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Yves Girard est un homme habité par la passion de Dieu. Son christianisme, fulgurant, possède cette vitalité propre aux hommes qui sont allés au-delà du désespoir, aux hommes qui espèrent. Dans ce sens le vide « habité » n’est pas une simple image, mais l’évocation d’une présence qui nous transcende et nous fait communier à cette « vie vivante » dont parlait Dostoïevski dans Les Possédés.

Avec le Vide « habité » Girard nous convie à nous ouvrir à ce qui comble plutôt qu’à ce qui rassure. Ne se préoccupant que des questions ultimes, c’est-à-dire des questions « qui ne trouvent pas de réponse dans le langage des hommes » selon le mot d’André Désilets, il n’a rien à faire des programmes de perfectionnement de la vie intérieure, ni des spéculations des psychologues de la religion qui prétendent réduire les exigences de l’âme à une forme de prurit cérébral. À l’instar des grands spirituels, Girard est à l’écoute du Verbe. Il affirme la Beauté de la Parole. Il nous rappelle que nous sommes faits pour l’Absolu, que notre coeur est un « éternel affamé » (p. 113) et que notre résignation à un bonheur médiocre et sécurisant ressemble plus à la mort spirituelle qu’à la joie chrétienne. Accepterons-nous de faire le saut dans l’Absolu ? Prendrons-nous le risque d’être, le risque d’être « habité » ? Pour Girard, la réponse est évidente : « Le manque à être t’obligera à basculer dans l’“irraisonnable” » (p. 102). La fuite dans le non-être est toujours un pas en direction du tombeau. « Tout nous manque indiciblement, écrivait Léon Bloy. Nous crevons de la nostalgie de l’Être. » Pour éviter la mort existentielle, la néantisation en un mot, il faut consentir à être, dès aujourd’hui, en cet instant même. Attendre à demain serait une aberration.

Le Vide « habité » est une oeuvre libre et saisissante qui nous rappelle, comme disait Bernanos, que Dieu est la liberté intérieure de l’homme. Vérité profonde, que les vertueux et les chrétiens confortables, habitués aux ronronnements d’une pastorale ouatée, s’efforcent d’étouffer pour ne pas troubler les plans du Grand Inquisiteur. Seulement Girard, lui, n’a pas pris le parti du Grand Inquisiteur. De son oeuvre émane le parfum de la folie divine qui est aussi celui de l’authentique liberté, de la liberté pleinement assumée, pleinement vécue. La vraie liberté n’a rien d’un rêve d’esclave. Elle est un désir transfiguré.

Pour Girard, la Vie se trouve du côté des tourmentés et des persécutés. « Le vide souffrant est l’héritage des éveillés », écrit-il (p. 49). Ressentir douloureusement la présence d’une absence est le fait d’un vivant. Et s’indigner de la finitude de notre condition est signe que nous sommes faits pour l’Infini. La satisfaction, telle que le monde se la représente, est funeste. Y a-t-il d’ailleurs quelque chose de moins exigeant, de plus satisfait qu’un cadavre ? Quoi qu’il en soit, l’homme se meurt de n’espérer qu’à moitié. Or le Vide « habité » est une invitation à tout espérer, même l’impossible. Pourquoi nous résigner à une lente agonie dans le cachot sombre et froid de notre suffisance, demande Girard, quand nous pourrions franchir le seuil de la Vie ?

Les vérités que Girard propose ne sont pas de celles qui plaisent à tout le monde. Elles n’ont rien d’un « tranquillisant » (p. 51). Ce sont des vérités qui engagent, et tout engagement comporte un risque. Girard a tout risqué pour Dieu. Son oeuvre nous plonge au coeur du Mystère, là où les démonstrations ne sont d’aucun secours. En fait Girard ne démontre rien, il se contente de montrer. Pour lui l’obsession épistémologique conduit à la désertification spirituelle : « La connaissance est porteuse de mort si elle vient chez qui n’a pas été brûlé » (p. 11). La béatitude ne procède pas de raisonnements interminables mais du jaillissement de la grâce. Elle est pur don. Là réside toute sa beauté.

Au fond, Yves Girard fait partie de ces chrétiens dérangeants qui ne craignent pas d’être exaucés. « L’amour fou de Dieu » dont parlait Paul Evdokimov est palpable à chaque page de ce Vide « habité ». Avec Girard, il n’y a pas de demi-mesure. Pour lui, l’« excès seul peut évoquer le Royaume » (p. 31). Et d’ailleurs, pourrait-on risquer de plus juste appréciation du Vide « habité » que celle-ci : un excès qui évoque le Royaume ?