Corps de l’article

I. Présentation

La portion des Communia logice dont nous offrons ici l’étude et une première édition fait partie d’un ensemble « didascalique[1] » et « artien[2] » beaucoup plus large. En effet — et pour nous en tenir au voisinage codicologique le plus pertinent —, le texte présenté et édité dans cet article constitue la portion initiale des Communia logice et grammatice, une substantielle compilation logico-sémantique contenue dans le manuscrit : Paris, Bibliothèque nationale de France, fonds latin 16617 (fol. 171ra-205vb : incipit : « Consequenter queritur de necessitate ueteris logices… » et [fol. 183rb] « Circa gramaticam primo queritur utrum gramatica sit scientia… » ; explicit : « … differt autem inmutatio a transsumptione, quoniam inmutans magis recipit substantiam ut quando <…> »)[3]. De plus, ce manuscrit, parisien et latin, 16617, ainsi que le manuscrit 16390 du même fonds (sur lequel nous revenons à l’instant[4]), comptent parmi les quelque cent vingt volumes légués à l’ancienne bibliothèque de la Sorbonne par un de ses premiers sociétaires, Pierre de Limoges, né vers 1230 et mort en 1306, censément maître ès arts à Paris dès 1262, passionné d’astronomie, auditeur assidu de sermons, bachelier en théologie, et, peut-être, doyen de la Faculté de médecine en 1267 et 1270[5]. Or, comme l’ont bien montré A.G. Judy[6] et L.M. de Rijk[7], les folios 171ra-205vb du manuscrit 16617 que couvrent aujourd’hui les Communia logice et grammatice faisaient à l’origine — c’est-à-dire dans la bibliothèque de Pierre de Limoges — immédiatement suite au folio 206 par lequel se termine l’actuel manuscrit 16390, dont le De communibus artium liberalium[8] (fol. 194ra-200va) et les Questiones mathematice[9] (fol. 201ra-206vb) forment la dernière partie, alors que l’actuel manuscrit 16617 s’achevait par l’abrégé (fol. 161v-170v) amalgamant le De communibus et les Questiones mathematice selon les indications d’abréviations et de fusions inscrites par Pierre de Limoges lui-même à l’intention d’un copiste dans les marges des témoins complets du De communibus et des Questiones mathematice que contient le manuscrit 16390[10]. Par ailleurs, P.O. Lewry[11] a fait remarquer que les exemples du type « Ego Petrus curro » ou « Petrus siue Petrus » qu’on retrouve dans la partie grammaticale des Communia logice et grammatice (ms. 16617, fol. 194vb, 201ra) pouvaient constituer « a pointer to authorship ». Voilà une piste qu’il faudrait ultérieurement tenter de poursuivre, mais, quoi qu’il en soit, le contexte montre déjà avec assez de vraisemblance que les divers compendia didascaliques susmentionnés des manuscrits 16390 et 16617 sont directement liés à la carrière artienne de leur possesseur d’antan, Pierre de Limoges.

Les Communia logice et grammatice se composent essentiellement de questions, qui, parfois, donnent cependant lieu à des développements assez longs, comme celui que l’on a signalé[12] au sujet de la notion de quantité (ms. 16617, fol. 174rb-175ra), un thème en rapport évident avec le sujet du quadriuium et qui devait intéresser au premier chef le maître limousin, que l’obituaire de la Sorbonne qualifie de « magnus astronomus[13] », un thème, faut-il ajouter, dont certains éléments ont des parallèles tant dans le De communibus artium liberalium[14] que dans les Questiones mathematice[15]. Un rapide examen montre que la structure argumentative des Communia logice et grammatice est plus complexe que celle du « Guide de l’étudiant » du manuscrit Ripoll 109 et s’apparente plutôt à celle du De communibus artium liberalium[16] : les Communia paraissent donc avoir été compilés après 1250-1255[17], ce qui s’accorde parfaitement avec la chronologie probable de l’activité de Pierre de Limoges à la Faculté des arts de Paris. La première partie (ms. 16617, fol. 171ra-183rb) des Communia traite de la logica uetus (Isagoge, Catégories, Livre des six principes, De l’interprétation, Topiques et De la division de Boèce), alors que leur deuxième partie (fol. 183rb-205vb) soulève d’abord des questions épistémologiques générales sur le statut de la grammaire comme science et s’engage ensuite dans des interrogations relatives aux traités de grammaire dont l’étude était prescrite par les statuts de la Faculté des arts (Priscien majeur, Priscien mineur, Pseudo-Priscien De l’accent, Barbarisme de Donat[18]), auxquelles s’entremêlent des questions particulières sur l’interjection, la synecdoque[19], etc.

Il faut maintenant nous pencher sur la portion des Communia logice éditée ci-dessous et dont le plan de base peut se représenter ainsi en un tableau synoptique (indiquant entre parenthèses, pour chaque rubrique, les numéros de paragraphes correspondants de l’édition) :

  1. Interrogations introductives sur la nécessité de la « Vieille logique » (et l’universel) (§ 1-8)

  2. Autour du Livre de Porphyre : (§ 9-58)

    • 1.1. L’universel est-il quelque chose ? (§ 10-18)

    • 1.2. L’universel est-il dans le seul intellect ? (§ 19-28)

    • 1.3. L’universel est-il un nom ou une chose ? (§ 29-37)

    • 1.4. L’universel est-il un en plusieurs ? (§ 38-44)

    • 1.5. Interrogations sur : Pourquoi les cinq (prédicables) universaux ne peuvent-ils pas être le sujet du Livre de Porphyre ? (§ 45-53)

    • 1.6. Interrogations (simples) sur : Pourquoi y a-t-il cinq universaux ?, etc. (§ 54-58)

  3. Interrogations (simples) sur le genre (et l’universel) (§ 59-72)

  4. Interrogations (simples) sur l’espèce (et l’universel) (§ 73-81)

  5. Interrogations (simples) sur la différence (et l’universel) (§ 82-93)

  6. Interrogations (simples) sur le propre (et l’universel) (§ 94-101)

  7. Interrogations sur l’accident (§ 102-107)

Côté contenu, l’examen de cette figuration tabloïde des extraits retenus des Communia logice fait en premier lieu apparaître que l’universel est abordé partout — sauf dans le bref passage consacré à l’accident (section 7) — et, chose fort prévisible, particulièrement dans les diverses sous-sections (2.1-2.6) relatives au début du traité porphyrien, où il constitue ouvertement le thème principal, voire unique. C’est naturellement à ces sous-sections, philosophiquement les plus prégnantes et où les Communia logice réarticulent le célèbre questionnaire isagogique, que — dans la prochaine partie de cet article (section II) — nous consacrerons une étude doctrinale approfondie.

Côté forme, ce tableau permet d’entrevoir la modalité discursive variable des sections et sous-sections éditées des Communia logice : les rubriques 2.1-2.4 possédant un déploiement argumentatif complexe à décrire plus en détail ; les rubriques 2.6 et 3-6 se résumant à une série de questions simplement suivie de leurs réponses individuelles ; les rubriques 1, 2.5 et 7 se situant — avec certaines variantes — entre les deux premiers modes énumérés. Notamment, on peut préciser, en se basant sur le texte lui-même, que les sous-sections 2.1-2.4 possèdent une structure formelle finement décomposable en ces six éléments : 1. question thématique ; 2. position dialectique provocante ; 3. arguments en faveur de la position dialectique ; 4. opposition à la position provocatrice ; 5. réponse (globalement assimilable à une position personnelle) ; 6. réfutation des arguments en faveur de la position dialectique. Voici, pour illustrer clairement ces étapes dialectiques, notre traduction française de la sous-section 2.1 (les § 10 à 18 de notre édition) avec l’identification (en gras entre crochets obliques) du début de chacun de ces six éléments structurels :

<Question thématique> On se questionne d’abord à savoir si l’universel est quelque chose.

<Position dialectique provocante> Et on montre que non, puisque :

<Argumentation en faveur de la position dialectique : 1> Tout ce qui est ou bien est substance, ou bien est accident. Mais l’universel n’est pas une substance, parce que alors il ne se retrouverait pas dans le genre de l’accident, ce qui est faux ; non plus qu’un accident, parce que alors il ne se retrouverait pas dans le genre de la substance. Si jamais on dit que l’universel n’est pas dans un genre mais transcende tout genre, alors il semble que l’universel ne soit pas quelque chose d’univoque, mais d’analogue ; mais cela est faux, puisque l’universel selon n’importe quelle différence le caractérisant est dit être quelque chose d’univoque.

<2> De même, tout ce qui est en deçà du Premier ou bien est matière, ou bien est forme, ou bien composé. Mais l’universel n’est pas matière non plus que forme, puisque nulle de ces <choses> n’est prédicable et que l’universel se prédique. De même, <l’universel> n’est pas composé, puisqu’il est dit être simple. Donc l’universel n’est rien.

<Opposition à la position provocatrice (sorte de ‘Sed contra’) : A> À l’opposé, puisque l’universel démontre l’individu — on dit en effet Socrate homme de par la forme universelle dont il participe —, or cela ne serait pas si l’universel n’était rien.

<B> De même, ce par quoi quelque chose est séparé d’un autre est une certaine nature, mais Socrate et Brunel se distinguent selon leurs universaux et sont rangés sous les diverses espèces de ces derniers ; donc l’universel lui-même est quelque chose.

<Réponse> À cela il faut dire que l’universel est une certaine nature : il est en effet la forme conséquente au composé, qui est l’ultime perfection de l’individu lui-même. Et selon cela, l’universel, en parlant métaphysiquement, est l’essence par laquelle chaque chose est ce qu’elle est d’un nom absolu.

<Réfutation des arguments en faveur de la position dialectique : 1*> À l’<argument> objecté en sens contraire, il faut dire que l’on peut parler de l’universel doublement : ou bien du point de vue de cette sorte d’intention qu’est l’universel, et de cette façon il transcende tout genre ; ou bien du point de vue de son essence, et de cette façon l’universel ne transcende pas tout genre, mais divers sont les universaux en divers genres. Tandis que l’intention même par laquelle chaque chose est dite universelle transcende tout genre.

<2*> À l’autre <argument> il faut dire que l’universel n’est ni matière ni composé, mais est forme. Mais la forme est double : la forme qui est de la partie, et la forme du tout. La forme qui est de la partie n’est pas prédicable, puisqu’elle est l’extrême du composé, tandis que la forme du tout est prédicable, et la forme de cette sorte est l’universel complétant tout l’être de l’individu.

Sur le plan formel, donc, il importe de souligner que, pour chacun des aspects essentiels du problème des universaux dont il traite, notre auteur-compilateur développe son argumentation dans le cadre structurel de la questio disputata[20] ; autrement dit, chacune des quatre questions fondamentales posées par notre auteur-compilateur relativement au problème des universaux (soit — rappelons-le — les questions correspondant aux sous-sections 2.1 à 2.4 des Communia logice [ci-dessous : éd. § 10, 19, 29, 38 ; cf. n. 28, 29, 31, 42]) reçoit la forme de la question disputée, laquelle se ramène minimalement — si l’on condense de façon alternative notre schéma sextuple tout juste mentionné en réunissant ce qui est présupposé ou apparenté — à une structure argumentative quadripartite : 1. à la question posée, l’auteur donne d’abord une réponse étayée d’arguments qui sont contraires à la position qu’il va lui-même soutenir par la suite ; 2. en second lieu, l’auteur indique comment il est possible de penser l’opposé de ce qui vient tout juste d’être proposé — c’est ce que nous pouvons appeler le « Sed contra », introduit par l’expression canonique « Ad oppositum » ; 3. l’auteur fournit ensuite sa réponse personnelle à la question posée : en effet, règle générale, il s’agit là de la position qu’il soutient personnellement en regard du problème débattu ; 4. finalement, l’auteur expose une solution pour chacune des objections qu’il avait initialement avancées à l’encontre de sa propre thèse ; autrement dit, il solutionne les arguments développés dans la partie 1. Structure argumentative développée qu’O. Weijers a déjà décrite — avec elle aussi sous les yeux, à titre exemplaire, la sous-section 2.1 — en termes analogues : « [1.] après la question, prise de position (à l’encontre de la solution évidente) et arguments en sa défense (deux arguments qui se composent chacun de deux parties) ; [2.] arguments pour la thèse contraire (deux aussi) ; [3.] solution et [4.] réfutation des arguments opposés[21] ». Après ledit bloc doctrinal (2.1-2.4) très dense, cette solide structure dialectique s’étiole (sous-section 2.5), puis disparaît presque complètement : en effet, pour la suite ici éditée des Communia logice, la très grande majorité des points discutés est construite selon un simple schéma binaire de type question-réponse ou problème-solution, avec seulement, tout à la fin (section 7), un timide retour de dialectisation. Reste le cas du questionnement introductif (section 1) sur la nécessité de la logica uetus, où l’étape discursive de l’Ad oppositum brille par son absence, alors que la réponse (Ad hoc dicendum) amalgame la solution des objections dialectiques à un exposé qui, plutôt habilement, annonce le plan d’ensemble de cette compilation logique en caractérisant chacun des manuels relatifs à l’« intégrité » — entendons à « l’être » — (liber Predicamentorum, liber Periarmenias Aristotilis) et au « bien-être » (Ysagoge Porphirii ; liber Sex principiorum ; scientia Topicorum, liber Diuisionum Boecii) de la « Vieille logique ».

Malgré leur inconstance formelle, on a jugé que les Communia logice « pourraient être le résultat de répétitions ou d’exercices, pendant lesquels un certain nombre de questions de base sont à nouveau traitées et quelques-unes disputées, dans le but de bien faire saisir et les matières de la discipline et le procédé de la dispute », tout en se demandant si l’on peut « considérer ce genre de textes comme des traces de l’enseignement dans les maisons d’étudiants[22] ». À cause de leur inconstance formelle, on a par ailleurs jugé que les Communia logice constituent « un genre de texte » qui « ne correspond ni à la lecture ordinaire ni à la disputatio obligatoire[23] ». Quoi qu’il en soit (et en différant un avis vraiment éclairé jusqu’à la parution de l’édition critique complète), on notera que les fréquentes occurrences de verbes clés à l’imparfait (« querebatur[24] » ; « ostendebatur[25] ») dans la partie ici offerte des Communia logice indiquent clairement que cette compilation didascalique artienne représente, sinon une « reportation » au sens strict, du moins une certaine forme de « relation » écrite d’un événement ou d’événements, à la fois pédagogique(s) et dialectique(s), qui s’étai(en)t alors réellement déroulé(s) dans ce milieu. Les fluctuations de la structure dialectique des Communia logice s’expliqueraient ainsi, au moins partiellement, par les différences factuelles des séquences discursives décrites. A priori, cette rédaction d’un ou de happening(s) argumentatifs offerte par les Communia logice n’exclut pas que son auteur-compilateur se soit appuyé — en partie ou en totalité — sur des sources écrites préexistantes et affichant déjà des modalités discursives diverses.

Après l’approfondissement doctrinal qui suit à l’instant (section II) — où l’on verra, avec le cas vedette des universaux, que « les questions de base » censément soulevées par notre auteur-compilateur supposent, pour être adéquatement comprises, une étonnante culture philosophique souvent insoupçonnée aujourd’hui par les interprètes — et avant l’édition partielle elle-même des Communia logice (section IV), il ne nous restera plus (section III) qu’à exposer les principes et les normes ayant présidé à l’établissement critique du texte latin.

II. Étude doctrinale

1. Les trois questions de Porphyre

Dans la section des Communia logice consacrée à l’Isagoge, ce qui frappe d’abord, c’est que le fameux problème de Porphyre n’est plus celui de Porphyre[26]. En effet, notre auteur-compilateur reformule, réorganise et transforme le questionnaire en trois temps du Phénicien qui, dès lors, ne joue plus que le rôle d’un pré-texte sur lequel se déploie à nouveaux frais le problème du mode d’être ou du statut ontologique des universaux. La première des trois alternatives porphyriennes, la question de savoir si les universaux (les genres et les espèces) « subsistent ou s’ils sont posés dans les intellects seuls, nus et purs[27] », est reposée en l’espèce de deux interrogations distinctes : l’auteur-compilateur se demande, d’abord, (1a) « si l’universel est quelque chose[28] » et, ensuite, (1b) « si l’universel est dans l’intellect seul[29] ». Notre auteur-compilateur n’est pas le seul Artien de son époque à effectuer une telle disjonction entre les deux termes de la première alternative porphyrienne. Ainsi procède Jean le Page, qui se demande d’abord « si les universaux existent » et, ensuite, « s’ils sont quelque chose qui relève de la nature ou de pures intentions existant dans l’intellect », de même que Robert Kilwardby, qui cherche à savoir, dans un premier temps, « si les universaux existent ou non » et, en second lieu, « ayant été supposé que les universaux existent […] s’ils sont des choses ou s’ils ne sont pas des choses mais <existent> seulement dans l’intellect[30] ».

La seconde question porphyrienne, celle qui touche à la nature corporelle ou incorporelle des universaux, a complètement disparu et a été remplacée par une autre question qui consiste à savoir (2) « si l’universel est une chose ou un nom[31] ». Cette nouvelle question, dont la formulation échappe radicalement au lexique philosophique du questionnaire porphyrien, est pourtant la seule pour laquelle il est permis de parler, en la rigueur des termes, d’une véritable alternative entre réalisme et nominalisme. Par ailleurs, il importe de souligner que, parmi les contemporains ou prédécesseurs immédiats de l’auteur-compilateur des Communia à la Faculté des arts de Paris, seul Nicolas de Paris, à notre connaissance, pose cette même question, à savoir « si les universaux sont des noms ou des choses », sans toutefois la substituer à la deuxième des trois interrogations porphyriennes (celle qui concerne le caractère somatique ou non des universaux[32]). Le fait de passer sous silence la deuxième question de Porphyre semble être une attitude exégétique qui se rencontre fréquemment chez les auteurs plus tardifs, comme en témoignent les oeuvres de Pierre d’Auvergne, Simon de Faversham, Raoul le Breton et Guillaume Russell[33].

La troisième question de Porphyre, demandant si les universaux « sont séparés ou bien s’ils existent dans les sensibles et en rapport avec eux[34] », a été interprétée, dans l’historiographie courante, comme lieu d’expression privilégié du différend Platon-Aristote, puisqu’elle est censée opposer la conception platonicienne de l’universel comme Forme transcendante à la vision prétendument aristotélicienne de l’universel conçu à la fois comme forme immanente aux sensibles et forme intellective abstraite des sensibles. Or, si nous lisons quelques commentaires isagogiques des années 1230-1260, nous constatons rapidement que la troisième alternative du questionnaire porphyrien a fait l’objet de diverses lectures qui ne peuvent être réduites à ce schéma historiographique unitaire. Nous sommes en présence d’un phénomène historique qui déjoue la tendance forte de l’historiographie à vouloir tout ramener à l’univocité : l’alternative entre un universel séparé et un universel immanent aux substances concrètes a donné lieu en fait à des herméneutiques variées. Et ce phénomène est de toute première importance dans la mesure où il nous révèle qu’avant même de répondre aux questions formulées par Porphyre (dans leur version boécienne), les penseurs médiévaux devaient décider du sens à donner aux formules composant ce questionnaire porphyrien : autrement dit, dans son énoncé même, le « problème de Porphyre » est déjà problématique ; dans sa formulation même, il pose déjà problème. Ainsi, la grille de lecture à partir de laquelle Jean le Page interprète la possibilité d’une séparation des universaux n’est pas celle de la métaphysique platonicienne des Idées, mais plutôt celle de la théiologie du péripatétisme gréco-arabe : que l’universel soit séparé, dans cette optique, signifie qu’il détienne, en vertu de son essence, la capacité de se tenir par soi dans l’être à l’extérieur de tout singulier, à l’instar des formes ou substances séparées de la matière, à savoir les Intelligences célestes et Dieu. Maître Jean récuse cette option et soutient que les universaux sont toujours conjoints aux singuliers sensibles[35]. Pour Robertus Anglicus, qui fut probablement maître ès arts à Paris vers 1250, la troisième question du Phénicien ouvre un dilemme entre, d’une part, un universel qui existe dans l’âme, étant engendré par l’intellect, et, d’autre part, un universel qui détient une existence extramentale dans la chose singulière. L’être séparé de l’universel signifie donc ici l’être abstrait du concept et non pas l’être transcendant de l’Idée platonicienne[36]. Enfin, lorsqu’il traite la troisième alternative porphyrienne, Robert Kilwardby ne fait aucunement mention de l’option platonicienne[37]. Bien sûr, parmi les Artiens du second tiers du xiiie siècle, il s’en trouve qui comprennent la troisième question porphyrienne comme figure du débat Platon-Aristote, mais le Platon qui est alors invoqué est un Platon trafiqué. Ainsi en va-t-il dans l’interprétation retenue par Nicolas de Paris : à propos de la troisième question de Porphyre, écrit ce maître parisien des années 1240, Platon et Aristote n’ont pas le même avis, puisque Platon affirme que les universaux sont des « Idées dans l’esprit divin » (« ydee in mente diuina »), ce qui en fait des réalités séparées des particuliers, alors qu’Aristote soutient, au contraire, qu’il est nécessaire, au regard des impératifs de la science démonstrative[38], que les universaux aient l’existence dans les multiples individus et que, par conséquent, ceux-là soient conjoints à ceux-ci[39]. Mais Nicolas est partisan de la concorde. Selon lui, Platon et Aristote ne s’opposent pas vraiment et tous les deux ont raison car chacun d’eux souligne un aspect de la réalité des universaux : Aristote parle des natures communes dont participent les individus, natures qui sont de fait conjointes aux réalités corporelles du monde sensible, tandis que Platon parle non pas de ces universaux « in rebus extra », mais plutôt des similitudes (similitudines) que ceux-ci possèdent dans l’esprit de l’Artisan divin[40]. En ce qui concerne l’auteur-compilateur des Communia, il re-pose la troisième question de Porphyre en des termes qui ne laissent place qu’au seul champ de problématisation que dessine l’univers conceptuel des Analytica Posteriora, de telle sorte qu’aucune référence n’est faite à une quelconque forme de platonisme. Ainsi, le conflit à résoudre passe désormais entre les deux caractérisations (apparemment) contradictoires de l’universel que propose Aristote dans cette oeuvre[41], où l’universel est en effet caractérisé à la fois comme « un en plusieurs » (« unum in multis ») et comme « un en dehors de plusieurs » (« unum preter multa »). Il s’agit donc maintenant de savoir (3) « si l’universel est un en plusieurs[42] » — c’est-à-dire, si l’universel est une unité réelle qui existe « en même temps et d’un seul coup » (« simul et semel ») en de multiples étants singuliers, en de multiples substances sensibles individuelles. Comme nous le rappelle notre auteur-compilateur, ce type d’existence apparaît tout à fait impossible, puisqu’il semble bien que toute nature créée soit un être numériquement un, que tout ce qui existe soit un « individu donné », un « hoc aliquid ». De plus, comme nous venons de le signaler, Aristote lui-même ne se contredit-il pas, qui affirme, d’une part, que l’universel doit être dans les multiples choses, afin que la démonstration engendre avec vérité de la science à leur sujet, et, d’autre part, que l’universel est une unité en dehors des multiples choses, laquelle constitue le principe de l’art et de la science, et qu’en tant que tel, l’universel se trouve séparé des individus ? La solution à ces difficultés réside, pour notre auteur-compilateur, dans une double distinction. Premièrement, il faut distinguer entre l’universel comme « forme conséquente au composé » (« forma consequens compositum[43] ») et l’universel qui est une « intention dans l’âme » (« intentio in anima[44] »), celui-là même dont parle Aristote dans les Seconds Analytiques, en le qualifiant de « unum preter multa » ; autrement dit, il faut faire cette distinction élémentaire entre l’espèce réelle, nature de la chose, et l’espèce intelligible, concept dans l’intellect. Deuxièmement, il faut distinguer entre, d’une part, l’étant créé (« creatum ») qui, de par la « ratio » même de son être, est numériquement un (« hoc aliquid ») — il est une pure singularité ontique — et, du coup, ne peut absolument pas être en même temps et d’un seul coup en plusieurs et, d’autre part, l’universel dont l’être est toujours « concréé dans un autre » (« concreatum in alio ») — et non pas créé en soi de manière séparée à l’instar de chaque étant numériquement un — et qui, en outre, de par la « ratio » même de son essence, a le pouvoir d’exister simultanément et d’un seul coup en plusieurs étants individuels (« existens in multis » — « non separatur ab eis ») dont il est prédicable (« de ipsis predicatur ») et « prouvable » (« probabilis de multis[45] »). Une caractérisation similaire de l’universel est présentée dans le cadre de la réponse à la deuxième question, à savoir (2) « si l’universel est une chose ou un nom ». N’étant évidemment pas incréé, l’universel ne semble pas plus pouvoir être une chose créée (« res creata »), puisque le terme de toute création est l’individu, le « hoc aliquid » : la chose est toujours une entité singulière. L’universel serait donc un simple « nom » ou « terme » (« nomen » ou « sermo »). La solution de notre auteur-compilateur consiste à dire que l’universel est bien une « res », donc que la choséité lui convient, non pas en vertu de la « ratio » du supposé ou de l’être — l’universel n’existe pas sur le mode de l’unité numérique qui est celui de l’individu concret —, mais en vertu de la « ratio » de l’essence — l’universel est une nature dont l’unité est d’ordre essentiel. Par conséquent, s’il est vrai de dire que toute création aboutit « d’abord et par soi » (« primo et per se ») à un « hoc aliquid », lequel est créé en soi (« creatur in se »), il faut immédiatement ajouter que la création trouve « par voie de conséquence » (« ex consequenti ») son terme dans l’universel, lequel n’existe ainsi qu’à titre de réalité créée dans un autre (« creatur in alio »), jamais subsistant en soi de manière séparée[46].

2. Les trois états de l’universel

Si, comme on peut le constater à la lumière de ce qui vient tout juste d’être exposé, dans les Communia logice, l’horizon platonicien de la troisième des alternatives porphyriennes s’éclipse derrière l’universel d’Aristote, les sectateurs de Platon (les « Platonici ») retrouvent cependant voix au chapitre des universaux lorsqu’ils sont mobilisés par notre auteur-compilateur à l’occasion de la réponse qu’il offre à la question (1b)[47]. À l’instar de bon nombre de ses contemporains ou prédécesseurs immédiats[48], celui-ci comprend de manière disjonctive la formule boécienne « in solis nudis purisque intellectibus[49] », de telle sorte qu’il lui fait dire l’existence de trois types d’universaux, reprenant implicitement ou, à tout le moins, recoupant, avec certaines différences, la division tripartite de l’universel développée par la tradition néoplatonicienne, d’Ammonius à Albert le Grand en passant par Avicenne[50]. Ainsi, trois modalités d’être différentes mais compatibles échoient à l’universel selon le rapport qu’il entretient avec divers types d’intellect[51].

Premièrement, si l’universel est considéré selon qu’il a sa demeure dans l’intellect incréé du Premier, comme le veulent les « Platoniciens » et comme le soutient également notre auteur-compilateur, autrement dit, si l’universel se trouve dans l’intellect pur — le purus intellectus de la formule boécienne telle qu’elle est interprétée dans les Communia —, il est alors « modèle ou raison d’opérer » (« exemplar siue ratio operandi ») : c’est l’universel « théologique[52] », Idée ou Archétype à l’image duquel ou à partir duquel Dieu crée les choses.

Deuxièmement, si l’universel est considéré en tant qu’il est présent dans l’intellect humain, il est alors « intention ou raison de connaître » (« intentio siue ratio cognoscendi ») : c’est l’universel « logique[53] », concept mental par l’intermédiaire duquel l’homme connaît les choses. Cet intellect humain est appelé « intellect nu » — l’« intellectus nudus » de la formule boécienne telle qu’elle est interprétée dans les Communia — pour deux raisons : soit, et c’est l’interprétation retenue par notre auteur-compilateur, parce qu’il désigne l’« intellect “matériel” de l’enfant » (« intellectus pueri materialis[54] ») — à savoir un intellect originellement vierge bien que naturellement apte à être informé par les espèces intelligibles[55] —, soit, comme certains le pensent (qui ne sont pas identifiés), parce qu’il désigne le fait que l’intention qu’est l’universel est « concausée » (« esse intentionem concausatam ») avec l’intellect humain lui-même ; dans cette optique, dire que les universaux sont dans l’intellect nu signifie que leurs habitus sont innés, qu’ils sont présents dans l’intellect humain avant que celui-ci ne soit pour ainsi dire revêtu des espèces des choses[56].

Troisièmement et finalement, si l’universel est considéré selon qu’il existe « dans les individus » (« in indiuiduis ») — entendons, dans une multiplicité d’étants singuliers —, ce qui constitue, selon notre auteur-compilateur, un mode d’être qui revient de fait à l’universel, ce dernier est alors « une nature, à savoir une forme conséquente à l’individu même, c’est-à-dire une forme qui accomplit l’être tout entier de l’individu » (« natura aliqua, scilicet forma consequens ipsum indiuiduum, scilicet forma complens totum esse indiuidui ») — nous reviendrons un peu plus loin sur ce dernier énoncé : pour l’instant, il suffit de dire que nous sommes ici en présence de l’universel « physique[57] », l’universel qui existe dans la réalité extramentale en tant que principe formel immanent à une pluralité de choses. Relativement à l’intellect, cette prise de position en faveur de la « naturalité » des universaux entraîne inévitablement, pour notre auteur-compilateur, le rejet de la thèse soutenue par certains (dont l’identité n’est pas plus connue que celle des partisans de l’innéisme des universaux dont il a été question précédemment), voulant que l’universel soit dans l’intellect seul — l’intellectus solus de la formule boécienne telle qu’elle est interprétée dans les Communia —, au sens d’un intellect auquel rien ne correspond « dans la réalité extérieure » (« in re extra[58] »). Pour le dire d’une manière affirmative, la position de notre auteur-compilateur, telle qu’elle émerge en filigrane de ses propos, revient à affirmer qu’il existe une adéquation entre l’intention universelle que porte l’intellect humain en lui et la forme ou nature universelle que portent en elles les choses singulières : tout comme l’universel qui est sur le registre du modèle divin n’est pas une nature, mais bien plutôt l’Archétype d’une nature, le « moule » unique suivant lequel des choses d’une même nature sont « fabriquées » par « l’Artisan » divin, ainsi l’intention n’est pas elle-même une nature, mais elle est plutôt l’intention d’une nature (« alicuius nature »), c’est-à-dire une intention qui dérive, qui est tirée d’une nature qui, par ailleurs, existe indépendamment d’elle.

La raison pour laquelle est nécessaire qu’existe l’universel à titre de nature dans la réalité extramentale est fournie par notre auteur-compilateur dans le « Sed contra » de cette même question (1b)[59] : si l’universel n’existait que dans l’intellect seul, s’il n’était qu’un simple concept, il ne pourrait pas être prédiqué de l’individu ; or, la définition de l’universel, sur le plan logique, est précisément d’être ce qui se prédique de l’individu (de plusieurs individus[60]) : donc, l’universel n’est pas seulement dans l’intellect, autrement dit, il détient un « répondant » véritable ex parte rei. Cet argument signe l’impasse à laquelle conduit inévitablement tout conceptualisme strict : pour que l’universel donne véritablement à connaître la structure essentielle du réel, pour qu’il soit ce par quoi l’intellect entend de multiples choses dans leur réelle consonance (pour qu’il soit une intentio détenant une portée réelle) et, en définitive, pour qu’il soit un concept qui signifie de manière sélective, c’est-à-dire un concept qui est capable de s’appliquer avec vérité à une pluralité d’étants singuliers réellement regroupés en genres et en espèces, il faut qu’il y ait dans la réalité extramentale une entité qui lui corresponde, une entité qui soit la condition de possibilité ontique de sa prédicabilité logique, ce qu’est précisément la nature formelle.

L’interprétation de la formule boécienne « in solis nudis purisque intellectibus » que nous propose l’auteur-compilateur des Communia trouve des correspondances dans la littérature artienne de son époque. En fait, dans les commentaires à l’Isagoge des années 1230-1260, deux paradigmes interprétatifs s’affrontent relativement à cette formule boécienne : un premier, dans lequel notre auteur inscrit sa propre lecture, que l’on pourrait nommer « subjectiviste » du fait qu’il opère une diversification du côté des instances intellectives, du côté des sujets des actes d’intellection ; un second, concurrent, que l’on pourrait appeler « objectiviste » du fait qu’il souligne la diversité des objets appréhendés par l’intellect. Les commentaires respectifs de Jean le Page et de Robert Kilwardby relèvent du paradigme « subjectiviste[61] », le commentaire de Robertus Anglicus appartient au paradigme « objectiviste[62] », tandis que Nicolas de Paris, qui est le seul de ce groupe à présenter les deux grilles de lecture, semble adhérer à la première[63]. Ainsi, les tenants du premier modèle herméneutique s’entendent pour identifier l’intellectus nudus avec l’intellect humain et l’intellectus purus avec un intellect qui n’est pas mélangé (non est admixtus ou non habens admixtionem) aux images sensibles (phantasmata) ou à l’imagination (fantasia). Nicolas de Paris et Robert Kilwardby assimilent explicitement les Intelligences célestes (ou les anges) et Dieu à ce type d’intellects qui pensent sans recourir à la sensibilité, et on peut penser que Jean le Page a la même idée en tête, bien que, contrairement à ses deux confrères artiens, il ne fasse pas mention explicite de ces substances séparées de la matière. Dans cette perspective, se demander si les universaux sont « in puris intellectibus » revient à se demander, selon Jean le Page, s’ils sont des intelligibles qui ne dépendent pas des choses sensibles existant dans la réalité extérieure, ou encore, selon Nicolas de Paris et Robert Kilwardby, s’ils sont des « Idées dans l’esprit divin » (« ydee in mente diuina »), position que ces deux commentateurs attribuent à Platon, s’accordant sur ce point avec l’auteur-compilateur des Communia. En ce qui concerne maintenant l’interprétation de l’intellectus nudus, il y a divergence au sein des partisans du premier paradigme quant à savoir ce que désigne précisément la « nudité » de l’intellect humain. Jean le Page et Nicolas de Paris soutiennent une interprétation innéiste du syntagme boécien[64], tandis que Robert Kilwardby lui applique une exégèse abstractionniste. Selon la première de ces deux lectures, la « nudité » de l’intellect humain fait signe vers l’état originel de celui-ci — « in sua prima creatione » pour reprendre l’expression même de Jean le Page et de Nicolas de Paris (dans sa recension munichoise) —, alors que l’intellect était une table rase sur laquelle aucune forme ne se trouvait encore dépeinte. Par conséquent, chercher à savoir si les universaux sont « in nudis intellectibus » équivaut à se demander si les universaux sont par nature dans l’intellect humain, s’ils sont imprimés dans notre intellect au moment où celui-ci est créé, bref s’ils sont innés[65]. L’interprétation de Kilwardby est différente : l’intellect nu fait référence à l’intellect qui, au terme d’un processus d’abstraction, se trouve dénudé d’images sensibles (fantasmata). En effet, pour Kilwardby, l’intellect agent abstrait les espèces intelligibles des phantasmes et il les dépose ensuite dans l’intellect possible, de telle sorte que se produise une intellection en acte : un tel intellect mis à nu au regard des phantasmes correspond justement à l’intellectus nudus de la formule boécienne, telle que la comprend le futur archevêque de Cantorbéry. La répartition de nos auteurs selon les paradigmes « subjectiviste » et « objectiviste » devient inopérante lorsqu’il s’agit de la lecture qu’ils font du syntagme boécien « in solis intellectibus ». En fait, sauf Robert Kilwardby, ils s’accordent tous pour dire que l’intellectus solus désigne un intellect qui ne détient aucun corrélat réel, autrement dit un intellect qui conçoit une fiction (figmentum), une chimère (chimera) ou des non existants (non entia). De ce point de vue, affirmer que les universaux sont « in solis intellectibus » revient à soutenir qu’ils sont de purs produits de l’intellect et que, à ce titre, ils sont dépourvus de toute existence dans la réalité extramentale. Robert Kilwardby, quant à lui, n’accorde aucun statut sémantique autonome à l’épithète « solis ». Celle-ci joue plutôt le rôle d’un marqueur générique qui, selon qu’il est pris en conjonction avec « nudis » ou avec « puris » (c’est soit l’un, soit l’autre), ouvre sur deux spécifications distinctes relativement aux types d’intellects. Le qualificatif « seul » marque ainsi le caractère générique de tout intellect : la séparabilité par rapport aux données de la sensibilité. Lorsque l’adjectif « nu » est apposé au qualificatif « seul », on fait référence alors à l’intellect humain, lequel, comme on l’a vu, peut se séparer des phantasmes grâce à l’abstraction ; lorsque l’adjectif « pur » est apposé au qualificatif « seul », on renvoie alors à l’intellect angélique ou à l’intellect divin qui, comme il a été dit plus haut, sont de soi toujours séparés des phantasmes.

Interprétée à la lumière du paradigme « objectiviste », la formule boécienne « in solis nudis purisque intellectibus » prend un tout autre sens. L’intellect nu est celui qui appréhende la matière sans la forme ; l’intellect pur est celui qui appréhende la forme sans la matière. C’est dans la recension vaticane du commentaire isagogique de Nicolas de Paris que cette curieuse interprétation se trouve le plus amplement explicitée. Tout ce qui existe est soit en puissance, comme la matière, soit en acte, et ceci doublement : soit à titre de principe d’acte, c’est-à-dire la forme elle-même, soit à titre de ce qui est constitué par le principe d’acte, à savoir le composé de matière et de forme. Selon maître Nicolas, le qualificatif « solis » du syntagme boécien indique la privation du composé, c’est-à-dire la présence exclusive de l’un des deux éléments constitutifs du composé. Lorsque ce qualificatif est adjoint à l’épithète « nudis », il désigne la privation de la forme, autrement dit la matière seule ; lorsqu’il est associé à l’épithète « puris », il signifie la privation de la matière, autrement dit la forme seule. Dans cette optique, la première question de Porphyre met en place l’alternative suivante : soit que les universaux subsistent absolument parlant, à savoir en tant que composés concrets, soit qu’ils relèvent d’un des deux termes du composé, auquel cas ils ne peuvent être considérés comme existant au sens vrai du terme : ils sont alors simplement intelligés, soit selon l’intellect nu, par lequel la matière est intelligée, soit selon l’intellect pur, par lequel la forme est intelligée.

3. De la réalité de l’universel

Il est donc manifeste — et pour en (re)venir à la toute première question (1a) posée par notre auteur-compilateur[66] — que ce dernier soutient un point de vue réaliste à l’égard des universaux : l’universel, c’est quelque chose (aliquid) et non pas rien (nichil) ; or, dans un régime de pensée aristotélicien, il ne va pas de soi que l’universel est quelque chose de bien réel dans le monde extérieur. C’est pourquoi notre auteur-compilateur enligne une série d’objections d’ordre ontologique à l’endroit de sa thèse selon laquelle l’universel existe réellement.

Notre auteur-compilateur nous rappelle que, du point de vue prédicamental, l’être est toujours déjà divisé et, par conséquent, tout étant est soit substance, soit accident ; d’autre part, du point de vue des principes constitutifs de la substance, tout ce qui existe, abstraction faite du Premier, est ou matière, ou forme, ou composé des deux (compositum), le composé étant toujours un étant singulier, un « hoc aliquid ». Or, l’universel, dont la notion même implique qu’il soit prédicable de manière univoque, qu’il soit simple et qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des diverses catégories, sans en exclure une quelconque[67], ne correspond à aucune de ces modalités ou « parties » de l’être : il semble donc qu’il ne soit rien. En effet, il n’est pas substance, puisqu’on le retrouve aussi dans les prédicaments accidentels ; mais il n’est pas non plus accident, puisqu’on le retrouve également dans le prédicament de la substance. En outre, l’universel n’est ni matière ni forme, puisque celles-ci ne sont pas prédicables, et, par ailleurs, la simplicité de l’universel nous empêche de le concevoir comme un composé. Ayant ainsi épuisé toute la gamme des possibilités ontologiques, nous sommes, semble-t-il, forcés d’en conclure que l’universel est un pur néant : « Ergo uniuersale nichil est », écrit justement notre auteur-compilateur. À moins qu’on ait oublié une possibilité ontologique en chemin. C’est effectivement le cas. En effet, selon notre auteur-compilateur, il existe deux types de forme. Tout d’abord, il y a la « forma que est partis », la forme qui relève de la partie, à savoir la forme en tant qu’elle est une des deux parties essentielles du composé, autrement dit, la forme en tant qu’« extremum compositi », c’est-à-dire en tant qu’elle est l’un des deux principes opposés dont est constitué le composé, l’autre principe étant évidemment la matière — par exemple, chaque âme intellective est « forma que est partis » pour l’individu humain en lequel elle se trouve. Une telle forme en tant que partie n’est pas prédicable — en effet, nous ne pouvons pas dire : « Pierre est une âme intellective » — et, par conséquent, l’universel n’est pas une forme entendue en ce sens. Or, il y a, en plus, la « forma totius », à savoir, tel que nous l’avons déjà exprimé, « la forme qui accomplit l’être tout entier de l’individu » (« forma complens totum esse indiuidui »), c’est-à-dire non pas la forme comme principe de structuration ou de mise en acte de la matière du composé (ce qui correspond plutôt à la « forma que est partis »), mais bien la forme que revêt le composé tout entier en tant qu’il est, pris dans sa totalité, une nature parfaitement actualisée ; en d’autres termes, on parle ici de la forme qui est « l’ultime perfection de l’individu » (« ultima perfectio ipsius indiuidui ») : bref, il s’agit de l’essence intégrale par laquelle chaque étant est ce qu’il est (« essentia qua unumquodque est id quod est »). Selon notre auteur-compilateur, cette forma totius, prédicable du composé, est précisément l’universel réel[68].

En soutenant une telle doctrine relativement aux universaux, l’auteur-compilateur des Communia se situe en plein dans le main stream théorique de son époque. En effet, ce qui frappe le chercheur qui étudie les commentaires à l’Isagoge des années 1230-1260, c’est le consensus qui règne au sujet du statut ontologique des universaux : tous les Artiens que nous avons rencontrés sur notre parcours heuristique sont réalistes, tous affirment sans ambages que l’universel en tant qu’universel existe dans la réalité extramentale et qu’il ne peut donc être réduit à un simple concept ou terme général. De Jean le Page à l’auteur-compilateur des Communia en passant par Robert Kilwardby, Nicolas de Paris et Robertus Anglicus, bien que chacun emploie une terminologie philosophique qui lui est propre, tous sans exception plaident pour l’existence d’une nature, forme ou essence qui est commune aux multiples êtres singuliers qui la réalisent. Dans le Paris artien des années 1230-1260, la querelle des universaux s’est éteinte. Comprendre pourquoi il en fut ainsi, pourquoi le réalisme s’est alors imposé comme doctrine commune, identifier les facteurs qui ont conditionné l’émergence d’une telle concorde au sujet du « problème de Porphyre », voilà un projet de recherche qui reste à accomplir mais qui, le lecteur en conviendra, dépasse largement les limites imparties à la présente étude.

4. Conclusion

Comme nous avons donc pu le constater, la doctrine des universaux que l’on rencontre dans les Communia logice s’affiche comme un réalisme intégral qui, afin de satisfaire pleinement les réquisits d’une pensée globalisante qui cherche à faire la synthèse entre l’Origine et le créé, l’un et le multiple, l’intelligible et le sensible, pose l’existence d’un universel qui se déploie triplement dans l’être : pour répondre à l’exigence du Fondement en lequel la multiplicité des individus créés trouve sa raison ultime de surgir en ce monde, il affirme la réalité d’un universel archétypal dans l’être incréé du Premier ; pour répondre à l’exigence de l’unité en laquelle s’ordonne la multiplicité des choses singulières, il affirme la réalité d’un universel essentiel ou formel dans l’être créé de la nature ; pour répondre à l’exigence de l’intelligibilité en laquelle se comprend la multiplicité des étants sensibles, il affirme l’existence d’un universel intentionnel dans l’être intellectif de l’existant humain. Ainsi, dans les Communia logice, bien au-delà de l’Isagoge, le thème de l’universel tient lieu de foyer théorétique où convergent théologie philosophique, ontologie et noétique.

III. Ratio edendi

Les Communia logice (pour s’en tenir à eux) nous ont été préservés, comme on l’a déjà signalé, dans le manuscrit de Paris, Bibliothèque nationale de France, fonds latin 16617, folios 171ra-183rb. On en trouvera éditées ci-dessous les portions correspondant à la brève introduction générale à la « Vieille logique » et aux rameaux de questions sur l’Isagoge de Porphyre ; portions qui couvrent les folios 171ra-172vb du manuscrit.

Le texte de notre édition s’efforce évidemment de reproduire avec acribie son unique témoin manuscrit, sauf aux endroits où il était manifestement fautif. Chacune des interventions effectuées sur ce manuscrit de Paris (commodément désigné par le sigle P) est notée dans l’apparat critique. D’une manière générale, les abréviations mises à profit dans nos notations critiques suivent les us et coutumes de l’ecdotique et n’appellent pas de remarques particulières, sauf, peut-être, dans le cas suivant : les leçons se révélant être le premier jet du copiste sont notées par un « p » minuscule devant le sigle du manuscrit (donc ici, pP signifie « premier état de P ») ; de même, les leçons issues ultérieurement de l’auto-correction du copiste sont notées par un « s » précédant le sigle du manuscrit (sP signifiant alors « second état de P »). Contrairement à ce qui se produit massivement dans le secteur (fol. 194ra-200va, 201ra-206vb) du manuscrit Paris, BnF, lat. 16390 occupé par les deux autres textes didascaliques apparentés que sont le De communibus artium liberalium et les Questiones mathematice, nous n’avons pas noté d’interventions autographes de Pierre de Limoges dans les folios du manuscrit Paris, BnF, lat. 16617 couverts par les Communia logice : le sigle Li qui servait à consigner ces interventions dans nos éditions du De communibus artium liberalium et des Questiones mathematice est donc ici absent de l’apparat des leçons.

En l’absence de numérotation quinqualinéaire, l’apparatus lectionum de l’édition, somme toute peu volumineux, n’a pas été matériellement distingué de l’apparatus fontium. Ce dernier tâche de fournir, comme il se doit, les coordonnées de toutes les références ou citations (essentiellement de Porphyre, d’Aristote, de Boèce et d’Averroès), avec, en outre, certains lieux parallèles remarquables, que l’on rencontre principalement dans d’autres textes didascaliques provenant de la Faculté des Arts de l’Université de Paris au xiiie siècle et les dossiers bibliographiques pertinents. De plus, toutes les fois qu’une citation présente dans les Communia logice se retrouve sous forme d’adage dans les Auctoritates Aristotelis, nous avons fait référence à ce florilège médiéval, qui, certes, leur est un peu postérieur, mais qui s’appuie néanmoins sur des recueils de citations plus anciens semblables à ceux que l’on devait utiliser à l’époque de notre auteur-compilateur.

Comme une édition critique se doit de respecter l’ancrage historique d’un texte, nous avons ici essentiellement suivi l’orthographe médiévale du manuscrit, sans la « normaliser » en l’alignant arbitrairement sur l’usage scolaire d’aujourd’hui. On ne s’étonnera donc pas de l’éventuelle fluctuation des graphies, de l’absence de diphtongues (plus précisément, de ligatures) ou de la présence de formes — surprenantes pour nous, mais alors courantes — comme Aristotilis, dialecticus, diffinitio, Ysagoge, Methaphisica, Periarmenias, Porphirius, sillogismus, etc. La première occurrence des mots orthographiés de façon telle qu’on pourrait facilement croire à une erreur typographique (ainsi aprehendendum, habundat, iusta, necque et repperiretur) est confirmée en note par un sic (ce dernier étant aussi utilisé en quelques endroits pour attirer l’attention sur un terme surprenant d’un point de vue grammatical, comme : que au lieu de quod ; etc.).

Toutefois, la ponctuation des manuscrits différant grandement de nos usages modernes — celle du ms. Paris, BnF, lat. 16617 ne faisant pas exception à la règle —, nous avons opté, afin de faciliter l’intelligence du texte, pour une ponctuation forte qui charpente la phrase et en fait ressortir les articulations logiques.

De même, l’emploi des majuscules n’étant pas systématique dans le manuscrit, c’est nous qui en avons mis une principalement : 1. en tête de toute nouvelle phrase ; 2. à tous les noms propres, ainsi qu’aux mots devenus tels par antonomase — par exemple, Commentator pour désigner Averroès ou bien Primus pour signifier Dieu ; 3. au premier élément des titres d’ouvrages.

Dans le texte de l’édition, l’italique a été utilisé à la fois pour mettre en évidence les titres de livres et pour faire ressortir, dans les citations, les mots reproduits littéralement ou presque littéralement. Toutes les suppléantes sont insérées entre crochets obliques < > ; dans le même ordre, trois astérisques entre crochets obliques <***> indiquent une lacune (dont la cause est généralement précisée en note). Quant aux crochets droits [ ], ils indiquent que, selon l’éditeur, un passage doit être retranché (ailleurs — c’est-à-dire dans la préface et l’apparat des sources — ces derniers crochets encadrent aussi parfois un commentaire personnel, ou tout autre élément hétérogène, inclus dans une citation, quand ils ne sont pas simplement employés en alternance avec les parenthèses). La division du texte en paragraphes est de nous. Il en va de même pour les sous-titres correspondant aux articulations majeures du texte, lesquels par conséquent ont été insérés entre crochets obliques et, pour éviter toute confusion, donnés en français. Ces derniers encadrent également notre numérotation des arguments en faveur de la position dialectique, dont les réfutations, pareillement encadrées, portent le même numéro suivi d’un astérisque. Dans le texte de l’édition toujours, les numéros de folios apparaissant en caractères gras entre parenthèses sont bien sûr ceux du manuscrit 16617.

Le titre Communia logice dérive directement de la mention de donateur qu’on lit au folio 224v du manuscrit 16617 : « Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbonna ex legato m. Petri de Lemouicis quondam socii domus huius. In quo continetur tractatus uel ars opponendi et respondendi, communia grammatice et logice. Pretii xxx l. Cathenetur 12us inter logicales ».

IV. Le texte

Communia logice(Extrait : Début) ms. Paris, BnF, lat. 16617, fol. 171ra-172vb

<1. Introduction> <La « Vieille logique » est-elle nécessaire ?>

§ 1 (fol. 171ra) <C>onsequenter queritur de necessitate ueteris logices[69].

§ 2 <1> Cum enim logica diuidatur in artem diuidendi, diffiniendi et colligendi[70] et hec omnia determinantur sufficienter in noua logica[71], uidetur quod libri ueteris logices[72] non sint de integritate logices.

§ 3 <2> Item, querebatur qualiter libri Boecii ordinantur ad libros Aristotilis.

§ 4 <1*> Ad hoc dicendum est quod ars diuidendi, diffiniendi et colligendi traduntur sufficienter in noua logica quantum ad sua principia formalia ; et quantum ad suam materiam propinquam et remota<m>, non cadunt in eadem scientia[73]. Et propter hoc exiguntur quidam libri in quibus determinantur principia materialia complexa et incomplexa in remota dispositione ad artem colligendi ; et huiusmodi autem principia materialia determinantur in libro Predicamentorum et Periarmenias.

§ 5 Nam liber Predicamentorum determinat de principiis materialibus incomplexis, ut de .X. generibus rerum, prout sunt in remota dispositione ad scientiam iudicatiuam et inuentiuam ; in libro uero Periarmenias determinatur de principiis materialibus complexis prout sunt in remota dispositione ad artem inueniendi et iudicandi : enuntiatio enim, in libro Periarmenias determinata, potest fieri propositio dialectica et demonstratiua[74]. Sic ergo de integritate ueteris logices sunt tantum duo libri, scilicet liber Predicamentorum et liber Periarmenias.

§ 6 <2*> Alii uero sunt magis de bene esse et traditi causa explanationis, ut liber Sex principiorum agit de sex formis de quibus breuiter erat actum in scientia Predicamentorum. Scientia uero Topicorum Boecii ad Topica Aristotilis ordinatur tanquam introductoria manifestando locos et differentias locorum, qui loci sunt formalia principia sillogismi dialectici. Liber uero Porphirii introductorius est ad scientiam Predicamentorum Aristotilis ; unde dicitur Ysagoge Porphirii, id est Introductiones in Predicamenta Aristotilis.

§ 7 Nam in linea predicamentali sunt quedam suprema — et hec[75] sunt genera —, et quedam infima — et hec sunt species —, quedam collateralia — et hec sunt differentie iusta[76] genus, proprium iusta speciem, accidens commune iusta indiuiduum —, et quodlibet horum est uniuersale. Et ita ad cognitionem horum requiritur cognitio uniuersalis. Et ita requiritur scientia Porphirii, in qua agitur de uniuersali.

§ 8 In libro uero Diuisionum determinantur quedam utilia ad artem diuidendi et diffiniendi. Vnde artem diuidendi et diffiniendi tradit Boecius eodem libro explanatiue, quas magis occulte determinat Aristotiles in secundo Posteriorum[77].

<2. Autour du Livre de Porphyre >

§ 9 <C>irca Librum Porphirii :

<2.1> <L’universel est-il quelque chose ?>

§ 10 Queritur primo utrum uniuersale sit aliquid.

§ 11 Et ostenditur quod non, quoniam :

§ 12 <1> Omne quod est aut est substantia, aut accidens. Sed uniuersale non est substantia, quia tunc non repperiretur[78] in genere accidentis, quod falsum est ; neque accidens, quia tunc non repperiretur in genere substantie. Si dicatur quod non est in genere sed transcendit omne genus, tunc uidetur quod uniuersale non sit uniuocum quid, sed analogum ; sed hoc est falsum, cum uniuersale secundum quamlibet sui differentiam dicatur esse quid uniuocum.

§ 13 <2> Item, omne quod est citra Primum aut est materia, aut est forma, aut compositum. Sed uniuersale non est materia neque forma, cum nullum istorum sit predicabile et uniuersale predicetur. Item, non est (fol. 171rb) compositum, cum dicatur quod[79] est esse simplex. Ergo uniuersale nichil est.

§ 14 Ad oppositum, quoniam uniuersale demonstrat indiuiduum — dicitur enim Socrates homo ab ipsa forma uniuersali quam participat —, hoc autem non esset si uniuersale nichil esset.

§ 15 Item, illud per quod separatur aliquid ab aliquo est natura aliqua, sed Socrates et Brunellus distinguntur penes sua uniuersalia et reponuntur sub diuersis speciebus eorum ; ergo ipsum uniuersale aliquid est.

§ 16 Ad hoc dicendum est quod uniuersale est natura aliqua : est enim forma consequens compositum, que est ultima perfectio ipsius indiuidui. Et secundum hoc, uniuersale, methaphisice loquendo, est essentia qua unumquodque est id quod est nomine absoluto.

§ 17 <1*> Ad obiectum[80] in contrarium dicendum quod de uniuersali est loqui dupliciter : aut ratione huiusmodi intentionis que est uniuersale, et hoc modo transcendit omne genus ; aut ratione sue essentie, et hoc modo uniuersale non transcendit omne genus, sed sunt diuersa uniuersalia in diuersis generibus. Ipsa uero intentio qua unumquodque dicitur uniuersale transcendit omne genus.

§ 18 <2*> Ad aliud dicendum est quod uniuersale neque est materia, neque compositum, sed est forma. Sed duplex est forma : forma que est partis, et forma totius[81]. Forma que est partis non est predicabilis, cum sit extremum compositi, forma uero totius predicabilis est, et huiusmodi forma est uniuersale complens totum esse indiuidui.

<2.2> <L’universel est-il dans le seul intellect ?>

§ 19 Postea querebatur utrum uniuersale esset in solo intellectu.

§ 20 Et ostenditur quod sic :

§ 21 <1> Dicit enim Boecius[82] quod singulare est dum sentitur, uniuersale uero dum intelligitur ; ergo uniuersale est in intellectu[83] et non in sensu.

§ 22 <2> Item, dicit Commentator[84] supra primum De anima quod intellectus uniuersalitatem operatur in rebus. Ergo uniuersale est in intellectu distincte, sic ergo est in solo intellectu.

§ 23 Ad oppositum est ratio quia quod est in solo intellectu non predicatur de indiuiduo, sed uniuersale est quod predicatur de indiuiduo, ergo uniuersale non est in solo intellectu.

§ 24 Ad hoc dicendum est quod triplex est intellectus : est enim purus intellectus, et hoc est intellectus increatus ; alius est intellectus nudus, et hoc est intellectus pueri materialis ad specierum receptionem ; tertio modo est intellectus cui[85] nichil respondet in re, et hoc est intellectus solus, ut intellectus humanus, quando sibi in re nichil respondet.

§ 25 Dixerunt ergo Platonici quod uniuersale est idea existens in intellectu[86] Primi, et ita ponebant uniuersale esse in puro intellectu. Alii uero posuerunt uniuersale esse intentionem concausatam cum ipso intellectu, et isti posuerunt uniuersale esse in nudo intellectu ; unde posuerunt habitus uniuersalium esse innatos[87] cum nostro intellectu. Alii uero posuerunt uniuersale esse in solo intellectu, ita quod in re extra nichil sibi respondeat.

§ 26 Aliter dicendum est quod [scilicet] uniuersale est <in> intellectu Primi, et est in intellectu humano, et est in indiuiduis. Nam in quantum est in intellectu Primi, est exemplar siue ratio operandi ; in quantum uero est in intellectu humano, est intentio siue ratio cognoscendi : et neutro istorum modorum est aliqua natura, sed alicuius nature ; in quantum uero est in indiuiduis, est natura aliqua, scilicet forma consequens ipsum indiuiduum, scilicet forma complens totum esse indiuidui.

§ 27 <1*> Ad obiectum in contrarium dicendum quod non intendit dicere Boecius[88] quod uniuersale sit in solo intellectu, sed intendit dicere quod uniuersale in quantum huiusmodi est quid intelligibile, singulare uero (fol. 171va) in quantum huiusmodi est quid sensibile.

§ 28 <2*> Ad aliud dicendum est quod uerbum Commentoris[89] sic est intelligendum : quod intellectus operatur uniuersalitatem in rebus[90], id est uniuersale aprehendendum[91] existens in rebus intellectis[92].

<2.3> <L’universel est-il un nom ou une chose ?>

§ 29 Postea querebatur utrum uniuersale sit res uel nomen.

§ 30 Quod autem esse res ostendebatur, quoniam :

§ 31 <1> Porphirius ipsa uniuersalia uocat res, dicens harum rerum speculatione[93], etc.

§ 32 <2> Item, demonstratio fit de rebus, cognitio ex uniuersali fit[94] demonstratio : erit uniuersale res[95].

§ 33 Ad oppositum. Quia omnis res est ‘hoc aliquid’, sed uniuersale non est hoc aliquid, ergo uniuersale non <est> res.

§ 34 Item, omnis res aut est creata aut increata ; sed uniuersale non est <res> increata ; sed patet de se necque[96] res creata, cum omnis creatio terminatur ad hoc aliquid ; ergo uniuersale non est res, sed magis sermo.

§ 35 Ad hoc dicendum est quod uniuersale est res.

§ 36 <1*> Ad obiecta dicendum quod uniuersale est hoc aliquid ratione essentie, non tamen[97] ratione suppositi siue esse.

§ 37 <2*> Ad aliud dicendum est quod, cum creatio sit actio, terminatur ad hoc aliquid primo et per se, ad uniuersale uero terminatur ex consequenti. Vnde terminus primus creationis est hoc aliquid, terminus uero creationis per accidens non est hoc aliquid. Vniuersale ergo non creatur in se, sed creatur in alio, et ita non oportet quod sit hoc aliquid.

<2.4> <L’universel est-il un en plusieurs ?>

§ 38 Querebatur post utrum uniuersale sit unum in multis.

§ 39 Et uidetur quod non, quoniam :

§ 40 <1> Vniuersale est quid creatum aut concreatum, sed nulla natura creata potest simul et semel esse in diuersis ; ergo uniuersale unum existens non poterit esse unum in multis.

§ 41 Ad oppositum est quod dicit Aristotiles[98] in Posterioribus quod oportet uniuersale esse unum in multis, ad hoc quod sitdemonstratio.

§ 42 Ad hoc dicendum est quod uniuersale est forma consequens compositum, existens in multis et probabilis de multis, sicut dicit Aristotiles.

§ 43 Ad obiectum in contrarium dicendum est quod uniuersale, ut est intentio in anima, potest esse sine indiuiduis, sicut dicitur in secundo Posteriorum[99] quod uniuersale est existens unum preter multa, quiescens in anima ; ipsum uero uniuersale ratione sue essentie est in multis et de ipsis predicatur et non separatur ab eis.

§ 44 <1*> Ad rationem dicendum est quod nulla natura que est hoc aliquid potest esse simul et semel in multis ; uniuersale uero non est huiusmodi natura ratione sui esse : non enim est creatum, sed concreatum in alio. Et tale nichil impedit simul esse in multis.

<2.5> <Pourquoi les cinq universaux ne peuvent-ils pas être le sujet du Livre de Porphyre ?>

§ 45 Consequenter queritur, cum quinque uniuersalia determinata in Libro Porphirii non possint[100] facere subiectum, queritur quid sit ponendum pro subiecto in Libro Porphirii.

§ 46 Quod autem ipsum uniuersale non possit esse subiectum, ostenditur tali ratione :

§ 47 <0.1> Nam subiectum in scientia debet esse uniuocum, sed uniuersale non est commune uniuocum ad quinque uniuersalia ; ergo uniuersale non poterit esse subiectum commune. Maior manifesta est. Minor autem probatur sic : quedam enim sunt uniuersalia substantialia, ut genus, species et differentia ; alia sunt uniuersalia accidentalia, ut proprium et accidens. Sed nichil est uniuocum ad substantiam et accidens ; ergo hoc ipsum uniuersale non poterit esse commune uniuocum ad quinque uniuersalia, unde non subicietur in Libro Porphirii.

§ 48 <0.2> Item, diuersorum diuersa sunt subiecta, sed uniuersale est subiectum in libro Predicamentorum ; ergo non poterit esse subiectum in Libro Porphirii. Quod autem uniuersale sit subiectum in libro Predicamentorum, ostenditur sic : quoniam ordinabile in genere est uniuersale, et subiectum uniuersale ordinatur in genere, cum ergo uniuersale sit quoddam commune ad omnia (fol. 171vb) genera que determinantur in libro Predicamentorum, erit uniuersale et subiectum. Ergo non subicientur in Libro Porphirii huiusmodi genera.

§ 49 <1> Queritur qualiter differenter[101] agitur de uniuersali in Libro Porphirii, et in Predicamentis, et in Methaphisica[102].

§ 50 <2> Item, queritur qualiter cognitio uniuersalium sit utilis ad diffinitionem, et ad diffinitionum assignationem, et ad diuisionem et demonstrationem[103].

§ 51 <1*, 0.2*> Ad primum dicendum est quod uniuersale triplicem habet acceptionem : potest enim accipi in quantum est essentia quedam absoluta ; secundo modo potest accipi in quantum est sub actu subiciendi et predicandi ; tertio modo potest accipi in quantum est res ordinabilis in predicamento. Primo modo consideratur a methaphisico. Secundo modo est subiectum in Libro Porphirii : subicitur enim uniuersale ut est subicibile uel predicabile. Tertio modo est subiectum in libro Predicamentorum : ibi enim subicitur uniuersale ut est ordinabile in genere uel ratione ordinis quam habet in predicamento. Sic ergo dicendum quod in Libro Porphirii non subiciuntur quinque uniuersalia, sed uniuersale relatum ad actum subiciendi uel predicandi.

§ 52 <2*…>

§ 53 <0.1*> Ad obiectum in contrarium dicendum est quod non oportet ad hoc quod aliquid sit subiectum in scientia quod sit ponere uniuocum, sed sufficit quod sit analogum dictum per prius et posterius de suis inferioribus. Vnde hoc uniuersale non sit uniuocum ad sua uniuersalia, est tamen quoddam[104] analogum dictum per prius de genere, et specie, et differentia ; per posterius, de proprio et accidente.

<2.6> <Pourquoi y a-t-il cinq universaux ?>

§ 54 <1> Consequenter queritur propter quid sint quinque uniuersalia.

§ 55 <2> Item, cum diffinitio sit predicatum in Topicis[105], propter quid non sit uniuersale predicabile [predicabile] apud Porphirium, cum predicatum dicatur ad predicabile et econuerso.

§ 56 <3> Item, propter quid species non sit predicatum in Topicis, cum sit predicabile apud Porphirium[106] ; sic ergo uidetur quod deberent esse plura uniuersalia quam dicta quinque.

§ 57 <1*> Ad primum dicendum est quod uniuersale est id quod est natum predicari de pluribus, sicut dicit Aristotiles in libro Periarmenias[107] ; sed omne quod predicatur in pluribus[108], aut predicatur ‘in quid’, aut ‘in quale’. Si in quid, aut ergo predicatur de illis que differunt specie, aut de hiis que differunt numero solo. Primo modo est genus, secundo modo species. Vnde genus et species differunt secundum maiorem ambitum et minorem, sicut in pluribus locis dicit Aristotiles[109]. Si autem sit predicabile in quale, aut predicatur in quale accidentale, aut substantiale. Secundo modo est differentia. Si uero predicatur in quale accidentale, hoc est dupliciter : quia aut enim causabitur a propriis principiis subiecti, aut communibus. Si a propriis principiis subiecti, sic est proprium, quod conuertibiliter predicatur. Si uero causetur a communibus principiis subiecti, sic est commune accidens. Per hoc manifestum est congrue ordo .V. uniuersalium apud Porphirium : preordinat enim uniuersalia predicabilia in quid ante[110] illa que predicantur in quale.

§ 58 <2*-3*> Ad alia duo patet solutio per ea que dicta sunt supra librum Topicorum[111].

<3. Du genre>

§ 59 <1> Consequenter querebatur, cum genus et species sint uniuersalia distincta, propter quid proponat insimul <quod> genus et species dicuntur multipliciter et non simpliciter.

§ 60 <2> Item, si genus et species dicantur multipliciter, ergo sunt equiuoca et sic non erunt uniuersalia, cum uniuersale debeat esse uniuocum (fol. 172ra) ad inferiora.

§ 61 <3> Item, queritur quot modis dicatur genus et in qua significatione de ipso genere intendat Porphirius.

§ 62 <4> Item, si locus uno modo dicitur genus propter hoc quod est id in quo fit generatio, queritur propter quid tempus similiter non dicitur genus, cum in tempore fiat generatio sicut in loco.

§ 63 <5> Item, diffinit Porphirius genus de quo intendit dupliciter. Vno modo sic : genus est cui supponitur species[112] ; alio modo sic : genus est quod predicatur de pluribus differentibus specie[113], etc. Et queritur de ipsa diffinitione, cum enim differentie supponantur species, uidetur quod differentia sit genus.

§ 64 <6> Item, propter quid dicatur genus predicari in quid.

§ 65 <7> Item, si genus dicit quid et etiam diffinitio est oratio indicans quid est esse, qualiter differenter sumatur quid hinc et inde.

§ 66 <1*> Ad primum dicendum quod genus dicitur ad speciem et econuerso : sunt enim relata. Et ideo insimul proponit quod genus et species dicuntur multipliciter : sunt enim relata genus et species ratione intentionum, non autem ratione essentiarum.

§ 67 <2*> Ad aliud dicendum est quod genus et species, ut sunt uniuersalia, non dicuntur multipliciter. Necque sic intendit de genere et specie, sed genus et species multipliciter dicuntur ratione suarum intentionum ; et in una significatione illarum intendit Porphirius de ipsis. Et sic sunt uniuersalia.

§ 68 <3*> Ad aliud dicendum est quod genus habet tres significationes. Primo dicitur genus collectio aliquorum habentium quodam modo ad unum aliquid <et> ad se inuicem[114]. Et hoc modo collectio Romanorum dicitur esse genus propter habitudinem quam habent ad Romulum qui fuit pater eorum. Et ex hoc etiam habent habitudinem affiliationis[115] a se inuicem. Secundo modo dicitur genus quod est principium generationis[116], sed principium generationis potest esse uel sicut pater, uel sicut locus. Et hoc modo pater <et> patria sunt principium generationis ; sed pater est principium efficiens, patria uero principium continens. Tertio modo dicitur genus cui supponitur species[117]. Intendit autem Porphirius de genere in hac ultima acceptione et non in primis duabus.

§ 69 <4*> Ad aliud dicendum est quod tempus plus est causa corruptionis quam generationis : fit enim corruptio in tempore siue a tempore. Locus autem est principium conseruationis : conseruatur enim unusquisque in suo loco proprio. Et ideo dicitur locus principium generationis, non sic autem tempus.

§ 70 <5*> Ad aliud dicendum est quod licet differentie supponantur species, non tamen[118] in linea recta, sed magis lateraliter ; illud autem est genus cui supponitur species directe et non lateraliter.

§ 71 <6*> Ad aliud dicendum est quod genus dicit quid speciei ; et propter hoc ad questionem factam de specie per quid, nec quid est homo, habet responderi ergo dicendo : homo est animal. Et propter hoc dicit Porphirius quod genus predicatur in quid de specie ; et similiter species predicatur in quid de indiuiduo.

§ 72 <7*> Ad aliud dicendum est quod diffinitio dicit perfectam et completam quidditatem speciei ; genus uero dicit quidditatem incompletam, quoniam partem quidditatis speciei.

<4. De l’espèce>

§ 73 <1> Postea querebatur quot modis dicatur species et <in qua acceptio>ne[119] dicatur species uniuersale apud Porphirium.

§ 74 <2> Item, cum <genus dicatur cui supponitur species[120]***>[121] : est enim species <ea>[122] que est sub assignato genere[123] <***>[124]. Et ita uidetur quod idem per se (fol. 172rb) ipsum diffinitur.

§ 75 <3> Item, quot sunt diuerse[125] species posite a Porphirio.

§ 76 <4> Item queritur propter quid species dicatur predicari de pluribus differentibus numero : unitas enim non est numerus, sed est principium numeri. Sed omnia indiuidua conueniunt in unitate[126] ; ergo ipsa non differunt numero.

§ 77 <5> Item, si indiuidua differant numero, ergo differunt aut binario aut ternario, sed nullum istorum potest assignari.

§ 78 <1*> Ad primum dicendum est quod species <habet> duas acceptiones. Vno modo idem est species quod forma siue recta membrorum dispositio, et ista non est uniuersale. Alio modo dicitur species que[127] ponitur sub genere, et hoc[128] est uniuersale ; de qua intendit Porphirius, quod species ponitur sub genere in recta linea, differentia uero magis a latere. Et propter hoc nulla est obiectio.

§ 79 <2*> Ad aliud dicendum est quod relatorum esse est ad aliud se habere ; unde forma relata est in aliquo sicut in subiecto, et in alio sicut in termino ; et non contrahit esse a subiecto, sed magis a termino. Et propter hoc quodlibet relatum per suum correlatum potest diffiniri tamquam per suum terminum, sicut habetur in sexto Topicorum[129] ; nec est circularis diffinitio cum aliquando accipiatur relatum in ratione termini, aliquando in relatione ad subiectum. Et sic sumitur hinc et inde differenter.

§ 80 <3*> Ad aliud dicendum est quod species que est uniuersale habet tres diffinitiones. Vno modo diffinitur sic : species est que[130] ponitur sub genere[131]. Alio modo, sic : species est que[132] ponitur sub genere et de qua genus in eo quod quid sit predicatur[133]. Et iste due diffinitiones conueniunt speciebus subalternis et speciebus specialissimis. Dicitur autem species subalterna que potest esse genus et species ; species specialissima est illa que sic est species quod non[134] est genus. Tertio modo diffinitur sic : species est quod predicatur de pluribus differentibus numero in eo quod quid <sit>[135], et hec diffinitio conuenit soli[136] speciei specialissime. Et si quis dicatur quod dicta diffinitio conuenit generi, dicendum est quod illa diffinitio intelligitur tamen[137] ex conclusione : nam species predicatur de pluribus differentibus numero, genus uero de hiis et de aliis.

§ 81 <4*-5*> Ad aliud dicendum est quod aliqua differunt numero dupliciter. Vno modo quia participant oppositas differentias in numero, et hoc modo tres homines et quatuor homines differunt numero ; et hoc modo indiuidua non differunt numero. Alia uero dicuntur[138] differre numero que ponuntur in numerum per suas proprietates accidentales ; et hoc modo indiuidua differunt numero.

<5. De la différence>

§ 82 <1> Consequenter queritur quare diuidit Porphirius differentiam in communem, propriam et magis propriam[139] ; queritur tunc cuius esset hec diuisio.

§ 83 <2> Item, cum differentia dicatur multipliciter[140], queritur in qua acceptione differentia sit uniuersale.

§ 84 <3> Item, <cum> differentia communis sit accidens, accidens uero non sit differentia, sed uniuersale ex opposito diuisum contra differentiam, querebatur qualiter differentia possit diuidi per huiusmodi accidens.

§ 85 <4> Item, queritur quot modis habeat diffiniri differentia uniuersale.

§ 86 <5> Item, cum differentia substantialis sit differentia substantie[141], propter quid predicatur differentia in quale et non in quid.

§ 87 <6> Item, ostendebatur quod accidens esset differentia. Nam differentia predicatur de pluribus differentibus in eo quod quale[142], sed accidens commune est huiusmodi ; ergo idem erit cum differentia.

§ 88 <1*> Ad primum dicendum est quod diuisio differentie in communem, propriam et magis propriam est diuisio uocis in significationes suas : dicitur enim equiuoce ipsa differentia de dictis membris. Nam differentia communis et propria sunt differentie accidentales et faciunt differre (fol. 172va) accidentaliter, sed differentia magis propria est differentia substantialis et facit differre essentialiter.

§ 89 <2*> Ad aliud dicendum est quod differentia magis propria est uniuersale, hoc enim est differentia specifica que adueniens generi facit speciem ; et hoc est uniuersale de quo intendit in parte illa.

§ 90 <3*> Ad aliud dicendum est quod accidens commune potest comparari ad subiectum[143], et hoc modo accidens proprie appellatur ; uel potest comparari ad subiectum a quo est et in quo non est, et sic est differentia communis, et hoc modo accidens potest esse differentie et differentia accidentis[144] ; non tamen differentia specifica de qua intendit.

§ 91 <4*> Ad aliud dicendum est quod quadruplex est eius diffinitio. Prima talis est : differentia est qua habundat[145] species a genere[146]. Secunda talis est : differentia est que de pluribus differentibus specie in eo quod quale predicatur[147]. Et iste due diffinitiones[148] conueniunt differentie constitutiue, alie uero due conueniunt differentiis diuisiuis. Quarum prima talis est : differentia est quod aptum natum <est> diuidere ea que sunt sub eodem genere[149] ; secunda talis est : differentia est qua differunt a se singula[150].

§ 92 <5*> Ad aliud dicendum est quod in diffinitione genus habet modus materie, differentia modus forme. Vnde licet differentia sit substantialis, quia tamen est forma et qualitas substantialis speciei, dicitur predicari in quale substantiale. Notandum tamen quod licet differentia de se sit substantialis, non tamen dicit quid speciei nisi prout ordinatur cum genere. Et hoc est quoniam essentia differentie dependet ab essentia generis et non econuerso. Essentia generis magis est essentia absoluta ; et propter hoc genus dicit quid speciei, differentia uero magis quale.

§ 93 <6*> Ad aliud dicendum est quod differentia predicatur in quale substantiale, sicut dictum est ; accidens uero in quale accidentale, et sic differunt.

<6. Du propre>

§ 94 <1> Postea queritur in quo differat proprium prout predicatum in Topicis[151], et predicabile in Libro Porphirii[152].

§ 95 <2> Item, cum omne proprium sit accidens, uidetur quod proprium non debet connumerari contra accidens.

§ 96 <3> Item, quot significationes ponat proprii Porphirius et in qua significatione de proprio intendat Porphirius[153].

§ 97 <4> Item, cum Aristotiles in libro Topicorum ponat tres significationes proprii (dicit enim quod quoddam est proprium ‘quando’, et est quoddam proprium ‘semper’, et quoddam proprium ‘ad alterum’)[154], propter quid Porphirius ponit .IIII. significationes[155] queritur.

§ 98 <1*> Ad primum dicendum est quod proprium dicitur predicatum in Topicis[156] in relatione ad subiectum de quo natum est construi uel destrui per considerationes topicas. Dicitur autem predicabile a Porphirio[157] in relatione ad speciem et indiuidua speciei de quibus aptum natum est predicari.

§ 99 <2*> Ad aliud dicendum est quod proprie proprium habet causam radicatam in subiecto : unde cum illo subiecto conuertitur ; accidens uero commune non, sed magis habet causam communem.

§ 100 <3*> Ad aliud dicendum est quod quadruplex est proprium. Vno modo dicitur proprium quod conuenit soli speciei, et licet non omni[158] ; ut esse gramaticum soli homini, et hoc non omni. Secundo modo est proprium quod accidit omni, licet non soli[159] ; ut esse bipedem homini[160] est proprium, et hoc reponitur sub proprio ‘ad alterum’ in Topicis[161]. Tertio modo est proprium quod inest omni speciei, et soli, et aliquando non tamen semper ; ut canescere in senectute conuenit homini[162]. Quarto modo dicitur proprium quod conuenit omni, et soli, et semper[163] ; et hoc <est> ‘proprie proprium’[164], quod est uniuersale apud Porphirium, et hoc idem appellatur ‘propria (fol. 172vb) passio’ in demonstratiua scientia. Primi[165] uero tres modi sunt proprii secundum quid. Nam proprium primo modo dictum deficit a proprio simpliciter in hac condicione ‘omni’ ; proprium uero secundo modo dictum in hac condicione ‘soli’ ; proprium uero tertio modo dictum deficit in hac condicione ‘semper’.

§ 101 <4*> Ad aliud dicendum est quod Porphirius duos modos[166] proprii comprehendit sub proprio ‘ad alterum’, tertio modo dicitur proprium ‘quando’ et quarto modo proprium ‘semper’.

<7. De l’accident>

§ 102 Consequenter queritur de diffinitione accidentis quam Porphirius ponit : dicit enim quod accidens est quod adest et abest preter subiecti corruptionem[167].

§ 103 Contra obicitur communiter, quoniam :

§ 104 <1> Mors erit accidens et tamen non adest et abest preter subiecti corruptionem.

§ 105 <2> Item, dicte diffinitioni[168] repugnat diuisio sequens quod quoddam est accidens separabile, quoddam inseparabile : nam accidens inseparabile non abest preter subiecti corruptionem.

§ 106 <1*> Ad primum dicendum quod sic dicitur communiter quod licet mors et combustio sua prima substantia aliqui uocant elementa in quibus fit resolutio per mortem et combustionem[169] ; uel potest dici probabiliter quod licet preter subiecti corruptionem determinat hoc uerbum ‘abest’ et non hoc uerbum ‘adest’, ut sit sensus quod accidens sit illud quod adest et abest aliquando preter subiecti corruptionem.

§ 107 <2*> Ad aliud dicendum est quod licet nigredo semper insit coruo actualiter, potest tamen intelligi abesse preter subiecti corruptionem, cum non sit coruo essentialis. Nam dato quod natura[170] esset coruus albus, nichilominus esset coruus[171].