Corps de l’article

Cet ouvrage de presque 400 pages est tiré des actes d’un colloque qui s’est déroulé en Algérie. On ne saurait mieux dire qu’il possède un caractère international, puisqu’il a suscité la contribution de collègues du Québec, d’Algérie et de France. Le titre est plutôt trompeur, car il laisse entendre que toutes les interventions sont reliées uniquement au « cas » algérien. Il n’en est rien, puisqu’après une introduction lumineuse d’André Joyal sur, effectivement, l’« état de la situation » de la PME algérienne, les contributions ont été présentées en trois parties distinctes.

Or, la première partie aborde avant tout la question de « la » ou « des » PME en général, dans leur rapport avec l’international. Les chapitres ont été rédigés par des collègues fréquentant plutôt d’ordinaire le boulevard des Forges à Trois Rivières que la Casbah d’Alger. Les trois papiers posent très clairement la question, d’abord du positionnement des PME face à la mondialisation (C. de la Durantaye), ensuite des problèmes de mesure de la stratégie d’internationalisation des PME (J.-L. Perrault et J. St-Pierre). L. Cadieux ambitionne de proposer un modèle « de » synthèse qui rassemblera les différentes attitudes et pratiques des PME (avant tout, de leurs propriétaires-dirigeants) à l’égard de la question de la croissance par l’exportation. Très clairement, ces contributions offrent surtout des avancées méthodologiques et une information systématique sur les recherches menées à ce jour sur cette double question, qui reste largement énigmatique : Pourquoi les PME se lancent-elles dans l’exportation ? Et comment procèdent-elles ?

Il n’est cependant pas évident que les apports de cette réflexion liminaire soient tous transposables à la réalité algérienne – déjà mise en scène dans l’introduction d’A. Joyal. Cette réalité est abordée par des collègues et des décideurs algériens. De façon globale, on dira qu’ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère ! La plupart des contributeurs insistent avec vivacité sur les obstacles divers et variés que rencontrent les dirigeants de microentreprises (moins de 10 employés), comme de petites et moyennes entreprises, tant dans la société que dans l’économie algériennes. Le « syndrome hollandais » est rappelé, qui met sur la sellette le rôle néfaste de la rente pétrolière. Il est maintes fois évoqué les séquelles des anciennes politiques industrielles, depuis la « religion » des balances matières soviétiques (comme je l’avais constaté à l’INTP de Ben Aknoun il y a quelques dizaines d’années), ou le mirage des industries industrialisantes de Destanne de Bernis. Plus profondément, les auteurs incriminent l’éthos et l’ethnos de la société algérienne, en réalité un kaléidoscope de communautés historiquement (sous l’effet des incursions et dominations successives, apportant leur lot de bureaucratie) et régionalement constituées. On peut regretter à cet égard que, comme pour les autres pays du Maghreb, les différenciations sociales soient gommées, au nom d’une volonté d’unification nationale, comme le rappelle à juste titre M. Larabi. Plus clairement dit, certaines communautés présentent de plus grandes dispositions à l’esprit d’entreprise, qui ne sont pas toujours encouragées et mises en avant. Dans cette optique, il est patent que l’internationalisation ne pose pas uniquement le problème de l’exportation de pétrole et autres produits, mais aussi, et sans doute surtout, celui de l’émigration – sachant que ce sont bien souvent certaines communautés, plus entreprenantes, qui réussissent le mieux de l’autre côté de la Méditerranée, et qui manquent dans, et à leur pays.

On peut regretter que ne soit pas rappelée la thèse du décollage de Rostow, ou, plus tôt, de List : avant de se lancer dans l’international, la nation doit développer et protéger sa propre industrie. Mais les tenants de la thèse du décollage posent un préalable : l’encouragement des communautés possédant un grand esprit d’entreprise, parfois depuis bien des siècles, en leur faisant acquérir une grande légitimité, comme on l’a vu, par exemple, en Chine. Sans doute, comme le montre excellemment A. Amarouche, l’une des questions centrales est-elle de savoir comment les fonds générés par la rente pétrolière peuvent occasionner l’entrée dans la mondialisation, alors que la rente semble plutôt décourager l’esprit d’entreprise, du moins sur le territoire algérien. De ce point de vue, les cinq contributeurs soulignent à l’envi les freins. En particulier, L. Dayan (Paris–Sorbonne) évoque la situation du tourisme pour exhiber les contradictions entre une volonté toute rhétorique (et bureaucratique) de développer cette activité, pour laquelle les atouts algériens sont immenses, et une réalité où, par exemple, les industries, plus polluantes qu’industrialisantes, prennent le dessus, au détriment de la protection naturelle et du développement durable – problèmes bien mieux maîtrisés par les deux voisins du Maghreb.

La troisième partie nous entraîne de nouveau bien loin des préoccupations algériennes, pourtant soulignées dans le titre de l’ouvrage. L’auteur de ce compte rendu n’ira pas jusqu’à parler de propos circonstanciels, mais la présentation de travaux traitant d’expériences internationales comparées, dans les zones les plus diverses, ne sont raccordées parfois que de façon plutôt artificielle à l’objet du congrès. Présenter une étude comparée de la satisfaction de dirigeants de PME à l’égard des offres de services publics dans les plus grandes villes européennes a quelque chose de surréaliste pour qui vit quotidiennement, par exemple, à Alger (et pas au Fourati !). En revanche, la question des relations entre les Nations du pourtour méditerranéen pose un vrai problème. Or, comme le montrent R. Paranque et Y. H. Zoubir, le projet d’Union méditerranéenne semble mort-né – encore que les « révolutions » en cours posent à terme la question d’une relance de la coopération internationale entre les pays nord-sud et est-ouest du bassin méditerranéen. On pourra regretter que le travail comparatif de N. Levratto et M. Ramadan sur « des », plus que « les », PME de divers pays méditerranéens présente encore un caractère purement exploratoire – et méthodologiquement très discutable.

Au total, cet ouvrage nous offre un aperçu plus qu’intéressant sur les problèmes auxquels se heurtent les PME en Algérie, même si beaucoup de ce qui est dit ne concerne que le secteur émergé, alors que l’économie souterraine revêt une importance cruciale. De surcroît, les 97 % de microentreprises (au bas mot) sont très éloignées des préoccupations manifestées dans la première partie (et sans doute dans la troisième) alors qu’elles constituent la « substantifique moelle » de ce beau pays, qui décollera bien un jour.