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La crise de la Covid-19 a été pour tous aussi soudaine que brutale. La fonction RH a dû s’adapter afin de faire face à une situation inédite lors de ce que nous appelons aujourd’hui la « première vague ». C’est à l’issue de cette première vague que Michel Barabel et Olivier Meier ont rédigé ce livre, après avoir recueilli les témoignages de 40 DRH appartenant à tous types d’entreprises. Leur ouvrage est avant tout conçu comme un livre documentaire, ancré dans le réel, au plus proche du vécu de ces dirigeants dont les organisations ont dû, pu et su se réinventer. Il livre un éclairage aussi large que singulier sur des entreprises allant de la petite PME à la multinationale, au travers des leçons qu’elles tirent de la crise. L’ouvrage n’est donc pas conçu comme un livre savant, mais bien plus comme un recueil d’expériences structuré et structurant, donnant à penser pour les professionnels des RH et tous ceux s’intéressant aux répercussions et mutations issues de cette crise.

Le livre commence par une introduction faisant le point sur la situation de la fonction RH « pré-Covid-19 ». Il est structuré en six chapitres thématiques réunissant témoignages d’entreprises et mettant en évidence leurs bonnes pratiques et les leçons qu’elles tirent de la crise. Chaque chapitre s’achève par une mise en perspective des auteurs en quelques points clés. En complément de chaque focus sur un cas d’entreprise, un code QR permet d’accéder à l’intégralité de la contribution et d’avoir une vision plus large sur les cas d’entreprises étudiés.

La situation des RH avant la Covid-19 est présentée en introduction et les auteurs dépeignent un contexte sombre. La fonction RH est mal-aimée, catalyse les frustrations et ressentiments des individus comme des autres fonctions. Dans ce contexte, la crise opère un basculement et les critiques cèdent la place à la reconnaissance. Au prix d’un travail acharné, les services RH parviennent à gérer humainement et professionnellement les contraintes de confinement et de déconfinement et à être perçus comme une fonction centrale à forte valeur ajoutée. Mais pour combien de temps ?

Le premier chapitre s’intéresse à la protection de la santé et de la sécurité au travail. C’est aussi le premier thème mis en avant par les entreprises. Suez, Dassault, Nestlé, Airbus et la SNCF témoignent de l’enjeu de tous les instants de savoir protéger la santé physique et psychologique des collaborateurs, que ce soit sur site ou à distance, et à chaque étape de confinement et de déconfinement. Les auteurs concluent sur une nécessaire approche globale de la santé et listent cinq actions concrètes : créer des zones de stabilité, engager les collaborateurs, encourager l’ambidextrie mentale, différencier l’accompagnement et garantir le respect de la vie privée.

Le deuxième chapitre est naturellement consacré au travail à distance ou en présentiel. Schneider Electric fait partie des entreprises qui étaient prêtes avant la crise à passer au 100 % télétravail et qui interrogent après la crise le modèle dominant à conserver. À l’inverse, Sony Music n’avait pas d’accord de télétravail et un management plutôt réfractaire. Quelques mois après, un accord ambitieux se dessine, prévoyant une possibilité de 50 % de télétravail pour ceux qui le souhaitent. À court terme au moins, le télétravail est le grand gagnant de la crise. Les auteurs invitent à accompagner le désir de télétravail, mais mettent en garde contre une réflexion qui ne serait pas systémique. Il faut repenser le cadre de travail globalement et non simplement « penser télétravail ».

Recruter, intégrer et gérer les carrières est le thème du troisième chapitre. Spie Batignolles disposait déjà d’un environnement de recrutement fortement digitalisé, contrairement à Vittaliance (société d’aide à la personne) qui a mis en place une solution hybride. Pour les premiers, la crise de la Covid-19 est l’occasion de ne pas reproduire les erreurs du passé (crise de 2009) et ils décident de rester actifs en recrutement malgré des chantiers à l’arrêt ; pour les seconds, la crise est l’opportunité d’élargir son périmètre de recrutement. Si Castallie insiste sur la place des émotions dans l’expérience collaborateur à distance, Publicis a déployé pendant la crise, avec un peu d’avance, une plateforme RH mondiale intégrant un module d’intelligence artificielle. Intelligence émotionnelle ou intelligence artificielle, recrutement 100 % digital ou hybride, les réponses sont diverses, mais le constat est le même pour les auteurs : la digitalisation des recrutements, des parcours d’intégration et de pilotage de carrière est en cours et doit être pensée avant tout en termes d’expérience collaborateur.

Le quatrième chapitre porte sur la digitalisation du développement des compétences. Au travers des exemples d’AG2R La Mondiale, Chloé, Saint-Gobain, Air France et L’Oréal, la crise est vue comme un amplificateur ou catalyseur de la transformation des offres de formation : formats repensés, contenus digitaux, coconstruction des contenus, communautés apprenantes. En synthèse, les auteurs soulignent que les salariés à l’aise avec les outils digitaux ont suivi plus de formations et que ceux moins à l’aise se sont acculturés. Ils alertent sur le caractère nécessairement multimodal des formations à venir (blended learning) et sur la nécessité pour l’apprentissage d’être permanent dans un contexte de compétences en perpétuelle évolution. Cela impose de créer un nouveau cadre d’apprentissage, donnant envie et donnant les moyens (ressources, temps, outils).

La question du dialogue social est posée dans le cinquième chapitre. Bien que rendu difficile au début de la crise, compte tenu des contraintes techniques, le cas Burger King/Quick souligne le rôle moteur des échanges au plus proche du terrain et, paradoxalement, une meilleure qualité des échanges dans cette période critique. Vinci Construction Navale évoque un front commun, souligne l’agilité et la réactivité des représentants du personnel, « balayant toutes les idées reçues concernant l’archaïsme des relations sociales ». Il ressort également, et assez logiquement, que les entreprises dont le dialogue social était déjà de qualité dépassent mieux la crise. En guise de synthèse, les auteurs donnent la parole à Benoit Serre (vice-président délégué de l’ANDRH) sur la nécessité d’enclencher avec courage une refondation du dialogue social.

Enfin, le sixième et dernier chapitre porte sur le renouvellement du modèle organisationnel et culturel. Certaines entreprises comme Club Identicar proposent un moment hebdomadaire d’échange avec les dirigeants et insistent sur la transparence dans l’information et l’échange. AB Tasty souligne l’importance de préserver convivialité et légèreté dans l’échange, puis de redynamiser le collectif après la crise. Pour Engie, des laboratoires d’idées internes « accélèrent le sentiment d’appartenance à une communauté RH mondiale, solidaire et cherchant à résoudre collectivement des difficultés communes ». La crise questionne l’identité des entreprises, les pousse à interroger et préserver leur ADN culturel (BlaBlaCar) et met à l’épreuve la réalité de leur discours sur la responsabilité sociale (BNP Paribas Personal Finance). Pour les auteurs, les entreprises qui s’en sortent le mieux sont celles qui ont su mobiliser leur culture autour d’une communication et d’un discours unificateurs, valorisant les comportements utiles de chacun, évitant le repli sur soi pour, au contraire, s’ouvrir et explorer le futur. À l’inverse, les organisations les plus rigides et directives sortent de la crise à l’arrêt et risquent de s’enfermer dans une spirale négative.

En guise de conclusion, les auteurs voient cette crise comme l’opportunité pour la fonction RH de repenser et repositionner son rôle dans l’organisation. Cela passe par une redéfinition de l’expérience collaborateur et du contrat psychologique qui a, de facto, été rompu en questionnant les multiples rapports dans lesquels s’inscrivent le travail et l’organisation : technologiques, temporels, spatiaux, relationnels, hiérarchiques et décisionnels, sociétaux, émotionnels, de santé et de sécurité.

Lors de sa parution en octobre 2020, l’ouvrage proposait un partage d’expériences et un bilan éclairant de l’impact de la crise de la Covid-19 sur la fonction RH. Face à une possible nouvelle vague, il garde tout son intérêt et son titre faisant référence à « l’ère de la Covid-19 » prend tout son sens. Ce livre, tout comme la crise (wēijī en chinois) que nous traversons, donne à penser, à repenser le travail et les organisations, pour saisir le moment décisif () et l’emporter sur le danger (wēi).