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Problématique

La prolifération d’examens, standardisés ou à large déploiement, pour l’évaluation des apprentissages dans les systèmes d’éducation donne lieu à des pratiques questionnables, tant de la part des enseignants que des élèves (Blais, 2004 ; Knoester et Au, 2017). Pour les enseignants, l’enseignement pour l’examen (teach to the test), c’est-à-dire l’acte d’orienter l’enseignement en fonction de ce qui est évalué dans l’examen plutôt qu’en fonction des programmes d’enseignement (Copp, 2016), est monnaie courante dans les écoles (Au, 2007 ; Erskine, 2014  ; Nichols et Berliner, 2011). La pression pour la réussite serait aussi forte sur les élèves que sur le personnel scolaire (Nichols et Berliner, 2011). En ce sens, certains enseignants vont même jusqu’à donner les réponses à leurs élèves lors de la passation de tests standardisés, tellement la pression pour la réussite est élevée (Cummings, Maddux, Harlow et Dyas, 2002 ; Erskine, 2014 ; Nichols et Berliner, 2011). Selon ces auteurs, plus la pression associée à ces examens est élevée, plus les acteurs du système scolaire perçoivent l’éducation comme la simple obtention de notes, plutôt que comme un processus éducatif visant le développement des élèves.

Ainsi, pour les élèves, tricher devient une option, car ils perçoivent les faibles résultats aux examens non pas comme le reflet de leurs apprentissages, mais plutôt comme un obstacle potentiel à tout projet d’avenir (Crittenden, Hanna et Peterson, 2009). À cet égard, Hubick (2016) parle de false participation pour décrire ce phénomène de déresponsabilisation face à l’apprentissage. Cette déresponsabilisation serait ressentie par l’étudiant et par l’enseignant, qui perçoivent les travaux et les examens comme des prétextes pour obtenir des notes et éventuellement réussir un cours, plutôt que comme des moyens de faire état des apprentissages réalisés.

Par ailleurs, la tricherie aux examens ne s’arrête pas aux portes des écoles secondaires : elle se poursuit dans les études supérieures. En effet, plusieurs recherches font état de la continuité (Cronan, McHaney, Douglas et Mullins, 2017 ; Daniel, Blount et Ferrell, 1991) et même de l’accroissement du phénomène de la tricherie (Foudjio Tchouata, Lamago et Singo Njabo, 2014 ; McCabe, Butterfield et Trevino, 2012 ; Michaut, 2013) et s’interrogent sur la validité des notes et sur la crédibilité des diplômes (Cizek, 1999 ; Fendler, Yates et Godbey, 2018).

La tricherie n’est toutefois pas un nouveau phénomène. L’article de Barnes (1904) qui rapporte le vol d’un examen laissé à l’imprimerie dans une grande université américaine témoigne de la pérennité du phénomène qui, comme le rapporte Fishman (2016), daterait du milieu du 19e siècle. Aux États-Unis, la première étude d’envergure sur la tricherie menée par Bowers (1964) rapporte que les trois quarts des étudiants américains trichent durant leur parcours scolaire. Des années plus tard, McCabe, Trevino et Butterfield (2001) rapportent les résultats obtenus lors d’une étude menée par McCabe et Trevino (1993) qui arrive à des conclusions semblables, à savoir que 64 % des étudiants admettent avoir triché aux examens pendant leur scolarité. Leur étude de 2001 montre toutefois que la présence d’un code d’honneur (document dans lequel l’étudiant s’engage à respecter certaines règles éthiques) semble faire une différence puisque le pourcentage de tricherie aux examens diminue d’environ 15 à 20 % avec la présence d’un tel code (McCabe, Trevino et Butterfield, 2001).

Il n’en demeure pas moins que la tricherie est bien présente et semble perdurer. Des recherches récentes (Ellahi, Mishtaq et Khan, 2013 ; Fendler et al., 2018 ; Foudjio Tchouata et al., 2014 ; Ma, Wan et Lu, 2008 ; McCabe et al., 2012 ; Stiles, Pan, LaBeff et Wong, 2017) ont permis d’identifier des facteurs d’influence ayant contribué à la décision de l’étudiant de tricher ou non durant ses études. Certains facteurs ont trait à l’étudiant et à son expérience éducative, alors que d’autres sont en lien avec le contexte institutionnel. Ces facteurs seront abordés dans la section du cadre conceptuel. Des chercheurs se sont aussi intéressés aux modalités utilisées par les étudiants tricheurs (Michaut, 2013 ; Stephens, Young et Calabrese, 2007). Ces auteurs concluent que la tricherie par voie électronique (travailler à plusieurs lors d’un test en ligne, envoyer des courriels ou clavarder avec des collègues pendant l’examen) s’ajoute désormais aux pratiques traditionnelles de tricherie (obtenir les questions avant l’examen, copier les réponses de son voisin, etc.), ce qui diversifie et multiplie les façons de tricher aux examens.

Au Canada, Christensen Hughes et McCabe (2006) ont réalisé une recherche auprès de 14 913 étudiants de 11 universités. Les participants devaient se prononcer sur la tricherie pendant leurs études universitaires, mais aussi alors qu’ils étaient au secondaire. Leurs résultats montrent notamment que la tricherie existe aussi au Canada, et ce, dans une proportion plus forte au secondaire qu’à l’université. Puis, pour les étudiants qui disent tricher ou avoir triché au secondaire, une certaine confusion est constatée dans la perception de ce qu’ils considèrent comme de la tricherie. Les chercheurs citent la collaboration entre étudiants comme un exemple de pratique pour laquelle il y aurait beaucoup de confusion. Ainsi, pour certains étudiants, travailler à plusieurs lors d’un test en ligne qui, en principe, devrait être fait individuellement et dont la note est individuelle ne serait pas une pratique répréhensible. Cette même confusion quant à la collaboration entre étudiants est aussi soutenue par la recherche de Jurdi, Hage et Chow (2011).

Le phénomène de la tricherie n’est pas limité à l’Amérique du Nord. Crittenden et ses collègues (2009) parlent plutôt d’une culture mondiale de la tricherie et la rapprochent à un phénomène de société. Ces chercheurs ont étudié la tricherie auprès d’étudiants au baccalauréat en commerce dans 36 pays. Ils ont ciblé trois indicateurs spécifiques pour leur étude : genre, niveau de corruption dans le pays et adhésion à une philosophie morale. Leur recherche a permis de confirmer que les femmes trichent moins que les hommes, mais aussi d’identifier des facteurs sociaux d’influence à la tricherie (p. ex., l’indice de corruption et les conditions socioéconomiques du pays). Après avoir confirmé l’ampleur extraordinaire du phénomène mondial de la tricherie, ils arrivent à la conclusion que les étudiants en commerce, futurs leaders du monde des affaires, semblent apprendre que les résultats aux examens sont plus importants que le processus d’apprentissage, et ce, quelle que soit la façon, éthique ou non, qui leur a permis de les obtenir (Crittenden et al., 2009).

Une recension des recherches sur le phénomène de la tricherie aux examens nous a menés à faire trois constats. Premièrement, bien que la recherche dans ce domaine soit abondante, les recherches canadiennes sur la tricherie aux examens sont rarissimes (Christensen Hughes et McCabe, 2006 ; Jurdi et al., 2011 ; Wideman, 2011) et ne distinguent pas clairement la tricherie aux examens du plagiat dans les travaux. Deuxièmement, très peu de chercheurs ont étudié la tricherie aux examens en ciblant spécifiquement les facultés d’éducation (Daniel et al., 1991 ; Foudjio Tchouata et al., 2014) et, à notre connaissance, aucune étude n’a été menée au Québec. Or, ces futurs professionnels de l’éducation assumeront un rôle essentiel dans la formation des jeunes qui deviendront les leaders de demain. Les futurs enseignants sont formés pour développer un agir éthique et responsable dans l’exercice de leurs fonctions (Ministère de l’Éducation, 2001). Leur enseignement devra s’inscrire dans une démarche éthique (Boon, 2011 ; Jeffrey, 2013 ; Jutras, 2013) soutenue par leur raisonnement moral lors de décisions en situation de pratique (Cummings, Harlow et Maddux, 2007 ; Ndzedi, 2016). Ils assumeront un double rôle, soit celui de leader de l’intégrité professionnelle et celui de modèle d’intégrité pour leurs élèves (Boon, 2011 ; Cummings et al., 2002). Ainsi, faire le point sur le phénomène de la tricherie aux examens dans les facultés d’éducation au Québec devient une étape essentielle et préalable à toute démarche pour s’assurer que les futurs enseignants soient capables d’assumer ce double rôle.

Or, et c’est notre troisième constat, les outils de collecte de données, généralement des questionnaires, utilisés dans les recherches qui se sont intéressées à la tricherie aux examens sont soit absents des articles (Do Ba et al., 2017 ; Olafson, Schraw, Nadelson, Nadelson et Kehrwald 2013 ; Trushell, Byrne et Hassan, 2013), partiellement présentés (Babaii et Nejadghanbar, 2017 ; Dawson, 2016 ; Denisova-Schmidt, Huber et Leontyeva, 2016) ou, sauf quelques exceptions (Côté, 2014 ; Foudjio Tchouata et al., 2014 ; Guibert et Michaut, 2009 ; Michaut, 2013), rédigés dans une autre langue que le français. Par ailleurs, lorsque les questionnaires sont présentés, totalement ou en partie, peu d’informations sont disponibles quant à leur élaboration et leurs qualités métrologiques. Notre recherche, qui a comme but de mesurer la propension à tricher aux examens dans les facultés d’éducation, nécessite donc l’élaboration d’un questionnaire de langue française et l’obtention de diverses preuves de validité pour réaliser une collecte de données auprès des étudiants d’universités québécoises.

Cet article présente la démarche d’élaboration du questionnaire sur la propension à tricher aux examens à l’université et le processus de validation associé. L’élaboration du questionnaire prend appui dans la littérature scientifique sur la tricherie, principalement en ce qui concerne les facteurs individuels et contextuels qui ont une incidence sur la propension à tricher et les modalités utilisées pour tricher. Les travaux de Frenette, Hébert, Thibodeau et Ndinga (2018) encadrent la démarche méthodologique d’élaboration du questionnaire et le processus de validation associé.

Cadre conceptuel

Nous abordons ici les concepts étudiés et définis par les chercheurs qui se sont intéressés à la tricherie. Nous présentons d’abord le concept de tricherie aux examens, puis les facteurs qui peuvent influencer les étudiants dans leur décision de tricher aux examens.

Tricherie aux examens

La littérature sur la tricherie inclut généralement celle dans un travail écrit, également appelée plagiat, et celle aux examens. Le plagiat consiste à copier des mots ou des bouts de phrases d’un auteur, ou encore à utiliser son texte en le modifiant légèrement, et ce, sans citer l’auteur (Shei, 2005 ; Walker, 2010). Tricher aux examens, par contre, est une fraude commise par un étudiant pour obtenir certains gains, à savoir une augmentation de ses chances de réussite à un examen (Mark Chaput de Saintonge et Pavlovic, 2004 ; Michaut, 2013). Pour les fins de notre recherche, seule la propension à tricher aux examens est retenue, et ce, afin de permettre une compréhension plus approfondie du phénomène ainsi que des mesures qui pourraient être mises en oeuvre pour réduire la tricherie lors des examens.

Facteurs démographiques

Le genre

Le genre de l’étudiant est l’un des facteurs démographiques les plus étudiés. Selon plusieurs auteurs (Cizek, 1999 ; Crittenden et al., 2009 ; Cummings et al., 2002 ; Daniel et al., 1991 ; Ellahi et al., 2013 ; McCabe et Trevino, 1997 ; Whitley, 1998 ; Yang, Huang et Chen, 2013), les garçons tricheraient plus que les filles. Cette différence de genre n’est toutefois pas soutenue de façon unanime par les auteurs scientifiques. Fass-Holmes (2017), qui s’est intéressé aux étudiants internationaux plus spécifiquement, mentionne à cet effet que le pourcentage de tricherie serait sensiblement le même chez les garçons et chez les filles. Kayisoglu et Temel (2017) arrivent à un constat similaire lorsqu’ils rapportent que l’attitude au regard de la tricherie, positive ou négative, est la même, et ce, indépendamment du genre de l’élève.

Néanmoins, Yang et ses collaborateurs (2013) soulignent que les motivations pour tricher sont différentes. Les filles seraient plus enclines à tricher que les garçons dans un environnement où le risque de se faire prendre est peu élevé. Les résultats de leur étude montrent en fait que le risque de se faire prendre serait le facteur déterminant de la tricherie pour les filles, alors que, pour les garçons, le manque d’efforts scolaires viendrait justifier leurs actes. Le rôle du risque dans la décision de tricher ou non, et ce, indépendamment du genre, a aussi été étudié dans la discipline de l’économie. À l’aide de modèles mathématiques, Collins, Judge et Rickman (2007) ont en effet montré que, lorsque la perception de l’utilité de tricher est supérieure à la possibilité de se faire prendre, les étudiants auraient plus tendance à tricher.

L’âge

L’âge de l’étudiant universitaire est aussi un facteur qui peut avoir une incidence sur la décision de tricher. Plusieurs chercheurs avancent que plus l’étudiant est jeune, plus les risques qu’il triche sont élevés (Kisamore, Stone et Jawahar, 2007 ; Olafson et al., 2013). En fait, selon Kisamore et ses collaborateurs (2007), les étudiants plus vieux seraient non seulement moins portés à tricher, mais aussi plus enclins à dénoncer la tricherie.

Les résultats scolaires

Les résultats scolaires obtenus par les étudiants pourraient également influer sur leur décision de tricher. Les chercheurs présentent toutefois des résultats qui diffèrent à ce sujet. Si certains (Cummings et al., 2002 ; McCabe et Trevino, 1997 ; Olafson et al., 2013) affirment qu’une moyenne faible peut inciter l’étudiant à tricher, d’autres (Guibert et Michaut, 2009) affirment que ce sont les étudiants plus forts qui trichent le plus.

L’expérience à la tricherie

Enfin, l’expérience antérieure de l’étudiant aurait une influence sur sa décision de tricher lors d’un examen. L’étudiant qui a triché au primaire ou au secondaire aurait plus tendance à maintenir cette pratique dans son parcours universitaire (Ellahi et al., 2013 ; Schuhmann, Burrus, Barber, Graham et Elikai, 2013). Selon les chercheurs français Guibert et Michaut (2009), les pratiques antérieures de tricherie « représentent à elles seules plus de la moitié de la variance expliquée »(p. 47).

Influence des pairs

L’influence des pairs sur la décision de l’étudiant de tricher est largement documentée, et ce, depuis les toutes premières études sur la tricherie (Bowers, 1964 ; Crittenden et al., 2009 ; Cummings et al., 2002 ; Ellahi et al., 2013 ; Christensen Hughes et McCabe, 2006 ; Kisamore et al., 2007 ; Ma et al., 2008 ; McCabe et Trevino, 1997 ; Meng, Othman, D’Silva et Omar, 2014 ; Rettinger et Kramer, 2009 ; Whitley, 1998). Bien qu’il y ait consensus sur l’influence des pairs, l’ancrage de cette influence n’est pas clair. Certains auteurs (Crittenden et al., 2009 ; Rettinger et Kramer, 2009) avancent que le simple fait de savoir que les amis ou l’entourage trichent serait suffisant pour motiver un étudiant à tricher. À cet égard, Meng et ses collègues (2014) soutiennent que l’étudiant tricheur recourt à des techniques de neutralisation pour justifier son action. Ainsi, l’étudiant peut se convaincre qu’il ne fait de mal à personne, que la victime (le professeur) l’a mérité ou encore que les autres le font aussi. Enfin, l’opinion de l’étudiant et de son entourage au regard de la tricherie aurait un lien avec la décision de tricher (Meng et al., 2014 ; Crittenden, et al., 2009).

Contexte institutionnel

Les institutions universitaires se dotent habituellement de cadres légaux, de politiques et de règlements pour encadrer les pratiques en lien avec l’évaluation des étudiants. Que ce soit une politique sur l’intégrité académique ou sur le plagiat ou encore un code d’honneur, ces documents sont accessibles aux étudiants et bien souvent reproduits, en partie ou en totalité, dans les plans de cours.

Or, les chercheurs qui se sont intéressés à l’influence de ces encadrements légaux sur le phénomène de la tricherie arrivent à la conclusion que, bien souvent, les étudiants ne connaissent pas ces documents ou ne les comprennent pas (Ellahi et al., 2013 ; Ma et al., 2008). De plus, ils ne sont pas conscients des sanctions vécues par les étudiants tricheurs et considèrent que les risques associés à la tricherie sont faibles (Ma et al., 2008 ; Meng et al., 2014 ; Murdock et Anderman, 2006 ; Schuhmann et al., 2013).

Mieux connaître les caractéristiques des tricheurs et leur environnement ne nous permet cependant pas d’avoir le portrait complet de la situation ; il faut aussi connaître les façons de faire des étudiants. Les chercheurs ont aussi exploré cette facette de la tricherie.

Modalités pour tricher

Les méthodes utilisées pour tricher n’ont pas d’autres limites que l’imagination du tricheur (Cizek, 1999). Ce chercheur propose trois catégories de méthodes. Premièrement, il y a les méthodes qui impliquent que l’étudiant donne ou reçoit de l’information qui ne devrait pas être partagée. La publication sur Internet de la réponse à une question de l’examen ministériel en histoire en 2016 au Québec en est un bel exemple. Deuxièmement, il y a les méthodes qui font appel à du matériel interdit pendant les examens (notes ou formules écrites sur des parties du corps). Enfin, certaines méthodes de contournement sont aussi utilisées. Par exemple, lorsqu’un étudiant modifie ses réponses lors du retour de l’examen et qu’il prétend que l’enseignant s’est trompé dans sa correction.

Les méthodes utilisées pour tricher se sont modernisées avec l’avancement des technologies. Le recours aux téléphones intelligents pour tricher lors des examens est bien documenté (Michaut, 2013). Les examens informatisés font aussi l’objet de tricherie et l’intérêt des chercheurs pour la sécurité informatique s’est donc accru (Blais, 2004 ; Côté, 2014 ; Dawson, 2016).

Expérience éducative

L’expérience éducative (ou individual influences ; Schuhmann et al., 2013) englobe plusieurs facettes en lien avec l’étudiant. Par exemple, la motivation des étudiants, le temps qu’ils consacrent à l’étude et leur propension à procrastiner dans leurs travaux et dans leur étude ont été étudiés par des chercheurs dont les recherches ont montré un lien entre l’absence de motivation et la tricherie (Ellahi et al., 2013), entre le fait de faire souvent la fête et l’action de tricher (Whitley, 1998) et entre la tendance à procrastiner et la tricherie (Patrzek, Sattler, van Veen, Grunschel et Fries, 2015). Selon ces chercheurs, les étudiants qui sont peu motivés par leurs études, qui consacrent peu de temps à l’étude et aux travaux et qui ont tendance à procrastiner dans leurs tâches scolaires seraient plus enclins à tricher. Ces trois aspects (faible motivation, peu de temps pour l’étude et tendance à la procrastination) s’inscrivent sous la bannière engagement dans les études.

D’autres chercheurs (Foudjio Tchouata et al., 2014 ; Murdock et Anderman, 2006 ; Rettinger et Kramer, 2009) se sont attardés à la spécificité des objectifs que les étudiants se donnent dans leur programme d’études. Selon eux, lorsque l’étudiant se donne un objectif scolaire centré sur les notes ou le diplôme plutôt que sur l’apprentissage, la tricherie deviendrait une option. Pour Foudjio Tchouata et ses collègues (2014), les étudiants centrés sur la note et l’obtention du diplôme ont des buts de performance. Ces buts se caractérisent comme un « désir de faire preuve de compétences, soit en essayant d’être meilleur que les autres, soit en essayant d’éviter d’être moins bon que les autres » (Foudjio Tchouata et al., 2014, p. 49). Ils les distinguent des buts de maîtrise, qui font plutôt référence à un désir d’apprendre ou d’intégrer de nouvelles connaissances. Murdock et Anderman (2006) associent les buts de performance à une motivation extrinsèque, principalement influencée par l’extérieur (l’école, les pairs), alors que les buts de maîtrise seraient intrinsèques et influencés par des objectifs personnels. Ces chercheurs proposent un modèle théorique de la tricherie qui positionne la motivation extrinsèque et une orientation vers la performance comme un prédicteur de la tricherie.

Enfin, la perception que l’étudiant a du degré de contrôle qu’il exerce sur son activité scolaire a aussi été étudiée par certains chercheurs (Rettinger et Kramer, 2009 ; Whitley, 1998). Le degré de contrôle perçu par l’étudiant fait référence au concept de locus of control associé à la théorie de l’attribution causale (Weiner, 1986). L’influence de cette perception de contrôle de l’étudiant n’est toutefois pas clairement délimitée dans la littérature. Alors que certains chercheurs établissent un lien entre le sentiment d’être peu en contrôle de ses résultats et la tricherie (Rettinger et Kramer, 2009 ; Whitley, 1998), d’autres considèrent que ce sont plutôt les habiletés scolaires de l’étudiant qui seraient en lien avec la décision de tricher (Rinn, Boazman, Jackson et Barrio, 2014).

En prenant appui sur le cadre conceptuel qui précède, nous avons élaboré un questionnaire en langue française pour mesurer l’étendue de la tricherie aux examens dans les facultés d’éducation d’universités québécoises. La suite de cet article décrit finement le processus d’élaboration et de validation suivi pour mettre au point ce questionnaire.

Processus d’élaboration et de validation du questionnaire

L’approche proposée par Frenette et ses collègues (2018) est retenue pour l’élaboration du Questionnaire sur la tricherie aux examens à l’université (QTEU), car elle vise à maximiser l’accumulation de preuves de validité (Downing, 2003), selon le modèle des Standards for educational and psychological testing (AERA, APA et NCME, 2014) reposant sur les travaux de Messick (1995) : contenu, processus de réponse, structure interne, relations avec d’autres variables et conséquences. Cette approche, inspirée de Dussault, Valois et Frenette (2007) et des lignes directrices suggérées par DeVellis (2012, 2017), se centre sur sept étapes : 1) déterminer le concept à l’étude ; 2) déterminer le contexte de passation ; 3) générer une banque d’énoncés ; 4) déterminer le format de l’échelle de réponse ; 5) évaluer la banque initiale d’énoncés à l’aide du jugement d’experts ; 6) effectuer un prétest pour accumuler des preuves préliminaires de validité ; et 7) effectuer la collecte de données pour accumuler des preuves de validité.

Comme le suggère DeVellis (2012, 2017), une échelle de désirabilité sociale (étapes 6 et 7), soit la version abrégée de l’échelle d’hétéroduperie du Balanced Inventory of Desirable Responding (BIDR ; D’Amours-Raymond, 2011), est incluse à la recherche afin d’évaluer sa présence dans les réponses des participants. La désirabilité sociale intervient lorsque les répondants ont tendance à se représenter de façon avantageuse, plutôt que de répondre de façon exacte et véridique à un questionnaire (Paulhus, 1991). L’échelle d’hétéroduperie, qui est la plus utilisée en recherche (D’Amours-Raymond, 2011) et qui est reprise ici, mesure la tendance à présenter une image favorable de soi à autrui (Paulhus, 1991).

Étape 1 : Concept à l’étude

Cette étape vise à préciser le concept évalué permettant d’apporter des preuves de validité de contenu. Une analyse conceptuelle approfondie de la littérature en lien avec la tricherie aux examens a inspiré l’élaboration du QTEU, qui vise à mesurer la propension à la tricherie lors des examens universitaires (variable dépendante) ainsi que quatre facteurs permettant de l’expliquer : influence des pairs, modalités pour tricher, contexte institutionnel et expérience éducative (perception de contrôle, but de performance et engagement dans les études).

Étape 2 : Contexte de passation

Selon Downing (2003), s’assurer de l’intégrité des données (temps de réponse, autorisation éthique, etc.) permet de présenter des preuves de validité liées au processus de réponse. Il a été souhaité que le questionnaire soit court et se remplisse en moins de 15 minutes afin d’être utilisé en relation avec d’autres concepts (p. ex., l’anxiété face aux examens) dans des recherches futures. Pour le prétest et la collecte de données, le questionnaire a été soumis en ligne à l’aide du logiciel d’enquête LimeSurvey. L’autorisation pour le projet de recherche a été obtenue auprès du comité d’éthique des cinq universités participantes.

Étape 3 : Génération d’énoncés

Cette étape vise à traduire les éléments clés des définitions en énoncés permettant de soutenir les preuves de validité de contenu. Afin de générer les énoncés, deux approches ont été retenues : 1) recension des questionnaires dans la littérature et 2) analyse de contenu de quatre questions à réponse ouverte sur la tricherie aux examens (pourquoi tricher, caractéristiques des tricheurs, façons ou moyens de tricher) qui ont été soumises par courriel à 10 étudiants diplômés en sciences de l’éducation de trois universités québécoises. Ces deux approches ont permis à l’équipe de recherche de générer 54 énoncés : propension à tricher aux examens (4), influence des pairs (7), contexte institutionnel (5), modalités pour tricher (7) et expérience éducative (31). Le choix d’un grand nombre d’énoncés pour l’expérience éducative (voir la section plus haut) a été effectué en anticipant que ce facteur puisse se subdiviser au moment des analyses.

Étape 4 : Échelle de réponse

Selon Downing (2003), s’assurer de l’intégrité des données (échelle de réponse connue des répondants) permet de présenter des preuves de validité liées au processus de réponse. Le QTEU vise à mesurer la propension (ou l’inclinaison, la tendance, etc.) des étudiants universitaires à tricher aux examens, et non la fréquence d’un comportement ou la connaissance de faits. Comme d’autres concepts (croyances, attitude, perceptions), le choix d’une échelle de Likert allant de « 1 = tout à fait en désaccord » à « 4 = tout à fait en accord » était de mise. Il s’agit d’un type d’échelle fréquemment utilisé pour mesurer des attitudes, des croyances ou des opinions (DeVellis, 2012). Par ailleurs, ce type d’échelle à quatre options est celui qui a été retenu pour l’Academic Dishonesty Student Survey élaboré par McCabe (1992) et il a été réutilisé par plusieurs chercheurs qui se sont intéressés au phénomène de la tricherie (Dusu, Gotan, Deshi et Gambo, 2016 ; Lovett-Hooper, Komarraju, Weston et Dollinger, 2007 ; Sohr-Preston et Boswell, 2015 ; Wotring et Bol, 2011). Comme le suggèrent plusieurs auteurs (Dalal, Carter et Lake, 2014 ; Garland, 1991 ; Nadler, Weston et Voyles, 2015), il a été décidé de ne pas recourir au point milieu pour ce type d’échelle. La non-utilisation du point milieu dans notre recherche ne signifie pas qu’il ne puisse pas être utile dans d’autres contextes.

Étape 5 : Jugement d’experts

Pour supporter les preuves de validité de contenu, un groupe de 16 professeurs de diverses spécialités de l’éducation et de différentes universités a été invité à : 1) associer les énoncés aux différents facteurs ; 2) vérifier leur clarté ; 3) identifier les redondances ; et 4) proposer de nouveaux énoncés. Puis, 20 énoncés ont été retirés à la suite de cette consultation. Leurs suggestions ont mené à la rédaction de 8 énoncés additionnels : modalités pour tricher (5), influence des pairs (1) et contexte institutionnel (2).

Étape 6 : Prétest : méthodologie

La version prétest du questionnaire comporte 42 énoncés répartis selon 5 facteurs : 1 variable dépendante (propension à tricher aux examens) et 4 indépendantes (influence des pairs, contexte institutionnel, modalités pour tricher et expérience éducative). Deux professeurs oeuvrant dans deux universités (1 au Québec et 1 en Ontario) ont accepté de participer au prétest et ont présenté le projet de recherche dans leur classe. Les 41 étudiants (29 hommes et 12 femmes inscrits dans un programme de baccalauréat en éducation) intéressés par la recherche ont répondu au questionnaire ainsi qu’à une échelle d’hétéroduperie (pour évaluer la désirabilité sociale), en accédant à LimeSurvey à l’aide d’un lien fourni. Il s’agit d’un échantillon qui s’apparente, comme le suggère DeVellis (2012), à la population cible. La parenté avec la population cible s’explique par leur choix d’une carrière dans le domaine de l’éducation.

Quatre analyses ont été retenues pour obtenir des preuves préliminaires de la validité liées au contenu et à la structure interne (niveau de consistance interne, corrélation item-total corrigée et corrélations interitems) et aux relations avec d’autres variables (corrélation avec l’hétéroduperie). Par la suite, les analyses descriptives seront présentées.

Rappelons qu’une corrélation item-total corrigée est considérée comme problématique lorsque la valeur est inférieure à 0,30 (Crocker et Algina, 2006). Pour les corrélations interitems, celles entre les énoncés d’un même facteur doivent être plus élevées que celles avec des énoncés des autres facteurs. Quant au niveau de consistance interne, Kline (1999) recommande une valeur supérieure à 0,70.

La version abrégée de l’échelle d’hétéroduperie du BIDR (Paulhus, 1984, 1991) proposée par D’Amours-Raymond (2011) est retenue afin de vérifier la présence de désirabilité sociale. Les 13 énoncés sont évalués sur une échelle en 7 points, qui est par la suite dichotomisée. Pour cette version, le niveau de consistance interne est considéré comme satisfaisant (KR-20 = 0,70 ; D’Amours-Raymond, 2011). Une corrélation élevée indique l’influence de l’hétéroduperie dans les réponses des participants aux différents facteurs du QTEU.

Étape 6 : Prétest : preuves de validité

Le niveau de consistance interne (alpha de Cronbach) est considéré comme satisfaisant pour deux facteurs : propension à tricher aux examens (PTE ; 3 énoncés ; α = 0,75), influence des pairs (IP ; 4 énoncés, 1 problématique ; 3 énoncés ; α = 0,69). Pour deux autres facteurs, le niveau de consistance interne est considéré comme faible : modalités pour tricher (MT ; 9 énoncés, 4 problématiques ; 5 énoncés ; α = 0,59) et contexte institutionnel (CI ; 5 énoncés, 2 problématiques ; 3 énoncés ; α = 0,51). Enfin, pour l’expérience éducative (21 items), plusieurs énoncés présentent de faibles valeurs pour la corrélation item-total corrigée. Il a été décidé, à partir des corrélations interitems, de scinder ce facteur en trois (voir section sur l’expérience éducative) : deux avec un niveau de consistance interne satisfaisant et un considéré comme faible : perception de contrôle (PC ; 9 énoncés, 1 problématique ; 8 énoncés ; α = 0,70), but de performance (BP ; 6 énoncés ; α = 0,73) et engagement dans les études (EE ; 6 énoncés ; α = 0,57). Les corrélations interitems entre les énoncés d’un même facteur sont plus élevées, comme souhaité, que celles avec des énoncés des quatre autres facteurs.

Afin de bonifier la validité de contenu, six des huit énoncés avec des statistiques problématiques sont retirés. Les deux autres (CI) sont reformulés et conservés afin d’avoir un nombre suffisant d’énoncés pour ce facteur. La division du facteur expérience éducative en trois facteurs contribue aussi à améliorer la validité de contenu. Les trois analyses permettent d’obtenir des preuves de validité de contenu et pour la structure interne.

Quant à l’échelle d’hétéroduperie, le niveau de consistance interne est faible (α = 0,59). La PTE, l’IP et les MT sont corrélées négativement avec l’échelle d’hétéroduperie (voir Tableau 1), preuve de validité de relation avec d’autres variables.

Tableau 1

Corrélations entre les variables au prétest

Corrélations entre les variables au prétest

Note. * p < 0,05 ; ** p < 0,01.

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Étape 6 : Prétest : analyses descriptives

Les étudiants sont en désaccord avec les énoncés sur la PTE, sur les MT, sur le CI et sur l’EE. Cependant, leur opinion est plutôt partagée pour les énoncés sur la PC, sur le BP et sur l’IP, la moyenne étant près du point milieu de l’échelle. La moyenne à l’échelle d’hétéroduperie (H) est de 0,40 (voir Tableau 2).

Tableau 2

Statistiques descriptives des scores moyens au prétest

Statistiques descriptives des scores moyens au prétest

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L’analyse des corrélations (voir Tableau 1) permet de dégager différents constats. En premier, la PTE n’est pas corrélée avec le BP et l’EE. L’IP est corrélée uniquement avec la PTE et les MT. La PC est corrélée avec l’EE.

Étape 7 : Collecte de données : méthodologie

La deuxième version du questionnaire comporte 36 énoncés répartis sous 7 facteurs. Le responsable du secteur de l’éducation des cinq universités participantes a été sollicité dans le but de faciliter l’envoi d’un courriel d’invitation à participer à la recherche aux étudiants. Les 573 étudiants (486 femmes ; 86 hommes ; 1 autre) qui ont participé à la recherche sont inscrits au baccalauréat en enseignement : 17,8 % (18-20 ans), 48,5 % (21-23), 12,4 % (24-25), 21,3 % (plus de 25) ; 27,9 % (1re année dans le programme), 24,3 % (2e année), 23,9 % (3e année), 18,0 % (4e année), 5,9 % (cas spéciaux) ; 47,5 % (préscolaire/primaire) ; 17,5 % (secondaire) ; 19,5 % (éducation spécialisée) ; 15,5 % (autres programmes, p. ex. arts, activité physique, etc.).

Nous avons procédé aux mêmes analyses qu’au prétest, et ce, en respectant les mêmes critères. Deux autres analyses liées aux preuves de validité pour la structure interne (analyse factorielle confirmatoire[1]) et les relations avec d’autres variables (hypothèse d’une différence selon le genre) ont été ajoutées.

L’analyse factorielle confirmatoire est effectuée à l’aide de la version 6.2 du progiciel EQS (Bentler et Wu, 2006). Une valeur du Satorra-Bentler SBχ2/dl plus petite que 5 signifie que les données observées s’ajustent bien au modèle, tandis qu’une valeur plus petite que 2 signifie un ajustement appréciable (Jöreskog et Sörbom, 1993). Pour l’indice d’ajustement comparatif (comparative fit index ou CFI) et l’indice d’ajustement non normé (non-normed fit index ou NNFI), une valeur supérieure à 0,90 est généralement jugée adéquate (Schumacker et Lomax, 1996), tandis qu’une valeur supérieure à 0,95 est considérée comme appréciable. Pour l’erreur quadratique moyenne de l’estimation (root mean square error of approximation ou RMSEA ; Steiger, 1990), une valeur inférieure à 0,08 est acceptable, alors qu’une valeur sous 0,05 est considérée comme appréciable (Browne et Cudeck, 1993).

La méthode d’estimation du maximum de vraisemblance avec la correction de Lee, Poon et Bentler (1995), l’option pour variables catégorielles et l’option Robust sont utilisées pour l’analyse. L’option LMTest (Chou et Bentler, 1990) permet d’identifier des liens pouvant être ajoutés.

Des comparaisons de moyennes sont effectuées selon le genre du répondant (test t). Le d de Cohen (1988) permettra d’identifier la taille d’effet : faible (autour de 0,2), moyenne (autour de 0,5) et grande (autour de 0,8).

Étape 7 : Collecte de données : preuves de validité

Le niveau de consistance interne (alpha de Cronbach) est considéré comme satisfaisant pour quatre facteurs : propension à tricher aux examens (PTE ; 3 énoncés ; α = 0,77), influence des pairs (IP ; 3 énoncés ; α = 0,79), modalités pour tricher (MT ; 5 énoncés, 2 problématiques ; 3 énoncés ; α = 0,83) et perception de contrôle (PC ; 8 énoncés, 1 problématique ; 7 énoncés ; α = 0,72). Pour les trois autres facteurs, le niveau de consistance interne est considéré comme faible : contexte institutionnel (CI ; 5 énoncés, 2 problématiques ; 3 énoncés ; α = 0,54), but de performance (BP ; 6 énoncés, 2 problématiques ; 4 énoncés ; α = 0,64) et engagement dans les études (EE ; 6 énoncés, 1 problématique ; 5 énoncés ; α = 0,61). Aucun énoncé ne présente une faible valeur pour la corrélation item-total corrigée. Pour tous les facteurs, les corrélations interitems entre les énoncés d’un même facteur sont plus élevées, comme souhaité, que celles avec des énoncés des autres facteurs.

Afin d’améliorer la validité de contenu, les énoncés problématiques sont retirés. La version finale du questionnaire (voir Annexe 1) comporte 28 énoncés répartis selon 7 facteurs : 1 facteur dépendant (PTE) et 6 facteurs indépendants (corrélés). L’ajustement de ce modèle aux données est vérifié à partir d’une analyse factorielle confirmatoire.

À la suite de l’ajout de deux corrélations entre termes d’erreur proposées par le LMTest, les résultats indiquent un ajustement adéquat du modèle aux données pour le CFI et le NNFI, mais un ajustement appréciable pour le RMSEA et le SBχ2/dl (voir Figure 1). Tous les liens facteurs-énoncés sont significatifs. Des quatre facteurs qui prédisent la PTE, trois présentent un lien positif (EE, IP et MT), tandis que le CI présente un lien négatif. Le lien le plus fort permettant de prédire la PTE est les MT. Deux facteurs (PC et BP) ne permettent pas de prédire la PTE. Six corrélations sont non significatives et concernent principalement la PC et le BP. Les deux corrélations entre termes d’erreur sont élevées (> 0,45).

Pour l’échelle d’hétéroduperie (H), le niveau de consistance interne est faible (α = 0,60). La moyenne est de 0,39 (voir Tableau 3). L’IP (-0,11) corrèle faiblement avec H, tandis que trois autres facteurs (CI, PC et BP) ne présentent pas de corrélation significative avec cette échelle. Les corrélations les plus élevées avec H sont pour la PTE (-0,33), les MT (0,26) et l’EE (-0,27). Les corrélations élevées indiquent que les réponses des participants au QTEU sont teintées par la désirabilité sociale. Ainsi, leurs réponses sembleraient sous-estimer leur perception de la réalité au regard de la PTE, des MT et de l’EE.

Tableau 3

Statistiques descriptives des scores moyens lors de la collecte de données

Statistiques descriptives des scores moyens lors de la collecte de données

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Figure 1

Ajustement du modèle aux données, corrélations (encadré gauche) et statistiques d’ajustement (encadré droit)

Ajustement du modèle aux données, corrélations (encadré gauche) et statistiques d’ajustement (encadré droit)

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Comme documentées dans la littérature, des différences selon le genre sont observées (taille d’effet faible) : les hommes présentent une moyenne plus élevée pour l’IP (t = 2,28 ; dl = 570 ; p = 0,02 ; d = 0,01) et pour l’EE (t = 3,95 ; dl = 570 ; p < 0,01 ; d = 0,03), tandis que les femmes présentent une moyenne plus élevée pour la PC (t = -3,93 ; dl = 570 ; p < 0,01 ; d = 0,03). Les six analyses effectuées ont permis d’obtenir des preuves de validité de contenu, de structure interne et de relations avec d’autres variables. Les inférences liées à la validité de conséquence seront présentées dans la discussion.

Étape 7 : Collecte de données : analyses descriptives

Tout comme au prétest, les étudiants sont en désaccord avec les énoncés sur la PTE, les MT, le CI et l’EE. Leur opinion est plutôt partagée, la moyenne étant près du point milieu de l’échelle pour la PC, le BP et l’IP.

Propension à tricher aux examens

Le tableau 4 présente les statistiques descriptives pour les trois énoncés liés à la PTE. Si on considère que les étudiants qui sont totalement en désaccord avec les énoncés (option 1 de l’échelle de réponse) sont ceux qui mentionnent ne pas tricher, nous constatons que les autres étudiants (56,5 %) mentionnent avoir triché (options 2-3-4 de l’échelle de réponse) dans les examens au secondaire. Au total, 56 % mentionnent avoir regardé sur la copie d’un voisin et 33,5 % mentionnent avoir triché dans leur parcours universitaire. Les corrélations entre les trois énoncés sont élevées, variant entre 0,50 et 0,63.

Discussion

Cette recherche a comme objectif de mesurer la propension à tricher aux examens auprès des étudiants universitaires dans les facultés d’éducation au Québec. Elle a nécessité l’élaboration d’un questionnaire de langue française qui repose sur les travaux de Frenette et ses collègues (2018) visant à maximiser l’obtention de preuves de validité. Ce questionnaire vient combler un besoin sur la tricherie aux examens dans le contexte francophone et permet de mesurer son étendue auprès des étudiants d’universités francophones.

Les étapes 1, 3, 5, 6 et 7 ont permis de présenter des preuves pour supporter la validité de contenu. En premier lieu, l’élaboration du questionnaire repose sur une analyse conceptuelle approfondie de la littérature qui a permis d’identifier sept facteurs, qu’on retrouve habituellement dans la littérature, à la base du QTEU. En deuxième lieu, à partir de la recension des questionnaires et de questions ouvertes, 54 énoncés ont été générés. Des experts se sont ensuite prononcés sur différentes qualités de ces énoncés. Les analyses au prétest et lors de la collecte de données ont mené à l’identification d’énoncés problématiques. Enfin, l’étape du prétest a permis de clarifier le rôle du facteur expérience éducative, qui a été ventilé en trois facteurs (PC, BP et EE).

Tableau 4

Statistiques descriptives pour les énoncés sur la propension à tricher aux examens

Statistiques descriptives pour les énoncés sur la propension à tricher aux examens

Note. TD = Totalement en désaccord ; D = Désaccord ; A = Accord ; TA = Totalement en accord.

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Afin d’assurer l’intégrité des données (Downing, 2003), les étapes 2 et 4 ont fourni des preuves appuyant la validité liée au processus de réponse. Le temps de passation a été limité à environ 15 minutes. Le questionnaire est disponible en ligne, bien qu’il puisse être utilisé en version papier. L’échelle de réponse choisie était connue des répondants. Enfin, l’autorisation éthique a été obtenue afin d’appuyer l’intégrité du processus de collecte des données.

Les analyses aux étapes 6 et 7 ont mené à l’obtention de diverses preuves appuyant la validité de la structure interne. Bien que Yurdugül (2008) recommande d’utiliser avec précaution les résultats au prétest, ceux-ci sont de même envergure que ceux obtenus lors de la collecte de données. Le modèle à six facteurs indépendants et à un facteur dépendant s’ajuste bien aux données recueillies. Deux corrélations entre les termes d’erreur (erreur systématique) ont été ajoutées au modèle. En excluant la variance liée à la propension à tricher aux examens, les énoncés possèdent une caractéristique commune. Le premier ajout pourrait s’expliquer par un contexte lié à la gestion des études (procrastination c. gérer son temps), tandis que le second, par une caractéristique liée à la compétition (compétition avec camarades et mieux réussir que les autres). Des recherches devront être menées afin d’appuyer ce résultat.

Trois facteurs (CI, BP et EE) présentent un faible niveau de consistance interne. Puisque ces facteurs sont bien documentés dans les recherches, il y a lieu de s’y attarder davantage. Ainsi, les énoncés problématiques pourront être révisés et d’autres pourront être proposés afin d’améliorer la mesure de ces facteurs. Des groupes de discussion pourraient être menés afin d’approfondir les connaissances sur ces trois facteurs.

Les étapes 6 et 7 ont permis d’obtenir des preuves appuyant la validité de relation avec d’autres variables : corrélation avec l’échelle d’hétéroduperie et différences selon le genre. Deux facteurs (PC et BP) présentent peu ou prou de corrélations significatives avec les autres facteurs et ne permettent pas de prédire la PTE. Il est suggéré de conserver ces deux facteurs dans les études futures, étant donné leur importance dans la littérature. Enfin, le lien négatif entre la PTE et le CI indique que, lorsque la politique est difficile à comprendre, qu’elle est méconnue ou que les conséquences vécues par les tricheurs sont méconnues, les étudiants ont une PTE plus grande. Il est possible de penser que cette méconnaissance des règlements officiels de l’institution suscite une démarche de neutralisation (Meng et al., 2014) qui permet à l’étudiant de banaliser son geste de tricherie.

La PTE, les MT et l’EE présentent une corrélation élevée avec l’hétéroduperie. Ces corrélations élevées indiquent que les réponses des participants au QTEU sont teintées par la désirabilité sociale, ce qui nécessite dans les recherches futures de contrôler son effet dans les analyses.

L’absence de différence de genre pour la PTE appuie les travaux de Fass-Holmes (2017) et Kayisoglu et Temel (2017). En ce qui concerne les facteurs associés, les hommes présentent une moyenne plus élevée pour l’IP et l’EE, tandis que les femmes présentent une moyenne plus élevée pour la PC. Ces résultats viennent bonifier les connaissances dans le domaine sur les différences de genre.

Les étudiants sont globalement peu enclins à la PTE, utilisent peu les MT, connaissent peu les politiques institutionnelles (CI) de leur établissement et sont peu engagés dans leurs études (EE). Leur opinion est plutôt partagée pour la PC, le BP et l’IP. Nous croyons que la plus faible propension à tricher aux examens chez les étudiants en éducation peut s’expliquer, du moins en partie, par la réalité contextuelle des programmes d’études en éducation. Pour ces étudiants, les enjeux associés aux notes qu’ils obtiennent sont peut-être moins importants que pour ceux dans les facultés de commerce, de droit ou de médecine, qui eux font face à des exigences d’admission élevées et qui, dans certains cas, doivent maintenir une moyenne élevée pour poursuivre leur programme et pour accéder à certains stages. La situation est différente en éducation, car, une fois inscrit dans un programme, l’étudiant qui réussit ses cours, que sa moyenne soit élevée ou faible, pourra poursuivre son programme et faire ses stages. En ce qui a trait à l’EE, rappelons que bon nombre d’étudiants en éducation font de la suppléance, et ce, dès la première année de leur programme. Cette charge professionnelle qui s’ajoute à leur travail d’étudiant a peut-être une incidence sur leur EE.

L’ampleur de la tricherie au secondaire est légèrement plus faible que celle rapportée par Bowers (1964) et McCabe et Trevino (1993). Près de 60 % des étudiants affirment avoir déjà triché au secondaire et regardé sur la copie du voisin. À l’instar de l’étude de Christensen Hughes et McCabe (2006), l’ampleur diminue à environ 36 % à l’université. La relation entre le fait d’avoir triché au secondaire et à l’université présente un niveau élevé et est corroborée par Ellahi et ses collaborateurs (2013), par Schuhmann et ses collègues (2013) et par Guibert et Michaut (2009).

Pour terminer, les preuves de validité de conséquence réfèrent à l’impact, sur les étudiants, de l’évaluation, des décisions qui seront prises et des conséquences à venir à la suite de la collecte de données. Dans la présente étude, nous inférons qu’aucune conséquence négative liée à l’utilisation du questionnaire n’est présente pour les étudiants, tandis que les conséquences positives sont nombreuses. En ce sens, avoir fait le point sur le phénomène de la tricherie aux examens dans les facultés d’éducation au Québec était un incontournable. À la suite de cette recherche, des mesures pourront être mises en place afin de conscientiser les futurs enseignants au phénomène de la tricherie aux examens afin de s’assurer qu’ils soient capables d’assumer un agir éthique et responsable dans l’exercice de leurs fonctions (Ministère de l’Éducation, 2001).

Limites

Cette étude présente certaines limites. D’abord, il y a lieu de mentionner que la population utilisée, soit les étudiants universitaires en éducation, n’est pas représentative de l’ensemble des étudiants universitaires. Deuxièmement, bien que les énoncés du questionnaire puissent présenter des similarités dans leur libellé pour le facteur d’influence des pairs, une réponse à un énoncé n’induit pas nécessairement celle à un autre. Un comportement passé, futur ou la récurrence de ce dernier sont des éléments différents évalués par le facteur, bien qu’ils partagent une variance commune liée à ce facteur. Les corrélations interitems viennent appuyer ce fait puisqu’elles sont inférieures à 0,61.

Conclusion

La présente recherche visait à développer un questionnaire ainsi qu’à procéder à son processus de validation afin de mesurer la propension à tricher aux examens auprès des étudiants universitaires dans les facultés d’éducation au Québec. Le QTEU vient combler un besoin de questionnaire sur la tricherie aux examens et permet de mesurer son étendue auprès des étudiants universitaires.

D’autres études devront être menées. En premier, il serait intéressant de vérifier l’étendue de la tricherie aux examens dans d’autres contextes francophones et de vérifier la conclusion de Crittenden et ses collègues (2009), selon laquelle la tricherie est une culture mondiale. Deuxièmement, les recherches futures pourront s’attarder aux différences selon l’âge ou les résultats scolaires répertoriés dans la littérature. Troisièmement, il serait aussi intéressant de vérifier l’invariance de la structure factorielle selon le genre, si le nombre de répondants le permet, ce qui n’était pas le cas dans la présente recherche. Enfin, des recherches pourraient s’intéresser à d’autres caractéristiques (nombre de comportements, faits, etc.) et contextes (primaire, secondaire, collégial, selon les disciplines scolaires, etc.) de la tricherie aux examens.

Le processus de validation du QTEU est en constante évolution. Bien que des éléments de preuve de validité soient obtenus, des analyses devraient être effectuées pour obtenir des preuves supplémentaires (fonctionnement différentiel d’item, généralisabilité, etc.). Par exemple, Howard, Ehrich et Watson (2014) ont démontré l’apport du modèle de Rasch dans leur étude sur le plagiat. Mentionnons en terminant que la plupart des recherches ne portent généralement que sur une ou deux preuves de validité (Hébert, Valois et Frenette, 2008). Nous estimons qu’il serait pertinent de procéder à une validation transculturelle du questionnaire en anglais afin de répondre aux besoins des chercheurs anglophones.