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Cette étude, qui semble être le fruit d’une recherche doctorale mais ne le spécifie pas, entend réhabiliter la présence effective des métaphores christologiques sacrificielles chez Paul, en prenant nommément le contre-pied, entre autres, de Hudson McLean (p. 5, 123), Stanley Stowers (p. 123), Otfried Hofius (p. 179-186) et Sam Williams (p. 207) qui militent pour une interprétation non sacrificielle des écrits pauliniens. Deux questions gouvernent l’analyse, mais sont parfois perdues de vue en cours de route. Quelle est la logique « métaphysique » des métaphores de Paul ? Qu’est-ce que ces métaphores disent de Dieu ? Selon l’A., des indices sont donnés dans la manière dont Paul amalgame les métaphores et les hiérarchise : même si Paul emploie plus les métaphores sociales (dont la justification) pour parler de la mort de Jésus et de ses effets, il demeure que les métaphores cultuelles sont le fondement de sa sotériologie. De plus, ces métaphores sont cohérentes entre elles. D’emblée, ces postulats orientent l’analyse.

Un parcours en cinq chapitres est proposé. Comme son titre l’indique, le premier chapitre vise à rendre compte de « la » logique du sacrifice, pour un lecteur moderne. On y trouve donc la revue de diverses théories anthropologiques concernant le sacrifice (Edward Tylor, William Robertson Smith, Henri Hubert et Marcel Mauss, Maurice Bloch, Mary Douglas, René Girard et Robert Hamerton-Kelly), puis une description rapide du système sacrificiel hébraïque, avec une insistance sur le Kippour, et enfin une modélisation en six étapes de l’évolution du sacrifice vers une spiritualisation toujours plus poussée : 1) transformation du rituel à travers la substitution ; 2) interprétation symbolique et moralisante ; 3) intériorisation ; 4) application métaphorique des termes cultuels à des expériences non cultuelles ; 5) répudiation du sacrifice ; 6) affirmation de la transformation spirituelle comme objectif de la piété. Ce modèle est présenté sans autre démonstration que des exemples très éclectiques tirés de la Bible, de l’hellénisme et même d’écrits védiques. Cette insistance sur la spiritualisation prépare la réhabilitation des métaphores sacrificielles chez Paul, dont il ne faut pas faire de lecture littérale.

Les quatre autres chapitres étudient chacun une métaphore du salut chez Paul à partir de quelques textes clés : chap. 2, transmission cultuelle d’une malédiction (« scapegoat », 1 Co 4,13 ; 2 Co 5,21 ; Ga 3,13 ; Rm 8,3) ; chap. 3, sacrifice (Rm 3,25) ; chap. 4, rédemption (Rm 5-8 et Is 53) ; chap. 5, martyre. Quelques thèses émergent de l’ensemble. Premièrement, le cultuel est prioritaire dans la pensée paulinienne, du fait de sa puissance symbolique et intuitive. Deuxièmement, il ne faut pas confondre, ni en Lv 16 (Kippour) ni chez Paul, le rite du bouc émissaire et celui de l’expiation sacrificielle — même un auteur averti comme James Dunn interprète mal le geste de l’imposition des mains (qui diffère selon qu’il s’agit de sacrifice ou de transmission de la malédiction). Troisièmement, la métaphore n’est pas allégorie et possède toujours une part incongrue (ainsi, l’exposition publique de la croix ne concorde pas avec le rite sacré du Kippour dans le Saint des saints du Temple). Quatrièmement, 4 M 17,22 avait déjà pavé la voie à l’interprétation chrétienne de la mort de Jésus, en adaptant le motif hellénistique de la mort héroïque « pour les autres », justement par le recours aux métaphores sacrificielles. L’alternative « sacrificiel vs martyre » est donc un faux débat. Cinquièmement, une métaphore comme « Jésus est propitiatoire » (Rm 3,25) reçoit un décryptage différent chez les Grecs (apaisement par l’humain de la divinité) et les Juifs (effacement par Dieu du péché) du fait que l’expérience cultuelle païenne diffère grandement de la description de Lv 16 — au point où Flavius Josèphe évitera d’utiliser le mot hilastèrion pour décrire le couvercle de l’arche d’alliance. Finlan parle donc de théorie interculturelle du sacrifice (p. 44). Sixièmement, les métaphores font la richesse et sont aussi l’écueil du discours paulinien sur Dieu — ce que l’histoire de l’interprétation a démontré en poussant trop loin ou trop logiquement les métaphores : « Paul’s message is both part of the problem and part of the solution here. By embodying problematic ideas about God in his metaphors, but offering the basis for a solution to such problems in his arguments, Paul is at the beginning and the end of all Christian conversation about God. To some degree, this means pitting his arguments against his metaphors » (p. 223). Une telle conclusion confortera certainement tout exégète paulinien (dont je suis), mais apparaît un peu totalitaire !

Comme on le voit, les intuitions intéressantes ne manquent pas et l’angle d’approche avait tout pour renouveler un débat passablement usé. Mais en définitive, le livre déçoit, pour trois raisons principales. Premièrement, la notion de métaphore n’est jamais expliquée de manière systématique. « Modèle », « image », « métonymie », « synecdoque » deviennent successivement des synonymes de « métaphore ». Tous ces termes sont-ils interchangeables ? Des remarques et définitions sont dispersées tout au long des explications des métaphores particulières (par ex., p. 73, 95, 96, 110, 116, 121, 144-145, 156, 192, 210). Ces remarques sont souvent pertinentes, mais parfois contradictoires. D’une part, une même métaphore exploite une multivalence culturelle (p. 121), peut recevoir plusieurs significations (p. 121) et implique des différences entre les réalités comparées (p. 110) ; d’autre part, il faut repérer « la » théologie derrière le rite métaphorisé (p. 73) et la métaphore se caractérise par sa simplicité qui compare deux réalités sur un seul point de contact. Ainsi l’association du Kippour et de la mort du Christ (Rm 3,25) se ramène à un seul détail : « God has provided a place where sprinkled blood purifies » (p. 144, italique de l’A.). Le sang (jamais directement considéré comme métaphore de la vie ou de la mort du Christ) réfère-t-il nécessairement, directement et de manière univoque au rituel de purification du Kippour ? Or, un véritable traitement métaphorique devrait ouvrir les portes plutôt que de les fermer. Bref, plutôt que de conserver leur caractère multivoque, les métaphores sont traitées finalement de manière référentielle. « Transactional metaphors of soteriology — adoptive, manumissive, juristic, or cultic — are more than just pictorial vehicles for the salvation event, they provide conceptual content as well. Each of them utilizes a recognized public transaction that changes a person’s legal status or purity condition » (p. 222, italique de l’A.). Peut-on parler du contenu des métaphores (comme le suggère aussi le titre même du livre) ?

Deuxièmement, les métaphores ne sont jamais contextualisées, au sens littéral : il n’y a jamais d’analyse sur texte. Cet oubli peut éventuellement conduire à certaines aberrations. Par exemple, s’il note avec justesse que la sotériologie recoupe souvent l’éthique chez Paul, l’A. semble réduire l’éthique à une morale moralisante, qu’une attention au contexte aurait exclue. « The scapegoat image is also useful for depicting the expulsion of sinful sensualism (Rom 6:6 ; 8:3-4 ; 1 Cor 5:5), the last instance blending a Passover and a scapegoat image (handing over to Satan) » (p. 121). Par ailleurs, il aurait été profitable de développer et d’illustrer l’intuition suivante : « Paul’s mixed metaphors create new meanings, combining elements from the metaphoric terms » (p. 191). Les métaphores reçoivent aussi leurs significations par leurs interactions dans un texte et dans une même lettre.

Troisièmement, avant de présenter sa propre opinion, l’A. discute celles d’autres exégètes, ce qui donne une succession un peu scolaire d’états de la question. Finlan est même parfois étroitement redevable à un auteur pour l’essentiel de son analyse — ainsi tout le traitement philologique de hilastèrion, où il suit une thèse non publiée de Daniel Bailey (p. 124-135, 143, 146, 151). Ce collage d’opinions finit même par masquer la sienne et tient lieu de démonstration. Bref, l’hypothèse de la primauté du sacrificiel est plus affirmée qu’argumentée à partir d’analyses personnelles de textes.

Cette évaluation sévère ne doit pourtant pas enlever les mérites de l’ouvrage, avant tout celui d’avoir abordé un thème difficile à propos duquel la littérature secondaire est extrêmement touffue. Il est indéniable que les images sacrificielles sont présentes chez Paul, et leur traitement métaphorique pourrait ouvrir des pistes nouvelles — à condition de lui donner une assise plus rigoureuse et de s’astreindre à une lecture serrée (close reading) des textes.

Deux derniers souhaits pour ouvrir des avenues de recherche. Il serait pertinent d’explorer le fait que la métaphore de hilastèrion, déjà au 1er siècle, n’a aucun référent réel en dehors du texte biblique. Pour parler de la mort de Jésus, le texte la compare à un mobilier imaginaire du Temple. Il serait aussi nécessaire de tenir compte d’une oeuvre québécoise qui a fait l’inventaire des figures utilisées par Paul pour dire la mort de Jésus, une étude dense et technique, mais systématique et méthodique dans son utilisation exemplaire de la sémiotique : Olivette Genest, Le discours du Nouveau Testament sur la mort de Jésus. Épîtres et Apocalypse, Québec, PUL et Corporation Canadienne des Sciences Religieuses, 1995. Les exégètes états-uniens ne citent jamais une étude en français, exception faite d’un recours occasionnel à Lagrange et Lyonnet !