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Alors que l’espérance de vie à la naissance en France a franchi depuis 2004 le seuil de 80 ans (Pison, 2005), la question des conditions de santé et des modes de vie de cette nouvelle tranche de vie représente indéniablement le défi social du XXIe siècle. Car si vivre plus longtemps apparaît comme une victoire de l’humanité dans la poursuite du « mythe de Mathusalem » (Bois, 2001), politiques, démographes et économistes s’accordent fréquemment à voir dans le déséquilibre annoncé entre jeunes et vieux ou entre actifs et inactifs une menace pour le système de protection sociale, voire le déclin des sociétés vieillissantes et nourrissent le « mythe du péril vieux »[1]. L’inquiétude sur les coûts sociaux de cette longévité croissante aboutit toujours à la question cruciale : vivre vieux, certes, mais dans quel état ?

À l’heure actuelle, les politiques publiques de la santé et de la vieillesse s’emparent de l’activité physique pour constituer avec la nutrition « le socle d’une bonne santé » (INPES, 2004) à tous les âges de la vie, et tous les programmes internationaux et nationaux du « bien vieillir »[2] promeuvent un mode de vie actif pour les personnes âgées. Cependant les activités physiques et sportives (APS)[3] pour les seniors[4] se trouvent au coeur de plusieurs paradoxes.

Vieillir est un processus qui s’entend communément comme un affaiblissement des fonctions et des facultés, et une réduction des activités sous l’effet de l’âge. Les pratiques physiques n’échappent pas à cette tendance comme le révèlent toutes les grandes enquêtes. Le monde du sport, dans lequel un trentenaire est déjà « vieux », symbolise indéniablement la jeunesse. Pourtant de plus en plus nombreux, les seniors persistent dans des activités physiques jusqu’à un âge avancé. Quelle évolution des pratiques physiques des seniors se dessine depuis une vingtaine d’années ? Que savons-nous de ces sportifs âgés qui bouleversent le jeunisme entourant le sport ? Faut-il des dispositions particulières pour devenir ou rester un sportif avec l’avancée en âge ? Et quelles dispositions pour quelle(s) sportivité(s) ?

Les représentations de la vieillesse et du vieillissement dont le senior est porteur contribuent à forger cette sportivité en même temps qu’elles en sont la conséquence. Parce que les liens entre l’exercice physique, la santé et le vieillissement sont complexes et reposent sur des perceptions ambivalentes des effets de l’exercice physique, l’engagement sportif des seniors relève selon nous de l’articulation de plusieurs niveaux de représentations.

D’une part, si le vieillissement n’est pas une maladie, encore faudrait-il qu’il en soit exempt le plus longtemps possible. L’exercice physique est-il perçu comme un facteur de fragilisation ou au contraire de fortification de la personne âgée ? Alors que la vieillesse a rimé pendant des siècles avec repos, inactivité, immobilité, appliquant les préceptes d’une hygiène qui ne dilapide pas les forces dans l’effort physique, les dernières décennies voient les exhortations à « vieillir jeune » se multiplier et le devoir de « bien bouger pour bien vieillir » s’affirmer. Cette récente injonction à adopter une hygiène qui entraîne à l’effort comme remède moderne de bonne santé et de longévité sans dépendance est notamment illustrée par le Passeport pour une retraite active remis à chaque nouveau retraité français ou par le plan québécois 2002 de Kino-Québec intitulé L’activité physique déterminant de la qualité de vie des personnes de 65 ans ou plus. Cependant, si les avis sur les bienfaits de l’exercice physique deviennent consensuels, la nature de l’effort préconisé donne lieu à de nombreux débats. La norme médicalisée qui domine massivement en France conseille des activités physiques modérées qui doivent respecter la règle des 3 R : raisonnée, régulière, raisonnable. La médicalisation de l’activité physique normalise non seulement la dépense physique que les seniors doivent libérer chaque jour mais aussi le type d’activité. Entre la prescription de 30 minutes d’activités modérées quotidiennes et la proscription des activités « à risque », toutes les APS n’ont pas le même statut. Or, les activités que les seniors pratiquent ne s’inscrivent pas toujours dans cette norme du « ni trop, ni trop peu ». Un centenaire n’a-t-il pas couru l’édition 2008 du marathon de Londres ?

D’autre part, et comme l’a déjà évoqué R. Feillet, « les activités sportives risquent d’accentuer la conscience de vieillir » (1997 : 35). L’expérience de la pratique physique repose sur le paradoxe d’amplifier la perception du processus de dégradation physique en même temps qu’elle contribue à y résister et peut-être à repousser la sensation de vieillir. Probablement, pour nombre de sportifs de bon niveau, le sport a été la première expérience du vieillissement à un âge où le regard social les classait encore parmi les jeunes. Mais à l’inverse, les activités physiques constituent des moyens supposés efficaces pour ralentir le vieillissement. Peut-être même participent-elles à la sensation de ne pas vieillir.

C’est pourquoi, dans ce jeu de tensions, la pratique sportive permet de rendre compte de formes de vieillir plurielles et constitue un analyseur particulièrement pertinent du processus de vieillissement. Notre propos sera mené en deux temps : un premier temps qui met en évidence l’évolution quantitative de l’engagement sportif des seniors en France ces vingt dernières années et leurs principales caractéristiques socioculturelles, et un deuxième temps, le noyau central de notre travail sociologique, qui propose une analyse qualitative des trajectoires sportives de seniors sportifs et des stratégies de transformations de leur sportivité avec l’avancée en âge, articulées avec leurs perceptions de la vieillesse et du vieillissement.

Qui sont les seniors sportifs ?

Ignorée des grandes enquêtes sur les pratiques physiques des Français, la pratique physique des personnes âgées de 50 ans et plus suscite peu d’analyses de la part du monde du sport. Il faut attendre 2002 pour trouver dans la publication des résultats de l’enquête Les pratiques sportives en France en 2000, menée par le ministère des Sports et l’Institut national du sport et de l’éducation physique (INSEP), une synthèse de quelques caractéristiques spécifiques aux pratiquants seniors. Pourtant, l’analyse des études statistiques sur les quarante dernières années montre que la progression du taux de pratique physique des Français n’est plus le seul fait des jeunes et des hommes, et qu’elle tient à l’augmentation de la pratique des femmes et des seniors. Déjà, la comparaison entre les deux enquêtes de l’INSEE[5] de 1967 et 1987 sur les pratiques de loisirs de Français, mettait en évidence une augmentation des taux de pratique des personnes de plus de 50 ans : le taux de pratique des 50-60 ans était de 27,8 % en 1967 et de 30,6 % en 1987, et celui des plus de 60 ans était de 11,1 % en 1967 et de 18,7 % en 1987[6].

La définition de la sportivité : une question sensible, accentuée chez les seniors

Plusieurs enquêtes[7] se sont succédé depuis les années 1980 et témoignent toutes d’une nette hausse de la pratique des seniors ; en revanche les comparaisons demeurent délicates car la sportivité ne relève pas des mêmes définitions selon les organismes enquêteurs. L’inclusion ou l’exclusion de certaines formes de pratiques dans le recensement des pratiques physiques tient à des définitions variables du sport. Que recouvrent les notions « faire du sport » ou « faire une activité physique » ? Car décrire la « sportivité » « ne fait pas seulement appel à la réalité d’une pratique, mais mobilise aussi les représentations que l’on a du sport, ou, plus précisément, les propres classifications du répondant, qui sont éminemment culturelles » (Louveau, 2002 : 31-32). Ce fut d’ailleurs l’objet d’un débat méthodologique en 1985, entre les statisticiens de l’INSEE et les sociologues de l’INSEP, lorsque ces derniers, novateurs, tentèrent, dans l’enquête Les pratiques sportives des Français. Usages sportifs du temps libéré, de ne laisser échapper aucune activité physique et/ou sportive vécue comme telle par le pratiquant : « le sport est ce que font les gens quand ils pensent qu’ils font du sport » (Irlinger, Louveau, Métoudi, 1987 : 15). Quinze ans après cette enquête nationale 1985-1987, le ministère de la Jeunesse et des Sports et le laboratoire de sociologie de l’INSEP conduisent une enquête similaire sur les pratiques physiques et sportives des Français en 2000 et conservent l’acception large donnée au sport. Cette orientation théorique est d’autant plus intéressante quand il s’agit d’examiner la pratique physique des personnes âgées. Moins encline à des pratiques compétitives, cette population s’avère grandement sous-estimée dans le cas d’une sportivité uniquement définie par une licence sportive. De plus, la question de relance[8] systématiquement proposée aux personnes qui déclarent spontanément ne pas pratiquer, paraît particulièrement adaptée pour cerner la population âgée, car beaucoup ne se sentent pas ou plus sportifs, ce qui les conduit à minimiser ou omettre leurs pratiques (tableau 1). En effet, la perception de sa propre sportivité est non seulement liée à la définition que l’on s’est construite du sport mais aussi à l’ajustement de cette représentation en fonction de l’âge par une double opération de comparaison : comparaison avec la masse des sportifs, et comparaison avec d’autres phases, passées ou à venir, plus ou moins intenses, de sa trajectoire sportive personnelle.

Tableau 1

Comparaison des taux de pratique sportive enquête MJS/INSEP 2000

Comparaison des taux de pratique sportive enquête MJS/INSEP 2000
Source : Base de données enquête MJS/INSEP 2000

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Des seniors de plus en plus sportifs

En 1985, 73,8 % de la population de 12 à 75 ans s’adonnent à au moins une pratique physique ou sportive, pendant l’année ou pendant les vacances. En 2000, ce sont 83 % de la population de 15 à 75 ans qui déclarent se dépenser physiquement au moins une fois dans l’année. La superposition des deux courbes de taux de pratique 1985 et 2000 (figure 2) permet de souligner deux tendances. D’une part, que ce soit en 1985 ou en 2000, l’avancée en âge se traduit par un net fléchissement des taux de pratique, laissant à penser que l’âge demeure un facteur de diminution de la pratique physique. D’autre part, si l’augmentation de la pratique est sensible à tous les âges, elle est particulièrement marquée chez les sexagénaires.

Figure 2

Comparaison Pratique sportive enquête 1985 et 2000

Comparaison Pratique sportive enquête 1985 et 2000
Source : Données des enquêtes INSEP 1985 et MJS/INSEP 2000

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En supposant que les chiffres des deux enquêtes sont parfaitement comparables, les sexagénaires à l’aube du XXIe siècle pratiquent autant que les trentenaires de 1985, mais surtout, ils pratiquent plus que lorsqu’ils avaient 15 ans de moins. Pour cette génération, non seulement la pratique ne baisse pas avec l’âge mais au contraire elle augmente, mettant en défaut l’idée d’une diminution progressive de la pratique avec l’âge. Ce qui, confirmant les résultats de l’étude du CREDOC (Berthuit et coll., 1999) sur un suivi en cohorte d’une génération née en 1935, montre que la pratique d’une activité physique s’intègre de plus en plus au fil des générations dans les modes de vie aux différents âges.

Les caractéristiques socioculturelles des seniors sportifs en 2000

Mais au-delà de cette hausse sensible en quinze ans, la pratique sportive demeure toujours une pratique sexuée, plus masculine que féminine (figure 3), à tous les âges de la vie.

Figure 3

Pratique sportive selon sexe et âge, enquête MJS/INSEP 2000

Pratique sportive selon sexe et âge, enquête MJS/INSEP 2000
Source : données enquête MJS/INSEP 2000

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Néanmoins, entre 50 ans et 75 ans, l’effet d’âge marque de manière très comparable la pratique des hommes et des femmes (figure 3), voire de manière identique la tranche d’âge entre 50 et 69 ans : un effet de plateau est visible pour les deux sexes, repoussant après le cap de 70 ans la forte diminution de la pratique.

Enfin, le niveau scolaire influence fortement l’engagement sportif des seniors (figure 4), les plus diplômés pratiquant davantage que les moins diplômés. Cette variation confirme le poids déterminant dans toutes les enquêtes du niveau socioculturel sur la pratique sportive. En revanche, ce que met en évidence le croisement des variables d’âge et de niveau de diplôme, c’est une remise en cause de l’effet d’âge pour les seniors les plus diplômés. Pour ces seniors au moins bacheliers, non seulement l’âge ne s’accompagne pas d’un fléchissement de la pratique sportive, mais au contraire la pratique s’accroît de 50 ans jusqu’à 75 ans, à l’inverse des moins diplômés et de l’observation usuelle d’un désengagement progressif et constant avec l’avancée en âge.

Figure 4

Taux de pratique sportive des seniors en fonction du niveau de diplôme, enquête MJS/INSEP 2000

Taux de pratique sportive des seniors en fonction du niveau de diplôme, enquête MJS/INSEP 2000
Source : données enquête MJS/INSEP 2000

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Aussi, si l’espace des pratiques physiques des seniors persiste à être fortement structuré par les propriétés sociales que sont l’âge, le sexe et le niveau culturel, le poids relatif de chacune de ces propriétés sur l’engagement sportif des seniors demeure une question à discuter qui remet en cause la primauté de l’influence de l’âge. Le niveau socioculturel pourrait-il contrarier le processus de déprise progressive couramment décrit ?

Les grandes enquêtes sur les pratiques des Français offrent une photographie des pratiquants seniors, mais les seuls indicateurs d’âge, de sexe et de niveau de diplôme ne peuvent suffire à cerner les dispositions socioculturelles des seniors à la pratique physique. La notion de « dispositions », au coeur des théories de P. Bourdieu à travers le concept d’habitus, comme « systèmes de dispositions acquises par l’apprentissage implicite ou explicite qui fonctionne comme un système de schèmes générateurs » (1980 : 120-121) a été reprise et prolongée par B. Lahire. Il propose de saisir le « degré d’homogénéité ou d’hétérogénéité des dispositions dont sont porteurs les acteurs individuels en fonction de leur parcours biographique et de leurs expériences socialisatrices » et d’examiner la question des « dispositions sous conditions » d’actualisation, de recul ou de mise en veille (Lahire, 2002 : 88-89). Aussi, pour accéder aux conditions et aux circonstances sociales et historiques de l’engagement sportif et de la dynamique des transformations de la pratique avec l’avancée en âge, une approche qualitative des trajectoires de seniors sportifs s’impose.

Transformations des pratiques de seniors sportifs avec l’avancée en âge

Nous présentons ici une partie des résultats d’une enquête par entretiens semi-directifs que nous avons menée (Hénaff-Pineau, 2008) auprès d’une population constituée de 124 seniors sportifs, des hommes et des femmes, âgés de 50 à 89 ans et répartis en trois générations[9], les quinquagénaires, les sexagénaires et les plus de 70 ans. Nous avons reconstitué et analysé leurs trajectoires sportives à partir de plusieurs éléments : la présence ou l’absence d’éducation physique et/ou sportive durant la jeunesse, l’âge des débuts de l’engagement sportif, la continuité ou les interruptions de ce parcours, les étapes biographiques dont notamment la retraite, qui transforment éventuellement l’engagement sportif, les types d’activités et les manières de pratiquer.

C’est à l’interface d’une sociologie du sport abordée sous l’angle des dispositions socioculturelles et d’une sociologie de l’expérience du vieillissement que nous avons mis en relation de manière compréhensive les transformations de la sportivité au cours de la trajectoire avec les perceptions de se sentir vieillir. Le fait que nous n’ayons affaire qu’à des seniors sportifs évacue ipso facto une des réponses possibles conséquentes à cette perception, l’abandon de la pratique, et la comparaison avec des non-pratiquants. En nous référant aux théories de la (dé)prise et (re)prise (Barthe, Clément, Druhle, 1988 ; Caradec, 2004), conçue non pas dans la vision monolithique du désengagement continu mais comme la mise au jour de formes sociales plurielles de réaménagements entre désengagements et réengagements[10], notre objectif consiste à identifier les différentes stratégies de transformations des pratiques sportives, qui permettent une adaptation au vieillissement, mais aussi le maintien d’une activité physique et à en dégager peut-être un processus général de transformations des pratiques avec l’avancée en âge. C’est donc dans la dynamique des pratiques et non dans les logiques d’abandon que nous analysons le vieillissement.

Typologie des trajectoires sportives

Conversions, reconversions, interruptions, investissements compétitifs, ponctuent différemment les trajectoires sportives selon les caractéristiques et conditions sociales des individus et de leur génération. Pour en rendre compte, nous avons dégagé quatre parcours-types.

Les sportifs et sportives interviewés n’ont pas tous profité d’une éducation corporelle durant leur jeunesse mais une forte proportion (79 %), qui tient probablement au niveau de diplôme élevé chez les sportifs, a été exposée à une éducation physique et/ou sportive dans le cadre scolaire ou familial. Entre les septuagénaires nés avant 1935 et les quinquagénaires nés après la Seconde Guerre mondiale, les éducations se sont beaucoup transformées, marquant différemment les jeunesses selon les générations, le sexe et les milieux sociaux. Deux des parcours-types rendent particulièrement compte de ces différences.

Le premier est un parcours continu engagé tardivement, typiquement féminin, particulièrement répandu parmi les femmes de 70 ans et plus qui n’ont connu aucune éducation physique ou sportive durant leur jeunesse. Une fois libérées des contraintes familiales et professionnelles, elles ont profité de la disponibilité sociale que leur procurait la retraite pour s’engager dans des loisirs sportifs qu’elles n’avaient jamais connus. « Je n’ai jamais fait de sport par moi-même, on n’avait pas le temps, la famille, le travail cela passait avant tout. […] Et puis mon mari n’aimait pas trop cela ; alors à la retraite, j’y ai pensé tout de suite, je suis allée m’inscrire dans ce club de loisirs. Je voulais bouger, et peu importait le sport, … enfin à ma portée, pour mon âge. Et j’ai commencé par pratiquer la gymnastique, deux fois par semaine » (Liliane, 77 ans, certificat d’études). Cela confirme la logique sociale dégagée par S. Laberge (2003) concernant les femmes adultes de milieux défavorisés face à la pratique d’activités physiques : les activités pour soi sont délaissées au profit de la « priorité famille-travail ». Mais c’est dans une activité peu exigeante techniquement qu’elles s’engagent alors : dans le cas de notre population, surtout la gymnastique mais jamais le tennis. « À l’âge que j’avais, je n’allais pas me lancer dans le tennis, je n’y avais jamais joué ! Débuter à 60 ans, alors que tous les autres savent déjà jouer et que vous n’avez jamais fait de sport, alors là ce n’était pas possible. J’ai choisi la seule activité que je me sentais capable de faire, avec des gens de mon âge, un cours de gymnastique pour retraités » (Marie-Jeanne, 71 ans, brevet élémentaire). Régularité, intensité modérée, absence de compétition, pratique d’entretien monovalente ou associée à la marche, recherche de santé et convivialité, sont les traits distinctifs de la pratique choisie par ces femmes, pour beaucoup peu diplômées. « Suite à une grave opération du dos, j’ai pris des cours d’aquagym. J’avais 63 ans et je n’avais jamais fait de sport de ma vie. J’avais juste appris à nager avec mes frères dans la rivière quand j’avais 12 ans » (Germaine, 72 ans, brevet élémentaire). L’effet de génération et de période s’avère particulièrement sensible pour l’éducation physique et sportive des femmes. A l’inverse des femmes sportives actuellement âgées de plus de 70 ans, les femmes quinquagénaires de ce début de XXIe siècle ont toutes profité d’une éducation physique et sportive durant leur jeunesse. Ces « baby-boomeuses » ont bénéficié de deux évolutions qui marquent un moment de bascule entre des générations. D’une part, la massification et la démocratisation de la scolarisation secondaire, enfin accessible aux filles et aux garçons de manière presque identique, ont permis une homogénéisation du niveau de formation de la jeunesse française d’après-guerre. D’autre part, une véritable politique sportive tournée vers la jeunesse est mise en place, sous l’impulsion de M.  Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, à partir de 1958. Et même si des différences persistent entre la culture sportive des filles et celle des garçons, le sport devient le moyen privilégié de l’éducation physique et sportive pour les deux sexes. Cette génération de filles du baby-boom aura connu toutes les étapes de forte croissance du développement du sport en France : l’essor des éducations et des loisirs sportifs de l’après Seconde Guerre mondiale, l’explosion des pratiques de la forme dans les années 1980 et maintenant les exemples de seniors actifs.

Le second parcours-type se présente comme un parcours sportif continu, engagé depuis la jeunesse, plutôt masculin, notamment dans les âges élevés, même si quelques sportives diplômées s’y retrouvent, au cours duquel la reconversion d’activités physiques est fréquente. La pratique sportive, assidue, souvent compétitive et plutôt monovalente, a constitué un élément identitaire stable et à la fois évolutif du mode de vie du senior à toutes les étapes de son existence. De manière générale, hormis pour quelques compétiteurs et compétitrices passionnés et de très bon niveau, plus la carrière sportive a débuté tôt avec un investissement compétitif, plus la reconversion dans une nouvelle activité sportive risque de se produire, et cela avant 50 ans. La perception du vieillissement à travers la baisse du niveau de performance, l’incapacité à suivre, ou un problème physique conduit à ce changement de pratique qui offre de nouvelles voies de progression. « Je voyais bien à 38 ans que je ne pouvais plus suivre [en volley ball]. Soit il fallait que je m’entraîne plus, ce que je ne pouvais pas faire, soit il fallait descendre en équipe réserve. J’ai préféré arrêter et passer à une activité que je pourrais continuer plus longtemps. Alors je me suis mis à jouer au tennis. J’avais commencé en dilettante quelques années auparavant avec un ami et là je me suis engagé dans les tournois » (Paul, 71 ans, bachelier). En revanche, les reconversions après 50 ans s’effectuent souvent sous la contrainte des problèmes de santé. « J’ai été obligé d’arrêter le tennis parce que j’ai eu des problèmes à la fois cardiaques et des problèmes de lombaires, et le tennis m’a été fortement déconseillé par mes médecins. Comme j’avais envie de continuer à pratiquer, je suis passé au golf, […] et depuis l’âge de 65 ans, je pratique le golf » (Jean, 79 ans, bac + 4).

Le troisième parcours-type est une forme accentuée et densifiée du second. Il concerne des seniors champions dans leur discipline (courses longues ou tennis), qui aboutissent à l’excellence sportive dans la catégorie vétérans, à la suite d’une pratique physique intense et ininterrompue depuis l’enfance. Ces hommes et ces femmes, comme tout athlète de haut niveau, s’entraînent tous les jours, et cela quel que soit leur âge puisque six d’entre eux (trois hommes et trois femmes) sont âgés de 68 à 83 ans. À la définition classique de la performance « plus vite, plus haut, plus fort » pourrait s’ajouter « plus longtemps », car ce record sans fin constitue le véritable moteur de la permanence de leur engagement compétitif. « Je suis parti jusqu’à, je sais pas quel âge, mais tant que ça tient, tant que le bonhomme, il peut courir et saute, c’est bon ! […] Je voudrais bien que cela dure jusqu’au bout… je me vois bien centenaire et encore athlète » (Joseph, 83 ans, champion du monde vétéran, 20 km). Les seniors les plus âgés de ce parcours marqué par l’intensité et la fréquence ne se sentent pas vieillir et développent même un sentiment d’invulnérabilité, loin de l’image de la fragilité couramment associée aux personnes de plus de 70 ans.

Le quatrième parcours, un parcours discontinu, concerne tant les hommes que les femmes quand ces dernières ont donc reçu une éducation physique et sportive durant leur jeunesse. Les interruptions interviennent surtout à deux moments, après la scolarité obligatoire et à l’entrée dans la vie professionnelle et/ou familiale. La reprise de pratique, plus précoce chez les hommes que chez les femmes, s’accompagne d’une reconversion fréquente d’APS et répond à une nouvelle liberté que l’on s’accorde avec la fin des obligations familiales lourdes, la fin de l’activité professionnelle, ou à l’heure d’une rupture biographique (un divorce, par exemple). Selon les circonstances, l’âge de la reprise et le sexe, les activités et les modalités de pratique diffèrent entre polyvalence et monovalence, entre intensité et modération. Les objectifs de santé se lient aisément à la pratique modérée et monovalente tandis que le besoin de reconstruction identitaire engage dans une pratique acharnée, souvent polyvalente. « Mon mari m’a quittée, ma fille a fait ses études et est allée sur P., et moi je me droguais de kilomètres pour combler les différentes absences. J’en faisais tous les jours, tous les jours pour courir le marathon. » (Josette, 66 ans, CAP).

Pour tous les seniors de 60 ans et plus, hormis les champions vétérans, la retraite représente un moment charnière dans le parcours sportif. Étape privilégiée pour un engagement ou un ré-engagement dans la pratique physique, la retraite constitue aussi l’occasion d’amplifier la pratique antérieure par l’augmentation de la fréquence d’entraînement, l’investissement dans la compétition et la multiplication des activités pratiquées. De plus, c’est à une pratique assidue que les seniors sportifs s’adonnent puisque, les trois quarts des seniors interviewés pratiquent au moins trois fois par semaine. Les sexagénaires sont les plus assidus, les quinquagénaires les moins et, même si la fréquence s’amenuise légèrement avec l’âge, les octogénaires sportifs pratiquent plus régulièrement que les quinquagénaires, et les femmes plus que les hommes. Compte tenu des caractéristiques de la sportivité des seniors sportifs, les jeunes retraités pourraient bien prétendre au titre de sportifs accomplis alors même qu’ils n’intéressent guère le monde du sport.

Quelle culture du corps pour quelle forme du « bien vieillir » ?

Si tous les seniors marquent leur volonté de prendre en mains leur vieillissement, les stratégies corporelles qu’ils mettent en oeuvre pour ne pas en subir les effets, dépendent de leurs représentations de la santé et du corps vieillissant. L’engagement dans les trois APS que nous avons privilégiées implique des mises en jeu corporelles très différentes de la vieillesse et de la santé.

Les seniors engagés dans les gymnastiques d’entretien mettent en avant les vertus de la « régularité de l’effort », car « plus on vieillit, plus la pratique doit être continue ». L’âge oblige à « ne plus lâcher »,« ne pas se laisser aller », mais aussi à « ne pas forcer », « atteindre la fatigue mais ne jamais la dépasser ». La modération s’impose pour « ne pas user la machine ». L’excès ferait « souffrir le corps » et produirait les effets inverses de ceux recherchés. Cette vision d’une santé en équilibre qu’il faut activer sans à-coup, répond parfaitement à la règle du « ni trop, ni trop peu ». C’est un entretien physique et non une performance qu’il faut poursuivre pour conserver l’intégrité corporelle. Faire une activité « à son niveau » et « à sa vitesse » et éviter les sports trop rapides, trop intenses qui feraient encourir des risques inutiles. La compétition est alors inadaptée à l’âge. « Faire à notre rythme sans tirer trop fort sur la machine sinon vous la cassez. […] À chaque âge ses exploits » (Solange, 74 ans). Le proverbe « Qui veut voyager loin ménage sa monture » correspond tout à fait à ce rapport au corps dans le vieillissement, majoritairement exprimé par des femmes peu diplômées.

Les efforts longs et exténuants, tels les marathons, les 100 km de Millau, les triathlons, engagent des représentations du corps et de la santé quasiment opposées. Toujours dans la régularité de l’effort mais avec une « rigueur » et une « discipline » qui permettent le dépassement de soi. L’idée que la santé se conquiert et se dépasse, que les limites du corps et de l’âge se repoussent dans la capacité à supporter des efforts très fatigants, perce dans la plupart des discours des seniors adeptes de ces activités. « J’ai l’impression que rien ne peut m’arrêter […] ; aller au bout de ses forces et se rendre compte qu’on peut encore » (Paulette, 74 ans, marathon, 100 km de Millau). Loin de la modération, il faut « accepter de se faire mal », « se faire violence sinon on se laisse mourir », « ne pas tomber dans le piège du confort », « aller au bout de soi », toujours pousser plus loin une machine qui ne court que le risque de s’encrasser. Une des femmes marathoniennes emploie l’image de « nettoyer le corps » comme si l’épuisement des forces dans l’effort permettait aussi d’évacuer les impuretés de la vieillesse et de restaurer les forces vives d’une nouvelle jeunesse. S’épuiser pour renaître, ne plus sentir son corps pour mieux éprouver la vie. « Dans le marathon, après la douleur, on plonge dans un état second avec l’impression de ne plus avoir de corps […], le corps se dématérialise, on flotte » (Jean-Yves, 64 ans ; Paulette, 74 ans). L’apprentissage de la perception des effets qui permet de ressentir et donc de concevoir l’effort de longue durée comme une source de plaisir et de dépasser la sensation de douleur ne manque pas non plus de rappeler les étapes du fumeur de marijuana décrites par Becker (1985). Certainement sommes-nous aussi dans une relation au corps que D. Le Breton (1991 : 13-15) qualifie de « corps-adversaire qu’il faut soumettre au cours d’épreuves harassantes. […] Le corps est l’interface qui prend de plein fouet la dureté de l’effort […] ; il faut sentir contre soi la tangibilité d’un monde qui ne se dérobe plus et sollicite dans toute sa force le sentiment d’exister ». « Dans un marathon, il faut avoir la lucidité de cerner l’envie d’arrêter par nécessité et celle classique des 30 km » (Serge, 77 ans). C’est cette conscience de soi affinée qui fait dire aux seniors engagés dans ces efforts de longue durée qu’aucune activité sportive ne devrait être proscrite au nom de l’âge, puisque le sportif contrôle son effort. « Je ne joue pas ma santé quand je fais Millau […]. On peut marcher, courir, chacun fait selon ses moyens » (Stéphane, 65 ans). Mais tous évoquent une sensation unique : « C’est formidable d’avoir l’impression que tout est possible : on est tout petit face aux éléments ou face à la distance mais on se sent… comment… infini… sans limite » (Stéphane, 65 ans). Et c’est cette sensation d’invulnérabilité après laquelle ils semblent courir et qu’ils testent dans les compétitions, au prix d’une volonté sans faille. « Vouloir c’est pouvoir » pourrait caractériser la posture des seniors athlètes des efforts de très longue durée.

Pour les seniors, joueurs et joueuses de tennis, les conceptions de l’effort compatible avec l’avancée en âge sont plus entremêlées. Ni dans la modération, ni dans l’exténuation, ils mettent en avant d’autres priorités. Plaisir du jeu, gaieté et convivialité sont les ingrédients que le tennis continue de leur offrir. « Le tennis, c’est ma passion : les copines, le jeu… le tennis c’est joyeux. On rit comme des jeunes, mais on ne joue plus comme des jeunes ! » (Ginette, 75 ans). Rires et jeux, symboles d’une jeunesse dont ils veulent conserver l’esprit et le dynamisme. Avec le tennis, c’est aussi un réseau relationnel qui se maintient à toutes les étapes de la vie, sous la forme d’une « bande de copains » (ou copines) assurant une fonction sociale essentielle : se retrouver entre personnes de mêmes affinités culturelles. « Sur un court, on a vite fait le tour et l’on voit si l’on est sur la même longueur d’ondes pour certaines choses. » (Jean-Charles, 83 ans). Bien vieillir repose alors sur une qualité relationnelle et une combativité qui permettent de maintenir jeune. La combativité peut entraîner des efforts intenses et violents dans la passion de la compétition mais le duel permet aussi de développer des stratégies de jeu adaptées à l’adversaire et à ses propres ressources pour économiser ses forces. La balance risque/sécurité inhérente au duel se retrouve dans la gestion des forces déployées pour marquer un point, et ces seniors savent en user. Le corps est cultivé pour que son vieillissement n’entrave pas l’expression de l’individu, la réalisation des passions et la conduite d’une vie sociale riche. D’ailleurs, les trois quarts des joueurs et joueuses de tennis septuagénaires, fortement diplômés, sont aussi engagés dans du bénévolat associatif. Ils souhaitent maîtriser leur vieillissement et leur santé comme ils ont maîtrisé toutes les étapes de leur vie, en acceptant des risques physiques calculés au regard de l’affirmation de leur identité et de leur libre-arbitre. « Qui ne risque rien n’a rien » ; mieux vaut une vie pleine, active et autonome qu’une longévité terne et repliée.

Les stratégies de résistance au vieillissement dans les pratiques physiques

Tous les seniors sportifs interviewés, même les septuagénaires et octogénaires, ne se sentent pas « vieux » et refusent d’être catalogués parmi les « vieux ». Ils affirment une conception active et responsable de leur vieillissement, mais empruntent des chemins différents d’adaptation au vieillissement. Se distinguent plusieurs stratégies de réponses aux sensations de vieillir pour ne pas s’abandonner au vieillissement et lutter contre le désengagement des pratiques physiques :

  • la reconversion (ou substitution) dans une pratique différente. Cette reconversion, lorsqu’elle est effectuée jeune, s’oriente vers des APS qui offrent de nouvelles perspectives de progrès et/ou de réalisation compétitive. À un âge avancé, l’éventail des activités se réduit à celles qui paraissent compatibles avec le vieillissement. Chez les joueurs de tennis, la reconversion au golf est typique. Chez les athlètes, la substitution s’opère par un glissement de disciplines athlétiques : le passage des épreuves de vitesse et de force aux disciplines de longue distance et longue durée. Lorsque la reconversion s’effectue sous la pression médicale, seules les gymnastiques douces, la natation ou la marche semblent envisageables.

  • l’adaptation des modalités de pratique. Le senior ne change ni d’activité, ni de discipline mais en modifie des modalités de pratique : arrêter la compétition, refuser les confrontations avec les plus jeunes, diminuer la fréquence d’entraînement, diminuer l’intensité. Par exemple, les joueurs de tennis jouent en double, les gymnastes adaptent le nombre des répétitions…

  • l’adaptation de la technique. Ce sont les seniors des parcours sportifs continus depuis la jeunesse (ou repris avant 35 ans) qui usent de cette adaptation technique qui leur permet notamment de conserver une modalité compétitive et d’ajuster leur pratique à l’évolution de leurs ressources. Par exemple, les joueurs de tennis développent le versant tactique et stratégique du jeu pour compenser la force et la vitesse défaillantes.

Ces trois premières formes, substitution, adaptation des modalités de pratique et adaptation de la technique visent à alléger la pratique et relèvent d’un principe d’économie des forces. Mais plusieurs seniors réagissent à l’avancée en âge et au vieillissement par une intensification de leurs pratiques physiques. Cette réponse, loin de caractériser uniquement les jeunes retraités qui ont amplifié leurs pratiques à l’étape de la retraite professionnelle, concerne aussi de nombreux seniors septuagénaires et octogénaires, des hommes et des femmes marqués par des socialisations corporelles précoces et des parcours sportifs continus depuis la jeunesse et qui possèdent un haut niveau de diplôme pour l’époque. Aux sensations croissantes de vieillissement, ils ripostent par une augmentation des pratiques physiques selon deux modalités :

  • l’augmentation de la polyvalence des pratiques qui permet de compenser les efforts entre eux et d’équilibrer les parties du corps sollicitées par la pratique dominante. Par exemple, plusieurs joueurs de tennis ont adopté, depuis leurs derniers signes de vieillissement, la pratique régulière d’une gymnastique personnelle à domicile, qui contribue à éviter les mises en route douloureuses et raides sur le court.

  • l’augmentation de la fréquence d’entraînement jusqu’à la pratique quotidienne pour endiguer les effets du vieillissement. Ne pas s’arrêter pour éviter la reprise, de plus en plus difficile. « Après 70 ans, arrêtez huit jours, vous mettez trois semaines pour revenir » (Guy, 72 ans). Cela n’exclut pas d’avoir substitué certaines activités à d’autres pour diminuer l’intensité mais l’augmentation de l’assiduité de la pratique permet de « soigner le mal par le mal » (Lucette, 71 ans).

Fréquemment polyvalence et fréquence se conjuguent pour contrecarrer le processus de vieillissement en redoublant d’efforts, pour les seniors âgés engagés dans les pratiques exténuantes et les jeux de raquettes.

Conclusion

Tous les seniors sportifs partagent la conviction que leurs pratiques physiques et la régularité de leurs efforts actuels vont payer à terme et les protéger d’une vieillesse dépendante. Persuadés qu’une vieillesse autonome jusqu’au bout se mérite, et en ce sens conformes à la norme actuelle du bien vieillir, ils déploient une énergie et une volonté importantes à ne pas céder aux sensations inévitables de fatigue et de douleur qui se multiplient et les appellent à se reposer. Pour les septuagénaires et les octogénaires, lâcher, ce serait plonger dans la déprise ultime, se désengager de la « vraie » vie symbolisée par le mouvement et entrer dans la vieillesse redoutée et redoutable, sans espoir de retour en arrière.

Deux processus de résistance au vieillissement dans et par les pratiques physiques se dessinent. L’un repose sur le principe d’économie des forces. Par des stratégies de substitution et d’adaptation des pratiques, il permet de maintenir un mode de vie actif avec l’avancée en âge. (Dé)prises partielles et (re)prises (Caradec, 2004) répondent à une négociation évolutive du senior entre ses pouvoirs et ses désirs, mais permettent d’avoir prise sur les priorités essentielles de vie à travers le choix des pratiques physiques. L’autre repose sur un principe inverse de surenchère d’efforts, et bouscule la norme sociale et le processus couramment décrit et admis. Plus le senior avance en âge, plus il pressent qu’il faut redoubler d’efforts et de volonté pour maintenir la vieillesse éloignée. À cet égard, les champions illustrent le pôle de la surenchère, alors que les femmes, peu diplômées, engagées tardivement dans une gymnastique d’entretien, incarnent le principe d’économie des forces. Mais ces deux principes peuvent aussi cohabiter. Les seniors sportifs, hommes ou femmes, diplômés avec un passé sportif important, nous paraissent s’inscrire dans ce double mouvement d’adaptation au vieillissement : anticiper de nécessaires transformations et multiplier les efforts pour sauvegarder les activités qui garantissent à leurs yeux une vie encore digne d’être vécue. Ainsi, la diversité des investissements sportifs rend-elle compte de formes et de conceptions plurielles de la vieillesse et du vieillissement.