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Introduction

Depuis plusieurs décennies, la question du genre dans le champ des mathématiques suscite un grand intérêt. Que l’on s’intéresse aux variables motivationnelles ou aux aspirations d’études et de carrières, le désavantage des femmes est souvent souligné. À compétences égales avec leurs pairs masculins, elles sont en effet moins confiantes et moins intéressées (OCDE, 2012, 2014a) par les mathématiques et, par conséquent, moins présentes dans les études et carrières liées à ce domaine, socialement plus prestigieuses (Eccles, 2011 ; Lazarides et Watt, 2015 ; OCDE, 2014a ; Wang, 2012).

Dans l’enseignement des mathématiques, des différences selon le genre s’observent également. Bien qu’ils n’en soient pas toujours conscients, les enseignants ont tendance à développer des attentes moins élevées pour les filles (p. ex., Robinson, Lubienski, Ganley et Copur-Gencturk, 2014) et traitent parfois différemment les filles et les garçons (p. ex., Wang et Degol, 2013). En revanche, peu d’études examinent les différences selon le genre dans les perceptions qu’ont les élèves du climat d’apprentissage en mathématiques. Elles sont en effet relativement rares dans un contexte anglophone (Taylor et Fraser, 2013 ; Wang, 2012 ; Wang et Eccles, 2014) et inexistantes dans le monde francophone. Or, tant la théorie de l’expectancy-value (Eccles, 2011) que des recherches empiriques (p. ex., Leroy, Bressoux, Sarrazin et Trouilloud, 2013) n’ont cessé de souligner le pouvoir prédictif des perceptions qu’ont les élèves des pratiques et attitudes de l’enseignant sur leurs motivations ou leurs performances. Ainsi, examiner si des différences selon le genre existent sur le plan des perceptions du climat de classe n’est pas une perspective à négliger. Il s’agit d’une première étape pour tenter d’expliquer les différences de genre largement établies sur d’autres variables (motivations, choix de carrière, etc.). De plus, la faible (voire l’absence de) corrélation entre les pratiques déclarées par les maitres et les perceptions qu’en ont les élèves n’est plus à démontrer (Kunter et Baumert, 2006 ; Leroy et al., 2013 ; Wang et Eccles, 2014). La présente étude offre donc aux enseignants de mathématiques la possibilité de se rendre compte de ce que les élèves perçoivent de leur enseignement et de comprendre que les perceptions peuvent varier selon les caractéristiques individuelles. Cette perspective est d’autant plus intéressante que les enseignants se disent peu sensibilisés aux inégalités de genre (Goffin, Quittre et Lafontaine, 2010).

Par ailleurs, les questionnaires permettant d’appréhender finement les perceptions qu’ont les élèves du climat de soutien dans leur classe de mathématiques sont rares en sciences de l’éducation. En effet, cet aspect est régulièrement mesuré à l’aide d’une seule échelle générale (p. ex., Fauth, Decristan, Rieser, Klieme et Büttner, 2014) ou opérationnalisé par un nombre limité de dimensions (p. ex., Baumert et al., 2010). Ainsi, avant d’examiner les différences de genre dans les perceptions des élèves, la présente étude vise d’abord à développer des échelles destinées à mesurer précisément le climat de soutien en s’inspirant des trois besoins psychologiques fondamentaux d’un apprenant (Deci et Ryan, 2000a, 2000b). Menée en Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) sur un échantillon de 1091 élèves de 5e secondaire, cette recherche poursuit donc deux objectifs principaux : 1) présenter les échelles construites ainsi que leurs qualités psychométriques et 2) identifier si les perceptions des élèves varient selon leurs caractéristiques individuelles et, en particulier, selon leur genre.

Fondements théoriques

Le premier volet de cette partie sera consacré à la présentation des théories qui ont guidé la construction des échelles mesurant le climat de soutien en mathématiques. Le second volet abordera, quant à lui, la question du genre dans les pratiques de classe en mathématiques. Il s’agira notamment de détailler les différences de traitement selon le genre de l’élève, mais aussi les résultats de quelques études américaines ayant examiné les différences dans les perceptions qu’ont les élèves du climat d’apprentissage en mathématiques en fonction de leur genre.

Définition du climat de soutien

Le soutien offert par l’enseignant dans les classes de mathématiques a fait l’objet de nombreuses études (p. ex., Dietrich, Dicke, Kracke et Noack, 2015 ; Rice, Barth, Guadagno, Smith et McCallum, 2013 ; Sakiz, Pape et Hoy, 2012) ayant souligné son influence positive sur les motivations et les performances de l’élève. Le soutien de l’enseignant peut être défini par la qualité affective de la relation entretenue avec l’élève et/ou en se concentrant sur les aspects plus scolaires de celle-ci (aide apportée dans les apprentissages). Dans leur théorie des piliers d’un enseignement efficace, Klieme, Lipowsky, Rakoczy et Ratska (2006) élargissent et clarifient la définition du soutien de l’enseignant en faisant référence à la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2000a, 2000b). Un enseignant sera dit « soutenant » s’il adopte des comportements qui satisfont les trois besoins psychologiques fondamentaux des élèves, à savoir le besoin d’autonomie, de compétence et d’affiliation.

L’autonomie est définie comme une « expérience d’intégration et de liberté » (Deci et Ryan, 2000a, p. 231) : l’individu choisit sans pression ses comportements, contrôle ce qu’il fait, est à l’origine de ce qui lui arrive (Leroy et al., 2013 ; Reeve, 2012). Une personne est autonome lorsque ses actions émanent d’elle, de sa propre volonté (Reeve et Jang, 2006).

Le besoin de compétence, quant à lui, correspond au besoin de « se sentir efficace dans ses actions et ses interactions avec l’environnement » (Reeve, 2012, p. 154). Il s’agit de ressentir que l’on utilise et exerce ses propres capacités, que l’on peut résoudre une tâche, relever des défis (Reeve, 2012 ; Sarrazin, Pelletier, Deci et Ryan, 2011).

Enfin, le besoin d’affiliation (ou de proximité sociale) correspond au désir de tisser un lien social, émotionnel et affectif avec des personnes importantes pour soi. Il s’agit non seulement d’entretenir des relations chaleureuses dans lesquelles l’individu se sent aimé, écouté, compris et soutenu, mais aussi de sentir l’appartenance à un groupe, à une communauté (Deci et Ryan, 2000a ; Reeve, 2012 ; Sarrazin et al., 2011).

Afin de mesurer les perceptions qu’ont les élèves du soutien de l’enseignant en mathématiques, Klieme et son équipe ont soit eu recours à une seule échelle globale, soit opérationnalisé la dimension par un nombre limité de concepts liés à la satisfaction de certains besoins psychologiques.

L’étude de Fauth et ses collaborateurs (2014), par exemple, prévoit de mesurer le climat de soutien à l’aide de 9 items, dont 6 sont exclusivement centrés sur la satisfaction du besoin d’affiliation (My teacher « cares about me », « likes me », « is friendly to me », « compliments me », etc.), 2 items sur le besoin de compétence (My teacher tells me « how to do better when I make a mistake », « what I’m really good at and what I still have to learn », etc.), tandis que le dernier item mesure davantage les attentes de l’enseignant (My teacher « believes that I can solve difficult tasks »). Dans cette échelle, aucun item ne mesure la satisfaction du besoin d’autonomie. L’étude de Baumert et ses collaborateurs (2010) opérationnalise davantage la dimension du « climat de soutien » en utilisant 6 sous-échelles[1] de 3 à 4 items, mais, à nouveau, aucune n’aborde les aspects relatifs au soutien de l’autonomie.

Ainsi, si l’on souhaite appréhender finement les perceptions qu’ont les élèves du climat de soutien dans leur classe de mathématiques, il convient de construire des échelles qui touchent aux trois besoins psychologiques fondamentaux. C’est ce qu’ont fait Gillet, Rosnet et Vallerand (2008) en développant trois échelles liées à la satisfaction de chaque besoin dans le domaine sportif. S’il est aisé d’imaginer, moyennant quelques aménagements, la transposition des échelles de soutien des besoins d’autonomie et d’affiliation dans le contexte scolaire, celle liée à la satisfaction du besoin de compétence ressemble fortement à une échelle de perception de soi (Dans mon sport… « souvent, je ne me sens pas très compétent » ou « j’ai le sentiment de bien réussir ») et s’éloigne d’un soutien à la compétence offert par l’environnement de classe.

Il s’avère donc intéressant de faire un détour par les études liées à la satisfaction des besoins fondamentaux en contexte scolaire pour identifier les caractéristiques d’un environnement soutenant. Plus particulièrement, Sarrazin, Tessier et Trouilloud (2006) ont identifié trois « facteurs sociaux susceptibles de nourrir respectivement les besoins d’autonomie, de compétence et de proximité sociale » (p. 164) en classe. Il s’agit, dans l’ordre, du « soutien de l’autonomie », de la « structure de l’enseignement » et de « l’implication du maitre » (Reeve, Deci et Ryan, 2004 ; Skinner et Belmont, 1993).

Soutenir le besoin d’autonomie

De nombreux auteurs n’ont cessé de souligner l’importance des comportements du maitre qui soutiennent l’autonomie, c’est-à-dire qui permettent à l’élève d’agir selon sa propre volonté (Reeve et Jang, 2006). L’enseignant est dit « proche », « flexible », « positif » et « explicatif » envers ses élèves (Sarrazin et al., 2006, p. 162) et leur accorde une réelle place. Différents comportements qui caractérisent le soutien de l’autonomie ont été identifiés (Jang, Reeve et Deci, 2010 ; Reeve, 2009 ; Reeve et al., 2004 ; Sarrazin et al., 2006). Parmi ceux-ci, nous en retiendrons deux : 1) permettre aux élèves de faire des choix et 2) veiller à la pertinence des apprentissages. En effet, pour nourrir le besoin d’autonomie, l’enseignant doit concevoir des activités qui, d’une part, offrent des possibilités de choix sur le plan organisationnel (choix de l’activité, temps pour la réaliser, etc.) mais aussi cognitif (choix du comportement, de la stratégie à adopter, etc.) et, d’autre part, donnent aux élèves l’envie de s’y engager (plutôt que de s’y sentir contraints). Reeve (2009) fait référence à un langage dit « informationnel » et « non contraignant ». Il s’agit, en fait, de fournir aux élèves des informations riches (p. ex., exposer aux élèves la compétence travaillée) et de s’adresser à eux sans « pression », sans les pousser à se conformer à la façon de faire de l’enseignant. Le soutien de l’autonomie passe également par la nécessité d’expliquer aux élèves le « pourquoi » des activités, des leçons et des démarches proposées. Cela permet en effet de montrer aux élèves que les efforts déployés ne sont pas vains et de leur faire saisir la valeur de l’activité.

Soutenir le besoin de compétence par un enseignement structuré

Un enseignement « structuré » (Jang et al., 2010 ; Skinner et Belmont, 1993) se caractérise par une communication claire des attentes de l’enseignant et par un cadrage précis des activités avant et pendant leur mise en oeuvre. Se référant essentiellement aux travaux de Skinner et de ses collègues, Jang et ses collaborateurs (2010) décrivent trois comportements caractéristiques d’un enseignement structuré : « (a) des directives claires, compréhensibles, explicites, détaillées ; (b) un programme d’actions pour guider les élèves durant les activités ; et (c) un feedback constructif offert aux élèves leur permettant de gagner en contrôle sur les résultats obtenus » (p. 590, trad. libre). L’aspect structuré de l’enseignement est important pour répondre au besoin de compétence des élèves (Jang et al., 2010). En effet, selon Skinner et Belmont (1993), les élèves qui perçoivent un enseignement structuré se sentent plus capables de faire face aux activités proposées.

Soutenir le besoin d’affiliation par l’implication du maitre

Enfin, la notion d’implication de l’enseignant aurait un lien direct avec la satisfaction du besoin d’affiliation. Cette notion renvoie à la quantité des liens maitre-élève dans la relation scolaire (temps consacré à l’élève, disponibilité de l’enseignant pour aider l’élève), mais aussi à la qualité affective de la relation (Roorda, Kroomen, Spilt et Oort, 2011 ; Skinner et Belmont, 1993), c’est-à-dire au degré d’intérêt, de préoccupation et d’empathie accordé par l’enseignant. Ce dernier point est primordial, car, comme le soulignent Sarrazin et ses collaborateurs (2006), un enseignant peut consacrer du temps à l’élève sans pour autant se montrer chaleureux, aimable ou sympathique. Le concept d’implication s’oppose alors au concept d’hostilité, qui désigne un enseignant froid, distant, avec un ton sévère, monocorde et qui refuse de considérer les apports de l’élève (Sarrazin et al., 2006).

Perceptions du climat de soutien : une question de genre ?

Dans le domaine des mathématiques, les différences selon le genre ont largement été étudiées tant sur le plan de la motivation que des performances. L’enquête internationale du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) (OCDE, 2012, 2014a) démontre d’ailleurs qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, les filles sont systématiquement un peu moins performantes et moins motivées que les garçons en mathématiques. Les études qui abordent la question du genre et du climat d’apprentissage en mathématiques ont souvent envisagé l’angle des attentes différenciées des maitres en fonction du genre de l’élève et des différences de traitement qui en découlent. À ce sujet, les résultats d’études sont quelque peu contrastés. Alors que des auteurs ne cessent de souligner que les enseignants entretiennent des attentes moins élevées envers les filles en mathématiques (Riegle-Crumb et Humphries, 2012 ; Rubie-Davies, 2010 ; Tiedemann, 2000), de récentes recherches (p. ex., Fryer et Levitt, 2010) pointent l’inverse. En 2014, Robinson et ses collaborateurs reprochent à ces dernières de confondre la perception qu’a l’enseignant des performances des élèves avec la perception des comportements de ceux-ci et démontrent que, sous contrôle de la performance, de la perception des comportements des élèves et d’autres caractéristiques personnelles (niveau socioéconomique, âge, race), les filles sont systématiquement sous-évaluées par rapport aux garçons. Tiedemann (2002) nuance ce propos en indiquant que cette différence en faveur des garçons dans les perceptions qu’a l’enseignant des capacités mathématiques de ses élèves se marque essentiellement chez les plus faibles. Lafontaine et Monseur (2009) indiquent, quant à eux, que les enseignants de mathématiques ont surtout tendance à sous-estimer les filles très performantes. Dans le même ordre d’idées, Fennema, Peterson, Carpenter et Lubinski (1990) déclarent que les filles fortes en mathématiques sont perçues par l’enseignant comme étant moins logiques, moins indépendantes et comme aimant moins les mathématiques que leurs pairs masculins tout aussi compétents. Sur le plan des pratiques de classe, les filles seraient moins souvent interrogées par le maitre avec des questions ouvertes, et recevraient moins de compliments et de louanges pour leur travail scolaire (Wang et Degol, 2013).

Puisque ces différences de traitement selon le genre de l’élève semblent clairement établies, il ne serait pas surprenant que des différences de genre existent également dans les perceptions des élèves des différentes dimensions liées au climat de soutien en mathématiques. À l’heure actuelle, les études francophones qui abordent cette question sont rares, voire inexistantes. Il est donc nécessaire de se tourner vers des études réalisées dans d’autres contextes. Aux États-Unis, par exemple, Wang (2012) a montré que les filles étaient plus sensibles au soutien social de l’enseignant et au climat de coopération qu’il instaure dans la classe. Par ailleurs, elles percevraient moins le sens et la pertinence de ce qui leur est enseigné en mathématiques. En 2014, Wang et Eccles affinent l’analyse en indiquant que les filles qui perçoivent davantage le climat de coopération, l’autonomie accordée (en ce qui concerne la liberté de choix, le pouvoir de décision dans les tâches à réaliser) et le soutien social de l’enseignant sont celles qui sont particulièrement performantes en mathématiques, qui sont issues d’un milieu socioéconomique élevé et qui sont peu dissipées en classe. Taylor et Fraser trouvaient, en 2013, des résultats proches indiquant que les filles percevaient davantage le soutien de l’enseignant, la cohésion entre les élèves ainsi que le climat de coopération et d’équité dans leur classe de mathématiques.

Les études mentionnées ci-dessus indiquent donc qu’il est pertinent d’interroger les différences de genre dans les perceptions du climat d’apprentissage en mathématiques sur un échantillon francophone, mais qu’il serait également intéressant d’affiner les analyses en tenant compte d’autres variables individuelles, comme la performance ou l’indice socioéconomique (ISE).

Objectifs

Cet article poursuit un double objectif. Premièrement, il s’agit de présenter et de valider différentes échelles en langue française mesurant les perceptions par des élèves de 5e secondaire du climat de soutien dans des classes de mathématiques. Deuxièmement, les différences de perceptions entre les filles et les garçons seront examinées, de manière brute d’abord, puis en tenant sous contrôle deux autres variables individuelles : l’ISE et les performances des élèves en mathématiques. Les effets d’interaction entre le genre et ces deux variables seront aussi explorés.

Hypothèses

En lien avec le second objectif de cette recherche, deux hypothèses peuvent être formulées. En effet, les études nord-américaines ont avancé plusieurs constats qu’il conviendrait de vérifier sur un échantillon francophone :

  1. (a) Les filles sont plus sensibles au soutien social de l’enseignant (Taylor et Fraser, 2013 ; Wang, 2012) ;

    (b) particulièrement celles qui sont très performantes en mathématiques et issues d’un milieu socioéconomique aisé (Wang et Eccles, 2014) ;

  2. Les filles perçoivent moins la pertinence des apprentissages en mathématiques (Wang, 2012).

Le manque de recherches scientifiques ne permet pas d’établir des hypothèses précises sur les autres dimensions mesurées dans cette étude. Les possibles différences de perceptions selon le genre seront donc examinées à titre exploratoire, de même que les potentiels effets d’interaction entre le genre et les performances ou l’ISE.

Méthodologie

Échantillon

Dans le cadre de cette étude menée en 2015-2016 en FW-B, 1091 élèves de 5e secondaire de la section de transition[2] y ont participé. Ceux-ci étaient issus de 26 écoles liégeoises, à raison de 2 classes de mathématiques par école. L’échantillon comporte une répartition équilibrée de filles (49,8 %) et de garçons (50,2 %) âgés d’environ 16 ans (moyenne=16 ans et 2 mois).

Procédure

Les élèves ont reçu un questionnaire permettant, entre autres, de récolter des informations personnelles (sexe, niveau socioéconomique) et leurs perceptions du climat de soutien en mathématiques. Ensuite, un test de mathématiques était proposé. La durée de passation était identique d’une école à l’autre et une chercheuse restait à disposition des élèves pour répondre à leurs éventuelles questions.

Instruments de mesure

Perceptions du climat de soutien en mathématiques

Au total, 28 items (voir Annexe 1) utilisant des échelles de Likert en quatre points d’accord ou de fréquence ont été conçus de manière à mesurer les trois besoins psychologiques fondamentaux (Deci et Ryan, 2000a, 2000b). Ils se répartissent en six échelles (deux par besoin). Ces dernières ont été établies en référence aux facteurs identifiés par Sarrazin et ses collaborateurs (2006). Le besoin d’autonomie est opérationnalisé par la liberté de choix accordée aux élèves (items 1 à 7) et par la pertinence de l’enseignement (items 8 à 11). Le besoin de compétence se caractérise par le caractère dirigé, guidé de l’enseignement (items 12 à 15) et par la présence de feedbacks formatifs donnés par l’enseignant (items 16 à 20). Enfin, le besoin d’affiliation correspond au soutien social de l’enseignant (items 21 à 23) renvoyant à la qualité de la relation personnelle maitre-élève et au soutien scolaire (items 24 à 28)[3] désignant la qualité de cette relation dans des situations d’enseignement-apprentissage. Ces six échelles ont été construites et adaptées en s’inspirant d’échelles de l’enquête du PISA (OCDE, 2012) et des travaux[4] de Wang (2012) et de Fauth et ses collaborateurs (2014).

Performances en mathématiques

Un test de mathématiques axé sur la matière vue au 2e degré de l’enseignement secondaire général ou technique a été proposé aux élèves. Ce test a été conçu sur la base d’un inventaire d’épreuves de fin d’année élaborées par des enseignants de 3e et 4e secondaire. Les 10 questions (7 ouvertes et 3 à choix multiples) ont été sélectionnées afin de couvrir deux domaines : 1) les nombres, l’algèbre et les fonctions et 2) la géométrie et la trigonométrie. Elles ont aussi été choisies afin de proposer deux types d’items : 1) les situations-problèmes et 2) les exercices d’application. Ce test présente un indice de consistance interne de 0,77.

Indice socioéconomique

Chaque élève a été invité à répondre à une série d’items issus de l’enquête internationale du PISA (OCDE, 2012) combinant des informations d’ordres économique, culturel et éducatif. Il s’agissait, entre autres, de les interroger sur trois indicateurs[5] : 1) les possessions de leur famille (nombre de livres, de voitures, d’ordinateurs, de télévisions ; présence d’une connexion Internet à la maison, d’une chambre individuelle ou non, etc.), 2) le niveau d’études de leurs parents et 3) la profession de leurs parents. Ces indicateurs ont été utilisés pour attribuer un indice socioéconomique (ISE) à chaque élève. Plus précisément, une analyse en composantes principales a été menée et le premier facteur a été retenu comme indice composite de l’ISE des élèves[6].

Analyses

Pour répondre au premier objectif de notre recherche, nous présenterons d’abord les indices de consistance interne (calculés dans le logiciel SAS, version 9.4) des échelles conçues sur une base théorique. L’alpha de Cronbach doit être supérieur à 0,70 pour que la consistance interne soit jugée acceptable (Nunnally, 1978). Ensuite, nous présenterons les résultats des analyses factorielles exploratoire (AFE) et confirmatoire (AFC) réalisées à l’aide du logiciel Mplus, version 7.4 (Muthén et Muthén, 1998/2015). Pour l’AFE, la méthode d’extraction en facteurs communs, plus précisément la méthode du maximum de vraisemblance, a été retenue. Cette méthode est préconisée par Conway et Huffcutt (2003, cités par Bourque, Poulin et Cleaver, 2006) lorsque « le but du chercheur est d’identifier des facteurs latents ou de leur attribuer des items » (p. 329). Une rotation oblique de type promax a également été choisie de manière à autoriser la corrélation entre les facteurs. En effet, selon Bourque et ses collaborateurs, « les situations où des composantes d’un même trait général ne seraient pas corrélées sont rares en sciences sociales » (p. 334). Pour déterminer le nombre de facteurs à extraire de l’analyse exploratoire, nous nous sommes référées au critère de Kaiser (Cudeck, 2000), qui indique que le nombre de facteurs doit correspondre au nombre de valeurs propres qui sont supérieures à 1. Nous avons ensuite jugé de l’adéquation du modèle aux données en utilisant les indices suivants : le khi carré relatif (RMSEA ou root mean square error of approximation) et son intervalle de confiance (SRMR ou standardized root mean square residual). La statistique du khi carré étant particulièrement sensible à la taille de l’échantillon, nous avons choisi d’utiliser le khi carré relatif de Wheaton et ses collaborateurs (1977, cités par Hooper, Coughlan et Mullen, 2008) pour minimiser cet impact. La valeur du khi carré relatif est égale à l’indice khi carré divisé par les degrés de liberté (χ2/df). Selon les auteurs, l’indice est acceptable s’il est inférieur à 5 (Wheaton et al., 1977, cités par Hooper et al., 2008) ou à 2 (Tabachnick et Fidell, 2007, cités par Hooper et al., 2008). Un indice RMSEA et SRMR inférieur à 0,05 ou à 0,08 indique respectivement une adéquation excellente ou acceptable du modèle (Kline, 2005). Pour l’AFC, la méthode d’estimation par maximum de vraisemblance a été utilisée. Nous avons corrélé les variables latentes entre elles puisqu’une rotation oblique a été effectuée dans l’AFE (Baillargeon, 2006). Pour juger de l’adéquation du modèle aux données, le CFI (comparative fit index) et le TLI (Tucker-Lewis index) sont utilisés, en plus des indices précédemment cités. Les indices CFI et TLI doivent présenter des valeurs supérieures à 0,95 pour refléter une adéquation excellente, tandis que des valeurs supérieures à 0,90 renvoient à une adéquation jugée acceptable (Marsh, Hau et Grayson, 2005).

Pour répondre au second objectif, nous examinerons les différences de genre dans les perceptions des élèves du climat d’apprentissage en mathématiques. En présence d’un échantillon en plusieurs degrés, les estimateurs classiques d’erreur type ne sont pas appropriés. Les erreurs types ont donc été estimées en recourant à la technique de rééchantillonnage pour échantillon non stratifié de type Jackknife[7] (Davison et Sardy, 2006). Les analyses ont été menées à l’aide du logiciel SAS. Dans un premier temps, nous comparerons les moyennes des filles et des garçons sur chaque échelle. Dans un second temps, des régressions multiples et des analyses centrées sur les effets d’interaction permettront d’étudier l’influence du genre combinée à d’autres caractéristiques individuelles (performances en mathématiques et ISE) sur les perceptions des différentes dimensions du climat de soutien. Notons enfin que les indices dérivés des échelles ont été générés en recourant au modèle logistique de réponse à l’item à un paramètre, plus communément connu sous le nom de modèle de Rasch. Ce modèle présente notamment l’avantage de fournir, pour les participants qui n’ont pas répondu à l’ensemble des questions, des scores qui sont parfaitement comparables aux scores des participants sans données manquantes. Parmi l’ensemble des estimateurs, le choix s’est porté sur la weighted likelihood estimate (WLE)[8].

Résultats

Validation des échelles

Avant de procéder aux analyses factorielles, les indices de consistance interne ont été calculés pour les sous-échelles conçues sur une base théorique (voir Tableau 1).

Tableau 1

Analyse de consistance interne par dimension

Analyse de consistance interne par dimension

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Les alphas de Cronbach dépassent tous le seuil de 0,70, à l’exception de deux échelles. L’échelle « enseignement dirigé » présente en effet un indice un peu plus faible (0,65), tandis que l’échelle « liberté de choix » présente un alpha faible (0,57) malgré un nombre relativement élevé d’items (7). Sur la base de ces résultats, nous décidons de maintenir les items 12 à 15 pour les analyses factorielles, mais de supprimer d’emblée ceux liés à la variable « liberté de choix » (items 1 à 7). Nous reviendrons sur cette décision et sur la pertinence de cette dimension dans la section Discussion.

L’AFE a été réalisée sur les 21 items restants en spécifiant au logiciel que les solutions de 1 à 5 facteurs pouvaient être examinées. Après avoir analysé la valeur propre initiale de chaque facteur, la solution à quatre facteurs a été retenue. Elle présente des indices d’adéquation satisfaisants : χ2(132)=350,32 ; p<0,001 ; χ2/dl=2,65 ; RMSEA=0,04 (90 %) ; CI=0,034-0,044 ; SRMR=0,02. Entre les résultats de cette analyse exploratoire (voir Tableau 2) et la structure anticipée théoriquement, quelques écarts sont à souligner.

Le changement le plus important se situe dans les items conçus pour mesurer la perception d’un soutien social (items 21 à 23) et la perception d’un soutien scolaire (items 24 à 28). Ces items étant initialement imaginés comme étant deux dimensions distinctes, l’analyse factorielle révèle qu’ils ne forment, en réalité, qu’un seul et même facteur, que l’on pourrait nommer « implication du maitre », en référence à la théorie de Sarrazin et ses collaborateurs (2006). Notons cependant que l’item 24 (« Mon professeur de mathématiquess’intéresse à mes progrès. ») sature aussi avec le facteur relatif aux feedbacks. En raison de sa faible saturation (≤0,30) et de son appartenance à deux facteurs, nous décidons de supprimer cet item plus général.

Tableau 2

Perceptions par les élèves du climat de soutien en mathématiques: analyse factorielle exploratoire en quatre facteurs

Perceptions par les élèves du climat de soutien en mathématiques: analyse factorielle exploratoire en quatre facteurs

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Ensuite, nous observons une saturation croisée pour l’item 17 (« Mon professeur de mathématiquesm’indique comment me corriger quand je fais une erreur. ») avec trois facteurs (implication, feedbacks/évaluation formative, caractère dirigé de l’enseignement). D’un point de vue sémantique, l’item 17 devrait intégrer le facteur lié aux feedbacks, ce dernier se définissant principalement comme la propension de l’enseignant à informer l’élève de son niveau de maitrise d’une matière et à lui fournir des suggestions pour s’améliorer (Hattie et Timperley, 2007). Cependant, en raison de la faible saturation avec ce facteur (0,25) et pour ne pas nuire à la validité de la mesure, nous décidons également de le supprimer.

Enfin, l’item 19 (« Mon professeur de mathématiquesnous explique ce qu’il attend de nous quand nous avons une évaluation, un contrôle, un devoir. ») avait initialement été imaginé pour la dimension « feedbacks/évaluation formative ». Or, cet item sature davantage avec le facteur lié au caractère dirigé de l’enseignement. Il est aisé de comprendre en quoi la clarification des attentes en matière d’évaluation s’intègre dans cette dimension. De plus, l’emploi du pronom « nous » dans l’item renvoie à la perception qu’a l’élève des échanges enseignant-classe, tandis que les autres items de la dimension « feedbacks/évaluation formative » renvoient à la perception d’une relation plus personnelle avec l’enseignant (enseignant-élève).

Nous avons également prêté une attention particulière aux résultats de l’analyse factorielle exploratoire en trois facteurs pour voir si nous retrouvions une structure correspondant aux trois besoins psychologiques fondamentaux. Bien qu’acceptables, les indices d’adéquation du modèle en trois facteurs sont significativement plus faibles que pour celui en quatre facteurs (DIFFTEST : χ2(18)=274,43, p<0,001) : (χ2(150)=624,75 ; p<0,001 ; χ2/dl=4,17 ; RMSEA=0,05 (90 %) ; CI=0,050-0,058 ; SRMR=0,04). Cependant, de manière intéressante, les items se répartissent selon la structure théorique anticipée, à l’exception de l’item 24, qui sature davantage avec le besoin de compétence, ce qui nous conforte dans la décision de le supprimer.

Enfin, pour valider notre modèle, une AFC a été réalisée.

Figure 1

Analyse factorielle confirmatoire

Analyse factorielle confirmatoire

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Les indices d’adéquation sont satisfaisants : χ2(146)=659,89 ; p<0,001 ; χ2/dl=4,52 ; RMSEA=0,057 (90 %) ; CI=0,52-0,061 ; SRMR=0,045 ; CFI=0,92 ; TLI=0,91. Le logiciel Mplus propose d’associer les termes d’erreurs de l’item 9 avec l’item 11 ; des items 18 et 20 avec l’item 16 ; de l’item 15 avec l’item 19 ; des items 22 et 23 avec l’item 21 et de l’item 22 avec l’item 23. Ces corrélations sont conceptuellement acceptables[9] et améliorent significativement l’adéquation du modèle aux données (DIFFTEST : χ2(7)=265,47 ; p<0,001). Nous obtenons en effet des indices jugés bons, voire excellents : χ2(139)=394,42 ; p<0,001 ; χ2/dl=2,84 ; RMSEA=0,041 (90 %) ; CI=0,036-0,046 ; SRMR=0,03 ; CFI=0,96 ; TLI=0,95. Pour faciliter la lecture de la figure 1, les corrélations entre les différentes variables latentes et les résidus standardisés ont été supprimés, mais sont disponibles à l’annexe 2.

Différences de perceptions du climat de soutien selon le genre

Les moyennes des scores bruts selon le genre de l’élève sur chaque dimension sont présentées dans le tableau 3. Nous avons privilégié les scores bruts afin de faciliter l’interprétation du lecteur[10]. Cependant, des scores WLE ont été calculés et standardisés (moyenne=0, écart-type=1). Dans la suite des analyses[11], ce sont d’ailleurs ces scores qui seront utilisés. Notons que nous avons également calculé l’« ampleur de l’effet »[12], qui permet de juger de l’ampleur des différences constatées sur chaque dimension entre les filles et les garçons.

Tableau 3

Différences de perceptions des dimensions relatives au climat de soutien selon le genre

Différences de perceptions des dimensions relatives au climat de soutien selon le genre

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Globalement, les filles et les garçons présentent une vision plutôt favorable du climat de soutien en mathématiques (moyennes ≥2,16). Aucune différence selon le genre n’est à noter, à l’exception de la dimension liée à la satisfaction du besoin d’affiliation. Les filles perçoivent davantage l’implication de leur enseignant, comparativement aux garçons. L’ampleur de l’effet sur cette dimension indique que cette différence n’est pas négligeable (>0,20 ; OCDE, 2005).

Perceptions des filles et des garçons sous contrôle des performances et de l’ISE

Afin d’affiner ces résultats, des analyses de régressions multiples ont d’abord été réalisées pas à pas avec d’autres caractéristiques personnelles de l’élève : ses performances en mathématiques et son ISE. Ensuite, les effets d’interaction entre ces variables et le genre ont également été explorés.

Tableau 4

Coefficients standardisés pour les régressions multiples réalisées pas à pas et analyses d’effets d’interaction

Coefficients standardisés pour les régressions multiples réalisées pas à pas et analyses d’effets d’interaction

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Il ressort de ces analyses que les différences de genre observées dans la perception de l’implication de l’enseignant persistent quand ces deux variables sont introduites (voir Tableau 4). Par ailleurs, sous contrôle du genre et de l’ISE, les élèves les plus performants ont tendance à percevoir davantage ce soutien. L’effet d’interaction entre le genre et le score n’est cependant pas significatif. De manière globale, l’étude des effets d’interaction entre le genre et les autres variables individuelles montre que l’influence des performances ou de l’ISE de l’élève sur ses perceptions de l’implication de l’enseignant n’est pas différente selon qu’il est une fille ou un garçon.

Notons que, pour les autres variables relatives au climat de soutien (pour lesquelles aucune différence de moyenne selon le genre n’avait été constatée), nous avons poursuivi les analyses et avons étudié l’influence d’autres variables personnelles (performances et ISE) (voir Annexe 3). Hormis la perception du caractère dirigé de l’enseignement qui n’est pas sensible à ces variables (aucun effet significatif relevé), les perceptions qu’ont les élèves de la pertinence de l’enseignement et des feedbacks donnés par l’enseignant dépendent davantage de leurs performances et, parfois, de leur ISE que de leur genre. En effet, la perception de la pertinence de l’enseignement est significativement liée à l’ISE ou à la performance de l’élève. L’introduction simultanée des trois variables indépendantes (genre, performances, ISE) au sein d’une même régression montre plutôt que l’influence de l’ISE (sous contrôle des deux autres variables) tend à diminuer, tandis que l’influence de la performance reste importante. En ce qui concerne la perception des feedbacks formatifs, seule l’influence des performances de l’élève est significative sous contrôle du genre et cette influence reste significative lorsque l’ISE est également contrôlé.

Discussion et conclusion

Le premier objectif de cette étude était de valider un ensemble d’échelles en langue française permettant de mesurer les perceptions qu’ont les élèves du climat de soutien dans leur classe de mathématiques. La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000a, 2000b) et les facteurs sociaux identifiés par Sarrazin et ses collaborateurs (2006) qui nourrissent les trois besoins psychologiques fondamentaux en contexte scolaire ont été utilisés comme base théorique. Contrairement aux échelles de Klieme et son équipe (Baumert et al., 2010 ; Fauth et al., 2014), les échelles ont été conçues pour couvrir l’ensemble des trois besoins. Sur les six échelles initialement élaborées, cinq ont présenté d’emblée une consistance interne satisfaisante. Seule l’échelle « liberté de choix » liée à la satisfaction du besoin d’autonomie a présenté un indice insatisfaisant et a été supprimée pour deux raisons majeures. La première est que cette dimension s’avère peu pertinente dans le contexte d’enseignement des mathématiques en Belgique. Le fait de laisser aux élèves la liberté de choisir ce qu’ils veulent apprendre et comment est difficilement compatible avec l’obligation de respecter le référentiel conçu par la FW-B et le programme d’études établi par les pouvoirs organisateurs. Cette manière de concevoir la satisfaction du besoin d’autonomie semble plus typique des études nord-américaines. Ces dernières (p. ex., Ruzek et al., 2016) mesurent d’ailleurs fréquemment la satisfaction du besoin d’autonomie en envisageant uniquement la « liberté de choix ». Or, Su et Reeve (2011) ont montré que cette dimension est la moins efficace lorsqu’il s’agit de soutenir le besoin d’autonomie, comparativement à d’autres (p. ex., utiliser un langage non contraignant, fournir des explications sur le « pourquoi » des actions menées, etc.). La seconde raison est que cette dimension regroupe des éléments conceptuellement différents : l’autonomie est à la fois envisagée dans le choix de l’activité mathématique, de la démarche de résolution et des modalités organisationnelles. Ces concepts sont intimement liés à d’autres que l’on ne peut mesurer par le biais d’une échelle unidimensionnelle : pratiques de différenciation de l’enseignant, activation cognitive, collaboration, etc.

Une fois cette échelle supprimée, les analyses factorielles ont permis d’identifier les ajustements nécessaires pour améliorer les échelles restantes. Il convient de souligner que les résultats de l’AFE s’accordent majoritairement avec la structure théoriquement anticipée, ce qui démontre la qualité et la cohérence des aspects théoriques mobilisés. L’analyse en trois facteurs correspond (à l’exception de l’item 24) aux trois besoins psychologiques fondamentaux. Pour l’analyse en quatre facteurs, trois d’entre eux renvoient à des sous-dimensions anticipées, tandis que le dernier facteur regroupe les aspects identifiés théoriquement comme satisfaisant le besoin d’affiliation (soutien social et soutien scolaire). En effet, contrairement à ce qui était attendu, nos analyses n’ont pas révélé le caractère distinct de ces deux sous-dimensions. Si, sur le plan conceptuel, la relation personnelle engagée avec l’élève peut être mesurée par la qualité émotionnelle et affective de celle-ci de manière générale (soutien social) ou dans des situations d’enseignement-apprentissage (soutien scolaire), sur le plan statistique, ces deux éléments ne font qu’un et désignent l’implication de l’enseignant. L’AFC a, quant à elle, démontré la qualité psychométrique des échelles créées. Il est donc possible de mesurer finement le climat de soutien dans les classes de mathématiques en contexte francophone à l’aide des quatre échelles de cette étude théoriquement fondées sur la satisfaction des trois besoins psychologiques fondamentaux.

Le second objectif de cette étude était d’examiner les potentielles différences selon le genre dans les perceptions des élèves du climat de soutien en mathématiques. Pour rappel, cette étude est inédite en contexte francophone, ce qui donne à cette partie un caractère exploratoire. Deux hypothèses basées sur des recherches nord-américaines ont été formulées.

L’hypothèse 1a stipule que le soutien social de l’enseignant serait plus perçu par les filles (Taylor et Fraser, 2013 ; Wang, 2012 ; Wang et Eccles, 2014). Ce constat se confirme au sein de notre échantillon et s’étend d’ailleurs à la perception du soutien scolaire de l’enseignant puisque la variable « implication du maitre » a fusionné les items de ces deux dimensions, identifiées au préalable comme contribuant à la satisfaction du besoin d’affiliation. Plusieurs pistes d’interprétation peuvent expliquer ce résultat. Tout d’abord, les filles sont connues pour être plus sensibles aux aspects relationnels (Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014 ; Wang et Degol, 2013) et pour ressentir un plus grand besoin d’affiliation que leurs pairs masculins (Gibbons, 2014). Elles pourraient donc être plus sensibles aux démonstrations de sympathie de l’enseignant ou être moins susceptibles de déclarer que ce dernier n’est pas particulièrement attentif à elles pour préserver une relation positive avec lui. Ensuite, partant du fait que les enseignants développent généralement des attentes moins élevées pour les filles en mathématiques (Riegle-Crumb et Humphries, 2012 ; Robinson et al., 2014; Rubie-Davies, 2010 ; Tiedemann, 2000) et que celles-ci sont connues pour manquer de confiance dans ce domaine (OCDE, 2012, 2014a ; Wang, 2012), nous pouvons émettre l’hypothèse que les enseignants ont réellement tendance à se montrer plus soutenants à leur égard. Ce soutien n’est cependant perçu plus fortement par les filles que pour le besoin d’affiliation, et pas pour les autres besoins.

Les analyses de régressions multiples ont démontré que les différences de genre sur la perception de l’implication de l’enseignant étaient persistantes, malgré l’introduction successive d’autres variables indépendantes, comme les performances en mathématiques et l’ISE. Notons que, sous contrôle du genre de l’élève, ce sont les élèves les plus performants qui perçoivent davantage l’implication du maitre. Les filles les plus performantes y seraient donc plus sensibles que les filles moins performantes, ce qui confirme, en partie, l’hypothèse 1b. De nombreuses études (Fennema et al., 1990 ; Lafontaine et Monseur, 2009) avaient souligné les comportements négatifs de l’enseignant à l’égard des filles particulièrement performantes en mathématiques (attentes moins élevées envers elles, perceptions selon lesquelles elles seraient moins indépendantes, moins logiques que les garçons, etc.). Il est dès lors possible que cette apparente bienveillance, plus perçue par ces filles, soit le reflet d’une certaine condescendance de la part de l’enseignant. Par ailleurs, l’effet d’interaction ne s’est pas avéré significatif. L’influence de la performance sur la perception de l’implication de l’enseignant n’est donc pas fonction du genre de l’élève.

L’hypothèse 2 portait sur la perception moins positive, chez les filles, de la pertinence de l’enseignement en mathématiques. Dans nos résultats, nous ne trouvons aucune différence de genre pour cette échelle. Notons toutefois que cette hypothèse se basait uniquement sur les résultats de Wang (2012) et était donc, d’un point de vue empirique, moins solide que la première. Les analyses supplémentaires ont révélé que la perception de la pertinence dépendait davantage de l’origine socioéconomique et des performances de l’élève que de son genre. L’influence des performances reste d’ailleurs fortement significative, et ce, même en tenant sous contrôle le genre et l’ISE de l’élève. Les élèves performants perçoivent donc davantage la pertinence des enseignements, sans doute parce que ces mêmes élèves fréquentent les classes dites de « maths fortes » (élèves ayant choisi au moins 6 h de mathématiques par semaine) et donc qu’ils accordent d’emblée un intérêt plus important à cette matière. Des analyses complémentaires devraient être réalisées pour vérifier cette hypothèse, mais celles-ci sortent du cadre de cet article.

Limites et perspectives

Dans cette étude, nous avons délibérément choisi de mesurer les perceptions qu’ont les élèves du climat de soutien dans leur classe de mathématiques, ce qui, aux yeux de certains, pourrait constituer une limite. Certes, les mesures autorapportées peuvent comporter des biais tels que la désirabilité sociale ou la tendance à l’acquiescement (Lafontaine, 2016). S’il était clairement établi que les biais de réponse classiques ne sont pas indépendants du genre, ce serait problématique. Cela ne semble pas être le cas. Si des styles de réponse existent selon les cultures (Yang, Harkness, Chin et Villar, 2012), les biais de réponse ne varient pas systématiquement selon le genre de l’élève. Des recherches (Clarke, 2000 ; Marin, Gamba et Marin, 1992) ont en effet souligné que le genre n’est pas significativement lié à la tendance à l’acquiescement ou à choisir les pôles extrêmes d’une échelle. De plus, les perceptions des élèves sont connues pour entretenir des liens puissants avec leurs motivations et leur choix d’orientation (Eccles, 2011 ; Leroy et al., 2013), ce qui justifie le fait de s’attarder sur ces perceptions. Dans le domaine des mathématiques, où les filles sont moins motivées que les garçons et moins présentes dans les études et carrières liées à cette discipline, cette perspective prend tout son sens. Il serait cependant porteur de confronter les perceptions des élèves à d’autres indicateurs (p. ex., observations réalisées par un observateur externe). Cela permettrait en effet de juger de la concordance des perceptions des élèves avec des données plus objectives et, ainsi, comme le suggèrent Lazarides et Watt (2015)[13], de concevoir des actions destinées à modifier les comportements des enseignants (si les perceptions sont correctes) ou les perceptions des élèves (si elles sont incorrectes).

Une autre limite de notre étude est que les analyses ont été réalisées au niveau des individus, et non au niveau des classes ou des écoles. Selon Wang et Eccles (2014), les perceptions des élèves sont plus influencées par leurs caractéristiques individuelles (genre, origine socioéconomique ou ethnique, performances) que par des caractéristiques des classes et écoles. Cependant, il est prévu de prolonger ce travail en effectuant des analyses multiniveaux, d’autant que le système éducatif de la FW-B se caractérise par une importante variance entre écoles et entre classes à cette année d’études (5e secondaire). Certaines dimensions de notre questionnaire portent sur la relation de l’enseignant avec la classe entière (p. ex., perception de la pertinence de l’enseignement ou du caractère dirigé de ce dernier). Il serait donc intéressant de les étudier au niveau des classes pour tenir compte de la variance commune qui caractérise les élèves d’une même classe.

En mathématiques, les recherches ont longtemps mis en avant le désavantage des filles tant en ce qui concerne les motivations que les aspirations à des études ou des carrières liées à cette discipline. La présente étude révèle que, contrairement aux garçons, elles sont plus sensibles à l’implication de l’enseignant. Il convient maintenant de poursuivre nos recherches pour voir si ce constat peut devenir un réel atout pour les filles et constituer un levier efficace pour les aider à prendre confiance dans leurs capacités au sein d’une discipline toujours très marquée par les stéréotypes de genre.