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Ce livre est le deuxième épisode d’une véritable saga de l’entrepreneuriat que Thierry Vestraete, à la manière d’un George Lucas, nous propose depuis quelques années. Il faut dire qu’il y a dans la figure emblématique de l’entrepreneur un mélange des personnages de Yan Solo – le côté individualiste et débrouillard – et de Luke Skywalker – la prise en compte des parties prenantes induit un comportement messianique et même, n’ayons pas peur des mots, humaniste. Comme les films de la Guerre des étoiles, chaque livre coécrit ou dirigé par notre collègue a sa logique propre, ses propres rebondissements, ses scènes phares et ses dénouement et épilogue. Lire l’un sans les autres est toujours possible, mais nous ne saurions trop conseiller au lecteur de lire les trois comme le cinéphile se ménage parfois des plages de temps pour se remémorer toute la fresque afin d’en apprécier la cohérence. À l’instar du cinéaste, Verstraete nous montre qu’il a de la suite dans les idées. Sa quête : rendre notre société plus entrepreneuriale. Et pour cela, il faut de la méthode. Et c’est précisément à ce niveau que réside le plus grand apport des travaux ici présentés de manière agréable et didactique.

La préparation au lancement d’une affaire est une étape clé de la réussite du projet, et c’est dans ce cadre que s’inscrit l’ouvrage de Thierry Verstraete et ses collaborateurs. Ce livre, pertinent aussi bien pour les porteurs de projets et leurs conseillers que pour les étudiants poursuivant une formation en entrepreneuriat, porte sur la préparation au lancement d’une affaire à travers le suivi de cinq phases fondamentales du processus entrepreneurial. Les cinq phases sont elles-mêmes composées de plusieurs étapes dans lesquelles le lecteur trouvera des travaux d’évaluation, des éléments de réflexion et des aspects théoriques fondamentaux. Riche en illustrations, ce guide pédagogique offre au porteur de projet d’entreprise des outils pratiques indispensables dans la préparation de son affaire.

La première partie (trois étapes) amorce le processus entrepreneurial avec la phase décisive de l’idée d’affaires : du choix de l’idée à sa mise au point, jusqu’à la protection de celle-ci. Si la plupart du temps un créateur d’entreprise sait vers quoi il veut aller, il arrive parfois qu’il n’ait pas encore très bien défini son idée d’affaires. L’auteur nous présente dans une première étape les principales sources d’idées qui peuvent stimuler l’acte d’entreprendre. Celles-ci pouvant être engendrées par une situation (l’expérience antérieure, la passion…) ou prendre la forme de personnes que les auteurs appellent les « fournisseurs d’idées » (franchiseur, inventeurs…). Une fois l’idée trouvée, la deuxième étape, soit sa mise au point, est explicitée de façon pratique sous forme de méthodes opérationnelles de créativité (analyse défectuologique, brainstorming) que le lecteur/porteur de projet pourra mettre en pratique. On trouvera également un exemple concret de mobilisation de la méthode PMI qui nous montre comment le travail de réflexion va préciser l’idée d’affaires. Pour clôturer cette première phase, l’étape de la protection de l’idée d’affaires apparaît comme essentielle. Les auteurs insistent sur l’importance de la protection intellectuelle lorsqu’on démarre un projet d’entreprise. Partie intégrante de la politique de l’entreprise et véritable instrument stratégique, la protection intellectuelle est considérée comme fondamentale, même si les créateurs peuvent se sentir déroutés devant les multiples options qui leur sont offertes pour sécuriser leur affaire. C’est pourquoi l’ouvrage donne un aperçu des divers outils mis à la disposition du créateur (protection des innovations techniques, protection des noms, protection de l’esthétisme industrielle…).

Par enchaînement, la deuxième phase du processus entrepreneurial (trois étapes également) se focalise sur l’opportunité d’affaires. En effet, le projet s’incarne peu à peu dans une réalité concrète et devient opportunité d’affaires lorsque le marché est révélé. La première étape consiste en une démarche de réflexion préalable permettant au créateur de se poser les bonnes questions : d’une part, au sujet du marché dans lequel il souhaite s’insérer et de son offre (quel produit ou service ?) ; d’autre part, sur la construction de sa vision du marché. Les auteurs soulignent à juste titre l’importance d’une mise au point des croyances de l’entrepreneur sur son marché, car cette réflexion va permettre de diminuer les freins eu égard au marketing et à l’étude de marché. D’ailleurs, l’étude de marché fait l’objet de l’étape suivante, qui fournira au porteur de projet des modèles d’analyse de référence lui permettant de dégager les aspects macroéconomiques et microéconomiques du marché dans lequel il s’insérera. Tout cela dans le but ultime de déceler les avantages concurrentiels de l‘entreprise et confirmer l’opportunité d’affaires. Enfin, dans une troisième et ultime étape de la validation de celle-ci, l’auteur évoque l’importance de l’adéquation de l’offre et de la demande. En effet, le porteur de projet doit confronter le produit/service aux consommateurs potentiels. De façon éducative et reprenant les questions que se posent les créateurs d’entreprise sur les techniques utilisées pour comprendre le comportement des consommateurs, les auteurs développent les caractéristiques des méthodes qualitatives et quantitatives. L’étude de cas clôturant cette deuxième partie permet au lecteur d’avoir un exemple concret de mise en pratique des deux premières phases du processus entrepreneurial : de la mutation de l’idée d’affaires en opportunité d’affaires. En reprenant le cas réel d’un étudiant en entrepreneuriat souhaitant lancer une affaire, l’exercice se veut instructif, mais non arrêté dans la mesure où tant les aspects positifs que les aspects négatifs de l’analyse y sont présentés.

La troisième phase (trois étapes encore) porte sur le business model défini comme une « convention relative à la génération de la valeur, à la rémunération de celle-ci et au partage de cette rémunération ». On retrouve ici la marque de Thierry Verstraete (1999) qui, depuis fort longtemps, ne cesse de montrer à quel point la théorie des conventions est un cadre fructueux pour appréhender les réalités entrepreneuriales. Ainsi, de façon pédagogique, les auteurs déclinent les principes de la méthode GRP (Génération, Rémunération, Partage[1]) de façon à ce que le porteur de projet formalise son business model. Dans une première étape consacrée à la génération de la valeur, les auteurs invitent le porteur de projet à se questionner sur la personne capable de générer cette valeur, la proposition de la valeur à une clientèle et les ressources qui permettront de créer la valeur. Reprenant les aspects théoriques relevant des caractéristiques et des traits de personnalité de l’entrepreneur, les auteurs encouragent le lecteur à préciser ses propres motivations à entreprendre, à tenter d’identifier la clientèle pour qui la proposition de valeur a un intérêt et, enfin, à déterminer les ressources et la valeur émanant de leur utilisation. La deuxième étape de la méthode GRP concerne la rémunération de la valeur, où le porteur de projet est amené à établir les canaux par lesquels circuleront les sources de ses revenus. Il s’agit là d’une étape comptable indispensable au calcul du volume des revenus et de l’estimation des profits. La dernière étape, celle du partage de la valeur, traduit le fait que le projet a un aspect partenarial et collectif qui apporte des ressources supplémentaires à l’entreprise. C’est pourquoi le porteur de projet doit animer son réseau d’affaires et inciter les parties prenantes à prendre part au projet. Encore une fois, le lecteur appréciera sans doute l’exercice pratique de communication écrite du business model par un créateur d’entreprise aguerri et pouvant être appliqué par le lecteur créateur d’entreprise et son conseiller.

La quatrième phase du processus porte sur la vision stratégique (trois étapes… décidément !). Elle rappelle dans une première étape quelques fondamentaux sur le sujet, développés de manière à ce que le non-spécialiste saisisse bien l’importance de la vision stratégique de l’entrepreneur, sa capacité d’anticipation et sa représentation de l’entreprise dans l’environnement auquel elle appartient. En reprenant la définition de Filion (1991) sur la vision, les auteurs consacrent les deux étapes suivantes à deux dimensions clés de la stratégie. D’une part, le positionnement stratégique et commercial, afin que le créateur d’entreprise se positionne dans les environnements macroéconomique (le lecteur y trouvera des modèles de référence d’analyse comme le modèle PESTEL) et microéconomique (analyse des DAS) au sein desquels il déploie sa stratégie, tout en précisant sa politique commerciale destinée à satisfaire le client, en adaptant les outils du marketing mix (méthode des 4P). D’autre part, la configuration organisationnelle va sensibiliser le porteur de projet aux politiques fonctionnelles de l’entreprise et aux objectifs à atteindre par les différents services. Cette étape encourage le porteur de projet à se poser les bonnes questions, notamment sur le contrôle de son entreprise naissante et sur le choix d’une structure juridique cohérente avec son projet. Les nombreux exemples et études de cas se référant à l’expérience des porteurs de projet que les auteurs ont suivis lors du lancement de leur affaire éclairent le lecteur, notamment sur les erreurs à ne pas commettre.

À ce stade de la lecture, le créateur d’entreprise a construit, phase après phase, l’édifice de son projet d’affaires. Toutefois, les auteurs clôturent le fil conducteur du processus entrepreneurial par le plan d’affaires (à votre avis, combien d’étapes ?). Bien que le projet soit discuté, les auteurs soulignent l’importance d’en avoir une version rédigée et rappellent dans une première étape son intérêt : un véritable outil de planification, de concrétisation du projet et, enfin, un outil de communication pour convaincre l’ensemble des parties prenantes. Les auteurs fournissent également des liens d’aide à la rédaction et des indications utiles sur la forme et le contenu du document (nombre de pages, enchaînement des parties…). Dans une deuxième étape, l’ensemble des aspects financiers du plan d’affaires est développé (seuil de rentabilité, comptes de résultats prévisionnels, estimation des besoins de financement, etc.). Souvent peu ou mal maîtrisée par les porteurs de projet, la partie comptable et financière est une étape qui peut se révéler décisive pour les parties prenantes. Ne se substituant pas aux spécialistes, les auteurs présentent cet aspect de manière instructive en illustrant leurs propos par des modèles, des méthodes, tableaux et figures. Enfin, dans une dernière étape, les différentes sources de financement à disposition des créateurs d’entreprise sont présentées. Cette partie offre également des conseils judicieux pour l’obtention de financement de la part d’investisseurs potentiels. Les auteurs conseillent ainsi de porter une attention particulière à différents aspects de l’entreprise (le marché, les avantages concurrentiels, les projections financières), mais également à la gestion d’une relation profitable entre le créateur d’entreprise et les investisseurs. Encore une fois, une étude de cas détaillant une partie du plan d’affaires d’une entreprise en création aide le lecteur à rédiger ce document.

Il faut souligner un atout majeur de cet ouvrage : sa facilité d’accès pour les porteurs de projet ayant une faible connaissance des aspects techniques reliés au lancement d’une affaire. Ils y trouveront sans doute des réponses aux questions qu’ils se posent et surtout une bonne méthode à suivre. En plus d’être amenés à revoir certains fondements théoriques indispensables, les lecteurs pourront profiter de nombreuses mises en situation et consulter divers tableaux leur permettant de mieux comprendre ce dont il est question et d’adapter les méthodes et modèles en fonction de leur projet. En outre, dès le départ, la structure des phases de l’ouvrage est clarifiée. À travers la trajectoire cyclique du processus entrepreneurial, le lecteur sait d’où il part et où il va, ne manquant pas de préciser le caractère itératif du processus, dont la démarche pourra être renouvelée dans le cas du lancement d’un projet entrepreneurial qui surviendrait a posteriori de la création d’entreprise.

Au final, le tour de force de cet ouvrage est de présenter une profonde cohérence d’ensemble bien que huit contributeurs se soient relayés pour l’écriture. En outre, on perçoit une volonté de transférer les connaissances théoriques dans la sphère de l’économie appliquée. Ce transfert des connaissances est, à nos yeux, l’un des plus grands enjeux de la recherche en PME et en entrepreneuriat. Dans un numéro spécial de la Revue internationale PME intitulé « Actionnabilité et recherche en entrepreneuriat et PME », notre collègue Christophe Schmitt, qui a coordonné le numéro, regrettait que l’acteur et l’action semblaient encore trop absents dans les articles et ouvrages de ce domaine. « Parce que la capacité des acteurs de l’entreprise à conduire les changements est un sujet clé pour la compétitivité future des entreprises, le chercheur ne se fait plus simplement interprète ou miroir, mais doit aussi stimuler la production de nouveaux points de vue et de nouveaux savoirs théoriques et pratiques. Il s’agit bien de mener des recherches dans et pour l’action en entrepreneuriat » (Schmitt, 2004, p. 10-11). Ce souci d’actionnabilité des connaissances est l’un des points forts de cet ouvrage collectif, qui vient enrichir une jeune collection éditée chez De Boeck qui gagne ses galons, livres après livres, comme ceux déjà parus de nos collègues Boncler, Janssen, Levratto, Redis et Valéau.