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Olivier Perru est membre de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes. Il enseigne à la Faculté de philosophie de l’Institut Catholique de Lyon.

L’A. de cet ouvrage de philosophie politique s’inspire des grandes traditions politiques occidentales. Une relecture historiographique depuis Platon jusqu’à Maritain est une entreprise fort utile, puisque l’on sait que depuis vingt-trois siècles, les expériences humaines du vivre-ensemble ont tellement varié. Il nous sera impossible ici de toutes les mentionner. Quelques-unes retiendront cependant notre attention : Platon, Aristote, Rousseau, Alexis de Tocqueville et Maritain.

Platon est le premier philosophe grec à avoir posé le « comment » de la création d’une communauté humaine finalisée par « l’idée de bien ». Ce qui fonde la naissance de la cité dans la République, c’est l’impuissance où se trouve chaque individu à se suffire à lui-même. La division du travail et la complémentarité des métiers engendrent les dispositions à la justice et à l’unité dans la cité. L’association dans la ville est fondée sur la satisfaction des besoins et non sur une quelconque finalité. Il revient au philosophe-roi d’établir ce qu’est le bien de la collectivité dans lequel le citoyen est fondu.

Aristote, au tout début de la Politique, affirme le caractère naturel des communautés humaines. Toutes les communautés humaines ont en commun de « viser un certain Bien ». Ce n’est pas l’individu qui constitue la cité, la crée au sens fort du terme, mais ce sont des communautés existantes qui visent à s’achever dans la cité. La première communauté est donc la famille. Le village et la ville sont présentés comme une extension de la famille. Être associé demande non seulement une bienveillance réciproque de personne à personne, mais une concorde sur le plan de la communauté. Être associé est aussi une conséquence de l’amitié. Toute association suppose une certaine mise en commun. L’unité sociétale est réalisée dans la mesure où les personnes, les familles, les communautés particulières tendent au bien de tous. Aristote est le premier à avoir mis en valeur l’association comme conséquence d’une activité morale libre, individuelle et collective.

L’éthique stoïcienne n’exclut pas du tout les diverses communautés intermédiaires. Elle a une visée plus universelle. Ce que le système stoïcien a en vue, ce n’est pas une finalité en rapport avec des biens précis à acquérir ou des oeuvres à réaliser. Elle vise la constitution d’un ordre universel, le plus proche possible de l’ordre naturel suscité par l’âme du monde. Il cherche à promouvoir le modèle de l’homme libre, responsable, citoyen du monde, ouvert à l’universel et pour cela engagé dans la diversité des communautés et des associations humaines. Ce système qui semble rejoindre la sensibilité contemporaine a cependant ses limites. On y remarque un manque de finalité humaine, l’oubli du vrai bonheur de la personne et le risque de marginaliser ceux qui ne rentreraient pas dans ce nouvel ordre à vocation prétendue universelle.

L’A. aborde ensuite les temps modernes par le biais d’une réflexion sur les fondements des régimes politiques. Les diverses théories du contrat social (Rousseau) font largement place à l’association, mais il s’agit d’une association à l’échelle de l’État-nation, qui a, par conséquent, tendance à exclure les formes intermédiaires d’association. La Révolution française a consommé ce fait par l’interdiction des associations professionnelles.

Les temps modernes se caractérisent aussi par l’insistance sur les assemblées et les conseils, en tant qu’ils sont des relais de l’exercice du pouvoir politique centralisé. L’A. affirme qu’il faut tirer globalement quelques enseignements des textes concernant l’association du xviie et du xviiie siècle : premièrement, ceux-ci permettent de s’interroger sur le caractère « associatif » des assemblées politiques ; deuxièmement, ils invitent à rechercher un équilibre entre le caractère naturel et le caractère volontaire de l’association ; enfin, ils précisent le rapport entre association et communauté.

Le xixe siècle apporte une polarisation de l’attitude intellectuelle de nombreux auteurs sur le monde du travail, d’une part, sur la liberté et la dignité de la vie de chacun, d’autre part. Le pape Léon XIII, inspiré par la théologie chrétienne, encourage des formes associatives respectueuses de la liberté individuelle et du principe de subsidiarité. Les groupes socialistes qui fusent de partout proposent une structure associative véhiculant une morale sociale et altruiste, mais souvent dépourvue de fondement spirituel. Le cas de Tocqueville est particulier. Son modèle est celui de la démocratie américaine qui propose l’association avec une forte décentralisation du pouvoir. Son modèle associatif libéral trouvera assez peu d’échos en Europe sur le long terme.

Au xxe, Jacques Maritain se fera l’interprète moderne des points de vue d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin. Il promeut essentiellement la subsidiarité des corps intermédiaires et leur participation à la quête du bien commun vers lequel convergent les efforts de tous. C’est la participation au bien commun qui légitime le caractère associatif de certaines structures intermédiaires. Alors que chez Maurras, ce serait plutôt la délégation d’autorité.

L’association, somme toute, favorise le développement de la liberté individuelle et le développement éthique et créatif de la personne. En ce sens, les positions de Tocqueville paraissent assez proches des préoccupations contemporaines.

Il faut, cependant, réaffirmer que beaucoup de personnes trouvent dans un engagement associatif de proximité la possibilité d’exercer une éthique. Le regard d’Aristote sur le rapport entre la vie du bon citoyen dans la cité et la vie vertueuse serait sans doute à réactualiser dans cette perspective.

L’A. affirme, en terminant, que l’association stimule la participation de chacun à un bien commun tangible. Il inspire ainsi une certaine tendance concrète vers l’universel. Il crée une large sociabilité et une ouverture à une fin commune.