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Introduction

La vie économique est constituée à la fois par des entrées et des sorties d’entreprise. Durant des décennies, la majorité des recherches s’est uniquement intéressée aux entreprises nouvellement créées et à la croissance des entreprises (Wennberg et DeTienne, 2014). Peu d’attention a été portée aux sorties d’entreprise. Pourtant, il est inéluctable que certains entrepreneurs doivent faire face à la sortie de leur propre entreprise (Engel, 1999 ; Petty, 1997), notamment lors de leur départ à la retraite. La sortie entrepreneuriale peut également se produire à tout moment de la vie de l’entreprise et de celle de l’entrepreneur. Elle peut prendre plusieurs formes : une vente à un tiers ou à une autre entreprise, une succession familiale ou une introduction en bourse. Dans ces cas-là, l’entreprise perdure bien que l’entrepreneur l’ait quittée. Dans d’autres situations, telles que la faillite, à la fois l’entrepreneur et l’entreprise effectuent une sortie. Selon DeTienne et Cardon (2012), les sorties entrepreneuriales ne feront qu’augmenter et deviendront de plus en plus fréquentes dans les années à venir suite au vieillissement de la population. Aux États-Unis, près des deux tiers des entreprises sont dirigées par des personnes de plus de 50 ans. Ces sorties (qu’elles soient positives telle la revente ou négatives telle une faillite) ont un effet positif sur le développement économique régional et national, car elles permettent un certain « recyclage entrepreneurial ». Celui-ci représente le processus par lequel des entrepreneurs sortants utilisent leurs nouvelles richesses ainsi que leur expérience entrepreneuriale pour créer de nouvelles entreprises, investir dans d’autres start-up en tant qu’investisseurs providentiels ou capital-risqueurs ou encore participer à des entreprises philanthropiques (Mason et Harrison, 2006). En outre, dans le cas d’une succession familiale, le capital peut être redistribué parmi plusieurs membres, ce qui augmente le nombre d’individus impliqués dans une activité entrepreneuriale (DeTienne et Cardon, 2012). Dans les cas moins positifs, telle une faillite, cela permet de laisser la place à de nouvelles entreprises, plus rentables.

Depuis quelques années, plusieurs chercheurs ont commencé à investiguer cette thématique, en soulignant son importance dans le champ de l’entrepreneuriat et la nécessité de mieux la conceptualiser (Albiol, 2014 ; Balcaen, Manigart, Buyze et Ooghe, 2012 ; Coad, 2013 ; DeTienne, 2010 ; DeTienne et Cardon, 2012 ; DeTienne, McKelvie et Chandler, 2015 ; DeTienne et Wennberg, 2014 ; Hessels, Grilo, Thurik et Zwan, 2011 ; Leroy, Manigart, Meuleman et Collewaert, 2015 ; Ucbasaran, Westhead et Wright, 2006 ; Wennberg, 2011 ; Wennberg et DeTienne, 2014 ; Wennberg, Wiklund, DeTienne et Cardon, 2010). La plupart des recherches sont théoriques. Elles essayent de définir et de conceptualiser ce que signifie une sortie d’entreprise (Coad, 2013 ; DeTienne, 2010 ; DeTienne et Wennberg, 2014 ; Wennberg et DeTienne, 2014).

Cependant, des études empiriques commencent à voir le jour. Les chercheurs essayent de comprendre les différentes formes de sortie possibles, mais également d’identifier les déterminants favorisant le retour à l’entrepreneuriat après une sortie. Considérant la sortie comme un processus entrepreneurial, certains chercheurs se sont intéressés aux différentes voies et stratégies de sortie (DeTienne et Cardon, 2012 ; Leroy, Manigart et Meuleman, 2007 ; Wennberg et al., 2010). D’autres chercheurs ont préféré investiguer les déterminants de l’intention de poursuivre une carrière entrepreneuriale chez les entrepreneurs ayant connu une sortie d’entreprise. Ils ont essentiellement exploré l’impact des caractéristiques des entrepreneurs sur leur intention de relancer une nouvelle entreprise. Les caractéristiques utilisées sont celles formant les capitaux humains et sociaux ou encore la peur de l’échec, la nature de la sortie de la précédente entreprise, mais également les caractéristiques de la précédente entreprise. Les études se sont focalisées sur l’une ou l’autre de ces caractéristiques ou en ont considérées deux ensemble, mais à notre connaissance aucune n’a utilisé l’ensemble de celles-ci.

Toutes ces études ont amorcé un mouvement : celui d’une meilleure compréhension des déterminants poussant un ex-entrepreneur à recréer une nouvelle entreprise après une sortie. Bien souvent, les chercheurs se concentrent uniquement sur quelques types de sorties. Par exemple, les entrepreneurs ayant fermé, abandonné ou connu l’échec de leur première entreprise. Ils ne prennent pas en considération tous les types de sortie, tels que la vente de leur entreprise, le départ suite à une nouvelle opportunité, des raisons personnelles ou encore un départ à la retraite. Dans la continuité de ces travaux, nous voulons également étudier l’ensemble des différents déterminants individuels expliquant l’intention de recréer après une sortie, mais en intégrant les différents types de sorties afin d’avoir une vue plus globale. Notre question de recherche est la suivante : quels sont les entrepreneurs qui recréent après une sortie d’entreprise ? Pour y répondre, nous utilisons les données individuelles provenant du GEM entre 2007 et 2013. Cela représente 30 329 ex-entrepreneurs issus de 103 pays[4]. Nous testerons l’influence des caractéristiques des entrepreneurs (le genre, l’âge, le capital humain, la peur de l’échec et le capital social) ainsi que la raison de sortie (sortie volontaire versus involontaire) sur la probabilité de recréer une entreprise après une sortie.

Cet article est structuré en cinq parties. La première section présente une brève revue de la littérature sur la sortie d’entreprise et développe les hypothèses que nous testerons. La méthodologie (l’échantillon et les variables de mesure) est exposée à la section 2. Nos résultats sont décrits dans la section 3 et sont discutés dans la section 4. Dans cette dernière, nous abordons également les principales limites de cette étude et proposons différentes pistes de recherche futures, ainsi que des implications managériales. La dernière section conclut notre recherche.

1. Éléments théoriques et hypothèses

1.1. La sortie entrepreneuriale : de quoi s’agit-il exactement ?

Pour mieux comprendre ce qu’est une sortie entrepreneuriale, il faut considérer trois aspects : les raisons de sortie, les types de sorties et l’angle d’approche pour analyser les sorties (c’est-à-dire le niveau de la firme ou celui de l’individu).

Plusieurs raisons peuvent expliquer une sortie d’entreprise (DeTienne et Wennberg, 2014 ; Parker, Storey et van Witteloostuijn, 2010). Ronstadt (1986) a montré que les fondateurs quittent leur entreprise pour des motifs financiers (31 %), personnels ou familiaux (11 %), une combinaison de ces facteurs (43 %) ou d’autres facteurs liés à l’entreprise (15 %). D’autres auteurs mentionnent également des problèmes juridiques, un désaccord avec son/sa partenaire, un décès, un changement d’intérêt, la volonté de créer une autre entreprise (Singh, Corner et Pavlovich, 2007), une opportunité de vente (Headd, 2003) ou, plus largement, la détection de nouvelles opportunités plus attractives (Bates, 2005 ; Van Praag, 2003). Le choix de quitter son entreprise peut dépendre de son engagement émotionnel et/ou financier envers celle-ci (Wennberg et al., 2010) et de ses attentes quant à son prix de vente (Kammerlander, 2013). Dès lors, bien que la sortie d’entreprise soit souvent connotée négativement et considérée comme un échec, il semble que ce ne soit pas nécessairement le cas (DeTienne et Wennberg, 2014 ; Knott et Posen, 2005 ; Simmons, Wiklund et Levie, 2014). En effet, des études américaines et britanniques ont montré que 30 % des entreprises ayant connu une liquidation étaient prospères au moment de leur fermeture (Bates, 2005 ; Headd, 2003) et que 30 % des entrepreneurs ayant quitté leur entreprise la considéraient comme rentable (Ucbasaran, Westhead et Wright, 2006b).

Ces différents motifs de sortie peuvent conduire à des stratégies de sortie variées, telles que l’entrée en bourse, la fusion et acquisition, le rachat interne ou externe, la succession, la vente, la liquidation et la cessation (DeTienne et Wennberg, 2014 ; Simmons, Wiklund et Levie, 2014) ou encore la faillite (Gimeno, Folta, Cooper et Woo, 1997). Balcaen et al. (2012) ont constaté que les deux voies de sortie les plus fréquentes étaient la liquidation volontaire (44 %) et la faillite (41 %). Les fusions et les acquisitions sont moins représentées (14 %). En s’inspirant des travaux de van Witteloostuijn (1998) et sur base de deux critères, la vente ou la liquidation et la bonne ou mauvaise performance de l’entreprise, Wennberg et al. (2010) ont identifié quatre types de voies de sortie. Si les performances de l’entreprise sont faibles, l’entrepreneur peut envisager une vente précipitée ou une liquidation. Dans le cas où l’entreprise a de bonnes performances, il peut opter pour la vente et espérer en obtenir un bon prix, ou encore pour la liquidation s’il ne trouve pas d’acquéreur.

Concernant le niveau d’analyse, les chercheurs envisagent la sortie d’entreprise de deux façons différentes (DeTienne, 2010) : en prenant l’entreprise comme référence ou l’entrepreneur. Partant du niveau de l’entreprise, Decker et Mellewigt (2007) distinguent trois types de sorties : la sortie du marché, la sortie technologique ou la sortie de l’entreprise (typiquement la fermeture de l’entreprise). D’autres mentionnent également la sortie d’un marché particulier (Anderson et Tushman, 2001 ; Mitchell, 1994). Certains auteurs l’envisagent plutôt comme une fermeture définitive de l’entreprise via la cessation ou la faillite (Gimeno et al., 1997). Si le niveau de l’entrepreneur est pris en compte, alors la sortie entrepreneuriale est considérée comme le résultat d’une décision de l’entrepreneur de quitter l’entrepreneuriat (Evans et Leighton, 1989 ; Stam, Thurik et Van der Zwan, 2010 ; Van Praag, 2003) ou son entreprise (DeTienne, 2010 ; DeTienne et Wennberg, 2014 ; Wennberg et al., 2010).

Ces différents types et raisons de sortie d’entreprise (Parker, Storey et Van Witteloostuijn, 2010) montrent que ce phénomène est multidimensionnel (Wennberg et al., 2010). DeTienne et Wennberg (2014) appellent les chercheurs à clarifier et à développer une terminologie commune à ce sujet. Sur base d’une conceptualisation commune, des études internationales pourraient conduire à des comparaisons et au développement d’idées nouvelles alimentant le débat. DeTienne (2010, p. 204) apporte la première pierre à l’édifice en définissant la sortie d’entreprise comme le processus par lequel les fondateurs d’entreprises privées quittent l’entreprise qu’ils ont contribué à créer, en se retirant, à des degrés variables, de la structure de l’entreprise, sur le plan de la propriété et des organes décisionnels. Cette définition souligne la décision de l’entrepreneur de quitter son entreprise. Notons toutefois que cet auteur mentionne exclusivement le fondateur de l’entreprise. Or, un successeur ou un repreneur pourrait tout à fait prendre la décision de quitter l’entreprise reprise à un moment donné. Cette définition pourrait donc être étendue à l’entrepreneur/dirigeant actuellement en fonction au sein de l’entreprise. Cette définition n’englobe donc pas les faillites puisque, dans ce cas, l’entrepreneur est forcé de quitter et de fermer son entreprise suite à une demande de la banque ou de ses créanciers (Coad, 2013)[5]. Elle ne tient donc compte que de la volonté de l’entrepreneur de quitter son entreprise.

Pour Wennberg et DeTienne (2014), la sortie entrepreneuriale et l’échec entrepreneurial sont deux concepts bien distincts qu’il est important de délimiter, contrairement à la conceptualisation de Coad (2013). Ce dernier a tenté de clarifier ces deux concepts en développant un diagramme conceptuel reprenant les différents résultats d’une entreprise (Figure 1). Au niveau de l’entreprise, il distingue la survie et la mort de celle-ci. Dans le premier cas, soit l’entrepreneur continue à diriger son entreprise (la pérennité entrepreneuriale), soit il décide de la quitter (sortie entrepreneuriale) en la vendant (soit de manière fructueuse ou précipitée). Dans les deux cas, l’entreprise existe toujours. Dans le second cas, la mort de l’entreprise peut être soit involontaire, ce qui représente le cas des faillites, soit volontaire, ce qui se rapporte aux liquidations[6]. Dans ce dernier cas, plusieurs explications sont possibles. L’entreprise a eu de belles années, mais, à présent, ses coûts opérationnels sont trop élevés pour que ses activités puissent continuer. L’entrepreneur ayant un capital humain élevé peut décider de la quitter, car il a d’autres options qui s’offrent à lui ou il peut tomber malade et décider de se retirer, car il a d’autres priorités. Le cas de la liquidation positive fait référence aux fermetures ayant pour cause un départ à la retraite ou encore l’arrêt d’un projet qui était envisagé à court terme, tandis que la liquidation par détresse fait davantage référence à une situation négative où l’entreprise n’est plus performante.

Tableau 1

Les différents résultats d’une entreprise : diagramme conceptuel à deux niveaux (traduit de Coad, 2013)

Les différents résultats d’une entreprise : diagramme conceptuel à deux niveaux (traduit de Coad, 2013)

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La sortie entrepreneuriale peut également être envisagée selon la dichotomie sortie volontaire/involontaire. Coad (2013) estime que cette distinction peut entraîner des biais cognitifs chez l’entrepreneur. Pour donner une meilleure image de lui-même et protéger son estime de soi, l’entrepreneur pourrait parler d’une sortie volontaire, plutôt que d’une sortie involontaire dans le cas où son entreprise était en difficulté. Toutefois, Justo, DeTienne et Sieger (2015) ont choisi d’utiliser cette distinction dans leur étude. Selon ces derniers, la sortie involontaire représente les situations où l’entreprise a des performances faibles (cela s’apparente à une situation d’échec), tandis que la sortie volontaire inclut davantage des raisons liées à des motifs personnels, à un départ à la retraite ou à d’autres opportunités financières et/ou professionnelles. Selon nous, cette distinction permet de prendre en compte l’entièreté des différentes sorties entrepreneuriales pour mieux investiguer leurs influences sur l’intention de recréer des ex-entrepreneurs. Dans le cadre de cette recherche, nous faisons nôtre cette dichotomie : sortie volontaire versus involontaire.

1.2. Quels sont les déterminants de la recréation après une sortie entrepreneuriale ?

La sortie d’entreprise ne signifie pas la fin du processus entrepreneurial (Hessels et al., 2011 ; Metzger, 2006, 2008 ; Nielsen et Sarasvathy ; 2011 ; Schutjens et Stam, 2006 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008 ; Ucbasaran, Westhead et Wright, 2006a ; Wagner, 2002). Le type de sortie et le moment de cette sortie (endéans les trois premières années du démarrage ou ultérieurement) jouent un rôle dans la probabilité de lancer une nouvelle entreprise (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Dans leur étude, Schutjens et Stam (2006) ont constaté que la grande majorité des entrepreneurs maintiennent leur envie d’entreprendre au moment de la fermeture de leur entreprise. Parmi ces entrepreneurs, 30 % ont effectivement lancé un nouveau projet endéans les sept ans. Amaral, Baptista et Lima (2009) ont trouvé des résultats similaires. Par contre, dans leur échantillon, la plupart des entrepreneurs interrogés ont recréé une nouvelle entreprise directement après la fermeture de leur entreprise précédente. Hessels et al. (2011) ont montré que les entrepreneurs ayant connu une sortie récente sont plus susceptibles de s’engager, à des degrés divers, dans une activité entrepreneuriale. Il semblerait que ni les dettes (Metzger, 2008), ni une situation d’échec n’affectent la probabilité de se relancer dans l’aventure entrepreneuriale (Nielsen et Sarasvathy, 2011).

Les chercheurs ont constaté qu’un nombre significatif d’entreprises ayant connu une sortie volontaire étaient prospères (Bates, 2005 ; Wennberg et al., 2010). Les entrepreneurs ayant vendu leur entreprise précédente sont plus susceptibles d’en lancer une nouvelle (Schutjens et Stam, 2006). Stam, Audretsch et Meijaard (2008) ont montré que la réussite de la vente de l’entreprise précédente permet aux entrepreneurs de disposer de ressources financières pour démarrer une nouvelle entreprise.

Concernant les sorties involontaires, c’est-à-dire la cessation d’activité involontaire et la faillite, leur impact sur la recréation semble négatif. Selon Stam, Audretsch et Meijaard (2008), la faillite conduit à des contraintes financières, diminuant ainsi la probabilité de recréer une entreprise ultérieurement. Les entrepreneurs peuvent avoir des dettes et éprouver des difficultés à obtenir des prêts bancaires dans le futur. Cela diminuerait leur intention de recréer une entreprise. Simmons et al. (2014) ont confirmé cette hypothèse et ont ajouté que les entrepreneurs ayant échoué sont plus susceptibles de quitter définitivement l’entrepreneuriat et de choisir d’autres options de carrière si les niveaux de stigmatisation et de contrôle institutionnel quant aux informations liées à l’échec sont élevés dans leur environnement. Ces auteurs proposent deux explications. Tout d’abord, en intériorisant l’échec entrepreneurial comme étant illégitime, ces entrepreneurs pourraient considérer que leur profil ne correspond pas à celui d’un entrepreneur et se détourner de l’entrepreneuriat. Deuxièmement, même s’ils souhaitent recréer une entreprise, ils considéreraient que la stigmatisation liée à l’échec diminuerait leur chance de réussite. Les parties prenantes pourraient ne pas vouloir travailler avec eux ni leur fournir les ressources nécessaires à la réussite de leur nouvelle entreprise. Conformément à ces résultats, nous formulons l’hypothèse suivante :

  • Hypothèse 1 : une sortie d’entreprise volontaire augmente la probabilité de recréation d’une entreprise par d’ex-entrepreneurs, comparativement à une sortie involontaire.

Depuis de nombreuses années, les chercheurs utilisent les capitaux humains (Diochon, Gasse, Menziez et Garand, 2002 ; Kim, Aldrich et Keister, 2006 ; Reynolds, Carter, Gartner et Greene, 2004) et sociaux (Davidsson et Honig, 2003 ; Arenius et De Clercq, 2005), ainsi que la peur de l’échec pour expliquer l’intention d’un individu de créer ou non une entreprise. Ces déterminants de l’intention de créer pourraient tout aussi bien expliquer l’intention de recréer après une sortie d’entreprise. Après une première expérience de gestion d’une entreprise, il est attendu qu’un entrepreneur augmente ses capitaux humains et sociaux. En fonction du type de sortie, volontaire ou involontaire, la peur de l’échec peut être plus ou moins importante, pouvant l’inciter ou non à recréer une entreprise. Des travaux antérieurs (Hessels et al., 2011 ; Nielsen et Sarasvathy, 2004 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008) ont déjà montré l’impact de ceux-ci sur l’intention de recréer après une sortie entrepreneuriale. Sur base de ces travaux, nous avons décidé de tester également l’impact de ces deux capitaux, ainsi que la peur de l’échec sur l’intention de recréer une entreprise.

Le capital humain

Un grand nombre d’études lient le capital humain à l’intention de créer une entreprise (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Ce concept fait référence aux qualités intrinsèques d’une personne, c’est-à-dire ses connaissances, son niveau d’éducation, ses compétences et son expérience (Deakins et Whittam, 2000). Grâce à ces qualités, un individu augmente ses capacités cognitives et dès lors agit plus productivement. Certains aspects du capital humain, tels que l’éducation et l’expérience ont un impact sur le développement d’idées d’affaires et sur l’organisation des ressources (Deakins et Whittam, 2000), augmentant l’intention de lancer une entreprise (Davidsson, 2006, cité dans Hessels et al., 2011). Le capital humain d’un entrepreneur est plus spécifiquement défini comme les connaissances, les compétences et l’expérience acquises au cours d’une activité entrepreneuriale (Hessels et al., 2011). Il se développe notamment lorsqu’une personne travaille au sein d’une petite ou moyenne entreprise (Iyigun et Owen, 1998) ou développe son expérience en tant que fondateur et dirigeant d’entreprise (Hessels et al., 2011).

Des recherches antérieures sur la sortie d’entreprise ont mobilisé la théorie du capital humain pour tester l’intention de recréer une entreprise (Hessels et al., 2011 ; Nielsen et Sarasvathy, 2011 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Celui-ci a un impact sur la recréation d’entreprise, car un ex-entrepreneur détectera plus facilement des opportunités d’affaires et pourra se servir de ses connaissances acquises lors d’une précédente expérience (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Une sortie d’entreprise permet d’accumuler un capital humain lié à l’entrepreneuriat (Hessels et al., 2011).

La composante la plus fréquemment utilisée dans le capital humain est l’éducation. Les personnes ayant un niveau d’éducation élevé peuvent entrevoir plus facilement des opportunités d’affaires et choisir un secteur propice à la création de leurs entreprises. Dans les précédentes recherches sur la sortie d’entreprise, l’impact de l’éducation est ambigu (Nielsen et Sarasvathy, 2011). Certaines ont démontré que les personnes ayant un niveau d’éducation élevé sont plus susceptibles de démarrer une nouvelle entreprise après une sortie (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). En effet, en cas d’échec, elles auraient plus de chance de trouver un autre emploi. D’autres n’ont trouvé aucun effet significatif de l’éducation sur l’intention de recréer une entreprise (Hessels et al., 2011 ; Wagner, 2002), tandis que Nielsen et Sarasvathy (2011) ont montré qu’un niveau d’éducation élevé diminue la probabilité de recréer si les entrepreneurs ont précédemment connu l’échec. Compte tenu de ces résultats mitigés, nous considérons tout de même qu’un niveau d’éducation élevé peut favoriser la recréation. Les entrepreneurs plus scolarisés ont peut-être un accès plus aisé à des ressources financières que ceux moins scolarisés. Nous formulons donc l’hypothèse suivante :

  • Hypothèse 2a : un niveau d’éducation élevé influence positivement la probabilité que l’ex- entrepreneur recrée une entreprise.

Un second aspect du capital humain souvent utilisé en entrepreneuriat fait référence à l’expérience ou aux compétences entrepreneuriales. Plusieurs chercheurs ont constaté que le fait d’avoir possédé et géré une entreprise auparavant augmente les intentions entrepreneuriales (Kolvereid et Isaksen, 2006 ; Schutjens et Stam, 2006 ; Tamásy, 2006). Lors de la gestion de cette entreprise précédente, les ex-entrepreneurs ont acquis et amélioré leurs compétences entrepreneuriales (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008) et leur confiance en eux. Cette expérience peut les aider à mieux gérer les défis liés à une nouvelle entreprise et à faciliter la pénétration sur un nouveau marché (Schrader, Oviatt et McDougall, 2000). Les entrepreneurs qui retentent l’aventure entrepreneuriale utilisent généralement les connaissances et les compétences qu’ils ont acquises précédemment (Schutjens et Stam, 2006). Sur la base de ces éléments, nous formulons l’hypothèse suivante :

  • Hypothèses 2b : la perception positive de compétences entrepreneuriales influence positivement la probabilité que l’ex-entrepreneur recrée une entreprise.

Enfin, liée au niveau d’éducation et découlant plus particulièrement de l’expérience entrepreneuriale, la détection d’opportunité d’affaires est également un aspect ayant un impact positif sur l’intention de recréer une entreprise. En ayant dirigé et été propriétaire d’une première entreprise, un ex-entrepreneur utilise ses compétences acquises précédemment pour chercher des informations (Cooper, Folta et Woo, 1995) et créer ou détecter et exploiter de nouvelles opportunités d’affaires (Hessels et al., 2011 ; Kirzner, 1997 ; Shane, 2000 ; Ucbasaran, Westhead, Wright et Binks, 2003). Davidsson et Honig (2003) ont démontré qu’avoir lancé une start-up précédemment a un effet positif sur la détection et l’exploitation d’une nouvelle opportunité. Les travaux d’Ucbasaran, Westhead et Wright (2008) ainsi que d’Amaral, Baptista et Lima (2009) montrent aussi que des composantes du capital humain spécifiques à l’entrepreneuriat (telles que l’expérience entrepreneuriale, la gestion et la création d’une entreprise) sont significativement associées à une importante probabilité d’identification et de poursuite d’opportunités. Les entrepreneurs en « série » en sont un bon exemple. Ce sont des individus qui créent, sortent et recréent plusieurs entreprises durant leur carrière entrepreneuriale (Hessels et al., 2011). Par ces différentes étapes, l’entrepreneur en série apprend et améliore ses compétences entrepreneuriales. En améliorant ses compétences entrepreneuriales, il détecte plus facilement de nouvelles opportunités d’affaires. Sur la base de ces résultats, nous formulons l’hypothèse suivante :

  • Hypothèse 2c : la détection d’opportunités d’affaires influence positivement la probabilité que l’ex-entrepreneur recrée une entreprise.

La peur de l’échec

Un autre aspect pouvant influencer la recréation après une sortie d’entreprise est la peur de l’échec. Deux approches ont été utilisées pour conceptualiser la peur de l’échec (Cacciotti et Hayton, 2015). La première la considère comme étant un trait de personnalité qui, par définition, est stable au cours du temps (Arenius et Minniti, 2005 ; Hessels et al., 2011). Les auteurs de cette approche la définissent comme un indicateur d’aversion au risque (Wagner et Stenberg, 2004) ou une attitude générale face au risque (Langowitz et Minniti, 2007). La seconde approche l’envisage plutôt comme un état émotionnel provenant de la perception de menaces dans l’environnement (Patzelt et Sheperd, 2011 ; Welpe, Spörrle, Grichnik, Michl et Audretsch, 2012). Il s’agit donc d’une émotion négative due à l’anticipation de rencontrer un éventuel échec (Patzelt et Shepherd, 2011 ; Welpe et al., 2012). Ekore et Okekeocha (2012) la définissent comme un sentiment entraînant un découragement et une peur de ne pas réussir, avant même de faire une tentative.

La peur de l’échec est vue à la fois comme un ennemi et un ami pour l’entrepreneur, car elle peut soit l’empêcher de se lancer dans l’entrepreneuriat, soit être un moteur lui permettant d’atteindre ses buts (Cacciotti et Hayton, 2015). Cependant, la majorité des études ont démontré que la peur de l’échec était une barrière à l’entrepreneuriat. De nombreuses personnes estiment qu’une activité d’indépendant est plus risquée que le salariat parce qu’elles craignent d’échouer (Hessels et al., 2011). Autio et Pathak (2010) ont démontré l’influence négative de la peur de l’échec sur un éventuel engagement après une sortie entrepreneuriale. Nous pensons que le type de sortie d’entreprise et l’expérience de gestion et de possession d’une entreprise ont un impact sur la peur de l’échec et, par la suite, sur l’intention de recréation. Comme le soulignent Hessels et al. (2011), un entrepreneur ayant connu un échec pourrait être marginalisé dans l’environnement dans lequel il vit, ce qui pourrait diminuer son envie de retenter l’aventure, même s’il a acquis des connaissances et une expérience précieuses dans son entreprise précédente. Dans un contexte de recréation, la peur de l’échec peut augmenter suite à une première expérience négative, ce qui diminuera l’intention de ces entrepreneurs de recréer. Hessels et al. (2011) ont montré que la peur de l’échec a un impact négatif et significatif sur l’engagement ultérieur dans des activités entrepreneuriales. Cela conduit à l’hypothèse suivante :

  • Hypothèse 3 : la peur de l’échec influence négativement la probabilité que l’ex-entrepreneur recrée une entreprise.

Le capital social

Le capital social a un impact majeur sur le lancement d’une entreprise et sa réussite (Nielsen et Sarasvathy, 2011). Il est défini comme la somme des ressources provenant du réseau de relations que possède(nt) le(s) fondateur(s) d’une entreprise (Nahapiet et Ghoshal, 1998, p. 243). Plus précisément, le capital social de l’entrepreneur se réfère à la construction d’un réseau composé d’autres entrepreneurs au travers desquels il acquiert des ressources (Hessels et al., 2011). En général, ce réseau est constitué de parents, d’anciens collègues créant une entreprise, d’amis ou de voisins (Davidsson et Honig, 2003 ; Nanda et Sorensen, 2010). En côtoyant des entrepreneurs, un individu a une connaissance plus réaliste des valeurs, des aptitudes et des compétences nécessaires au démarrage et à la gestion d’une entreprise. Toutes ces personnes sont des ressources et des contacts utiles (Hisrich, Peters et Shepherd, 2005) et jouent un rôle de modèle en rendant la carrière entrepreneuriale attrayante, comparativement au salariat (Hessels et al., 2011).

Des études antérieures ont montré que le capital social a un impact positif sur la probabilité des ex-entrepreneurs à recréer une entreprise. Le fait d’avoir des contacts personnels avec un entrepreneur augmente la volonté de retenter sa chance (Wagner, 2002). La constitution d’une équipe de cofondateurs encourage également le redémarrage (Metzger, 2008). Les membres de la famille et des amis entrepreneurs renforcent le choix d’une carrière entrepreneuriale chez les ex-entrepreneurs, malgré une expérience infructueuse (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Nielsen et Sarasvathy (2011) ont montré qu’avoir des parents entrepreneurs et être marié à un entrepreneur réduisait la probabilité de connaître un nouvel échec. Nous pensons donc que la connaissance d’une personne active en entrepreneuriat peut influencer positivement un ex-entrepreneur à recréer :

  • Hypothèse 4 : être exposé à un entourage entrepreneurial influence positivement la probabilité que l’ex-entrepreneur recrée une entreprise.

2. Méthodologie

2.1. Échantillon

Notre échantillon est issu de l’enquête internationale du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) et constitué de personnes interrogées entre 2007 et 2013. Cette base de données regroupe 1 214 523 individus. Notre étude visant à examiner l’intention de recréation des entrepreneurs ayant récemment quitté leur entreprise précédente, nous avons uniquement sélectionné les ex-entrepreneurs ayant répondu positivement à la question suivante : « Avez-vous, au cours des 12 derniers mois, vendu, arrêté, interrompu ou quitté une entreprise que vous possédiez et gériez, en ce compris toute forme d’auto-emploi ou la vente de biens ou de services à qui que ce soit ? » Cela représente 51 128 individus. Après cette première étape, nous avons nettoyé la base de données en supprimant, pour chaque variable utilisée, les personnes ayant des réponses manquantes ou ayant répondu « je ne sais pas » ou « refusé », ou encore ayant donné des réponses ne pouvant pas être correctement codées. Cette étape a réduit notre échantillon à 31 102 répondants. Nous avons repris la classification « volontaire » et « involontaire » de Justo, DeTienne et Sieger (2015) pour catégoriser les raisons de sortie. Dans leur étude, ces auteurs ne reprenaient pas la sortie planifiée à l’avance et l’incident. Cette dernière nous semble effectivement difficile à interpréter, contrairement à la sortie planifiée à l’avance. Celle-ci peut, quant à elle, être considérée comme une sortie volontaire, car elle provient d’une décision de l’entrepreneur. Par conséquent nous avons décidé de l’intégrer dans nos analyses. Notre échantillon final est donc composé de 30 329 ex-entrepreneurs.

Notre échantillon est composé de 55,6 % d’hommes. La moyenne d’âge est de 39 ans. Un peu moins de 6,5 % des entrepreneurs possèdent un diplôme d’étude supérieure. 80,4 % des répondants pensent avoir les compétences entrepreneuriales requises pour démarrer une nouvelle entreprise et près de 55,1 % estiment détecter de nouvelles opportunités entrepreneuriales. Un tiers de l’échantillon estiment que la peur de l’échec les empêcherait d’entreprendre à nouveau (33,2 %). Plus de 60 % de ces ex-entrepreneurs connaissent quelqu’un qui a démarré une entreprise au cours de ces deux dernières années.

Les différentes raisons de sortie reprises se répartissent de la manière suivante : 4,1 % ont eu l’opportunité de vendre leur précédente entreprise, 38,8 % avaient une entreprise non rentable, 15,8 % ont rencontré des difficultés à obtenir des financements, 8,8 % ont eu une nouvelle opportunité d’emploi ou d’entreprise, 3,6 % ont planifié à l’avance leur sortie, 8 % ont pris leur pension et 20,9 % ont quitté leur entreprise précédente pour des raisons personnelles. Celles-ci incluent notamment la déclaration d’une maladie, le deuil d’un membre de la famille ou de son associé, un divorce, un besoin de financer un événement tel qu’un mariage au travers de la vente de biens de l’entreprise plutôt que l’entreprise elle-même ou encore l’ennui (Bosma, Acs, Autio, Coduras et Levie, 2008). Parmi cet échantillon de répondants, plus de la moitié manifeste l’intention de recréer une entreprise (55,1 %). Cette intention est distribuée de la façon suivante : 4,7 % parmi ceux qui ont eu l’opportunité de vendre leur entreprise précédente, 36,3 % pour ceux qui ont eu une entreprise non rentable, 19,5 % parmi ceux qui ont rencontré des difficultés à obtenir des financements, 9,3 % pour ceux qui ont eu une nouvelle opportunité d’emploi ou d’entreprise, 3,7 % chez ceux qui ont planifié à l’avance leur sortie, 4,4 % parmi ceux qui ont pris leur pension et 22 % pour ceux qui ont quitté leur entreprise précédente pour des raisons personnelles.

Pour traiter et contrôler l’hétérogénéité de notre échantillon (les répondants provenant de 103 pays différents), nous avons choisi de réaliser nos analyses en divisant notre échantillon en deux sous-ensembles en fonction de leur appartenance ou non à l’OCDE. Les 35 pays membres de l’OCDE sont l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Chili, la Corée du Sud, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les États-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, Israël, l’Italie, le Japon, la Lettonie, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suède, la Suisse et la Turquie (OCDE, 2017). Seule la Nouvelle-Zélande n’est pas représentée dans notre échantillon. Pour identifier ces pays, nous avons créé une nouvelle variable où les 34 pays de l’OCDE représentés dans notre échantillon ont été codés 1 et les autres ne faisant pas partie de l’OCDE ont été codés 0. Le sous-ensemble représentant les pays de l’OCDE est constitué de 10 825 individus alors que le second est composé de 19 504 individus.

2.2. La variable dépendante

Notre variable dépendante est mesurée par la question suivante : « Au cours des trois prochaines années, avez-vous le projet de démarrer, seul ou avec d’autres, une nouvelle entreprise (c’est-à-dire toute forme d’auto-emploi) ? »

Il s’agit d’une variable dichotomique égale à 1 si les individus répondent oui.

2.3. Les variables explicatives

Concernant les différents types de sorties, nous avons utilisé une variable mesurant la raison prépondérante pour laquelle la personne interrogée a quitté son entreprise précédente. Cette variable a neuf réponses possibles et l’entrepreneur devait en choisir une seule parmi : (1) la possibilité de vendre l’entreprise, (2) l’entreprise n’a pas été rentable, (3) des problèmes d’obtention de financement, (4) un autre emploi ou une nouvelle opportunité d’affaires, (5) la sortie était prévue à l’avance, (6) la retraite, (7) des raisons personnelles, (8) un incident, et (9) autres. Dans cette étude, nous avons décidé de suivre la catégorisation de Justo et al. (2015). Ceux-ci répartissent les raisons en deux catégories : d’une part, les sorties volontaires (les raisons 1, 4, 6 et 7), et, d’autre part, les sorties involontaires (les raisons 2 et 3). Ces auteurs n’ont pas utilisé les raisons 5, 8 et 9. La signification réelle des raisons « incident (8) » et « autres (9) » étant peu claire, leur interprétation est rendue difficile. Nous ne les avons donc pas incluses dans nos analyses. Par contre, nous nous différencions d’eux en ajoutant la raison « sortie planifiée à l’avance (5) » dans les sorties volontaires. Selon nous, cette décision planifiée à l’avance correspond à la catégorie de sortie dite volontaire. Suite à cette catégorisation, nous avons créé une nouvelle variable dichotomique : les raisons de sortie volontaires contre les raisons involontaires. Les variables codées 1 sont les raisons 1, 4, 5, 6 et 7 tandis que les variables 2 et 3 ont été codées 0.

Nous avons également utilisé d’autres déterminants pour expliquer l’intention des ex- entrepreneurs de recréer, tels que le capital humain, la peur de l’échec et le capital social. En ce qui concerne le capital humain, nous avons utilisé deux variables dichotomiques : la perception des compétences entrepreneuriales et la détection d’opportunité. Ces variables correspondent respectivement aux questions suivantes : « Avez-vous les connaissances, les compétences et l’expérience nécessaires pour démarrer une nouvelle entreprise ? » (codée 1 en cas de réponse positive et 0 pour les réponses négatives) et « Dans les prochains mois, y aura-t-il de bonnes opportunités pour démarrer une entreprise dans la région où vous vivez ? » (codée 1 si oui et 0 si non). Pour le niveau d’éducation, suivant les travaux de Bates (2005), Justo, DeTienne et Stieger (2015) et Stam, Audretsch et Meijaard (2008) nous avons recodé la variable niveau d’éducation du GEM. Les cinq niveaux de cette variable ordinale sont : « 0 » pour les personnes n’ayant bénéficié d’aucune scolarité, « 111 » pour le niveau primaire, « 1212 » pour le niveau secondaire inférieur, « 1316 » pour le diplôme d’études secondaires et « 1720 » pour un diplôme d’études supérieures. Sur base de ces niveaux, nous avons créé une variable dichotomique où 1 équivaut à un diplôme d’études supérieures et 0 aux niveaux d’éducation inférieurs.

Concernant la peur de l’échec, nous avons utilisé la variable dichotomique suivante : « La peur de l’échec vous empêcherait-elle de démarrer une entreprise ? » (Les réponses positives ont été codées 1 et les négatives 0).

Le capital social a été mesuré à l’aide d’une variable dichotomique où les répondants devaient indiquer s’ils connaissaient personnellement quelqu’un qui a démarré une entreprise au cours des deux dernières années (les réponses positives ont été codées 1 et les négatives 0).

2.4. Les variables de contrôle

Nous avons ajouté des variables de contrôle régulièrement utilisées dans la littérature sur la recréation (Davidsson et Honig, 2003 ; Hessels et al., 2011 ; Nielsen et Sarasvathy, 2011 ; Schutjens et Stam, 2006 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008 ; Wagner, 2002). Ce sont les données démographiques telles que l’âge et le genre.

Dans les pays développés, les hommes sont plus susceptibles de choisir une carrière entrepreneuriale que les femmes (Parker, 2004). Plusieurs études ont montré que les femmes expriment moins l’intention de créer une entreprise que les hommes (Diochon et al., 2002 ; Hessels et al., 2011 ; Reynolds et al., 2004). Après une sortie, les mêmes tendances apparaissent. Hessels et al. (2011) ainsi que Nielsen et Sarasvathy (2011) ont montré que les ex-entrepreneurs de sexe masculin sont plus susceptibles de recréer une entreprise que les femmes. Cependant, d’autres études n’ont montré aucun effet significatif du genre sur l’intention de recréer après une sortie d’entreprise (Stam, Audretsch et Meijaard, 2008 ; Wagner, 2002). Dans l’enquête du GEM, la variable mesurant le genre est codée 1 pour les hommes et 2 pour les femmes. Nous avons recodé cette variable en 0 pour les hommes et 1 pour les femmes suivant les travaux de Baù, Sieger, Eddleston et Chirico (2016), Justo, DeTienne et Sieger (2015) et Wennberg et al. (2010).

Les travaux sur l’intention entrepreneuriale montrent que l’âge a un effet négatif sur la probabilité de démarrer une entreprise (Diochon et al., 2002 ; Reynolds et al., 2004). Une courbe en forme de U inversé représente l’effet de l’âge sur l’intention d’entreprendre. Les personnes plus jeunes sont moins susceptibles de démarrer une entreprise en raison de leur manque de

capitaux humains, sociaux et financiers, tandis que les personnes d’âge moyen sont plus susceptibles de lancer une entreprise et que les personnes âgées ont une aversion au risque plus élevé et ne souhaitent plus travailler de longues heures (Parker, 2004). En ce qui concerne la recréation, plusieurs chercheurs ont montré que les jeunes ex-entrepreneurs expriment plus d’intentions de recréer une entreprise que les plus âgés (Nielsen et Sarasvathy, 2011 ; Schutjens et Stam, 2006 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008 ; Wagner, 2002). Selon Schutjens et Stam (2006), deux raisons expliquent cet effet de l’âge. D’une part, les personnes plus jeunes auraient des coûts d’opportunité plus bas en choisissant une carrière entrepreneuriale plutôt qu’un emploi salarié, tandis que les personnes âgées préféreraient un emploi ayant plus de sécurité en termes de revenus. D’autre part, ils constatent aussi que les jeunes ont été élevés dans un contexte plus entrepreneurial que leurs aînés. Pour ces raisons nous avons repris la variable âge (variable continue) et nous avons recréé une nouvelle variable âge au carré pour contrer l’effet curvilinéaire de l’âge, augmentant le capital humain au travers de l’accumulation d’expériences de vie et le diminuant par la perte d’endurance et l’aversion au risque (Hessels et al., 2011 ; Simmons, Wicklund et Levie, 2014).

Les données utilisées couvrant les années 2007 à 2013, nous avons inclus une variable dichotomique relative à la crise financière pour contrôler l’effet temporel de celle-ci. Sur base des documents de l’OCDE (Huwart et Verdier, 2012 ; OCDE, 2010), la crise s’étendant de 2007 à 2009, nous avons codé « 1 » ces trois années alors que les années 2010 à 2013 ont été codées 0.

3. Résultats

Avant d’effectuer nos analyses, nous avons établi une matrice de corrélations et repris les statistiques descriptives (moyenne et écarts-types) des dix variables utilisées dans cette étude. Ces informations sont reprises dans le tableau 1 intitulé : matrice de corrélations et statistiques descriptives. Cinq régressions logistiques binaires ont permis d’analyser la probabilité qu’un ex-entrepreneur recrée une entreprise : l’une avec uniquement les variables de contrôle, les suivantes en ajoutant successivement les variables concernant le capital humain, la peur de l’échec, le capital social et la raison de sortie volontaire versus involontaire. Pour tester la robustesse de nos modèles, le test d’Hosmer et Lemeshow ainsi que le calcul des AIC ont également été inclus dans les analyses. Ces analyses ont été réalisées à l’aide de SPSS Statistics 22. Les résultats sont présentés dans le tableau 2 pour les pays membres de l’OCDE et dans le tableau 3 pour les pays non-membres de l’OCDE.

3.1. Modèles relatifs aux pays membres de l’OCDE

Nos résultats concernant les variables relatives au capital humain sont mitigés. Le niveau d’éducation n’a aucun effet significatif sur l’intention de recréer une entreprise après une sortie d’entreprise, et ce pour tous nos modèles (de 2 à 5). L’hypothèse 2a n’est donc pas vérifiée dans chacun de nos cinq modèles. Ceci confirme l’effet équivoque du niveau d’éducation sur l’intention de recréer une entreprise après une sortie, comme nous l’avions vu dans l’analyse des travaux antérieurs.

Tableau 1

Matrice de corrélations et statistiques descriptives

Matrice de corrélations et statistiques descriptives

** La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral)

* La corrélation est significative au niveau 0,05 (bilatéral)

N = 30,329

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En revanche, les deux autres variables relatives au capital humain ont des effets significatifs allant dans le sens attendu pour les modèles 3 à 5. Les compétences entrepreneuriales ont un effet positif et significatif sur l’intention de recréer (p < ,001, modèles 2 à 5), confirmant en cela les travaux précédents (Kolvereid et Isaksen, 2006 ; Schutjens et Stam, 2006 ; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008 ; Tamásy, 2006). Plus les ex-entrepreneurs ont le sentiment d’avoir des compétences entrepreneuriales, plus ils manifesteront l’envie de recréer après une sortie entrepreneuriale. En outre, les ex-entrepreneurs estimant que de nouvelles opportunités d’affaires apparaîtront dans les prochains mois dans leur environnement sont plus susceptibles d’avoir envie de recréer malgré la sortie de leur entreprise précédente (p < ,001, modèles 2 à 5). Les hypothèses 2b et 2c sont donc vérifiées pour les modèles 2 à 5.

Comme nous nous y attendions, la peur de l’échec a un effet négatif et significatif sur la probabilité de recréer une entreprise après une sortie (p < ,001, modèles 3 à 5). Après une sortie d’entreprise, les ex-entrepreneurs estiment que la peur de l’échec les empêcherait de recréer. Ce résultat est en adéquation avec les études précédentes (Hessels et al., 2011) et conforme à notre troisième hypothèse pour les modèles 3 à 5.

Le capital social a un impact positif et significatif sur l’intention de recréer une entreprise (p < ,001, modèles 4 et 5). Le fait de connaître un entrepreneur qui a démarré une entreprise au cours des deux dernières années augmente la probabilité que des ex-entrepreneurs recréent une entreprise. L’hypothèse 4 est vérifiée pour les modèles 4 et 5.

Dans notre hypothèse 1, nous avons suggéré que les entrepreneurs ayant quitté une entreprise de manière volontaire manifesteraient plus l’intention de recréer une entreprise, que ceux qui ont quitté leur entreprise involontairement. Nos résultats montrent un effet significatif, mais inverse à nos attentes (p < ,05, modèle 5). L’hypothèse 1 n’est donc pas vérifiée dans notre modèle 5.

Concernant nos variables de contrôle, sans surprise, le genre a un effet négatif et significatif (p < ,001) sur l’intention de recréer une entreprise dans les cinq modèles. En d’autres termes, les femmes sont moins susceptibles de montrer une intention de recréer après une sortie d’entreprise. Ces résultats sont cohérents avec les recherches antérieures. L’âge au carré a également un effet significatif et négatif sur l’intention de recréer une entreprise. Plus les ex-entrepreneurs sont âgés et ont de l’expérience, moins ils manifesteront une intention de recréer après une sortie d’entreprise (p < ,001, pour les modèles 2 à 5). Ce résultat est en adéquation avec les travaux de Schutjens et Stam (2006). Dans le cadre d’une sortie d’entreprise, les jeunes ex-entrepreneurs semblent donc effectivement avoir des coûts d’opportunité plus bas en choisissant une carrière entrepreneuriale plutôt qu’un emploi salarié, tandis que les ex-entrepreneurs plus âgés choisiraient davantage un emploi présentant une sécurité de revenus. Par contre, l’âge chronologique n’a aucun impact significatif dans nos différents modèles. Finalement, la crise financière a également un impact négatif et significatif dans nos cinq modèles (p < ,001). La crise financière jouerait en défaveur de l’intention de recréer des ex-entrepreneurs.

Pour tester la robustesse de nos modèles, nous avons calculé des AIC pour chacun des modèles et effectué le test d’Hosmer et Lemeshow. Nous constatons que les AIC augmentent lorsque nous ajoutons des variables explicatives dans notre modèle. Cela pénalise nos modèles. Par contre, les tests d’Hosmer et Lemeshow sont non significatifs dans les modèles 2 à 5. Cela indique que notre ajustement est correct et que les valeurs prédites sont proches des valeurs observées.

Tableau 2

Modèles de régressions logistiques expliquant l’intention de recréer (pays membres de l’OCDE)

Modèles de régressions logistiques expliquant l’intention de recréer (pays membres de l’OCDE)

* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

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Tableau 3

Modèles de régressions logistiques expliquant l’intention de recréer (pays non-membres de l’OCDE)

Modèles de régressions logistiques expliquant l’intention de recréer (pays non-membres de l’OCDE)

* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

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3.2. Modèles relatifs aux pays non membres de l’OCDE

Globalement, les résultats relatifs aux pays non-membres de l’OCDE sont similaires à ceux des pays membres (même sens et significativité des coefficients), à l’exception de l’impact des raisons de sortie volontaire versus involontaire où le coefficient est positif, mais non significatif. Cela dit, nous devons rester prudents quant à l’interprétation de ces résultats, surtout pour les modèles 4 et 5, car les tests d’Hosmer et Lemeshow sont significatifs. Cela veut donc dire que ces deux modèles ne sont pas correctement ajustés. D’autres variables, que nous n’avons pas prises en compte, peuvent jouer dans l’explication de l’intention ou non de recréer une entreprise après une sortie volontaire ou involontaire dans le cas des répondants des pays non membres de l’OCDE. Les AIC augmentent également avec l’ajout de variables explicatives, ce qui pénalise nos modèles.

4. Discussion

4.1. Résumé et interprétation des résultats

Nos résultats vont majoritairement dans le sens des travaux antérieurs sur l’intention de recréer après une sortie d’entreprise, à l’exception notable de ceux liés aux raisons de sortie volontaire et involontaire concernant les pays membres de l’OCDE. Ce sont les hommes percevant avoir les compétences entrepreneuriales, pouvant détecter des opportunités et connaissant un entrepreneur en activité qui se relanceraient dans l’entrepreneuriat (peu importe son pays d’appartenance). Par contre, la crise financière et la peur de l’échec diminueraient cette intention (qu’ils soient issus d’un pays membre de l’OCDE ou non). Par contre, une différence s’observe au niveau des raisons de sortie. Seuls les individus des pays membres de l’OCDE ayant connu une sortie involontaire retenteraient leur chance. Dans les pays non-membres de l’OCDE ce résultat n’a pu être démontré.

Pour rappel, les raisons de sortie involontaire sont la non-rentabilité de l’entreprise et la difficulté d’obtenir des financements. Qu’un entrepreneur soit confronté à l’une de ces deux situations et se voit contraint d’arrêter son activité ne signifie pas nécessairement qu’il ne souhaite plus être entrepreneur. Les ex-entrepreneurs pourraient tout de même préférer l’entrepreneuriat au salariat. En ayant fondé et géré une première entreprise, même infructueusement, les entrepreneurs acquièrent des connaissances entrepreneuriales. Grâce à cette expérience, ils peuvent avoir une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de leur entreprise, analyser les raisons de leur échec et être capables de mieux gérer une entreprise et une équipe (Cope, 2011). Ces connaissances pourront leur servir dans une entreprise future, qu’ils soient employés ou fondateurs/dirigeants. Plusieurs auteurs affirment d’ailleurs que l’échec d’une entreprise est une réelle opportunité d’apprendre pour éviter de répéter les mêmes erreurs (Cannon et Edmondson, 2005 ; Cope, 2011 ; McGrath, 1999 ; Minniti et Bygrave, 2001 ; Shepherd, 2003 ; Ucbasaran, Shepherd, Lockett et Lyon, 2012).

Les travaux de Nielsen et Sarasvathy (2011) ainsi que de Van der Klaauw (1998), cité dans Stam, Audretsch et Meijaard, 2008)) vont dans le même sens que nos résultats : les entrepreneurs ayant connu l’échec sont plus susceptibles de recréer une entreprise. Bien que leur entreprise n’ait pas été rentable ou obtenu les financements nécessaires à son bon fonctionnement, les entrepreneurs ne vivent pas nécessairement cette situation comme un échec personnel (Sarasvathy, 2004). Dès lors, l’entreprise peut être en situation d’échec, mais l’entrepreneur peut rebondir et en créer d’autres qui deviendront prospères (Sarasvathy, Menon et Kuechle, 2013). Malgré l’échec de son entreprise, un entrepreneur peut considérer que l’entrepreneuriat est un choix de carrière qui lui convient mieux que le salariat. Pour certains des ex-entrepreneurs de notre échantillon ayant quitté involontairement leur entreprise, la sortie de celle-ci n’est peut-être pas assimilée à un échec, d’où leur envie de poursuivre une carrière entrepreneuriale. Ils peuvent percevoir cette expérience comme un premier essai, grâce auquel ils ont acquis des connaissances qu’ils pourront utiliser dans une prochaine entreprise. Ceci peut donc expliquer nos résultats inattendus.

L’intention de recréer une entreprise après une sortie involontaire (c’est-à-dire assimilée à un échec) est probablement conditionnée, d’une part, par les causes de l’échec et, d’autre part, par les conséquences de cet échec sur l’entrepreneur. Des causes externes à l’entrepreneur (par exemple une crise financière) pourraient ne pas altérer son envie d’entreprendre. Par contre, des causes propres à l’entrepreneur (telles qu’une mauvaise gestion journalière de l’entreprise ou un mauvais choix stratégique) pourraient diminuer son envie de poursuivre une carrière entrepreneuriale. Suite à un échec, l’entrepreneur peut connaître des coûts financiers (des dettes, un interdit bancaire), psychologiques (il peut éprouver une perte de confiance en soi, de la honte, de la culpabilité, de l’anxiété, de la fatigue, etc.) et sociaux (la perte du réseau professionnel, la stigmatisation) (Ucbasaran et al., 2012). L’intensité de ces coûts et leurs cumuls peuvent diminuer l’intention de ces entrepreneurs à retenter l’aventure entrepreneuriale. Ceci pourrait expliquer pourquoi certains ex-entrepreneurs ayant quitté leur entreprise involontairement ne manifestaient pas une intention de recréer. Ils peuvent avoir vécu cette sortie négativement pour les causes évoquées précédemment et avoir le sentiment qu’une carrière entrepreneuriale ne leur correspond pas. Dans notre échantillon, nous n’avons malheureusement pas d’information quant aux causes de ces deux types de sortie involontaire et aux conséquences vécues par ces ex-entrepreneurs.

Contrairement à nos attentes, quitter son entreprise volontairement ne favorise pas une recréation chez les ex-entrepreneurs interrogés. En quittant délibérément leur entreprise, ils pourraient décider soit de prendre un peu de temps pour eux avant de se lancer dans un nouveau projet soit de quitter définitivement l’entrepreneuriat. Dans ses départs volontaires, des ex-entrepreneurs mentionnent le départ en pension, des raisons personnelles et l’opportunité d’un nouvel emploi. Un entrepreneur prenant sa retraite éprouvera moins l’envie de relancer une nouvelle entreprise. Au niveau des raisons personnelles, celles-ci peuvent être variées allant d’un problème de santé de l’ex-entrepreneur ou d’un membre de sa famille proche à une baisse de motivation. Dans ces cas-là, les ex-entrepreneurs décideraient de quitter volontairement l’entrepreneuriat pour une période temporaire (le temps de la guérison) ou définitive. Un autre départ volontaire était lié à une nouvelle opportunité d’emploi ou à une nouvelle opportunité d’entreprise. Nous ne connaissons pas le pourcentage de personnes ayant choisi l’une de ces raisons plutôt que l’autre. S’ils ont choisi de quitter leur entreprise pour un nouvel emploi, il est attendu qu’ils ne souhaiteront pas nécessairement entreprendre prochainement. Finalement, les entrepreneurs ayant vendu volontairement leur entreprise souhaiteraient peut-être davantage profiter de cette rentrée financière pour concrétiser d’autres projets, pas nécessairement entrepreneuriaux.

4.2. Limites

Dans notre étude, quelques limites sont à signaler. Tout d’abord, nous effectuons une mesure de l’intention de recréer. Il serait encore plus intéressant de réaliser ces analyses avec une variable relative à une recréation effective. Dans le cas d’une recréation effective, aurions-nous les mêmes résultats ? Deuxièmement, nous n’avons pas, à proprement parler, une raison liée explicitement à la faillite. Nous utilisons la non-rentabilité et les problèmes d’obtention de financement pour évoquer des sorties involontaires. Il serait intéressant d’analyser ces deux raisons avec une mesure réelle de la faillite. Ensuite, en fonction des données disponibles dans la base de données du GEM, nous avons uniquement investigué des déterminants relatifs aux capitaux humains et sociaux ainsi qu’à la peur de l’échec. D’autres facteurs tels que les traits de personnalité ou encore des facteurs économiques pourraient également avoir un impact sur cette intention de recréer. Finalement, il s’agit d’une mesure autorapportée, ce qui peut induire des biais cognitifs de la part des répondants. En effet, certains répondants peuvent être trop optimistes ou trop confiants par rapport à leurs compétences entrepreneuriales et/ou leur capacité à détecter de nouvelles opportunités, ce qui peut influencer leurs réponses. En outre, à la question concernant la raison de sortie, l’entrepreneur pouvait invoquer les raisons « autres » ou « un incident », ou encore des « raisons personnelles » plutôt que des raisons plus négatives, telles que les problèmes d’obtention de financement ou de rentabilité. Finalement, notre base étant constituée de données issues de plusieurs pays, les différences législatives en matière de liquidation, de faillite et de fermeture peuvent varier et influencer les décisions des entrepreneurs.

4.3. Pistes de recherche futures

Des pistes de recherche futures permettraient de prolonger nos travaux. Premièrement, certains déterminants tels que la peur de l’échec, les compétences entrepreneuriales et le capital social pourraient agir comme modérateurs dans la relation entre les raisons de sortie volontaire/involontaire et l’intention de recréer. Ces variables pourraient avoir des effets différents selon que l’entrepreneur soit sorti volontairement ou involontairement de son entreprise précédente. Par exemple, suite à une expérience infructueuse (sortie involontaire), la peur de l’échec diminuerait probablement la volonté de recréer une nouvelle entreprise. À l’inverse, une personne ayant vendu sa précédente entreprise aurait moins peur de l’échec et serait plus encline à lancer une nouvelle entreprise. En outre, en fonction du type de sortie, l’entrepreneur pourrait évaluer ses compétences entrepreneuriales différemment, influençant en cela son intention de recréer. Si l’entrepreneur a vécu une sortie involontaire et estime en être la cause, il jugera ses compétences entrepreneuriales moins favorablement que celui qui a connu une sortie volontaire telle que la vente de son entreprise. Par rapport au capital social, nous pensons qu’il serait intéressant d’avoir une mesure se rapportant à la qualité de ce capital social. Est-il soutenant ? Même si l’entrepreneur a vécu une sortie involontaire, un capital social composé de personnes lui apportant du soutien pourrait favoriser son envie de recréer une entreprise.

Concernant les compétences entrepreneuriales, il serait intéressant d’ajouter une évaluation du degré d’optimisme et de confiance des entrepreneurs, surtout dans le cas des entrepreneurs ayant connu une sortie involontaire. Dans leur étude utilisant des données du GEM relatives à dix-huit nations, Koellinger, Minniti et Schade (2007) ont montré que les entrepreneurs avaient une perception biaisée de leurs compétences entrepreneuriales due à de la surconfiance. Plusieurs études ont démontré qu’un excès de confiance pouvait mener à de l’autosatisfaction (Trevelyan, 2011), à de mauvaises décisions (Hayward et Hambrick, 1997), à de la rigidité (Audia, Locke et Smith, 2000), à une prise de risque plus élevée (Koehler, 1974), à de moins bonnes performances (Hmieleski et Baron, 2008, 2009) et à un taux de survie de l’entreprise plus faible (Dawson et Henley, 2013). Il serait donc intéressant de développer des études prenant en compte les degrés de confiance et d’optimisme des entrepreneurs avant et après leur sortie. Cela permettrait de déterminer si leur confiance en eux et leur optimisme sont affectés par une expérience involontaire ou volontaire et d’examiner dans quelle mesure ils affectent leur intention de recréer.

Outre la confiance et l’optimisme, d’autres traits de personnalité pourraient également être investigués pour expliquer la recréation après une sortie. Wagner (2002) a notamment constaté qu’une aversion au risque élevée des entrepreneurs ayant échoué diminue la probabilité qu’ils relancent une entreprise. Par contre, les résultats de Schultjens et Stam (2006) indiquent que la propension à prendre des risques, le besoin d’accomplissement et le lieu de contrôle du destin interne n’ont pas d’incidence sur l’intention de recréer. Jusqu’à présent, ces deux études sont les seules à avoir intégré des traits de personnalité pour expliquer la recréation. Un autre concept pourrait également expliquer l’intention de recréer après une sortie : il s’agit du capital psychologique. Dans le cas d’une sortie suite à un échec, Jenkins, Wiklund et Brundin (2014) ainsi que De Hoe et Janssen (2016) suggèrent que le capital psychologique pourrait aider les entrepreneurs à poursuivre leur carrière entrepreneuriale. Il serait donc intéressant de voir dans quelle mesure le capital psychologique diffère selon que l’entrepreneur ait vécu une sortie volontaire ou involontaire et dans quelle mesure il a un impact sur l’intention de recréer.

Considérer davantage les aspects culturels et économiques serait également une piste intéressante pour les recherches futures. Cela permettrait de mieux comprendre la différence apparue entre les individus issus des pays membres de l’OCDE et ceux des pays non-membres. Une analyse multiniveaux pourrait notamment tester l’effet de la culture et du type d’économie (c’est-à-dire le niveau de développement du pays) sur la relation entre les raisons de sortie volontaire/involontaire et l’intention de recréer. On pourrait supposer qu’un pays faiblement développé économiquement aurait plus d’entrepreneurs de nécessité. Ces derniers, n’ayant pas d’autre choix que de créer leur propre emploi même s’ils vivent une expérience infructueuse, tenteraient à nouveau l’aventure entrepreneuriale. On pourrait également présager que dans un pays où l’entrepreneuriat est valorisé, une expérience infructueuse ne diminuerait pas l’intention des ex-entrepreneurs de recréer une entreprise. Finalement, il serait également intéressant d’investiguer dans quelle mesure des causes internes ou externes menant à un échec et ses conséquences impactent l’intention de poursuivre une carrière entrepreneuriale.

À l’heure actuelle, il n’existe pas d’étude proposant une mesure précise des différentes sorties entrepreneuriales : soit les auteurs ne considèrent pas tous les types de sortie, soit la mesure reprend à la fois des raisons de sortie et des types de sortie (notamment les données du GEM). Selon nous, il faut distinguer les raisons de la sortie et les types de sortie, car ce sont deux informations différentes. Un entrepreneur peut sortir de son entreprise pour une ou plusieurs raisons et, en fonction de ces raisons, opter pour différents types de sortie. Il serait donc pertinent d’avoir une mesure de sortie plus pointue, reprenant tous les types de sortie existants, c’est-à-dire la vente, la succession, la liquidation, l’entrée en Bourse, les fusions/acquisitions, la liquidation et la faillite. Ces différents types de sortie pourraient toutefois être classés en sortie involontaire (dernier cas de figure) et volontaire (tous les autres cas de figure). En ce qui concerne les raisons de sortie, nous pourrions imaginer une mesure reprenant toutes les raisons pouvant mener à une sortie : une maladie, un départ en retraite, une nouvelle opportunité d’affaires, des problèmes financiers, un conflit entre associés, etc. Il serait intéressant d’investiguer dans quelle mesure certaines raisons de sortie favorisent un certain type de sortie. Ces raisons peuvent également avoir une incidence sur l’intention de recréer une entreprise. Par exemple, un entrepreneur qui part à la retraite ne manifestera pas, en toute logique, une intention de recréer. Par contre, un entrepreneur qui quitte son entreprise car il a détecté une nouvelle opportunité d’affaire sera plus enclin à créer une nouvelle entreprise après sa sortie.

Finalement, nous nous sommes uniquement focalisés sur l’impact des types de sortie sur la recréation d’une nouvelle entreprise. Or, un entrepreneur peut également décider de poursuivre sa carrière entrepreneuriale par le biais du repreneuriat, c’est-à-dire d’une reprise ou d’un rachat d’entreprise (Cadieux et Deschamps, 2009). Plutôt que de parler de la recréation après une sortie entrepreneuriale, les chercheurs pourraient parler plus largement de « continuité de la carrière entrepreneuriale ». Cela permettrait d’envisager deux voies entrepreneuriales différentes après une sortie : la recréation et le repreneuriat. Il serait également intéressant d’investiguer dans quelle mesure certains types de sortie favorisent l’une de ces deux voies.

4.4. Implications managériales

Une implication pratique de nos résultats concerne tout d’abord les entrepreneurs et, plus particulièrement, les entrepreneurs vivant une situation difficile liée à des problèmes d’obtention de financement ou à la non-rentabilité de leur entreprise. Malgré cette mésaventure, la volonté de poursuivre une carrière entrepreneuriale peut être présente. Des aides à la seconde chance pourraient leur être utiles. Un soutien émotionnel leur serait bénéfique (plus particulièrement encore dans les cas où l’échec est mal vécu par l’entrepreneur) pour surmonter cette épreuve. Des séances d’accompagnement professionnel leur permettraient de réfléchir aux causes de cet échec et d’apprendre de leurs erreurs pour pouvoir entreprendre des actions concrètes afin de combler leurs lacunes. Il nous semble important que les entrepreneurs ayant connu une situation d’échec soient épaulés s’ils souhaitent se relancer. Comme le souligne Coad (2013), banaliser l’échec entrepreneurial peut avoir des conséquences économiques graves. Les entrepreneurs peuvent aussi avoir des biais cognitifs assez importants. Un des traits de personnalité des entrepreneurs est l’optimisme. Face à une situation d’échec, certains peuvent l’envisager comme une situation positive afin de protéger leur estime de soi. Un entrepreneur ayant échoué peut ne pas avoir les compétences entrepreneuriales nécessaires à la bonne gestion d’une entreprise et tout de même désirer se relancer. Ces structures d’accompagnement à la seconde chance pourraient donc décourager ceux qui n’auraient pas les compétences entrepreneuriales requises et aider ceux qui les possèdent.

Plus largement, et suivant l’idée de DeTienne et Cardon (2012), il semble important de sensibiliser les entrepreneurs et les étudiants entrepreneurs aux différentes stratégies de sortie d’une entreprise. La réalisation d’un plan d’affaires est souvent au coeur des cours en entrepreneuriat, mais nous parlons rarement des différentes formes de sortie et de leur planification. Or, intégrer ces notions au sein des cours en entrepreneuriat permettrait d’augmenter le pourcentage d’entrepreneurs développant une stratégie de sortie planifiée à l’avance et suffisamment tôt dans le processus de vie de leur entreprise (DeTienne et Cardon, 2012). Ceci leur permettrait de choisir leur sortie. Au sein des structures et des organismes d’aide à l’entrepreneuriat, la création d’outils permettant la planification d’une sortie volontaire ou la mise à disposition d’aides pour mieux gérer une sortie involontaire telle que la faillite seraient également utiles aux entrepreneurs. Leur sortie serait plus aisée et ils pourraient plus facilement s’en remettre et éventuellement se relancer s’ils le désirent.

Conclusion

Depuis quelques années, la recherche s’intéresse aux sorties d’entreprise (DeTienne, 2010 ; DeTienne et Wennberg, 2014 ; Wennberg et DeTienne, 2014 ; Wennberg et al., 2010). Nous avons investigué les facteurs encourageant la recréation après une sortie d’entreprise en formulant la question de recherche suivante : quels sont les entrepreneurs qui recréent après une sortie d’entreprise ? Pour y répondre, nous avons intégré des variables de contrôle (le genre et l’âge), des déterminants relatifs au comportement entrepreneurial (tels que le capital humain, la peur de l’échec et le capital social) et les raisons de sortie volontaire et involontaire.

Nos résultats montrent que l’intention de recréer après une sortie entrepreneuriale est plus importante lorsque les ex-entrepreneurs ont connu une sortie involontaire (c’est-à-dire assimilée à un échec), du moins pour les individus issus des pays membres de l’OCDE. En outre, ce sont les hommes qui se perçoivent comme ayant des compétences entrepreneuriales, pouvant détecter des opportunités et connaissant un entrepreneur en activité qui se relanceraient le plus facilement dans l’aventure entrepreneuriale, peu importe son pays d’appartenance. Par contre, la crise financière et la peur de l’échec diminueraient cette intention, qu’ils soient issus d’un pays membre de l’OCDE ou non. Pour les ex-entrepreneurs des pays membres de l’OCDE, une expérience négative ne modifie pas leur volonté de poursuivre l’aventure entrepreneuriale. L’apprentissage résultant de cette expérience précédente peut les encourager à se donner une seconde chance.

Pour aller plus loin, nous avons également développé plusieurs pistes de recherche future. En proposant, par exemple de complexifier les modèles étudiés jusqu’à présent en introduisant des modérateurs pour expliquer le lien entre les raisons de sortie volontaire ou involontaire. Ces modérateurs pourraient être la peur de l’échec, les compétences entrepreneuriales ou encore le capital social. D’autres pistes évoquées seraient la prise en compte d’autres facteurs, tels que les degrés de confiance et d’optimisme des entrepreneurs, ainsi que d’autres traits de personnalité permettant de favoriser le rebond (par exemple le capital psychologique), ou encore des facteurs culturels et économiques. Des mesures plus précises des raisons de sortie et des types de sortie ont également été suggérés. Finalement, les recherches envisagent deux options après une sortie entrepreneuriale, à savoir la recréation ou le salariat. Or, le repreneuriat pourrait constituer une troisième option.

Finalement, le développement d’aides à la seconde chance permettrait aux entrepreneurs ayant connu une sortie involontaire de surmonter cette épreuve et de réfléchir aux raisons de leur sortie. Il est également important de sensibiliser les entrepreneurs aux différentes stratégies de sortie, notamment en incorporant cette thématique dans les cours dédiés à l’entrepreneuriat ou encore dans les structures d’accompagnement à la création (par exemple les incubateurs).