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Ce livre est la brillante synthèse d’une oeuvre qui figure au premier plan de la pensée catholique du xxe siècle. En Jésus-Christ, le Logos n’est plus le royaume des idées, des valeurs et des lois qui régissent l’histoire et lui donne un sens. Il est lui-même histoire. Jésus-Christ, étant un vrai homme, la valeur universelle et abstraite des lois fondées dans la nature humaine a participé en lui à son assomption dans l’union avec la personne du Verbe divin. Jésus-Christ, comme centre du monde et de son histoire est la clé d’interprétation non seulement de la création, mais d’une certaine compréhension du mystère de Dieu. Jésus-Christ, en tant qu’il est l’Unique, est le Seigneur de toutes les normes créées dans le royaume des essences et dans l’histoire.

Dans cette perspective, la vie du Christ apparaît comme l’accomplissement de l’histoire. Le Christ, par sa vie individuelle, se présente comme la plénitude de l’histoire. Sa vie devient la norme de toute vie historique et par conséquent de toute histoire. Cette fonction normative, l’A. l’aborde sous deux aspects : comme qualité de celui qui est norme, c’est-à-dire Christ, mais aussi comme qualité de ce qui est soumis à la norme du Christ : le chrétien et l’Église, et finalement l’homme et l’histoire dans son ensemble.

Le premier chapitre de l’ouvrage aborde le temps du Christ. La réceptivité pour tout ce qui vient du Père est précisément ce qu’est le temps et ce qui fonde la temporalité pour le Fils, dans sa forme d’existence créée. Elle est cette structure foncière de son être, par laquelle il est à chaque instant ouvert pour l’accueil de la mission paternelle. Le rapport de Jésus à « son heure », qui est l’heure du Père, le confirme. Son heure est essentiellement heure qui « vient », qui est là en tant qu’elle vient, et détermine ainsi tout ce qui arrive avant elle et se dirige vers elle. Elle est toujours celle qui vient d’arriver et ne peut être commandée à l’avance d’aucune manière. Pas même par une science, car ce serait là une anticipation qui détruirait l’accueil nu, pur, sans réserve, de ce qui vient du Père.

Le deuxième chapitre de l’ouvrage aborde l’histoire dans le Christ. Le temps du Christ est l’expression du fait qu’il renonce à conduire lui-même son existence. Dans l’ensemble comme dans les détails, le Christ veut la laisser devenir un mémorial du Père dans le monde. C’est le Père que sa vie doit faire connaître, non lui-même. Dans le Verbe divin, il n’y a aucune contemplation antérieure à l’action. Il n’y a aucun intervalle entre le donateur et le don. L’accomplissement de la volonté paternelle coïncide parfaitement pour lui, avec la connaissance réelle du Père lui-même, avec l’intuition existentielle de sa vérité. Ainsi donc, il n’obéit pas seulement à l’ordre vertical du Père. Il lui obéit aussi d’une manière horizontale, en accomplissant par amour pour son Père et pour sa gloire jusqu’au moindre iota de la Loi dont il manifeste ainsi l’excellence. Le Fils ne comprend pas sa souveraine soumission à la Loi comme une contrainte, mais il l’éprouve avec la gratitude la plus libre envers le Père dont il reconnaît l’amour dans la Loi. La véritable raison de l’histoire, selon l’A., est l’action du Fils, dont l’originalité unique délivre l’histoire et lui permet de s’épanouir dans une authenticité propre. L’histoire se soumet au Fils et le Fils à l’histoire.

L’espace de la liberté divine ouvre l’espace de la liberté humaine. Dans cet espace l’homme peut créer sa propre histoire. Ce n’est pas un espace vide, mais un espace informé, structuré et pénétré par la présence du Fils obéissant au Père. L’humanité et son histoire sont ainsi rénovées, restaurées. Elles ne peuvent s’échapper ni de l’espace du Christ en général, ni de la structure qui est créée par sa vie. Bref, c’est l’existence individuelle du Christ qui donne un sens à toutes les autres existences dans le temps, à celles du passé comme à celles de l’avenir.

Le Christ devient ainsi la norme de l’histoire. L’A., dans le troisième chapitre, affirme que le Christ, parce qu’il récapitule l’histoire, devient la règle de celle-ci. Il ne suffit pas pour cela que le Fils de Dieu ait mené une existence temporelle et historique. Ainsi considérée, sa vie n’est toujours qu’une existence particulière à côté d’autres existences. Tant que le Christ, dit l’A., n’est rien de plus, sa vie ne peut être, pour les autres vies qui l’ont précédée et qui la suivent, qu’un modèle de moralité.

Pour devenir norme immédiate et interne de chaque vie, de nouvelles déterminations sont nécessaires. C’est l’Esprit saint qui met en relief une parcelle de l’histoire afin de lui conférer une portée universelle. L’A. ensuite développe les trois aspects de l’opération de l’Esprit. Un premier aspect concerne l’influence de l’Esprit sur Jésus lui-même telle qu’elle apparaît visiblement dans les quarante jours après la résurrection. L’influence de l’Esprit se montre à nous sous un deuxième aspect dans la mesure où elle met en relation le Christ ainsi transformé avec l’Église historique de l’époque. Cette deuxième influence s’exprime avec une perfection exemplaire dans les sacrements, et surtout dans l’Eucharistie. Enfin, sous un troisième aspect, cette relation s’achève par la création de vocations ecclésiales et personnelles, comme application de la vie du Christ à toute vie chrétienne et ecclésiale.

Enfin, dans un dernier chapitre, l’A. parle de l’histoire sous la norme du Christ. Ici la nature humaine est touchée par la grâce de l’Unique. Elle est libérée de la charge du péché. Grâce au Christ qui donne sens et explication à l’Histoire, la nature est non seulement libérée de la charge du péché, mais aussi de cette conséquence du péché qu’est l’assujettissement aux retours circulaires de la naissance et de la mort. Libérée en se chargeant des liens de limitation, virginalement et nuptialement introduite dans le mystère christique unifiant de la croix et de la résurrection. C’est l’histoire sainte dans l’histoire profane.

L’époque chrétienne est déterminée par l’événement du Christ. La plénitude est atteinte. La foi se tient étonnée, adoratrice, devant le miracle. Le temps paraît s’arrêter. Ce que le Christ a apporté lui-même est le définitif absolument, qui ne peut en aucun cas être dépassé au cours des temps. Le Christ est venu vers la fin des temps, un peu avant la transformation en vie éternelle. C’est pourquoi tout ce qui précède paraît constituer un unique progrès vers lui.