’inscrivent dans le corps humain[29]. Le médium est ainsi une figure de la capacité d’agir (agency) d’objets visuels qui ne sont plus envisagés comme de simples représentations. Belting écrit :

Traditionnellement, les images vivent de l’absence du corps, laquelle est ou bien temporaire (spatiale) ou finale (dans le cas d’un décès). Cette absence ne signifie pas pour autant que les images peuvent rappeler les corps absents pour les faire revenir. Ils remplacent plutôt l’absence du corps par un autre type de présence. La présence iconique préserve l’absence du corps pour la transformer en absence visible. Les images sont paradoxalement vivantes dans la mesure où elles accomplissent la présence de l’absence, et vice-versa […][30].

Figure 1

Hans Belting, Pour une anthropologie des images.

Hans Belting, Pour une anthropologie des images.

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Selon Belting, l’idée de l’objet visuel ne peut se réduire aux codes de systèmes de signification : « Baudrillard avait-il raison de distinguer nettement les images et le réel, d’accuser les pratiques d’imagerie contemporaines de falsification du réel, comme si la réalité existait séparément en parallèle aux images qui nous permettent de l’appréhender ? Est-il possible de faire la distinction entre les images et la supposée réalité avec une telle naïveté ontologique[31] ? » Les artefacts visuels nous donnent accès à une compréhension élargie du comportement humain, capable d’intégrer des références à la vie émotionnelle et mentale en plus des dimensions rationnelles de l’expérience. Les essais de Bildanthropologie exposent avec force la manière dont les images ont été utilisées pour servir d’intermédiaire entre la vie et la mort. En dotant la dépouille d’objets tenant lieu de substitut (masques, figurines, portraits), les images s’attachent à la présence du défunt en son absence.

Horst Bredekamp voit en la Bildwissenschaft un moyen d’institutionnaliser l’indépendance du visuel proposée par Boehm. Comme pour Belting, cette position ne se base pas sur des affirmations quant à la valeur esthétique des artefacts : elle vise plutôt d’autres formes de présence. L’objet se pose au centre d’un débat technique et philosophique qui le tient pour une forme de pensée visuelle. Belting soutient que les représentations scientifiques ont été malencontreusement identifiées comme des illustrations alors qu’elles sont en réalité des formes de pensée indépendantes du langage : « Les images ne sont pas des illustrations. Elles nous offrent plutôt les cosmes d’une sémantique créée selon ses propres lois, particulièrement bien incarnée au plan expressif[32]. » Les images scientifiques sont comme les objets scientifiques (les échantillons, les spécimens, etc.) qui, lorsqu’ils sont l’objet d’un intérêt systématique, sont investis d’une « aura » semblable à celle que l’on attribue à l’oeuvre d’art : « Dès lors que les choses de la nature sont saisies par l’homme, elles entrent en mouvement et franchissent la zone frontière entre formation naturelle et oeuvre d’art[33]. » (fig. 2)

Figure 2

Horst Bredekamp, Les coraux de Darwin.

Horst Bredekamp, Les coraux de Darwin.

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Dans une analyse des dessins faits par Charles Darwin dans les notes qui ont conduit à la composition de L’Origine des espèces, Bredekamp soutient que les esquisses de Darwin jouent un rôle aussi important que l’écriture dans le processus de pensée. Par exemple, l’esquisse d’une barrière de corail est cruciale pour sa conception d’une évolution non linéaire. En substituant la barrière de corail à la forme arborescente (figure classique pour représenter l’évolution à son époque), Darwin a trouvé une manière de penser l’évolution comme un processus aux chronologies multiples. En outre, son choix de la métaphore visuelle est d’autant plus heureux que le corail mort qui sert d’habitat à d’autres formes vivantes peut évoquer les espèces disparues dont descendent les espères actuelles. L’image porte la mention « Je pense », et les dessins servent clairement de substitut au langage. Bredekamp en conclut que « l’image n’est pas le dérivé ou l’illustration, mais le support actif du processus intellectuel[34] ».

Cet intérêt pour le « travail » des images se double de la prise en compte de leur réception et de leur effet sur le regardeur. Il comporte aussi une dimension formaliste frondeuse, une dimension qui résonne avec le programme proposé par Boehm. Bredekamp et Gabriele Werner rendent cette position explicite, par la création d’un nouveau périodique, Image -Worlds of Knowledge : Art Historical Year-Book for Image-Criticism :

Notre conception de la critique d’images s’initie par une analyse de la forme, laquelle caractérise essentiellement les images composées [Bildern]. Ainsi, nous avons à nouveau l’occasion de faire de la médialité un problème formel, mais nous le faisons en sachant pertinemment qu’il est absolument impossible d’expliquer un contenu visuel et ses effets sans parler des formes et de leur histoire, et ce tant dans le domaine de l’art que dans celui de la science ou du politique[35].

La révolution apportée dans la manière d’approcher les objets visuels par Mitchell et Elkins dans le monde anglo-saxon et par Boehm, Belting et Bredekamp dans le monde germanophone (ces deux approches répondant d’une nouvelle conception de l’objet visuel) tranche vivement avec une autre branche des études visuelles, laquelle remonte aux études culturelles anglaises (cultural studies). Je vais exposer à nouveau les ambitions de cette tradition afin de bien mettre en relief celles du « tournant iconique ». Son plus grand défenseur est Nicholas Mirzoeff[36], dont les anthologies, très populaires, ont, pour plusieurs, servi de porte d’entrée à la discipline (fig. 3). En visant avant tout la fonction politique et culturelle des images et leur contexte social, Mirzoeff voit dans les études visuelles le lieu d’une analyse du message des artefacts visuels plutôt que de leur support matériel. Alors que Mitchell et Elkins tendent à mettre en valeur le statut physique des objets, la nature et la structure du média impliqué, Mirzoeff s’intéresse aux fins auxquelles ils sont destinés ; les premiers mettent l’accent sur la qualité du support matériel (sur sa capacité à nous toucher), tandis que Mirzoeff se concentre sur un potentiel idéologique. Irit Rogoff a insisté sur l’importance du concept de représentation et sur la nécessité d’expliciter les présupposés culturels que ce paradigme comporte, non seulement ceux de l’émetteur ou du récepteur, mais aussi ceux du théoricien ou de la critique. En réponse aux critiques qui présentent la « culture visuelle » comme une entreprise intellectuelle, elle écrit :

Dans la culture visuelle, l’histoire devient celle du regardeur ou du « discours autorisant » plutôt que celle de l’objet. Nécessairement, ce déplacement implique aussi le changement du sujet au coeur de l’analyse, un changement qui fait en sorte que la nécessité de le tenir dans un mode et à un moment précis fait partie intégrante de l’analyse. Ce mélange de savoir contextualisé et de discours analytique auto-réflexif, doublé de l’histoire consciente d’un sujet regardant […] [est] l’occasion d’une certaine conscience de soi tout comme de l’observation du caractère politique de chaque proposition culturelle[37].

Figure 3

Nicholas Mirzoeff, An Introduction to Visual Culture.

Nicholas Mirzoeff, An Introduction to Visual Culture.

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En insistant sur le rôle du regardeur/critique plutôt que sur la singularité de l’objet visuel en question, cette autre approche des études visuelles soutient que l’identité du regardeur importe et que chaque interprétation varie selon une position subjective. Toutefois, les auteurs qui représentent cette approche sont loin de laisser entendre qu’une explication découlerait d’une identité particulière, selon des caractéristiques propres ou « essentielles » ; plutôt, ils considèrent la subjectivité comme un flux continuel. Ainsi, le savoir ne serait jamais « fixe », en dépit de sa contextualité[38].

Comment articuler les caractéristiques méthodologiques qui distinguent ces deux attitudes quant à la tâche des études visuelles ? Les noms qui leur sont attribués sont très révélateurs. Alors que les « études visuelles », la Bildwissenschaft (« science de l’image ») ou la Bildanthropologie (« anthropologie de l’image ») relèvent d’une objectivité académique garantie par une subjectivité épurée et associée, dans la tradition humaniste, à la neutralité et à l’universalité, la « culture visuelle » ajoute au projet une dimension relativisante en identifiant et en précisant à la fois la position subjective de l’émetteur et du récepteur d’une image. La Bildwissenschaft et la Bildanthropologie semblent permettre l’établissement de mécanismes par lesquels différents médias affectent la perception humaine en général, et ce pour rendre compte de la réception, en faisant notamment référence au contexte culturel ou historique ; pour sa part, la « culture visuelle » s’intéresse moins aux structures opérationnelles d’un média donné qu’à ses fonctions culturelles et sociales. Tout repose sur une double alternative : ou bien le concept d’image composée (picture) est envisagé comme un « porte-lieu » (place holder), une construction culturelle porteuse d’un sens qui se rapporte aux circonstances de sa production et de sa réception ; ou bien il est révéré parce qu’il est potentiellement chargé de présence iconique.

Ces attitudes opposées et parfois superposées dépendent évidemment de conceptions très différentes de ce qui constitue une « image », des conceptions qui déterminent le programme que se donnent les « études visuelles » ou la « culture visuelle ». D’une part, selon la Bildwissenschaft, la Bildanthropologie et les études visuelles théorisées par Mitchell et Elkins, l’image est une présentation, une source de puissance qui, parce qu’elle se présente comme un objet doué d’être, exige qu’on l’analyse en prêtant attention à la manière dont sa magie opère sur le regardeur. D’autre part, selon la « culture visuelle » (telle que la conçoivent Mirzoeff et consorts), l’image est une représentation culturelle qui tient autant son importance du contenu qui l’investit que de sa nature intrinsèque. La figuration (depiction) n’a pas une valeur en soi : elle doit plutôt être étudiée selon l’ensemble du spectre des effets sociaux qu’elle est capable de produire. Bien sûr, certains théoriciens sont à cheval sur ces deux discours. Par exemple, Mitchell s’intéresse autant aux fonctions ontologiques que politiques de l’image[39].

Toutefois, ce n’est pas le moindre des paradoxes que tant les études visuelles inspirées par un tournant ontologique que leur contrepartie héritière des études culturelles affirment l’importance de la réception des artefacts visuels. Ceux qui s’intéressent à une réception phénoménologique (et qui soulignent que la forme ou le support matériel d’une image déterminent son message autant que son contenu) tendent toutefois à écarter l’identité du récepteur, afin de rendre manifeste ce qu’ils considèrent être les qualités inhérentes (ou « l’attractivité ») de l’artefact. En ce qui les concerne, c’est l’instant qui est important, le hic et nunc de la réception davantage que la personne qui fait l’expérience de l’image. D’autres, moins soucieux de la fonction politique des images, ont tendance à mettre l’accent sur l’identité tant de l’émetteur que du récepteur plutôt que sur la structure particulière de l’image. Le contenu de l’objet visuel, tout comme son rôle selon les desseins d’une idéologie politique et culturelle, est considéré être plus significatif que la nature même du support matériel.

Cependant, les deux approches mettent en scène les contingences de l’interprétation : dans un premier cas, en attirant l’attention sur la contemporanéité de l’expérience — la rencontre spécifique qui permet au sujet et à l’objet d’interagir et de produire une réponse qui ébranle la distinction entre l’un et l’autre ; dans l’autre, en décrivant à la fois comment les identités respectives de l’émetteur et du récepteur déterminent et modulent une image qui sert alors de pont communicatif, de troisième terme entre eux, et comment l’identité du critique affecte l’interprétation. Dans un cas, l’identité de la voix auctorielle est délibérément escamotée afin de faire place à la voix de l’objet ; dans l’autre, l’identité de la voix auctorielle est mise en lumière en soulignant le caractère construit de sa position subjective. Les deux approches « situent » l’auteur, mais l’une le fait de manière implicite tandis que l’autre le fait de manière explicite. L’opposition binaire que j’ai marquée dans ces deux approches (entre ceux qui adhèrent au « tournant iconique » et ceux qui ont clairement un programme politique) demeure heuristique. C’est un dispositif qui m’a permis de montrer les différences entre l’une et l’autre position, puisque dans la pratique on trouve un éventail de positions interprétatives dans lesquelles les deux extrêmes se diffusent, de manière parfois indistincte.

Peut-être que les thèses de Derrida sur le langage (comment le manque de référentialité de celui-ci fonde sa capacité à nous rendre le monde accessible) pourraient nous aider à penser le rôle des images. Les mots créent des mondes qui correspondent ou ne correspondent pas à celui dans lequel nous nous trouvons. Leur capacité à absorber le contexte de leur énonciation les emplit de présence, tout en empêchant leur sens de se figer. Latour et Daston suggèrent pour leur part que le langage n’est pas un médium que nous répandons à la surface de la réalité afin de la rendre signifiante : le langage est plutôt constitutif des choses mêmes auxquelles il réfère[40]. Le langage a une épaisseur qui, tout en déformant ce qu’il décrit, possède néanmoins le pouvoir de porter son référent à la présence, de donner vie à ce qui lui échappe. Loin de ressusciter une théorie référentielle du langage, cette perspective reconnaît l’inévitable glissement qui survient lorsque les systèmes humains de signification filent au-dessus d’un monde qui précède et excède leurs capacités analytiques et descriptives ; mais elle affirme aussi du même souffle que, toute proportion gardée, le langage structure le monde tel que nous le connaissons. C’est tout ce que nous avons, comme l’écrit Timothy Lenoir : « Une fois constaté que le signifié est originellement et essentiellement une trace, qu’il est toujours dans la position du signifiant, la métaphysique de la présence doit reconnaître qu’elle prend sa source dans l’écriture[41]. »

Certains des auteurs associés au tournant iconique, Belting par exemple, considèrent que la figuration fonctionne de manière analogue au rôle donné au langage dans les études des sciences : c’est-à-dire que les images créent et découvrent à la fois le « réel ». Bien qu’elles concèdent la contingence et la particularité historique de leur « effet de réalité », les images composées (picture) nous donneraient néanmoins accès à quelque chose qui résonne avec le « réel ». Toutefois, ceux qui sont impliqués dans une forme d’études culturelles, attachées à la représentation et non à la présentation, cherchent à voir au-delà des images afin de déterminer les forces sociales responsables de leur programme idéologique. Selon ce discours, les artefacts visuels ne peuvent avoir qu’un rapport fictif avec le « réel ». Ces critiques ne sont ni déçus par la manière dont se présentent les objets ni trompés par leur présumée puissance existentielle : ils leur refusent la capacité de déterminer leur propre sort interprétatif afin d’identifier les engagements politiques de ceux qui les font et les consomment.

De telles attitudes semblent fondées sur des présupposés incompatibles et incommensurables. D’une part, il est nécessaire de donner une valeur existentielle aux artefacts visuels, ce qui implique qu’ils sont chargés de sens, d’un quelque chose qui précède la rencontre avec le regardeur ; d’autre part, il faut assumer une perspective philosophique et idéologique qui permet d’aller à la rencontre d’une culture visuelle à première vue multiple et chaotique, mais néanmoins dotée d’un sens politique. Les perspectives ontologiques et sémiotiques, aussi différentes soient-elles, ne sont pas irréconciliables. Les façons dont les objets nous appellent, leur animation et leur apparente autonomie proviennent de leur rapport avec nous. Insister sur leur capacité d’agir « seconde » (secondary agency) est un moyen d’admettre non seulement leur indépendance, mais aussi leur dépendance envers la culture humaine. Ils nous hantent peut-être, mais avec une autonomie relative. Ils ne peuvent exister sans le pouvoir que nous leur prêtons. Mitchell décrit ainsi cette relation :

Pour le meilleur ou pour le pire, les êtres humains constituent leur identité collective en créant autour d’eux une seconde nature composée d’images qui ne reflètent pas seulement les valeurs voulues par leur créateur, mais dégagent de nouvelles formes de valeur dans l’inconscient collectif et politique de leurs contemplateurs[42].

Tels sont les mythes directeurs dont dépend actuellement notre connaissance du visuel. Le récent paradigme selon lequel les artefacts visuels ont une « vie » et ne sont pas des véhicules qui transportent passivement des idées (étant plutôt doués de capacité d’agir) transforme notre conception du travail et de l’oeuvre dans les études visuelles. Le « tournant iconique » ajoute la dimension de la présence à notre compréhension de l’image et exige une analyse des médias et des formes qui augmente les interprétations en richesse et en texture. La portée intellectuelle de ce tournant s’annonce formidablement fructueuse, que la tâche académique soit conçue comme l’étude des différents médias et de leur nature singulière (Elkins), comme l’analyse de la manière dont l’intelligence humaine recourt aux images plutôt qu’aux mots dans la construction du sens (Bredekamp), comme une anthropologie historique examinant en détail les formes de vie qui ont animé et animent les images (Belting), comme l’étude continue des façons dont la perception est affectée par des changements de visualité (Mitchell) ou bien comme un mélange encore inédit de ces approches et de ces théories. J’ai esquissé ici certains paradigmes méthodologiques, mais il est clair que les possibilités sont aussi infinies que les objets eux-mêmes. Ces nouvelles approches ne rendent pas les formes établies obsolètes, bien au contraire. Comme j’ai tenté de le souligner, des hypothèses différentes ne mènent pas nécessairement à des conclusions irréconciliables. Une analyse des supports matériels ouvre facilement sur des enjeux politiques, tandis que l’analyse politique peut recourir à l’« aura » de l’image dans sa rhétorique. Le « tournant iconique » nous rappelle que les artefacts visuels refusent d’être réduits par les interprétations qu’on voudrait y plaquer au présent. Les objets visuellement intéressants persistent à traverser l’histoire en exigeant toujours radicalement de nouvelles méthodes d’analyse : ils engendrent ainsi autant de récits captivants, au fil de leur déambulation historique.