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Introduction

L’expérience menée depuis quatre ans par Télécom Lille 1 et l’Université Lille 1, au travers de ses composantes que sont l’IAE et l’UFR de Physique, cherche à sensibiliser les étudiants à la création d’entreprise en mixant des populations d’étudiants issus d’écoles d’ingénieurs et d’écoles universitaires de management. D’autres études pour mesurer les intentions et les capacités entrepreneuriales des étudiants ont été réalisées, notamment par Boissin, Chollet et Emin (2005), depuis 2005 sur des populations identiques à l’INT d’Évry et à Grenoble, mais aussi par Arlotto et Bourcieu (2002), Arlotto et Jourdan (2003), Fayolle, Gailly et Lassas-Clerc (2006), Léger-Jarniou (2008) dans des contextes similaires.

L’objectif visé est de faire un retour sur les ambitions et les résultats obtenus en matière d’apprentissage et sur la manière dont les élèves ingénieurs et les étudiants concernés vivent cette ouverture d’esprit à la création d’entreprise. Pour ce faire, il s’agit de mesurer la compréhension des mécanismes de création d’entreprise grâce à une simulation à but, ainsi que leurs capacités d’acquérir un certain recul pour vérifier s’ils possèdent les aptitudes et l’envie nécessaires pour se lancer dans la création d’entreprise à la fin de leurs études.

Cet article présente les capitalisations d’expériences et de connaissances entrepreneuriales acquises au terme de cette semaine fondée sur une simulation de création d’entreprise. Le cadre contextuel et théorique de la simulation est exposé d’une façon générale (1) ; ensuite, la présentation du programme du Challenge est réalisée (2) ; puis nous exposerons les résultats de l’enquête réalisée auprès des étudiants afin de mettre en exergue les effets de la simulation (3). Une dernière partie illustre le modèle pédagogique qui résulte du Challenge (4).

1. Cadre contextuel et théorique

1.1. S’initier à la création d’entreprise par la simulation

En matière de création d’activité, le passage de la phase de l’idée à sa réalisation ne se fait ni sans risques, ni sans échecs. Identifier des coûts, prévoir des délais, rechercher une qualité adaptée et optimum par rapport aux objectifs fixés, autant de démarches et d’actions qui relèvent plus de l’expertise et du savoir-faire que de l’improvisation ou de l’intuition. Pour atteindre un niveau de professionnalisme, une démarche d’apprentissage s’avère nécessaire. Cependant, l’apprentissage en grandeur nature demande du temps, des prises de risques dont le porteur de projet potentiel ne dispose pas obligatoirement ou n’est pas prêt à assumer.

Afin d’acquérir une véritable expérience sans renoncer aux enseignements de l’erreur, des mondes virtuels reproduisent les apparences du monde réel : les simulateurs. Dans ces univers, aucun acte n’est définitif, aucune conséquence n’est irrémédiable. C’est dans les entreprises, les associations d’insertion et certaines organisations qu’on assiste à une floraison d’initiatives dans la conception et l’utilisation de jeux de simulation dans la formation. Ils sont conçus dans un but de formation des adultes (acquisition ou validation de connaissances, accompagnement d’une réflexion pour l’action, maîtrise de techniques, enrichissement de comportements…) et impliquent une représentation de la réalité. Ils comportent un matériel, un acte, des acteurs, un désengagement de ceux qui jouent par rapport à leurs obligations vitales, une prise de risque sans conséquence.

1.2. Apprendre par la simulation

Simuler, c’est faire paraître réel quelque chose qui ne l’est pas. « La simulation est une expérimentation sur un modèle. C’est une procédure de recherche scientifique qui consiste à réaliser une reproduction artificielle (modèle) du phénomène que l’on désire étudier, à observer le comportement de cette reproduction lorsque l’on fait varier expérimentalement les actions que l’on peut exercer sur celle-ci, et à en induire ce qui se passerait dans la réalité sous l’influence d’actions analogues »[1]. De façon plus académique, une définition représentative de notre cadre d’analyse est celle du dictionnaire[2] qui définit le mot simulation comme « … la reproduction expérimentale des conditions réelles dans lesquelles devra se produire une opération complexe… », et comme « … la reproduction d’un objet par un modèle analogue plus facile à étudier ».

Les simulations ou jeux d’entreprises sont très utilisés en formation technique (Pastré et Rabardel, 2005 ; Bartélémy-Ruiz et Dax-Boyer, 2006). Lors des formations par simulateurs, les apprenants reproduisent les gestes qu’ils doivent posséder en sortant de la session. Ainsi, on a vu poindre différents types de simulateurs ayant des objectifs pédagogiques coopératifs permettant à l’apprenant d’acquérir une démarche liée à l’assimilation d’un système (Nouveau, Morin, Paulic et Galisson, 2002), ou représentant des environnements d’apprentissage basés sur la simulation (Guéraud, Pernin, Gagnat et Cortes, 1999). En fait, Guéraud et al. (1999) définissent trois objectifs d’un apprentissage par la simulation : simuler pour comprendre, simuler pour construire et simuler pour apprendre.

Dans le programme de simulation Challenge, l’apprenant est en situation de simuler une action ou un comportement dans des environnements réalistes. Ce programme cherche à développer un apprentissage par l’action et l’observation. Il garantit une prise de conscience des formés qui les distancie de leurs habitudes quotidiennes et les aide à se remettre en question, à faire table rase pour mieux reconstruire et permet ainsi de répondre aux trois objectifs.

En matière d’apprentissage, les apports des jeux de simulation aux adultes s’avèrent performants. Pour Brougère (2005), « le jeu n’apporte pas de connaissances, il entraîne à chercher des informations et des problèmes nouveaux », alors que pour Guéraud et al., la simulation permet aussi de transmettre de la connaissance dans un cadre de découverte (1999). Courau (1993) précise qu’au moins sept conditions d’apprentissage s’imposent chez l’adulte[3]. Les jeux de simulations s’éloignent d’autres méthodes de formation car ils permettent de faire vivre des situations et de les appréhender intellectuellement. Ils constituent un déclic qui incite l’apprenant à découvrir de manière expérimentale l’intérêt d’une démarche, une manière inhabituelle d’effectuer une tâche, d’entrer en relation avec les autres. Ces jeux constituent des espaces de décisions, permettant la manipulation symbolique des données, la gestion de l’incertitude et une stimulation par la compétition qu’ils engendrent. L’apprenant sait qu’il fait semblant et qu’il peut essayer une méthode sans conséquence dramatique, même en cas d’échec.

Les jeux de simulations sont respectueux du cheminement de l’individu. Lorsqu’il joue, l’apprenant est lui-même, mais, en même temps, tout le monde sait qu’il joue un rôle. Le jeu de simulation est un espace d’expérience qui permet de minimiser les risques. Lors d’une simulation, l’apprentissage est fractionné en étapes progressives, et chaque étape doit avoir un objectif. L’objectif principal est de faire en sorte que l’apprenant se situe dans un processus d’apprentissage et doit être capable d’appréhender en quoi ce qu’il fait contribue à l’atteinte de ses objectifs. Cette approche sera à vérifier dans le cadre du programme challenge. Un apprentissage global est meilleur qu’un apprentissage partiel : on comprend mieux les détails si l’on a compris la logique du tout. Argyris et Schon (1978) soulignent que le simulateur est fondé sur des processus cognitifs en dehors des routines (Fiol et Lyles, 1985), avec pour objectif de changer les règles et les usages. Le plaisir est l’atout fondamental du jeu car il donne envie d’apprendre, permet de découvrir, de changer ses habitudes. En ce sens, le jeu de simulation peut être un moyen de vérification des connaissances, seul ou en groupe. Le choix de cette méthode s’explique par une démarche empirique, en l’occurrence, par l’utilisation de démarches ludiques afin de favoriser l’attention, la mobilisation des participants.

1.3. La simulation comme outil d’apprentissage pour comprendre la création d’entreprise

En situation de création d’activité, les sujets traitent des processus qui s’enchaînent et dépendent d’autres processus évolutifs, de systèmes dynamiques complexes (Emery et Trist, 1965), difficiles à étudier de manière analytique. Le processus de modélisation, propre à toute simulation, est obligatoirement un processus simplificateur, qui ne garde que le strict nécessaire pour l’étude de tel ou tel comportement.

Pour la création d’entreprise, il convient d’agir sur le cadre cognitif et de référence du créateur potentiel. Le développement d’un simulateur ne peut pas intégrer des méthodes numériques et analytiques. C’est pourquoi un modèle de simulation propre à des problématiques de création d’activité a été développé à partir des cadres de références des apprenants. Le simulateur Challenge est construit selon les principes de création d’entreprise mélangeant données réelles et données simulées, comportements individuels et collectifs. Il possède des approches d’identification de l’environnement, de recueil et traitement de données et d’analyses financières. Dès lors, le Challenge est une démarche de formation complémentaire à d’autres modalités d’enseignement existant dans les cursus initiaux des étudiants, ancré ou non sur la création d’activités, tels que le management de projets, l’entrepreneuriat, le management, les télécommunications, la veille technologique… Les buts de l’apprentissage peuvent être perçus de façon différenciée à partir des formations d’origine des étudiants, ce qui implique de développer une simulation à but (Umphress, Pooch et Tanik, 1989 ; Bai, Huang, Zhang et Egyed, 2011) qui favorise les logiques suivantes (Herzog et Forte, 1994) :

  • placer l’apprenant dans une situation de créateur qui fixe les objectifs à atteindre ;

  • offrir un défi à l’apprenant afin de développer la motivation ;

  • éviter les modifications des paramètres de la simulation, en affichant clairement les cadres et règlements ;

  • donner la possibilité d’examiner différents aspects de la création d’activité.

C’est dans ce contexte de simulation à but que se positionne le « Challenge création d’entreprise ». C’est une approche innovante dans la mesure où la simulation à but est généralement utilisée dans le cadre des sciences dites « dures » à partir de supports informatiques qui jouent le rôle de système d’expert. Ici, dans le Challenge, c’est l’ensemble de l’encadrement organisé autour des équipes en compétition qui remplit ce rôle. La démarche générale consiste donc à adapter, dans le cadre du simulateur, des processus et méthodes issus de la création d’entreprise. L’intérêt est de doter les publics étudiants de capacités perceptuelles et cognitives pour élaborer des fonctions de guidage (pilotage) adaptatif au projet de création. L’objectif est d’établir les fondements d’une structure de « contrôle-décision » dans un environnement complexe et évolutif (Duncan, 1972). Cette fonction de perception de l’environnement est fondamentale pour faire évoluer les techniques d’accompagnement du porteur de projet vers l’accompagnement actif (participatif) des entités dotées de véritables outils complémentaires d’évaluation du porteur, de son projet et de son environnement. À un deuxième niveau, une démarche progressive a été engagée autour des outils de gestion dans le champ de la création d’entreprise. Les travaux ont porté sur une décomposition et un séquencement des tâches-actions, avec des directives de gestion et de coordination à destination des apprenants, en tenant compte de leur réceptivité, et en insistant sur les modes de spécification et l’interactivité. Une représentation, s’appuyant sur le comportement du créateur potentiel et l’approche gestion, a été développée à l’aide d’une gamme d’outils de base : la créativité, les études de faisabilité, l’analyse de l’environnement, le cadrage technique, l’articulation du couple produit/client ou service/client, les éléments de dimensionnement de l’entreprise (management, finances, statuts), l’analyse des risques… Le point 2 permet de présenter le contenu de cette simulation à but qui semble adaptée à la création d’entreprise pour un public interdisciplinaire d’étudiants en enseignement supérieur.

2. Utiliser le jeu pour tester le goût d’entreprendre : le cas Challenge

À l’instar de l’INT d’Évry, les deux écoles (Télécom Lille 1 et l’IAE de Lille) ont fait le choix de faire travailler ensemble leurs étudiants dans le cadre d’une simulation de création d’une entreprise innovante en technologie numérique. Le but est de développer leurs capacités entrepreneuriales dans un contexte particulier de compétition entre des équipes mixtes (ingénieurs/managers), en s’appuyant sur le modèle de la pédagogie entreprenante proposée par Surlemont et Kearney (2009) qui met en valeur quatre principes reposant sur les dimensions responsabilisante, expérientielle, coopérative et réflexive. Concernant l’aspect responsabilisant, les étudiants répartis en équipes choisissent leur projet, se répartissent les tâches pour le mener à bien ensemble. L’aspect expérientiel s’appuie sur la réalisation d’un plan d’affaires d’une entreprise innovante, à partir de la mise en commun des enseignements qu’ils ont reçus dans leur cursus respectif. Issu de disciplines différentes et complémentaires, l’aspect coopératif réclame de faire connaissance pour travailler ensemble, de se donner un but en commun, d’aller aussi à la rencontre de l’environnement constitué notamment par l’encadrement. Enfin, l’aspect réflexif est donné par les allers-retours avec les enseignants, les coachs, les tuteurs, permettant la progression du projet de création. Comme à Évry, la compétition entre les équipes est valorisée par un mécanisme d’intéressement sous forme de récompenses (1 prix développement durable de 1 000 euros, 2 prix de 1 500 euros et le prix d’honneur de 2 000 euros) ce qui, au-delà de la notation, renforce l’attrait des étudiants pour le Challenge.

2.1. La simulation comme méthode de pédagogie active

Les quatre années d’existence du « Challenge » permettent de s’interroger sur les critères clés qui favorisent l’éveil à la création d’entreprise et sur la façon dont ils sont abordés par les étudiants. La simulation se présente comme une pièce de théâtre classique : une unité de temps (un travail intensif, limité dans le temps : huit jours), une unité de lieu (les locaux de l’école d’ingénieurs), une unité d’action (la création d’une entreprise innovante en technologie numérique). Pour faciliter la participation interactive, la simulation se caractérise par la mise en oeuvre d’une organisation et d’un encadrement approprié au modèle de la pédagogie entreprenante :

• Une répartition par équipe

Toutes les équipes de quatre ou cinq étudiants sont composites et comprennent des élèves de chaque formation[4], avec pour moitié des élèves ingénieurs en technologies numériques auxquels s’ajoute un petit groupe spécialisé en veille stratégique, et pour l’autre moitié des étudiants venant de différentes formations de l’IAE (management par projet, entrepreneuriat, management des sciences sociales). Le tableau suivant présente la répartition des participants.

Tableau 1

Répartition des équipes d’étudiants

Répartition des équipes d’étudiants

* En 2010, 6 étudiants du M2 EMI ont participé au Challenge, les 10 autres se sont positionnés en accompagnateurs de groupes d’étudiants.

** En 2011, 1 étudiant a participé au Challenge, les 14 autres se sont positionnés en accompagnateurs.

*** Il faut rajouter 2 participants externes : 1 élève ingénieur de l’École des Mines et un doctorant de Télécom Lille 1.

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• Un encadrement spécifique qui favorise la réflexivité

Chaque équipe est encadrée par un réseau de personnes-ressources. Les enseignants des deux écoles et les coachs sont présents en permanence. Les tuteurs professionnels en technologie numérique ou en création d’entreprise sont présents une journée, voire davantage dans un espace-temps planifié, pour répondre aux questions des étudiants suivant les thèmes qui correspondent à leurs compétences scientifiques et techniques ou managériales[5]. À la fin des conférences, les échanges interpersonnels avec les tuteurs et les coachs donnent lieu à des questions/réponses exprimant leurs connaissances et leurs doutes. Cela rejoint l’une des propositions mise en exergue par Marchesnay sur « le cas entrepreneurial » (2008)[6].

• Des règles

Les étudiants signent le règlement qui comprend le cahier des charges et les conditions de déroulement du Challenge, mais aussi les obligations à respecter dans la réalisation.

• Des objectifs

Un objectif collectif pour chaque groupe : créer une entreprise innovante.

Un objectif individuel pour chaque participant : jouer un rôle actif en apportant son savoir, son savoir-faire et son savoir être, sa capacité à se gérer.

Des objectifs pédagogiques : assimiler des concepts, utiliser des savoirs, apprendre des comportements, endosser un rôle de professionnel.

• Une finalité partagée

Favoriser la mixité culturelle, développer des synergies et impliquer les chefs d’entreprise et le réseau régional de la création d’entreprise dans les tutorats, les ateliers thématiques, les jurys, afin qu’ils transmettent leur goût d’entreprendre et facilitent l’accès aux réseaux.

2.2. Adopter la simulation dans un contexte d’éveil à la création d’entreprise

Utilisé comme outil pédagogique d’apprentissage en relation avec le modèle de la pédagogie entreprenante de Surlemont et Kearney (2009), il s’agit, à partir du schéma réalisé par Ballan (1995, 2008) et El Oualidi & Vaesken (2002), de vérifier si les douze critères proposés ont permis l’éveil à la création d’entreprise, à partir de trois outils d’analyse : des rapports d’étonnement[7] réalisés par les différents groupes d’étudiants, un questionnaire reprenant vingt-sept questions fermées et une question ouverte permettant d’identifier la perception du participant avant et après le Challenge[8] et un ensemble de questions semi-ouvertes à renseigner au terme du Challenge afin de mettre en évidence leur capitalisation d’expérience.

Figure 1

Les douze critères à prendre en compte pour une simulation

Les douze critères à prendre en compte pour une simulation

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2.2.1. Des comportements autonomes

Par rapport aux trois items : « développer l’écoute entre les personnes, mettre en valeur la créativité et l’empathie et stimuler l’imagination et la créativité », les retours sont convergents. Les équipes soulignent largement l’importance de la cohésion du groupe, ressource indispensable pour mener le projet dans de bonnes conditions, même si elle n’est pas toujours facile à organiser :

  • « On a pris du temps pour se connaître au démarrage du projet, pour définir les rôles de chacun, pour s’organiser. On s’est écouté pour mettre à jour les motivations, se donner un esprit d’équipe, pour avoir une vision globale des tâches à réaliser et faire un travail collégial. » (équipe 23) ;

  • « C’est un projet qui a permis de travailler en équipe, de développer nos capacités d’écoute, d’analyse, d’esprit de synthèse et de prendre des décisions collectives. La répartition des tâches, la communication, l’échange d’information et l’entraide ont été les clés du succès de l’équipe. » (équipe. 24) ;

  • « Il y a eu bonne entente dans le groupe et un bon esprit d’équipe. On a eu des échanges d’idées qui ont été très constructifs. » (équipe. 28) ;

  • « Le Challenge a révélé ma créativité et la nécessité que les autres membres soient aussi créatifs. » (propos d’un étudiant VS2I).

Woodman, Sawyer & Griffin (1993) estiment que la créativité dépend des individus, mais aussi de facteurs spécifiques comme les normes du groupe, sa cohésion, sa taille, son hétérogénéité et son mode de fonctionnement. Composites et autonomes, les groupes ont la liberté de s’éloigner des acquis, des pratiques et des modèles en vigueur liés aux cursus des uns et des autres. Dans l’ensemble, les étudiants reconnaissent que leur diversité permet la production d’idées, et nécessite la mise en oeuvre d’une synergie favorisant les apprentissages collectifs, avec pour résultat des projets de création qui possèdent leurs spécificités.

2.2.2. Une animation dynamique

Concernant les items : « favoriser le travail en groupe, assurer l’interactivité et faire intervenir de véritables animateurs », les retours mettent en évidence la qualité des ressources en animation mises à disposition : enseignants en technologies numériques et en management, tuteurs professionnels, coachs, web :

  • « C’est une expérience unique, nous n’avons pas eu de problème de cadrage et de planification grâce aux conseils disponibles sur la plateforme, le facteur temps demande de travailler vite et bien. » (équipe. 10) ;

  • « Les tutorats sont des moments riches en informations, les conférences sont intéressantes car elles permettent de nous recadrer pour la réalisation du business plan. » (équipe. 23) ;

  • « On a eu une bonne répartition des tâches pour aller aux conférences et rencontrer les tuteurs. » (équipe. 28).

Le Guide du Tuteur, mis au point par les deux écoles, reprend les axes du projet de création d’entreprise. Les tuteurs favorisent le travail en groupe et assurent l’interactivité. Les étudiants ont la possibilité d’y recourir de façon régulière (suivi continu) ou ponctuelle (tuteurs spécialisés dans la création d’entreprise et chefs d’entreprise et en assistant chaque jour à une conférence thématique sur la création).

Pour Hernandez (2001), « l’intention ou la volonté est le premier élément nécessaire pour créer une organisation. Elle reflète l’objectif ou les objectifs du ou des créateurs. En général, elle se traduit par la recherche de l’information utile pour agir ». Lorsqu’on transpose à cette simulation, au-delà de la détection en commun de l’idée et de sa validation par le groupe, il faut souligner l’importance de la mise à disposition de professionnels dans l’aide au recueil de l’information. Le Challenge permet aux étudiants de découvrir un aspect différent du mythe du créateur solitaire. Leur présence permet de gagner du temps, de simplifier leurs recherches auprès des réseaux de la création d’entreprise dont ils ignorent souvent l’existence, d’avoir une approche simplifiée de l’environnement et de la concurrence.

2.2.3. Un contenu riche

Les items « faire vivre l’interdépendance et la complexité, concrétiser des notions abstraites, diffuser une information rigoureuse » sont très symboliques de la complexité de la création d’une entreprise innovante en technologie numérique. C’est dans cette partie liée à la faisabilité du projet que les retours sont les moins positifs. Si le besoin en accompagnement est indiscutable, l’approche de la réalité est plus difficile à appréhender :

  • « La démarche juridique a été complexe à réaliser, nos interlocuteurs ont parfois eu des avis divergents. » (équipe. 2) ;

  • « On a eu des difficultés dans le montage financier, on manquait de temps et d’accompagnement. » (équipe.3) ;

  • « La production du business plan est un exercice exigeant et difficile à réaliser. » (équipe. 27).

Au départ, les groupes ont dû se mettre d’accord sur la mise en valeur d’une technologie numérique particulière, qui mène à un produit ou à un service. Plus concrètement, les étudiants ciblent puis testent un nouveau produit ou service auprès d’une clientèle potentielle, calculent le prix de revient et de vente, se répartissent les tâches pour la mise au point final du dossier. Bien qu’encadrées, ces approches sont peu familières pour la plupart d’entre eux et ils rencontrent des difficultés à réaliser un montage financier : « le futur créateur a besoin d’avoir la connaissance des sources de financement, des individus et des organismes qui pourraient lui venir en aide et le conseiller » Gasse (2010). Les tuteurs comptent parmi eux des spécialistes des questions financières, juridiques qui guident les différents groupes et les aident à progresser dans leur démarche.

2.2.4. Une organisation durable

Les items « faciliter la démultiplication, permettre le brassage entre les personnes, assurer la permanence de l’action » s’adressent davantage aux écoles organisatrices de la simulation. Pour elles, la simulation est considérée comme un apprentissage spécifique qui nécessite un engagement financier et matériel conséquent, compensé par l’aide des commanditaires. Celle-ci réclame une coordination et une organisation sans faille. En amont, des périodes de concertation et de planification inter-écoles sont organisées. Pendant son déroulement, une quinzaine d’enseignants, de techniciens et d’administratifs des deux écoles sont présents en permanence pour assurer la coordination, le suivi et la communication, résoudre les problèmes (organisationnels, informatiques, etc.). De plus, le « Challenge » ne s’arrête pas à la remise des prix qui ne récompensent que quatre équipes, il peut aussi servir de tremplin pour les participants à deux niveaux :

  • du côté des projets, certains peuvent se transformer en véritables créations d’entreprise ;

  • du côté des étudiants, certains découvrent qu’ils possèdent les qualités d’entrepreneur.

3. Les résultats de l’enquête

Le Challenge est un outil d’intégration issu d’une démarche planifiée, d’une animation dynamique qui favorise les étapes d’apprentissage de la construction d’un plan d’affaires (cf. 2.2.4.), sanctionné par l’attribution d’une note, éventuellement par l’obtention d’un prix. La mixité des groupes et des animateurs constitue un point fort qui permet « l’apprentissage par les échanges interpersonnels et le débat/discussion, par la découverte guidée, par les réactions de personnes différentes et nombreuses » (Léger-Jarniou, 2008). Le point 2.2.2. souligne la qualité des échanges au sein de nombreux groupes et les réponses qui leur ont été fournies par les encadrants (enseignants, tuteurs, coachs).

La perception par les étudiants se produit à deux niveaux : au niveau individuel et au niveau du groupe. Individuellement, beaucoup y participent avec appréhension : ils ne se connaissent pas, doivent travailler ensemble quoiqu’il arrive, et la plupart d’entre eux ne maîtrisent pas le thème de la création d’entreprise qu’ils trouvent assez ardue, éloigné de leurs préoccupations, complexe et difficile à mettre en oeuvre. Collectivement, ils se rendent compte qu’entrer dans le jeu facilite son déroulement (cf. 2.2.1). L’interactivité dans le groupe permet de constituer des normes communes, de jouer sur la complémentarité des savoirs et des savoir-faire pour apprendre réciproquement, de stimuler l’attention et la communication qui enrichit le projet de création (cf. 2.2.2.) même si certaines parties sont plus difficiles que d’autres à construire (cf. 2.2.3.).

3.1. Évolution des perceptions

Pour identifier la manière dont les participants perçoivent le Challenge, le questionnaire repose sur vingt-sept questions nécessitant des prises de position (tout à fait d’accord, assez d’accord, assez en désaccord, tout à fait en désaccord). Même si le questionnaire ne met pas en évidence cette répartition, il est organisé autour de six thématiques permettant de vérifier les axes de l’évolution perceptuelle :

  • Thématique 1 : Créativité (questions 9 et 26) ;

  • Thématique 2 : Entrepreneuriat (questions 1, 3, 10, 11, 13, 27, 28) ;

  • Thématique 3 : Savoir-être (questions 8, 14, 17, 18, 19) ;

  • Thématique 4 : Savoir-faire (questions 4, 5, 7) ;

  • Thématique 5 : Partenariat (questions 2 et 16) ;

  • Thématique 6 : Démarche (questions 6, 12, 15, 20, 21, 22, 23, 24).

Sur l’ensemble des questions, 18 ont connu des évolutions probantes et 9 ont faiblement évolué. Les variables qui ont peu évolué sont issues d’approches comportementales vis-à-vis de la création. Dans ce cas, les a priori sont souvent conformes à des classiques de la création d’activité. L’esprit volontaire et la qualité organisationnelle sont reconnus comme vecteurs essentiels de la création, aussi bien avant le Challenge qu’après (plus de 90 % d’accords). Les éléments liés à la notion d’idée (créativité), au contexte du financement et à la nécessité d’être entouré constituent des facteurs de forte cohésion dont les positions n’ont pas évolué.

Pour ce qui concerne les évolutions sensibles, elles sont de trois niveaux : les évolutions fortement significatives (+ de 10 % d’évolution), les évolutions significatives (entre 5 et 10 % d’évolution) et les évolutions simples (entre 2 et 5 % d’évolution).

Sur les 18 items en évolution, 3 sont fortement significatifs, 11 sont significatifs et 4 sont des évolutions simples constatées. Il s’agit maintenant de cerner les origines de ces évolutions.

La principale évolution porte sur l’accessibilité de la création d’activité, dont le sens est inversé avant et après le Challenge. Avant le Challenge, la tendance était de considérer le monde de la création comme peu accessible (52,25 %). Après le Challenge, cette proportion diminue de 13 points et passe à 38,75 %.

Une autre évolution fortement significative des perceptions des participants s’inscrit dans l’axe de la polyvalence. Il est reconnu, par les étudiants, que l’accès à la création d’activité passe par une capacité à articuler différentes compétences (évolution qu’il faut croiser avec l’évolution positive de la nécessité d’avoir des notions et des compétences en gestion).

Pour ce qui concerne les évolutions significatives, les items relatifs au savoir-être (groupe d’item 3), au savoir-faire (groupe 4) et à la méthode (groupe 6) sont largement représentés. Le Challenge influence ces variables en accentuant les points d’accord. Le Challenge a permis de souligner l’importance d’une démarche méthodologique qui implique à la fois du savoir-faire, mais aussi du savoir-être. L’évolution des perceptions issues du programme challenge se caractérise par une plus grande accessibilité de la création d’entreprise, une compréhension de la nécessité d’avoir une démarche méthodologique et l’importance de la notion de créativité.

3.2. En complément de l’analyse de la perception

Dans les deux questionnaires, seule la question 25 est ouverte, à savoir : « Quelle est selon vous la phase la plus complexe dans la création d’entreprise ? » Les réponses permettent d’analyser le ressenti des étudiants dans leur approche personnelle d’un projet virtuel de création d’entreprise. Cinq items correspondant au processus de la création d’entreprise se sont détachés de façon récurrente, à savoir : trouver l’idée, le passage de l’idée au projet, l’étude de marché, le montage financier, le montage juridique.

Tableau 2

Les réponses les plus fréquentes à la question 25

Les réponses les plus fréquentes à la question 25

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L’analyse des réponses en début de Challenge

Si les grandes thématiques de la création d’entreprise apparaissent dans les réponses, certaines n’entrent pas dans le tableau. Celles-ci présentent l’intérêt d’être en rapport avec les acquis propres à la formation d’origine, que ce soit en termes de compétences ou de savoir-faire ; elles sont symptomatiques de l’utilisation des connaissances issues des parcours respectifs et appliqués à la création d’entreprise :

  • Pour les TL1, c’est « avoir une idée globale du marché pour un produit numérique », « la faisabilité de l’idée », « comment créer le besoin chez le client et le fidéliser » ;

  • Pour les M1 M2S (sciences sociales), c’est « avoir une stratégie générale », « les conventions particulières », « l’analyse et le traitement de l’information » ;

  • Pour les M2 MPP (management par projet), c’est « estimer les prévisions commerciales », « avoir une vision stratégique » ;

  • Pour les M2 VS2I (veille stratégique), c’est « l’organisation dans la création du produit et les partenariats à réaliser » ;

  • L’analyse des réponses en fin de Challenge.

Pour l’ensemble des répondants, la vision a évolué et le ressenti a changé. Certaines appréhensions en début de Challenge, bien que toujours présentes, ont diminué, notamment pour le passage de l’idée au projet et l’étude de marché. Pour les TL1, trouver l’idée est resté une préoccupation majeure (8 réponses avant, 9 après), sachant qu’ils ont un rôle prioritaire à jouer dans le choix d’une technologie numérique. Le montage financier reste préoccupant pour les répondants, même si les réponses sont légèrement inférieures après qu’avant. La réalisation d’un plan de financement reste aussi considérée comme un exercice difficile. En fin de Challenge, les réponses plus spécifiques sont davantage ciblées :

  • Pour les TL1, c’est : « la commercialisation du produit », « la négociation », « la concrétisation du projet » ;

  • Pour les M1 M2S, c’est : « la faisabilité », « le montage partenarial » ;

  • Pour les M2 MPP, c’est aussi « la faisabilité » ;

  • Pour les M2 VS2I, c’est « l’organisation du partenariat », « la structure de l’entreprise ».

Le nombre de « non-réponses » à cette question est aussi plus important, et ce, pour toutes les formations confondues avec une pointe pour les TL1 (de 6 à 9) et les M1 M2S (de 6 à 10), comme si la fin du Challenge impliquait, pour certains, une forme de relâchement.

En définitive, les réponses à la question 25 valorisent plutôt la créativité, la stimulation de l’imagination et la tentative de concrétiser des notions abstraites.

3.3. Les apports du Challenge

Pour étayer ou infirmer les réponses de la question 25, lors de la diffusion du second questionnaire en fin de Challenge, quatre questions complémentaires semi-ouvertes (29 à 32) portant la modification de la perception des étudiants sur l’impact du Challenge ont été ajoutées (cf. annexe 1, questions ajoutées en fin de Challenge).

Les réponses à la question 29 portant sur les moments les plus engageants, recoupent parfois les réponses à la question 25, où sont repris certains aspects inhérents aux grandes thématiques de l’élaboration du projet, avec des variantes plus prononcées sur le savoir-faire et surtout sur le savoir-être, sur l’acquisition de comportements autonomes, à ce sujet :

  • Les TL1, l’expriment de cette façon : « se mettre d’accord sur l’idée », « la répartition des rôles de chacun », « la résolution des conflits dans l’équipe » ;

  • Les M1 M2S : « le travail en équipe hétérogène », « l’idée de travailler ensemble pendant une semaine », « la rencontre des tuteurs et des coachs », « donner le meilleur de soi-même » ;

  • Les M2 MPP : « la conciliation des profils techniques et managériaux », « la répartition des responsabilités », « la vérification du travail des autres » ;

  • Les M2 VS2I : « réussir à bien s’intégrer dans l’équipe », « organiser la veille ».

Quant aux qualificatifs qui caractérisent le Challenge (Q. 30), les plus fréquents cités par l’ensemble des participants sont les suivants :

  • Découverte, créativité, imagination, donne des idées ;

  • Intense, éprouvant, tendu, manque de temps, stressant, fatiguant, exténuant ;

  • Ludique, court, convivial, humain, prenant, motivant, mouvementé, impliquant ;

  • Utile, intéressant, constructif, passionnant, ambitieux, enrichissant, formateur, stimulant.

Ces qualificatifs contrastés couvrent un spectre large et soulignent des attitudes positives plus nombreuses et d’autres à tendance plutôt négatives en lien avec le vécu des participants. Les retours se rapportent au schéma de Ballan (1995), dans la mesure où ils rejoignent l’acquisition de nouveaux comportements (créativité, esprit d’entreprendre), et qu’ils insistent également sur la concrétisation de notions abstraites, sur l’animation dynamique et le travail en équipe. Ces qualificatifs renvoient également à la pédagogie entreprenante de Surlemont et Kearney (2009) dans sa dimension responsabilisante par l’ouverture, l’implication, la prise de conscience des difficultés (motivant, impliquant) ; dans sa dimension expérientielle (constructif, enrichissant, formateur) ; dans sa dimension coopérative (convivial, humain) ; dans sa dimension réflexive (donne des idées, stimulant).

Quant aux trois découvertes sur la création d’entreprise (Q 31), les réponses les plus fréquentes ont pu être regroupées en fonction des grandes thématiques auxquelles les étudiants ont été rendus sensibles tout au long du Challenge :

  • L’idée, la créativité :

    • « Il est difficile de trouver l’idée », « de trouver une idée innovante », « la découverte de nouvelles technologies innovantes », « la découverte du potentiel créatif de chacun ».

  • L’esprit d’entreprendre :

    • « Développer un projet innovant », « comprendre le contexte concurrentiel, financier, juridique », « rechercher la faille dans le système », « chercher la rentabilité », « l’estimation de la prise de risques », « l’exercice comptable et le choix du statut juridique ».

  • L’accompagnement :

    • « L’importance de l’entourage », « ne pas être seul pour créer une entreprise », « l’accessibilité du milieu de la création », « l’importance du recadrage par des avis extérieurs », « les aides existent pour trouver les financements pour les jeunes ».

  • Le travail en équipe :

    • « L’organisation est très importante », « la cohésion de l’équipe », « le travail en équipe hétérogène », « la variété des compétences », « travailler avec des inconnus ».

  • Vers la création d’entreprise :

    • « C’est un métier abordable », « à la portée de tous », « le stress à l’idée de créer son entreprise », « les difficultés pour créer une entreprise », « c’est rentable si ça marche ».

La réponse à la question 32 (cf. annexe 3) est présentée sous forme d’histogramme permettant d’analyser les attitudes par rapport au changement de la vision de la création (V), à leur aptitude à créer une entreprise (A) et au souhait de créer une entreprise (C).

Figure 2

Répartition des items par formation : Vision, Aptitudes, Création

Répartition des items par formation : Vision, Aptitudes, Création

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  • Par rapport à l’évolution de leur vision de la création (V) :

    • Il faut noter une forte évolution de la vision pour de nombreux participants (2/3 à 4/5e), ce qui est très encourageant pour la poursuite du Challenge.

  • Par rapport à leur aptitude à créer :

    • Les réponses sont plus nuancées et restent positives pour les 2/3 des étudiants. Toutefois, 1/3 d’entre eux ne se sentent toujours pas aptes à la créer.

  • Par rapport à leur souhait de créer :

    • Ce sont les choix 1 et 4 qui méritent surtout d’être analysés, car ils montrent la propension des étudiants à se projeter ou non dans la création d’entreprise :

      • Concernant le choix 1 : environ 1/5 des étudiants, et seulement 1/8 (pour les TL1), répondent qu’ils aimeraient créer leur entreprise ;

      • Concernant le choix 4 : ils sont relativement peu nombreux à ne pas souhaiter du tout créer leur entreprise (entre 1/8e et 1/10e).

Le Challenge a fourni l’occasion de faire le point sur leurs capacités d’entreprendre. Il a eu pour effet de les amener à s’interroger sur la création d’entreprise, à clarifier leur vision, à tester leurs aptitudes et leur envie ou non de créer.

4. Discussion

Au terme de cette analyse, il importe de souligner les enseignements du Challenge sur la vision et la perception des participants vis-à-vis de l’entrepreneuriat et de la création d’entreprise. Pour synthétiser la réponse, nous présentons, dans un premier temps, une base de modélisation des acquis pédagogiques du Challenge (4.1), puis nous précisons les principaux apports et les limites du modèle (4.2).

4.1. Vers un modèle pédagogique de simulation à but

Les écoles ont la possibilité de jouer un rôle important dans la mise en place des stratégies internes pour développer l’entrepreneuriat. Pour Boissin & Emin (2007), « les programmes de sensibilisation ont un effet positif sur la faisabilité, c’est-à-dire sur la capacité de l’étudiant à mener des tâches critiques dans le processus de création d’entreprise ». Néanmoins, la simulation ne peut pas prendre suffisamment en compte le temps réel de mise au point du produit/service en technologie numérique et des tests indispensables à réaliser avant sa commercialisation, mais les étudiants ne sont pas dupes de ces difficultés. Les deux questionnaires montrent que le Challenge est rattaché à trois registres liés au concept d’entrepreneuriat que propose Fayolle : l’état d’esprit, les comportements et les situations ; ainsi qu’à deux dimensions : l’acteur/individu et l’acteur/organisation. De plus, recourir à la simulation permet d’atténuer considérablement la peur de l’échec.

Pour Boissin et Emin (2006), « lorsque la création d’entreprise est perçue comme voulue et réalisable, cela augmente l’intention de créer de la population étudiante concernée ». Pour eux, si on veut augmenter l’intention de créer chez les jeunes, il convient de rendre cet état de fait le plus attrayant possible. Pour le Challenge, les résultats de la question 32 font valoir que cette envie de créer est rendue plus envisageable pour certains étudiants. Notons que chaque année, à la fin de leur cursus d’ingénieur, entre 1 et 3 étudiants se lancent dans la création d’entreprise. À partir de ce contexte, il importe désormais de structurer un modèle pédagogique explicatif des effets de la simulation à buts « Challenge ».

Le modèle pédagogique présenté dans la figure suivante tente d’illustrer le processus par lequel les modifications perceptuelles se mettent en place chez les étudiants. Il est construit à partir des objectifs présentés dans la simulation Challenge et reprend ceux de la partie deux en les reliant aux éléments de résultats explicités dans la partie trois. L’intérêt de ce modèle est de montrer l’articulation entre les différents buts de la simulation, leur degré de réalisation, ainsi que les apports par les parties prenantes, qui ont contribué à l’obtention de ces résultats.

La démarche pédagogique s’inscrit dans une structuration de type projet. En effet, les objectifs initiaux (buts de la simulation) se traduisent en méthodologie de mise en oeuvre pour enfin préciser les résultats attendus. Les trois buts de la simulation sont : comprendre, construire et apprendre, avec des applications opérationnelles favorisant le développement de la responsabilisation, de l’expérience, de la coopération et de la réflexivité. Il s’agit donc bien d’objectifs liés à la compréhension et à l’intégration de l’esprit d’entreprendre, sans pour autant atteindre une volonté de créer réellement une entreprise.

Tableau 3

Modèle pédagogique d’une simulation à but orienté création d’entreprise pour des étudiants de l’enseignement supérieur

Modèle pédagogique d’une simulation à but orienté création d’entreprise pour des étudiants de l’enseignement supérieur

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Pour aller jusqu’à la décision de créer, Learned (1992) propose la prise en compte de trois dimensions du processus qui se combinent ensemble :

  • « la propension à créer en fonction des certaines dispositions psychologiques et du passé professionnel » ;

  • « l’intention de créer, à savoir des situations qui déclenchent l’intention de créer » ;

  • « la structuration des informations qui consiste à rechercher et à trouver des informations significatives et à organiser les tâches qui en découlent pour créer ».

Comme cela a été présenté, le Challenge permet de faire émerger ces trois dimensions dans l’esprit des apprenants auxquelles viennent s’ajouter les processus de créativité qui demeurent importants dans un contexte de projet innovant ; mais l’émergence ne sous-tend pas l’intégration et la mise en pratique, c’est ce qui, dans un premier temps, peut expliquer le faible nombre de créations réelles suite à la simulation.

Les méthodes pédagogiques qui découlent du Challenge sont liées à l’apprentissage et à la compréhension de la logique des réseaux qui structure l’environnement entrepreneurial. L’objectif final est l’accroissement des capacités entrepreneuriales selon trois axes : les capacités proprement dites, les connaissances entrepreneuriales et les valeurs entrepreneuriales.

Toutefois, si ce modèle exprime le cadre pédagogique du simulateur Challenge, il convient de regarder comment celui-ci se développe dans une démarche causale.

4.2. Les apports et les limites du simulateur liés à l’approche causale

« L’acte entrepreneurial est un processus cognitif (acquisition de connaissances) et social et le processus de démarrage, une démarche praxéologique (par l’activité) et structurante. La création fait interagir une multitude d’éléments, d’acteurs, se développe dans le temps, avec de nombreuses rétroactions » (Hernandez, 2001). Le Challenge permet de faire comprendre aux étudiants que l’entrepreneur est l’initiateur d’un processus complexe. Cette compréhension passe par un système causal construit à partir du cadre pédagogique présenté précédemment.

La démarche causale présentée souligne comment les trois choix pédagogiques de base, construction collective, intégration dans les réseaux de la création et pédagogie active, participent d’un développement des savoirs, savoir-faire et savoir-être. Ce système causal souligne également que l’objectif du simulateur est fortement concentré sur le développement des capacités entrepreneuriales des étudiants et que l’acte de création n’est pas considéré comme une fin en soi de la démarche. Pour les élèves ingénieurs, les objectifs du Challenge sont de s’ouvrir à d’autres perspectives que celles du salariat dans des grands groupes ou dans les SS2I, de les amener à comprendre quelques principes managériaux liés à la création d’entreprise. Pour les gestionnaires, c’est aussi les amener à tirer parti d’une innovation en technologie numérique pour la valoriser commercialement afin d’attirer des clients potentiels. Le Challenge permet d’organiser la rencontre et la mise en relation de compétences et de capacités issues de cultures différentes. Il permet de donner aux étudiants les moyens de se tester sur des projets fictifs, dont certains peuvent déboucher sur de véritables créations d’entreprise. L’apprentissage se réalise par l’expérimentation et la résolution de problèmes. « L’individu ne peut apprendre que s’il se confronte à un environnement assez proche de la réalité » (Shepherd et Douglas, 1996).

Si les aspects positifs du Challenge sont nombreux en matière de compréhension, de mise en synergie de compétences collectives, d’apprentissage, il est important de mesurer les limites inhérentes à ce type d’exercice. Rappelons que les étudiants sont placés dans une situation de création d’entreprise qui ne correspond pas à la réalité, même si la simulation tente de s’en approcher. En effet, pendant huit jours consécutifs, les équipes disposent de nombreux encadrants, de méthodes, d’outils de qualité pour élaborer un projet. Dans ce contexte exceptionnellement favorable, au cours des quelques jours qui leur sont dévolus, certaines équipes ne mesurent pas l’intérêt de cette opportunité qui leur est offerte de pouvoir se tester sans danger dans ce domaine et/ou n’imaginent pas à sa juste valeur la complexité de l’environnement dans lequel se situe la création d’entreprise innovante.

Enfin, si l’approche causale fournit un cadre de référence relativement souple qui permet de partir d’un objectif pour élaborer la meilleure trajectoire possible en développement de projet, elle ne tient pas suffisamment compte de la difficulté à concevoir et à mettre en oeuvre des projets novateurs en technologie numérique dans leur confrontation au marché tel qu’il est aujourd’hui, à la fois instable et en pleine évolution. Le cadre proposé et sa temporalité ne donnent pas suffisamment aux équipes les moyens nécessaires pour adopter une logique effectuale (Sarasvathy, 2008), plus adaptée aux projets innovants. Ainsi, il leur manque du temps pour constituer un solide état des ressources dont ils disposent, à partir desquelles ils pourraient construire des objectifs possibles avec de multiples manières de résoudre les problèmes en fonction des clients potentiels. C’est aussi toute la difficulté pour les organisateurs de réussir à introduire, au cours de cette semaine intensive, ces notions importantes que sont l’incertitude et l’ambiguïté dans une telle démarche sans, pour autant, faire dévier les équipes de leur objectif final.

Figure 4

Analyse causale dans le cadre d’un simulateur à but orienté création d’entreprise

Analyse causale dans le cadre d’un simulateur à but orienté création d’entreprise

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Conclusion

Les capitalisations d’expérience et de connaissances obtenues par la simulation se caractérisent par l’acquisition commune d’un savoir-faire qui mène à la réalisation d’un plan d’affaires, et ce, après avoir trouvé une idée de produit ou de service innovant en technologie numérique. Les étudiants intègrent rapidement la notion de jeu. L’avantage est qu’ils ne craignent pas l’échec, ils gagnent en confiance et dépassent ainsi rapidement leurs peurs pour s’entraîner à recueillir des informations dans un contexte ouvert les amenant à tester leurs capacités entrepreneuriales.

L’inconvénient est qu’ils ont tendance à ne pas se soucier suffisamment de la faisabilité économique de leur projet qui, par manque de véritable enjeu, mais aussi de temps et de compétences avérées dans ce domaine, n’est pas suffisamment approfondie. Néanmoins, l’obligation qui leur est faite de poser des repères financiers permet de ne pas trop s’éloigner de la réalité et de réfléchir à une première estimation des moyens à mettre en oeuvre.

Le déroulement du projet de création jusqu’à son aboutissement (virtuel) permet de se former à l’animation d’une équipe et d’entrer en contact direct avec les acteurs de la création d’entreprise. Ceci constitue une bonne expérience dans l’approche relationnelle et humaine du projet.

En dépit d’une organisation lourde à gérer, l’initiative des écoles de sortir leurs étudiants respectifs de leur cadre habituel et de les réunir pour un Challenge a des effets bénéfiques. En effet, es résultats obtenus sont encourageants car ils montrent que les étudiants sont mieux armés en termes de méthodes, de compétences, de connaissances des réseaux de la création, ainsi que dans l’évaluation de leurs connaissances réciproques et de leurs propres capacités entrepreneuriales.