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Dans les cercles oecuméniques, parmi les théologiens luthériens francophones, André Birmelé représente sans doute celui qui a le plus de rayonnement et le plus d’envergure. Il demeure le théologien luthérien francophone qui a le plus contribué à soutenir la Déclaration conjointe luthéro-catholique sur la justification, alors que ses collègues germanophones menaient campagne contre sa signature. Cela dit, son soutien à l’accord ne tient pas à la complaisance, comme en fait foi encore son ouvrage qui présente des positions assez exigeantes.

Le présent ouvrage reprend, au moins en partie, des éléments d’articles de l’auteur que l’on a pu lire par ailleurs au cours des dernières années. Cela dit, l’ouvrage n’est pas simplement une collection d’articles, mais représente une véritable unité. Le sous-titre en dit honnêtement le propos. En effet, les trois premiers chapitres présentent le progrès réalisé dans le dialogue luthéro-catholique depuis le début des années 1970 : l’itinéraire du dialogue international et le chemin poursuivi dans les dialogues bilatéraux nationaux aux États-Unis et en Allemagne (chapitre I) ; le dialogue international depuis 1994 (chapitre II) et l’itinéraire complexe (1995-1999) qui a conduit à la déclaration commune sur la justification (chapitre III). Ces trois premiers chapitres, s’ils font état des progrès oecuméniques entre les deux confessions, ne se contentent pas de décrire le chemin parcouru, mais ils identifient également le franchissement de certains seuils et signalent au passage les évolutions conceptuelles et méthodologiques qui ont permis ces avancées. En effet, ces évolutions n’ont été possibles qu’à partir d’innovations méthodologiques fruit d’un renouveau dans la conception même de l’unité de l’Église.

Le reste de l’ouvrage revient sur ces évolutions et reprend de manière plus méthodologique différentes notions qui permettent d’envisager sous une lumière neuve la question de l’unité de l’Église. Le chapitre IV s’intéresse à deux notions qui sont étudiées en miroir, l’une promue par la confession luthérienne (l’article capital) et l’autre par la tradition catholique (la hiérarchie des vérités). Ces deux notions permettent de distinguer, dans les exposés de la foi, entre ce qui est central et ce qui dépend de ces réalités fondamentales. L’auteur revisite, sur une base historique, l’insistance réformatrice sur l’article capital et examine plus en profondeur ce qui est souvent pris pour acquis — mais sans examen — dans le catholicisme depuis Vatican II, la notion de hiérarchie des vérités. On saura gré à l’auteur de revisiter un concept qui opère sans trop d’examen dans les dialogues oecuméniques, notamment dans ceux conduits par le Groupe des Dombes, et de stimuler les catholiques à un approfondissement de cette notion souvent utilisée mais peu étudiée en profondeur. Le chapitre V aborde une autre question méthodologique qui a eu, au cours des dernières années, des effets importants au plan du progrès des dialogues oecuméniques. Il s’agit des notions de « consensus fondamental » et de « différence fondamentale », le qualificatif « fondamental » qualifiant cependant d’une part l’évangile ou la foi et, d’autre part, la « différence » entre deux traditions. Après avoir tenté d’identifier, au plan ecclésiologique, la différence fondamentale entre le catholicisme et les Églises marquées par la réforme, différence qui porte sur l’instrumentalité de l’Église en regard du salut, et s’être interrogé sur la différence fondamentale entre les Églises d’Orient et d’Occident, l’auteur explore avec beaucoup d’équilibre la fécondité de cette notion de « différence fondamentale ». Sa conclusion toute en nuance empêchera certainement d’utiliser sans circonspection cette notion qui risque de devenir un nouveau « catch all » en matière d’oecuménisme.

Passant à un niveau plus empirique cette fois, l’auteur aborde les différentes déclarations de « communion ecclésiale » entre les Églises marquées par la Réforme, en particulier la Concorde de Leuenberg (1973) et les accords de Meissen (1991) et de Porvoo (1994) qui témoignent d’une autre compréhension de l’unité. Cet examen conduit naturellement l’auteur, dans un chapitre synthétique (chapitre VIII), à examiner en profondeur divers modèles d’unité, privilégiant l’unité de l’Église comprise comme communion, accordant sans doute un poids doctrinal trop important à la lettre de la Congrégation de la doctrine de la foi sur cette question par rapport à l’enseignement conciliaire lui-même qui n’est malheureusement pas développé ex professo.

Enfin, le chapitre VIII aborde les « défis de la réception », distinguant la réception oecuménique des autres faits de réception, mais la situant dans la tradition de la réception classique. Plus original ici est, sur la base de cet exposé sur la réception en contexte oecuménique, l’important développement sur la compatibilité des avancées oecuméniques ou des divers dialogues en cours entre les Églises.

Bref, un ouvrage important pour qui s’intéresse à l’oecuménisme. Il y trouvera non seulement des informations importantes quant aux contenus des divers dialogues, mais surtout une réflexion conceptuelle de fond et un approfondissement méthodologique important qui permet de renouveler les visions de l’unité de l’Église. Le ton est toujours serein, le propos nuancé et les questions sont examinées en profondeur. L’auteur nous fait bénéficier de son immense expérience des dialogues oecuméniques et de la réflexion universitaire qu’il poursuit depuis tant d’années.