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Introduction

La littérature a souvent traité la gestion de l’actif à court terme des entreprises comme une composante de la gestion du fonds de roulement (FDR). La gestion du FDR consiste généralement dans le suivi des liquidités, des comptes clients, des stocks et des comptes fournisseurs. Le FDR se situe parmi les principales préoccupations des dirigeants de PME en raison de son impact considérable sur la survie et la rentabilité de la firme (Huang et Brown, 1999) dans un contexte où l’accès au financement externe peut être contraint (Neely et Van Auken, 2009). Plusieurs études réalisées dans différents pays ont répertorié les pratiques les plus courantes en matière de gestion de FDR dans les PME (Banos-Caballero, Garcia-Teruel et Martinez-Solano, 2010 ; Nazir et Afza, 2008 ; Khoury, Keith et MacKay, 1999) et leur incidence sur la rentabilité de l’entreprise (Deloof, 2003 ; Garcia-Teruel et Martinez-Solano, 2007). Cependant, les résultats de ces études restent non concluants, certains montrant un effet positif alors que d’autres rapportent un effet négatif.

Ces résultats contradictoires peuvent être dus à l’omission de certaines variables importantes, comme la stratégie de la PME. En effet, la littérature nous enseigne que l’absence d’adéquation entre les pratiques d’affaires et la stratégie de l’entreprise peut nuire à la performance organisationnelle (Becker, Huselid, Pickus et Spratt, 1997), alors que dans un contexte de PME, la stratégie découle principalement des objectifs de l’entrepreneur. Cependant, nous n’avons pas trouvé d’études sur les relations entre les objectifs de l’entrepreneur, les pratiques d’affaires (PA) utilisées dans l’entreprise et les indicateurs de performance associés spécifiquement à la gestion de l’actif à court terme (liquidités, comptes clients, stocks).

Au moyen d’une étude exploratoire menée sur des PME manufacturières canadiennes, cet article vise à vérifier, d’une part, les relations entre les objectifs de l’entrepreneur (OE) et les PA existantes dans l’entreprise et, d’autre part, les répercussions de ces pratiques sur l’efficacité dans la gestion de l’actif à court terme et, plus précisément, sur la gestion des stocks et des comptes clients (CC). Nos résultats indiquent qu’il existe des liens entre les objectifs de l’entrepreneur et les pratiques qu’il implante dans son entreprise. Celles qui ont un effet direct sur les délais de détention des stocks et de recouvrement des CC sont : la collaboration avec des partenaires dans les domaines de conception/marketing/distribution et le suivi des améliorations au regard de la flexibilité des équipements, des goulots d’étranglement, de la qualité, de la standardisation du produit et des délais de livraison. Nos résultats montrent aussi l’existence d’une hiérarchie dans l’implantation des PA par rapport aux objectifs de l’entrepreneur.

Cette étude contribue à enrichir la littérature en finance entrepreneuriale en ramenant la dimension entrepreneuriale dans l’explication de l’efficacité de la gestion de l’actif à court terme des PME. Elle permet aussi aux dirigeants de prendre conscience de l’importance des objectifs qu’ils poursuivent dans l’adoption des PA dans l’entreprise et de l’influence de ces dernières sur la performance.

Cet article est organisé comme suit : nous présenterons dans la première section l’importance de la gestion de l’actif à court terme et son impact sur la survie de l’entreprise. Nous identifierons, dans la deuxième section, les pratiques qui peuvent éventuellement influencer les principales composantes de l’actif à court terme, soit les stocks et les comptes clients, suivies d’une discussion sur la relation entre les objectifs des dirigeants et les pratiques d’affaires sélectionnées. Nous présenterons ensuite le cadre méthodologique de la recherche, ainsi que les résultats et les principales conclusions.

1. Importance de la gestion de l’actif à court terme dans les PME

Étant donné que l’actif à court terme est une composante du FDR, la recension de la littérature présentée dans ce qui suit portera aussi bien sur la gestion du FDR, en général, que sur la gestion de l’actif à court terme, en particulier. Selon plusieurs auteurs, la bonne gestion du fonds de roulement est une condition importante du succès et de la survie de l’entreprise (Kargar et Blumenthal, 1994 ; Peel et Wilson, 1996 ; Garcia-Teruel et Martinez-Solano, 2007). En effet, une mauvaise gestion du FDR peut se traduire soit par des délais plus longs de collecte des comptes clients, créant ainsi une pression sur les liquidités pouvant empêcher l’entreprise d’honorer ses engagements à court terme, soit par un niveau de stocks élevé qui engendre des coûts additionnels pour l’entreprise. Une mauvaise gestion du FDR peut alors être à l’origine d’importants problèmes de liquidités qui peuvent mettre en péril l’existence même de la PME (Filbeck et Krueger, 2005).

Dans la même veine, une bonne gestion de l’actif à court terme, dont les trois principales composantes sont l’encaisse, les stocks et les CC, est aussi d’une importance majeure pour l’entreprise. Cependant, les auteurs ne s’entendent pas sur le rôle du niveau de ces actifs sur la performance des entreprises. Certains soutiennent que les firmes peuvent augmenter la rentabilité de leur actif en réduisant la période de recouvrement des CC et la période de détention des stocks (Deloof, 2003 ; Garcia-Teruel et Martinez-Solano, 2007 ; Mathuva, 2010), permettant ainsi de raccourcir le cycle de conversion de l’encaisse. Toutefois, les résultats empiriques ne vont pas tous dans ce sens. En effet, des recherches ont confirmé l’hypothèse qu’un niveau de stocks et de CC élevés réduirait la rentabilité de l’actif parce qu’il implique un cycle de conversion de l’encaisse plus long (Nazir et Afza, 2008 ; Banos-Caballero et al., 2010), alors que d’autres ont trouvé qu’il augmenterait cette rentabilité. Ces derniers résultats peuvent s’expliquer par le fait que l’offre d’un délai plus long de recouvrement des CC renforce la relation avec les clients et augmente les ventes (Ng, Smith et Smith, 1999) tandis que le maintien d’un niveau plus élevé de stocks réduit le risque d’une possible interruption de la production et protège l’entreprise contre les fluctuations des prix (Blinder et Maccini, 1991).

La prochaine section portera sur l’identification des PA qui concernent l’actif à court terme, soit les stocks et les CC dont la qualité de la gestion devrait être associée à une performance élevée.

2. Pratiques d’affaires liées à la gestion des stocks et des comptes clients

Boselie, Dietz et Boon (2005) définissent les PA comme l’ensemble des activités de fonctionnement réelles et observables réalisées par les employés de l’entreprise. Par ailleurs, Davies et Kochhar (2002) soutiennent que les PA implantées dans une PME peuvent avoir des répercussions sur différents domaines de l’entreprise et non pas seulement sur le domaine auquel elles sont directement reliées. Cela indique que plusieurs PA indirectement associées à la gestion des stocks et des CC peuvent avoir un impact sur l’efficacité dans la gestion de l’actif à court terme. À titre d’exemple, la littérature montre que l’utilisation d’une application telle que le MRP (Material Resource Planning) permettrait aux entreprises de réduire leurs délais de production (Garsombke et Garsombke, 1989), ce qui influencerait la gestion de l’actif à court terme. Par conséquent, nous optons pour l’étude de l’influence d’une liste étendue de PA sur l’efficacité de la gestion de l’actif à court terme dans les PME.

Certaines études indiquent que les PME utilisent des pratiques relativement peu sophistiquées en matière de gestion du FDR (Nayak et Greenfield, 1994 ; Khoury et al., 1999). D’autres ne font que rapporter la proportion d’utilisation de certaines techniques de gestion du FDR parmi les PME échantillonnées (Peel et Wilson, 1996 ; Maxwell, Gitman et Smith, 1998). Dans une enquête menée auprès de 211 PME du Royaume-Uni, Peel, Wilson et Howorth (2000) ont demandé aux répondants d’indiquer sur une échelle de Likert la fréquence de suivi de certaines composantes du FDR. Ils ont relevé que le niveau des stocks obtenait le plus d’attention, suivi de la période de paiement des comptes fournisseurs et de la période de recouvrement des CC. En ce qui concerne la gestion des CC, l’étude réalisée par Khoury et al. (1999) montre que l’analyse et la notation du crédit sont parmi les méthodes les plus utilisées dans les entreprises canadiennes. Quant à Peel et al. (2000), ils ont trouvé que la pratique la plus populaire pour réduire les paiements en retard des clients est l’imposition d’un intérêt statutaire.

Du côté des stocks, on notera que dans les entreprises américaines et canadiennes, la décision de réapprovisionnement se prend souvent en recourant à un système informatisé de gestion des stocks, comme l’ont noté Burns et Walker (1991) ainsi que Khoury et al. (1999). De leur côté, Lee et Kleiner (2001) affirment que la formation des employés peut contribuer à une meilleure gestion des stocks en réduisant les erreurs liées à la réception, aux ventes et au comptage des stocks.

Finalement, les PA liées à la flexibilité, à la maintenance et à la conformité des équipements au type de production peuvent réduire les pertes dues aux défaillances (Keogh, Dalrymple et Atkins, 2003), raccourcir les délais de production et accélérer le cycle des ventes (Sivasubramanian, Selladural et Gunasekaran, 2003).

D’un autre côté, la littérature indique que pour améliorer la performance de l’entreprise, les PA adoptées doivent découler de la stratégie organisationnelle (Becker et al., 1997 ; Raymond, St-Pierre et Marchand, 2009). Or, dans un contexte de PME, la stratégie de l’entreprise est intimement liée aux objectifs de l’entrepreneur ; nous consacrerons donc la prochaine section à l’explication du lien entre les objectifs de l’entrepreneur et les PA.

3. Les objectifs de l’entrepreneur et les pratiques d’affaires

La littérature souligne l’importance de tenir compte des objectifs de l’entrepreneur et de la stratégie de l’entreprise lors de l’implantation des PA (Bahri, St-Pierre et Sakka, 2011 ; Carsrud et Brännback, 2011 ; Locke et Latham, 2002). Les objectifs de l’entrepreneur sont souvent très variés (St-Pierre et Cadieux, 2009 ; Julien et Marchesnay, 1996) et parfois conflictuels, ce qui amène ce dernier à faire un arbitrage (Lewis, 2008) et à établir certaines priorités pour pouvoir aspirer à une performance satisfaisante (St-Pierre et Cadieux, 2009 ; Stewart, Carland, Carland, Watson et Sweo, 2003). Cette diversité reflète aussi l’hétérogénéité des PME, ce qui fait dire à Pennings et Smidts (2003) qu’il y aurait autant de fonctions d’utilité que d’entrepreneurs. Il est ainsi difficile, voire impossible, de dresser une liste exhaustive de tous les objectifs des entrepreneurs.

La littérature distingue entre objectifs stratégiques et objectifs opérationnels (Rickards et Wernigerode, 2007). Les objectifs opérationnels découlent de ceux stratégiques et donnent lieu à des pratiques d’affaires qui ne sont autres que les actions concrètes effectuées par les employés. Les objectifs opérationnels sont associés aux diverses fonctions de l’entreprise et font référence, entre autres, aux objectifs financiers, commerciaux et de production. La littérature soutient que les objectifs opérationnels de l’entrepreneur liés à la fonction de production sont fortement représentés dans les résultats de l’entreprise (Matthews et Dagher, 2007), et que les entrepreneurs montrent plus d’intérêt à la fonction de production qu’aux autres fonctions dans l’entreprise (Aurelio, Tagliavini, Buonanno et Sciuto, 2002). Cet intérêt serait plus marqué chez les PME dépendantes commercialement d’un donneur d’ordres (St-Pierre, Audet et Mathieu, 2003). En outre, la fonction de production est en interaction avec les fonctions commerciale et financière de l’entreprise (Hellman et Puri, 2000), ce qui nous amène à suggérer que les objectifs de l’entrepreneur liés à la fonction de production sont aussi en interaction avec les objectifs financiers et commerciaux et qu’in fine, l’entrepreneur devrait fixer des objectifs cohérents entre eux.

Étant donné l’impossibilité de tenir compte de tous les objectifs de l’entrepreneur et le fait que les objectifs de production sont nécessairement liés aux autres objectifs opérationnels tels que ceux commerciaux et financiers, nous nous concentrons dans cette étude sur les objectifs opérationnels liés à la production.

En résumé, nous soutenons dans cet article que, pour qu’il y ait amélioration dans la gestion des CC et des stocks, il faut partir des objectifs opérationnels de l’entrepreneur, qui se traduisent en un ensemble de PA qui devraient, à leur tour, mener à une meilleure gestion des stocks et des comptes clients, les deux principales composantes du fonds de roulement des PME.

Dans ce qui suit, nous exposerons nos choix méthodologiques.

4. Méthodologie

Afin de vérifier les relations entre les objectifs de l’entrepreneur, les PA et les résultats associés à la gestion des stocks et des CC, nous avons utilisé des données secondaires provenant de la base de données PDG©, qui contient des informations sur l’âge de la PME, le nombre d’employés, les PA en matière de ressources humaines, de production, de vente/marketing, d’innovation et de gestion et contrôle, ainsi que les états financiers de chaque entreprise. Comme les PME ne peuvent être considérées comme un groupe homogène, nous avons retenu celles qui ont une stratégie de développement et non seulement de pérennité, et ce, par l’innovation ou l’exportation. Par ailleurs, le calcul du délai de détention des stocks (DDS) et du délai de recouvrement des CC (DRC) exige la détermination des niveaux moyens des stocks et des CC. Nous avons ainsi retenu les 108 PME manufacturières pour lesquelles nous disposions de deux années consécutives de données financières.

Le tableau 1 fournit les statistiques descriptives des entreprises de l’échantillon. L’année 0 renvoie à la première année de collecte de données et l’année 1 correspond à l’année suivante. Les PME échantillonnées ont une taille moyenne d’environ 60 employés (54 à l’année 0 et 67 à l’année 1) et un actif total d’environ 5 millions de dollars (4,708 M à l’année 0 et 5,388 M à l’année 1). Les activités d’exportation sont relativement importantes dans les PME échantillonnées puisqu’elles fournissent, en moyenne, environ 20 % de leur chiffre d’affaires, tandis que le budget consacré à la R-D représente en moyenne environ 2 % du chiffre d’affaires. Il est ainsi possible de considérer les PME échantillonnées comme des entreprises dynamiques qui ont besoin d’assurer une bonne gestion de leur actif à court terme.

Tableau 1

Statistiques descriptives des PME de l’échantillon

Statistiques descriptives des PME de l’échantillon

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Dans cette étude, les variables dépendantes utilisées pour mesurer l’efficacité de la gestion de l’actif à court terme sont le DDS et le DRC, et elles ont été calculées selon les formules suivantes :

  • DDS[1] = Stock moyen/(Coût des marchandises vendues/365)

  • DRC = Comptes clients moyens/(ventes /365)

Comme mentionné plus haut, les PA considérées ne se limitent pas à celles directement reliées à la gestion du FDR (p. ex., l’utilisation d’un suivi individuel des comptes clients), mais incluent des pratiques relevant de la gestion des ressources humaines (p. ex., formation des représentants commerciaux) ; de la gestion de la production (p. ex., mesure de l’amélioration de la flexibilité des équipements) et aussi de la gestion commerciale (p. ex., présence de collaborations avec des partenaires d’affaires dans les domaines marketing/ventes). Ces pratiques sont mesurées de diverses façons : la présence d’une pratique ou d’un outil (oui/non ; p. ex., pour vérifier l’utilisation d’un budget de caisse), la fréquence de réalisation d’une pratique (de 1, fréquence très faible, à 5, fréquence très élevée ; p. ex., pour l’analyse de la concurrence), l’étendue d’une pratique telle que la collaboration dans les domaines marketing/ventes (de 0, aucune collaboration, à 7, collaborations établies avec plusieurs partenaires d’affaires).

Les objectifs de l’entrepreneur sont mesurés sur une échelle de Likert allant de 1 à 5 indiquant l’importance accordée à l’amélioration continue dans plusieurs domaines tels que la qualité, la flexibilité et la standardisation (voir le tableau 2). À ce sujet, certaines études ont montré que le processus de mesure par rapport à une référence visant l’amélioration continue est particulièrement efficace dans les PME et leur permet d’améliorer leur performance (Cassell, Nadin et Gray, 2001 ; St-Pierre et Delisle, 2006) et leur compétitivité (Singh, Garg et Deshmukh, 2008).

La méthode d’analyse des données retenue est la méthode PLS (Partial Least Squares) parce qu’elle permet de traiter des variables latentes, d’analyser des modèles où il y a plusieurs variables dépendantes et d’estimer aussi bien les relations directes que les relations indirectes d’un modèle (Chin, 1998). Selon Chin et Newsted (1999), l’utilisation de la PLS dans cette recherche requiert une taille d’échantillon qui soit d’au moins 80 observations[2], condition satisfaite puisque notre échantillon est composé de 108 PME. Nous avons ainsi eu recours au logiciel SmartPLS version 02.00 (Ringle, Wende et Will, 2005) pour l’analyse des données.

À partir de la base de données utilisée, nous avons relevé une centaine de PA. Afin de réduire ce nombre, nous avons commencé par une analyse des corrélations entre les pratiques pour éliminer celles qui ont une corrélation supérieure à 0,85, car elles peuvent présenter un problème de multicolinéarité (Garson, 2001). Ensuite, des analyses factorielles ont été effectuées afin d’extraire des facteurs représentant des domaines d’affaires que nous définissons comme étant un ensemble de PA dans un champ d’activité donné de l’entreprise, par exemple la gestion commerciale, la gestion de la production et des équipements, et la gestion du fonds de roulement. Les résultats des analyses factorielles et PLS sont présentés et discutés dans la section qui suit.

5. Résultats et discussions

Les résultats de l’analyse factorielle effectuée pour réduire le nombre et regrouper en facteurs les objectifs de l’entrepreneur et les PA sont résumés dans le tableau 2.

Tableau 2

Résultats des analyses factorielles

Résultats des analyses factorielles

Coeff. : coefficients de saturation ; alpha : alpha de Cronbach.

P1 : Maîtrise et conformité des systèmes de gestion de la production.

P2 : Analyse du marché.

P3 : Collaboration avec des partenaires dans le domaine de la conception/marketing/distribution.

P4 : Utilisation d’outils de gestion financière et de planification.

P5 : Formation du personnel cadre, des employés et des représentants.

P6 : Suivi des améliorations du produit/production (flexibilité, goulots, qualité, standardisation, livraison).

P7 : Utilisation d’outils de gestion des stocks.

P8 : Utilisation d’outils de gestion des CC.

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Les résultats PLS concernant les relations entre les objectifs de l’entrepreneur (OE), les différents groupes de pratiques d’affaires (P1, P2, etc.) et les indicateurs d’efficacité dans la gestion des stocks et des CC (DDS et DRC) sont illustrés à la figure 1. Les résultats PLS indiquent que le modèle explique 14,2 % et 15,7 % de la variance du DRC et du DDS, respectivement. Ces résultats sont acceptables dans une recherche exploratoire comme la nôtre.

Les résultats montrent des relations positives et significatives entre les objectifs de l’entrepreneur (OE) et quatre des pratiques considérées : P1- Maîtrise et conformité des systèmes de gestion de la production, P2- Analyse du marché, P6- Suivi des améliorations du produit/production et P7- Utilisation d’outils de gestion des stocks. Ces pratiques représentent essentiellement les activités commerciales et de production de l’entreprise. Rappelons que les OE retenus sont plutôt liés à la fonction de production de l’entreprise, il est ainsi attendu que ces objectifs soient associés à l’implantation de PA qui assurent la maîtrise des systèmes de gestion de la production tels que les logiciels d’ordonnancement et MRPII, et l’adéquation entre les systèmes de gestion de la production et le type de production adopté (P1). De même, nos résultats montrent que les OE sont positivement associés à l’adoption de PA, permettant le suivi et la mesure des améliorations de la production en termes de flexibilité des équipements et de qualité des produits (P6).

De plus, la figure 1 suggère que les objectifs de production de l’entrepreneur sont positivement liés aux pratiques d’analyse du marché en matière de clientèle et de concurrence (P2), ce qui confirme l’interaction entre les fonctions de production et commerciale de l’entreprise. En effet, les objectifs de production ne peuvent être dissociés de la connaissance de la clientèle visée par les produits de l’entreprise ni des pratiques et stratégies de ses concurrents. Les analyses de marché permettent à l’entreprise de développer cette connaissance (Blankson et Cheng, 2005) et de s’assurer que les objectifs de production répondent bien aux attentes des clients, permettant d’une certaine façon de protéger ses parts de marché.

Dans la même veine, les objectifs de production sont positivement associés à l’adoption de pratiques de gestion des stocks (P7) dans les PME échantillonnées. En effet, les objectifs de production liés à la réduction des délais de développement de nouveaux produits ou à l’augmentation de la flexibilité des équipements devraient réduire les niveaux des stocks de l’entreprise parce qu’ils permettent de raccourcir les délais de production (Burcher, Lee et Sohal, 1999), tout en assurant une circulation efficace des stocks de différentes natures. Les coûts liés aux stocks étant importants chez les PME, on comprendra la pertinence de plusieurs pratiques d’affaires visant à en réduire le niveau.

Ces résultats contribuent ainsi à la compréhension des liens entre les objectifs de production de l’entrepreneur et les pratiques adoptées par l’entreprise, non seulement dans la gestion de la production, mais aussi dans le domaine commercial.

Les résultats présentés à la figure 1 montrent que la collaboration avec des partenaires dans le domaine de conception/marketing/distribution (P3) réduit significativement le DRC. La collaboration dans les domaines de la conception, du marketing et de la distribution pourrait améliorer la connaissance du marché et des clients par l’entreprise, constituant ainsi un élément important de l’approche client. Les collaborations entre entreprises ont divers objectifs, mais elles concourent toutes à accroître l’efficacité des activités. Par ailleurs, contrairement à nos attentes, les résultats indiquent que ces mêmes collaborations augmentent significativement le DDS. Ces résultats révèlent ainsi, comme le soutiennent Kennerley, Davies et Kochhar (1997), que certaines pratiques peuvent améliorer la performance dans certains domaines et la détériorer dans d’autres. Pour s’en assurer, il serait nécessaire de connaître le type de clientèle et de produits fabriqués. Par exemple, des relations avec des donneurs d’ordres de taille importante et en concurrence sur la scène mondiale peuvent mener à un allongement des délais de production étant donné le degré de sophistication supérieur des produits (Raymond et St-Pierre, 2004).

Figure 1

Modèle 1 – Relations entre les OE, les PA et les indicateurs de performance reliés à la gestion des stocks et des CC

Modèle 1 – Relations entre les OE, les PA et les indicateurs de performance reliés à la gestion des stocks et des CC

Les valeurs à l’intérieur des cercles représentent les coefficients de détermination (R2) ajustés. À noter que le logiciel utilisé ne fournit pas le degré de significativité des R2 ajustés.

* p < 0,1 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001 ; **** p < 0,0001.

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Dans ce même ordre d’idées, le suivi des améliorations au regard de la flexibilité des équipements, des goulots d’étranglement, de la qualité, de la standardisation des produits et des délais de livraison (P6) est négativement associé au DDS. Ce résultat est attendu puisque la gestion de ces améliorations devrait contribuer à l’augmentation des ventes, tout en contrôlant la qualité et la standardisation des produits, ainsi qu’à la réduction du niveau des stocks en maîtrisant les goulots de production et les délais de livraison. Ces résultats rejoignent ceux de Powell et Schmenner (2002), selon lesquels le suivi des améliorations aurait une influence positive sur l’efficience et la productivité de l’entreprise, même si cette pratique engendre une augmentation des coûts. Par ailleurs, nos résultats montrent que les mêmes pratiques de suivi des améliorations (P6) augmentent le DRC. Le signe positif suggère probablement qu’il est insuffisant de se fier aux améliorations du produit et des délais de livraison pour réduire le délai de recouvrement des créances. Il est aussi probable que ces pratiques doivent être combinées à d’autres PA liées à la politique de crédit de l’entreprise afin qu’il y ait un effet significatif sur le DRC.

Il est à remarquer que les pratiques relatives à l’utilisation d’outils de gestion des stocks (P7) et à celle d’outils de gestion des CC (P8) n’ont pas d’effet significatif sur le DRC ou le DDS. La littérature indique pourtant que l’utilisation de ces pratiques devrait permettre à l’entreprise de réduire le DRC et le DDS, et d’améliorer la qualité des stocks et des comptes clients. Morita (1997) soutient que la seule adoption de certaines pratiques n’implique pas nécessairement une amélioration de la performance et que l’entreprise doit les maîtriser et les utiliser pleinement pour en tirer profit. Ainsi, il est probable que la seule utilisation des outils de gestion des stocks et des CC ne garantit pas une réduction du DRC et du DDS, et qu’il faudrait mesurer le degré de leur assimilation par les entreprises échantillonnées. L’assimilation[3] renvoie ici à l’étendue de l’expertise de la firme dans l’utilisation de ces pratiques.

Le facteur P8 semble ne pas être influencé par les objectifs de l’entreprise et n’avoir aucun effet significatif sur les délais de recouvrement des comptes clients et de détention des stocks. Dans cette perspective, est-il possible que les pratiques P7 et plus particulièrement P8 ne découlent pas directement des OE mais soient plutôt des pratiques visant à soutenir d’autres PA qu’on peut qualifier de « premier ordre » ? P7 et P8 auraient-elles un effet sur un ou des indicateurs de performance autres que le DRC et le DDS ? Ces questionnements représentent de nouvelles avenues de recherche que nous avons explorées dans un deuxième modèle (figure 2) dans le but d’apporter plus d’explications aux résultats du modèle 1.

La figure 2 montre que nous testons les liens entre les OE et une première liste de pratiques, dites de « premier ordre » (P1 à P6), une deuxième liste de PA, dites de « soutien » (P7 et P8), et un indicateur global de la performance, à savoir les ventes par employé. Nous avons choisi cet indicateur de performance parmi d’autres parce que les comptes clients et les stocks, les deux postes qui font l’objet de cette étude, sont intimement liés aux ventes.

La première question est liée à la notion de pratiques de soutien (Davies et Kochhar, 2002) dans le sens où les pratiques de gestion des stocks et des comptes clients ne sont pas liées à des objectifs particuliers de l’entrepreneur, mais sont implantées pour soutenir d’autres pratiques qui, elles, résultent directement des choix faits par l’entrepreneur. La majorité des recherches empiriques qui étudient l’effet des PA sur la performance établissent « uniquement » l’existence d’une relation sans analyser la hiérarchie des PA (PA de premier ordre ou PA de soutien). Nos résultats à la figure 2 montrent que les OE déterminent en premier lieu un ensemble de pratiques (P1, P2, P3, P4, P5 et P6), qui influencent à leur tour significativement les pratiques de gestion des stocks et des CC (P7 et P8). Les pratiques de gestion des stocks (P7) étaient certes significativement liées aux OE au seuil p < 0,1 dans le modèle 1 (voir la figure 1), mais les relations entre P7 et les pratiques P1, P2, P3, P4, P5 et P6 sont nettement plus significatives dans le deuxième modèle, comme le démontre l’augmentation des seuils de significativité à p < 0,001 (voir la figure 2).

De même, les pratiques liées à la gestion des CC (P8) ne présentaient aucune association significative avec les objectifs de l’entrepreneur à la figure 1, mais semblent être positivement liées aux pratiques P1 à P6 à différents niveaux de significativité (p < 0,1 à p < 0,0001).

Il semble ainsi que l’entrepreneur commencerait par implanter des pratiques de premier ordre, directement associées à ses objectifs opérationnels, à savoir les pratiques principalement liées au marché et à la production (P1, P2, P3, P4, P5 et P6). Ensuite, l’implantation des pratiques comme celles de gestion des stocks et des comptes clients (P7 et P8) viendrait soutenir les premières dans la réalisation des OE. Notre analyse ne permet pas d’affirmer un ordre chronologique dans l’implantation des PA, mais elle soutient l’existence d’une hiérarchie dans l’implantation des pratiques identifiées par rapport aux objectifs de l’entrepreneur.

Figure 2

Modèle 2 – Relations entre les OE, les PA de premier ordre, les PA de soutien et l’effet sur les ventes

Modèle 2 – Relations entre les OE, les PA de premier ordre, les PA de soutien et l’effet sur les ventes

Les valeurs à l’intérieur des cercles représentent les coefficients de détermination (R2) ajustés.

* p < 0,1 ; **p < 0,01 ; *** p < 0,001 ; **** p < 0,0001.

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Puisque les pratiques de gestion des stocks et des CC (P7 et P8) n’avaient aucun effet significatif sur le DDS et le DRC, nous avons tenté de vérifier si elles avaient un effet sur d’autres indicateurs de performance plus globaux (deuxième question de recherche suscitée par les résultats du premier modèle). Comme indiqué plus haut, le volume des ventes a été retenu comme indicateur global de performance. Cependant, puisque notre échantillon est composé d’entreprises de tailles différentes (tableau 1), nous ne pouvions utiliser les valeurs absolues des ventes, et avons alors calculé des valeurs relatives. Le ratio des ventes par employé a été ainsi adopté comme variable dépendante afin de contrôler l’effet éventuel de la taille. Ce ratio peut aussi être considéré comme un indicateur de productivité.

Les résultats confirment nos attentes puisqu’ils montrent des relations significatives entre, d’une part, P7 et P8 et, d’autre part, les ventes par employé. Ainsi, même si le modèle 1 indique un effet non significatif de P7 et P8 sur le DRC et le DDS, les résultats du modèle 2 révèlent que ces mêmes pratiques influencent significativement et positivement les ventes par employé. Il est alors important d’adopter une approche holistique, comme le suggèrent Davies et Kochhar (2002), dans l’évaluation des effets des PA, mais, surtout, de bien identifier l’indicateur de performance le plus pertinent.

Conclusion

La présente recherche est la première à étudier empiriquement les relations entre, d’une part, les objectifs de l’entrepreneur et les pratiques d’affaires implantées dans l’entreprise, et, d’autre part, les pratiques d’affaires et l’efficacité dans la gestion de l’actif à court terme. Les résultats obtenus de l’analyse d’un échantillon de 108 PME canadiennes montrent que les objectifs de l’entrepreneur influencent les PA que l’entreprise implantera et indiquent l’existence d’une certaine hiérarchie de pratiques, à savoir les PA de premier ordre et les PA de soutien. En effet, nos résultats montrent que les pratiques de gestion des stocks (P7) et des CC (P8) sont des pratiques de soutien, significativement liées à des pratiques de premier ordre associées aux domaines de la production et de la commercialisation qui découlent directement des objectifs de l’entrepreneur. Ces résultats peuvent servir à formuler des hypothèses concernant l’existence d’une logique de séquence dans l’implantation des pratiques d’affaires que des recherches futures peuvent explorer.

Par ailleurs, les pratiques de collaboration avec des partenaires et celles de suivi des améliorations de la production et du produit, même si non directement liées au recouvrement des CC et à la gestion des stocks, permettent de réduire le DRC et le DDS, probablement parce qu’elles améliorent la connaissance qu’a l’entreprise du marché et des clients et augmentent ainsi les ventes. Contrairement à nos attentes, nous n’avons trouvé aucune relation significative entre les pratiques liées à l’utilisation d’outils de gestion des stocks et des comptes clients et les indicateurs de gestion de l’actif à court terme (DRC et DDS). Ces mêmes pratiques ont toutefois un effet significatif sur les ventes par employé. Ces résultats suggèrent que certaines pratiques ne procurent pas toujours des effets directs aux endroits spécifiques auxquels elles se rattachent, mais qu’elles peuvent produire des effets à des niveaux plus globaux de la performance.

Comme toute recherche, celle-ci présente certaines limites qui doivent être prises en compte lors de l’interprétation des résultats obtenus. Il faut tout d’abord souligner que l’échantillon utilisé dans cette étude n’était pas probabiliste, ce qui représente une limite à sa validité externe. Cependant, la grande variabilité observée dans les caractéristiques des PME échantillonnées peut atténuer les effets négatifs de cette limite. Aussi, nous n’avons pas pu tenir compte des particularités attribuables à certaines entreprises (p. ex., la sous-traitance) et à certains sous-secteurs manufacturiers (les délais de recouvrement dans certains secteurs sont plutôt déterminés par la pression de la concurrence) et qui peuvent influencer aussi bien les PA que le DDS et le DRC. De même, le nombre d’années depuis la date d’implantation des PA peut influencer le degré de leur maîtrise par les entreprises échantillonnées, et donc les effets qu’elles produisent. Enfin, les variables relatives aux stocks retenues dans cette étude sont agrégées et par conséquent comprennent tous les types de stocks. Notre étude exploratoire ne tient pas compte de la variété des stocks en possession de l’entreprise et probablement que certains d’entre eux (p. ex., les stocks de matières premières et de production) sont plus liés aux OE que d’autres (marchandises achetées et vendues en l’état). Il serait ainsi intéressant et pertinent d’explorer l’influence des OE sur les délais de détention de différents types de stocks, particulièrement de matières premières, et de production, qui sont deux postes importants dans un contexte manufacturier.

Des recherches futures pourront aussi considérer l’aspect « temporel » avec plus de précision en faisant des études de cas pour mieux comprendre le processus de traduction des objectifs stratégiques de l’entrepreneur en objectifs opérationnels, puis en PA, et en mesurer les résultats sur la gestion du FDR.