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1. Introduction

Cet article cherche à penser la traduction et la retraduction littéraires en tirant les conséquences conceptuelles et méthodologiques d’un univers de pensée que la traductologie n’a exploré que de façon globalement superficielle, même si elle en a souligné l’intérêt (Robel 1993 ; Kumar et Milind 2005 ; Klungervik Greenall 2006 ; Federici 2011). Cet univers, qui est celui du critique littéraire, socioanthropologue et philosophe du langage russe Mikhaïl Bakhtine, a exercé une influence certaine dans les sciences humaines en général et dans les sciences du langage en particulier (Thomson 1990 ; Gardiner et Bell 1998 ; voir Dentith 1995 : 85-98 ; Zbinden 2006b). Il présente, qui plus est, des rapports évidents avec la traduction, ainsi que des points d’ancrage utiles pour les préoccupations de la traductologie littéraire depuis les « cultural turn » (Bassnett et Lefevere 1998 ; Bonnell et Hunt 1999), « creative turn » (Perteghella et Loffredo 2006) et « multilingual turn » (Meylaerts 2006). Ce texte s’inscrit en particulier – c’est ce qui s’est avéré lors d’une enrichissante rencontre à l’ENS de Lyon[1] – dans le prolongement des réflexions sur la traduction littéraire comme processus transformateur d’un texte donné et créateur d’un texte nouveau. L’argument, qui relève ainsi de la poétique de la traduction, c’est-à-dire de l’étude des formes et de leur création, touche en particulier – mais il ne sera pas possible, dans l’espace limité dont nous disposons, d’élaborer sur cet aspect – aux questions du style du traducteur et de sa voix de créateur du texte traduit.

L’objectif de cet article, ainsi, est double : s’il s’agira, dans un premier temps, de présenter sommairement (une partie de) la pensée de Bakhtine (Section 2), nous essaierons surtout de réfléchir à ce que le dialogisme pourrait signifier pour la poétique de la traduction littéraire. C’est pourquoi les Sections 3 et 4 se consacrent à une possible perspective bakhtinienne, respectivement sur la traduction et sur la retraduction considérées comme relevant d’un processus discursif dialogique. La Section 5 illustre, à partir d’exemples concrets et sur fond d’une reformulation de la retranslation hypothesis (Berman 1990 ; Chesterman 2000 ; Koskinen et Paloposki 2010), comment se tissent et se redéfinissent, par la voix du retraducteur créateur d’un texte nouveau, des rapports dialogiques complexes entre textes, langues et cultures. La section finale (Section 6) décrit la retraduction comme un espace dialogique, à-la-fois-sourcier-et-cibliste, de prise de conscience et d’hybridation, à l’intersection des langues et cultures.

2. Bakhtine, le langage et le dialogisme

Il a été souvent remarqué (Mossop 1983 ; 1998 ; Folkart 1991 ; Hermans 2007 ; Taivalkoski-Shilov 2006 ; 2010 ; Alvstad 2013) que la traduction partage sa structure énonciative avec un ensemble de discours fondés sur la coprésence de plusieurs locuteurs (Ducrot 1984) : le discours rapporté ou transposé, mais aussi le pastiche ou la parodie, qui sont, d’après Bakhtine (voir 1970 : 252-275 ; 1984a : 299), des formes de discours « bivocal », où résonnent deux voix, l’une dans l’autre. Comme ces formes, en effet, la traduction relate et retravaille un énoncé (ou un texte) préexistant. Il est vrai, cependant, que là où Bakhtine (voir 1970 : 252-275) se penche sur les formes du discours bivocal, son oeuvre n’offre guère de théorie de la traduction (voir Emerson 1983 ; 1984 : xxxi). Toujours est-il que le critique russe l’aborde bel et bien, en une vingtaine de passages éparpillés à travers l’oeuvre quasi entière[2], qui montrent que la traduction est au coeur de la pensée bakhtinienne. La traduction, en effet, est du dialogisme. C’est donc cette notion de dialogisme, qui est intimement liée au concept d’« hétéroglossie », qu’il s’agira d’abord d’expliquer brièvement.

2.1. Hétéroglossie et hétérologie comme rapport dialogique aux discours d’autrui

Pour Bakhtine, une communauté linguistique se compose toujours de la coexistence – c’est le sens littéral du russe sobytie, que Bakhtine (voir 1984b : 315) emploie pour l’« événement », toujours renouvelé, du langage en situation (voir Holquist 1990 : 25) – d’une variété de langues, dont la stratification sociale s’opère selon deux dimensions. D’une part, le langage, dans la « réalité concrète » (voir Bakhtine 1970 : 252) de son emploi vivant, est toujours le résultat d’un contact entre langues (nationales), de leur coexistence. Une langue « pure », ainsi, à moins que ce soit une langue morte, est une chimère, une abstraction renfermée dans la virtualité prescriptive des grammaires et des dictionnaires – il suffit, pour s’en rendre compte, de penser aux pidgins et créoles nés de la colonisation ou de la Première Guerre mondiale, au spanglish ou au konglish, mais aussi aux influences multiples et dynamiques de l’arabe ou de l’anglais sur la langue française : le hammam, le bled, le toubib sont à la fois français et arabes ; le smartphone, le boss, flipper ou black sont à la fois français et anglais. Cette forme extérieure d’hybridité (de recoupement des langues) est qualifiée d’« hétéroglossie » (raznoiazychie) (voir Todorov 1981 : 88-93)[3].

En même temps, tout langage est aussi stratifié et hybride de l’intérieur, d’après cinq axes qui s’entrecoupent et déterminent « la diversité des discours » (Bakhtine 1978b : 146) ou « hétérologie » (raznorechie) (voir Todorov 1981 : 88-93) : le ou les genres de discours, la profession des interlocuteurs, la couche sociale à laquelle ils appartiennent, leur âge et la région géographique où situer leur discours. Bref, n’importe quel langage est une mosaïque de parlers, à l’extérieur comme à l’intérieur des langues (voir Dentith 1995 : 33-36). Le langage, considéré du point de vue de sa vie réelle et non pas comme abstraction homogénéisante, n’a qu’une existence toujours déjà hybride, qui est le résultat d’un rapport dialogique aux discours d’autrui (voir Bakhtine 1978b : 157). Ceux-ci sont intégrés à l’énoncé qui les rejette, représente, infléchit ou inclut. Tout langage, ainsi, est le résultat d’une confrontation négociée avec des langages d’autrui (voir Zavala 1990 : 77-79), tout énoncé se situe sur les frontières de discours d’autrui qu’il incorpore (voir Holquist 1990 : 61), tout sens est interindividuel et interdiscursif (voir Wall 1990 : 47 ; voir aussi Bakhtine 1978a : 26 ; 1970 : 136-137).

2.2. L’hybridité de tout échange langagier, sur les frontières des discours d’autrui

Le dialogisme bakhtinien, ainsi, est tout d’abord un parti pris de méthode : celui de la prise en compte initiale de la fondamentale hybridité interdiscursive et interindividuelle de tout échange langagier et social et, donc, du refus de tout binarisme différentiel qui opposerait des discours d’autrui à des discours propres. Le dialogisme concerne au premier abord l’idée que la coexistence des discours sociaux n’est pas une existence les uns à côté des autres, qu’elle n’est ni contiguïté ni exclusion mutuelle, mais symbiose organique (Bakhtine 1984a : 302 ; voir Zavala 1990 : 77). Les discours dans une communauté donnée interagissent, s’entrecoupent, se redoublent, de sorte que l’« événement » de l’énoncé a toujours lieu « aux frontières de deux consciences, de deux sujets » (voir Bakhtine 1984b : 315 ; voir aussi Zavalioff 1997 : 60-61). Tout langage est composé d’échos de discours d’autrui préexistants qu’il incorpore, pour être à son tour incorporé dans des discours d’autrui (sur lesquels il anticipe). L’énoncé est donc et ceci et cela, plutôt que ceci ou cela. Tout énoncé incorpore des discours d’autrui aux horizons divers, au sein d’un continuum d’hybridité langagière gouverné par les principes de l’hétérologie et de l’hétéroglossie.

2.3. Le « donné » et le « créé », le matériau et la forme du rapport dialogique aux discours d’autrui

Dans un essai tardif que la traductologie n’a pas, à notre connaissance, repéré, Bakhtine (1984b) développe la notion d’interaction dialogique, pour expliquer que l’énoncé se compose de deux parties inextricablement liées l’une à l’autre. Tout énoncé est une forme nouvelle et non reproductible, une chose « créée » (sozdannoe), mais cette chose est toujours créée à partir d’un matériau « donné » (dannoe, le mot russe étant littéralement incorporé au « créé », sozdannoe), face auquel le « créé » constitue une relation axiologique nouvelle. Le « donné » concerne ainsi les choses qui préexistent à l’énoncé et que celui-ci incorpore : Bakhtine (voir 1984b : 329) mentionne la langue – c’est-à-dire les discours d’autrui existants –, les phénomènes observés de la réalité, les sentiments et la vision du monde du sujet parlant. Le discours d’autrui, ainsi, appartient au matériau qui est incorporé à l’énoncé et à partir duquel est produite une forme nouvelle comme relation axiologique à ce matériau. Bref, la voix d’autrui est toujours déjà là et résonne dans tout énoncé. L’énoncé est un « événement » (sobytie) qui produit de façon originale (par le « créé ») la « coexistence » (sobytie) de discours d’autrui, qui relèvent d’un « donné » incorporé à l’énoncé nouveau (qui est lui-même condamné à être incorporé dans d’autres énoncés).

Or, si le matériau du discours d’autrui est toujours déjà là et résonne dans tout énoncé, la voix d’autrui n’atteint pas toujours, cependant, la forme de l’énoncé. Pour ce qui est de la prose littéraire, Bakhtine (voir 1970 : 252-275) distingue quatre formes du rapport dialogique à la voix d’autrui. La forme de l’énoncé peut ignorer (ou écarter) la voix d’autrui, la représenter en l’objectivant (en la chosifiant), l’infléchir en lui faisant subir l’influence de la voix du sujet énonciateur, ou l’inclure en en subissant l’influence. Les deux premières formes sont monologiques (monovocales) car elles ne présentent qu’une seule voix, celle du sujet énonciateur ou celle d’autrui respectivement. Seules les deux dernières formes sont dialogiques (bivocales), l’une sur un mode que Bakhtine (1970 : 262) qualifie de « passif » et qui a lieu lorsque le mot d’autrui est utilisé à des fins personnelles mais encore perçu comme mot d’autrui, imité ou parodié (la stylisation et la parodie). La dernière forme, bivocale et dialogique de manière « active » (Bakhtine 1970 : 262), se produit quand le discours d’autrui intégré à l’énoncé agit sur le discours du sujet énonciateur qui s’y adapte, sans toutefois le représenter (la polémique cachée et le dialogue caché).

Bref, la distinction entre matériau et forme permet de distinguer des formes de discours dialogiques – qui relèvent de l’inclusion du matériau de la voix d’autrui dans la forme de l’énoncé, une voix dans l’autre – de formes monologiques – qui soit écartent la parole d’autrui, soit la représentent en tant qu’objet, par exemple dans le discours direct de personnages – voire de la forme du dialogue – qui n’est qu’alternance des voix, c’est-à-dire une suite de formes contigües qui restent monologiques, l’une après l’autre. S’il existe ainsi des formes de discours qui sont monologiques, dialoguées ou dialogiques, celles-ci sont toutes le résultat d’un processus dialogique de mise en forme de la voix d’autrui comme matériau, situé « aux frontières de deux consciences, de deux sujets » (Bakhtine 1984b : 315).

3. Dialogisme et traduction

Comme le sujet énonciateur incorpore dialogiquement le matériau langagier existant du discours d’autrui à l’énoncé qu’il crée, dans l’univers du discours de Bakhtine, « in essence translation is all that man does » (Emerson 1983 : 23 ; voir aussi Chesterman 1997 : 13-14). Comme le sujet parlant, le traducteur, en effet, représente, infléchit, transpose un langage hétérologique en un autre langage. La traduction, qui est traditionnellement comprise comme le transfert d’un texte 1 en une langue A en texte 1’ en une langue B – selon une abstraction homogénéisante qui ignore l’hybridité interdiscursive de l’échange langagier à l’aide d’une opposition binaire entre un discours d’autrui et un discours propre (voir Section 2.2.) –, relève elle aussi d’un processus dialogique d’incorporation du matériau de la parole d’autrui, puisque le traducteur se voit confronté, lui aussi, et de manière particulièrement prégnante, au mot d’autrui qu’il lui incombe de couler en une autre forme. Dans l’univers du discours de Bakhtine, l’échange langagier en général et la traduction en tant que modalité propre à l’échange langagier appartiennent à un seul et même continuum d’hybridité hétérologique et hétéroglossique.

Au sein de ce continuum, toutefois, la traduction possède un statut épistémologique propre qui est lié aux modalités de connaissance du discours d’autrui. Ce que la traduction a de particulier comparé à l’échange langagier en général n’est pas, autrement dit, une différence de nature mais de modalité, c’est-à-dire de mode d’accès propre à la réalité, en l’occurrence celle du langage d’autrui. Cette spécificité épistémologique de la traduction touche aux trois composantes du rapport dialogique au discours d’autrui qu’elle constitue, à savoir la forme du texte non traduit (3.1.), le matériau à traduire (3.2.) et la forme du texte traduit (3.3.).

3.1. Le discours d’autrui comme forme non traduite et comme matériau à traduire, ou l’équivalence revisitée

La spécificité de la traduction concerne en effet les modalités de connaissance du discours d’autrui, face auquel le créateur de la traduction et son destinataire occupent des positions dissemblables. Le traducteur, d’une part, contrairement au locuteur ou à l’écrivain qui puisent (consciemment ou inconsciemment) leur matériau dans la vie dynamique de l’échange langagier, se heurte à un langage d’autrui figé en corps statique, en objet stable, dans le texte qu’il entreprend de traduire. Pour le créateur de la traduction, ainsi, le discours d’autrui est immédiatement connaissable : ce qui est pour lui de l’ordre du matériau (puisque c’est la chose à traduire) s’offre déjà en une forme stable, celle du texte à traduire. Celui-ci constitue, ainsi, à la fois une forme non traduite et un matériau à traduire.

Du point de vue du destinataire, par contre, la traduction rend le matériau littéraire du discours d’autrui connaissable dans une communauté linguistique et culturelle qui n’est pas à l’origine la sienne. Contrairement à l’acte de communiquer en général, la forme traduite crée ainsi la connaissance d’un discours d’autrui pour un destinataire qui n’a pas accès à la forme non traduite de ce matériau. Il en résulte – mais cela n’est guère nouveau – que le traducteur littéraire est par définition un médiateur culturel qui rend connaissable un discours d’autrui encore inconnu (quitte à l’accompagner, ou non, d’explicitations, d’omissions, de commentaires). Ce qui est rendu connaissable moyennant une mise en forme nouvelle n’est donc pas une forme (non traduite), mais un matériau (voir Section 3.2.). Face à ce matériau, le destinataire accepte, par une suspension of distrust propre à la traduction, la croyance qu’il est effectivement connaissable par la forme traduite : le lecteur anglais de L’Étranger, par exemple, présume lire Camus bien que Camus n’ait pas écrit en anglais et non pas Stuart Gilbert qui est pourtant le créateur de la forme traduite.

La traduction, par conséquent, aussi bien du point de vue de sa nature dialogique que des modalités épistémologiques qui lui sont propres, n’est pas une question d’équivalence entre deux formes, mais d’une fondamentale non-équivalence entre le matériau à traduire du discours d’autrui et une forme nouvellement créée qui appartient à un autre contexte langagier et culturel que la forme non traduite. Dans l’univers du discours de Bakhtine, la notion d’équivalence frôle le non-sens, car tout énoncé est le produit d’un « créé » nouveau, fût-il la répétition même, mais dans un contexte nouveau, d’un énoncé antérieur (Emerson 1983 : 24). Sur le plan méthodologique et à condition que l’on accepte l’idée que la traduction est du dialogisme, il s’agit donc d’examiner comment, c’est-à-dire par quels processus dialogiques de mise en forme (de rejet, de représentation, d’inflexion, d’inclusion), la non-équivalence du matériau à traduire a été rendue connaissable au lecteur appartenant à une communauté linguistique et culturelle différente.

3.2. Matériau à traduire et forme traduite, ou le binarisme revisité

Lors du processus de traduction, le discours d’autrui (le texte à traduire) relève en effet d’un matériau. Dès que le traducteur se met à traduire, le texte à traduire perd son autonomie de texte-objet, sa forme, qui est aussitôt décomposée en matériau, en choses qui sont effectivement à traduire, en « donné » (Section 2.3.). Ce matériau est incorporé à la forme nouvelle du texte traduit, que le traducteur crée, en fonction, à la fois, de sa rencontre dialogique avec le discours non équivalent d’autrui et de ce qu’il en juge susceptible d’être mis en forme, c’est-à-dire connaissable dans la communauté linguistique et culturelle à laquelle est destiné le texte traduit. Comme le texte à traduire n’est donc plus, lors du processus dialogique de la traduction, une forme mais un matériau, sa forme n’existe qu’en dehors de ce processus, que non traduite, qu’avant la traduction. La traduction en tant qu’incorporation dialogique d’un discours d’autrui à la forme du texte traduit (et ceci et cela, voir Section 2.2.) n’est donc pas le transfert d’une forme non traduite en une forme traduite qui en serait la transformation, le remplacement ou le dérivé (ceci au lieu de cela).

C’est pourtant ce que connotent les métaphores coutumières mais guère innocentes de textes « source » et « cible ». Le trope de la « source » et de la « cible » présente sur le mode d’une dialectique substitutive et dérivative (ceci au lieu de cela), des processus d’interaction langagière et culturelle dont la nature et la dynamique sont en réalité dialogiques (sur le dialogique et le dialectique, voir Bakhtine 1984c : 368 ; Bakhtin 1986b : 147 ; Dentith 1995 : 26). Comparer, comme c’est l’usage, un « texte source » à un « texte cible » sépare, de part et d’autre d’une frontière, la rencontre dialogique qui se produit sur la frontière (voir Holquist 1990 : 61) de la voix d’autrui et de la voix du traducteur. Le binarisme monologise ainsi les différentes voix en interaction dialogique. Il rend mutuellement exclusif (ceci ou cela) ce qui est, dans la réalité du processus dialogique, rencontre inclusive (et ceci et cela). Aussi la poétique bakhtinienne de la traduction s’inscrit-elle en faux contre la « lingering presence of a predominantly equivalence-based conception of translation, which exaggerates the monolingualism of both source and target cultures » (Boyden et Goethals 2011 : 21). Entre les formes du texte à traduire et du texte traduit se situe l’étape centrale du processus dialogique qui est celle où se produit un énoncé nouveau par l’intégration d’un langage existant et non équivalent. Cette étape centrale du processus traductif concerne le matériau à traduire, qui est le lieu de rencontre dialogique où se produisent à la fois la décomposition de la forme du texte à traduire en un matériau à traduire et l’intégration de ce matériau à la forme nouvellement créée du texte traduit.

3.3. Le texte traduit comme original, ou la substitution dérivative revisitée

Les considérations que la traduction conçue comme processus dialogique est une question non pas d’équivalence mais de non-équivalence du discours d’autrui (Section 3.1.) et qu’elle concerne non pas deux formes « source » et « cible » dont celle-ci remplacerait celle-là, mais une forme traduite « créée » qui incorpore le « donné » du discours d’autrui devenu matériau à traduire (Section 3.2.), mènent logiquement à un troisième renversement de perspective, à savoir que le texte traduit est, dans le contexte de la traduction, une forme originale.

La perspective bakhtinienne sur la traduction que nous tentons de conceptualiser relève d’une poétique de la traduction conçue comme processus transformateur d’un texte donné – le texte à traduire – et créateur d’un texte nouveau – le texte traduit. Comme cette poétique concerne l’étude des formes et de leur création, son objet d’analyse est la forme du texte traduit et la manière dont celle-ci a été créée. C’est en effet le texte traduit qui est la forme nouvellement créée. Quant au processus dialogique de création de cette forme, nous avons vu qu’il concerne l’incorporation d’un matériau à traduire dans la forme du texte traduit. Lors du processus de traduction, la forme du texte à traduire est décomposée en un matériau, en choses à couler en une forme traduite selon, à la fois, la rencontre dialogique du traducteur avec le discours d’autrui et son anticipation dialogique de ce qui en est connaissable dans le contexte langagier et culturel du destinataire de la traduction. Aussi la forme du texte à traduire est-elle une forme non traduite qui demeure en dehors du processus dialogique de la traduction, car celui-ci concerne le texte à traduire comme matériauincorporé à la forme du texte traduit. Or comme celle-ci est la seule forme à laquelle le destinataire de la traduction ait accès, c’est le texte traduit qui est, dans le contexte de la traduction, l’original, l’« événement » (sobytie) nouveau par lequel se réalise la coexistence des voix qui rend le matériau du langage d’autrui connaissable, selon les modalités particulières de sa mise en forme. Pour le destinataire anglais, L’Étranger de Camus par exemple a été créé par la traduction de Stuart Gilbert et dans la forme que lui a donnée le traducteur. Cette traduction est l’« événement » qui a crééL’Étranger dans le contexte anglais.

Quant au texte que nous avons l’habitude depuis le romantisme d’appeler l’« original », c’est-à-dire le texte à traduire comme objet de connaissance, comme forme donc, il n’est un original que dans le seul contexte langagier et culturel qui est le sien et qui précède à la traduction. Sa forme est une forme non traduite qui demeure inaccessible au destinataire de la traduction. Objet de connaissance pour le traducteur certes, mais aussitôt transformé en matériau, le texte à traduire n’a plus, dans le processus de traduction, d’existence propre de texte objet, de forme autonome. Aussi le texte, une fois traduit, connaît-il deux existences dans deux contextes langagiers et culturels, séparés du point de vue des formes, l’une traduite, l’autre non traduite, mais ayant en commun un matériau. Ce qui se situe sur la frontière des deux langues et cultures et ce qui est donc le lieu de leur rencontre dialogique, ce ne sont pas ces formes, qui appartiennent à deux contextes différents, mais le matériau du discours d’autrui, désormais connu dans une forme non traduite et, dans un contexte différent, dans la forme nouvellement créée du texte traduit qui l’a dialogiquement incorporé. Voilà pourquoi, du point de vue du processus dialogique de la traduction, le texte traduit n’est pas une forme dérivée d’une autre forme, mais une forme originale, dans le contexte langagier et culturel qui lui est propre.

3.4. Poétique bakhtinienne de la traduction et méthode d’analyse

Enfin, les implications épistémologiques des refus de l’équivalence (3.1.), du binarisme (3.2.) et de la traduction comme forme dérivée d’une autre forme (3.3.), qu’induit la prise en compte du processus dialogique de traduction, affectent bien entendu aussi la traduction comme objet de connaissance et d’étude pour le traductologue. La poétique bakhtinienne de la traduction souscrit et de manière résolue à l’invitation de Toury (2012 : 18), « that translations be regarded as facts of the culture that would host them ». L’objet qu’elle étudie est la forme du texte traduit, le « créé » de la traduction, non pas à partir de la forme non traduite, mais en retraçant les processus dialogiques de rejet, de représentation, d’inflexion, d’inclusion (voir Section 2.3.) par lesquels la forme traduite incorpore le « donné » du matériau à traduire – l’étude du rapport entre le « créé » et le « donné » est comment Bakhtine (1984b : 313-314, 330 ; 1978a : 24) définit la poétique. Or là où la forme du texte traduit est directement connaissable et accessible à l’analyse, le « donné » de la traduction ne l’est pas puisqu’il n’existe que dans cette forme. Ce « donné » concerne la manière dont certains aspects du texte à traduire (et non pas sa forme telle quelle) ont été incorporés à la forme traduite, à la suite d’une interprétation par le traducteur-créateur en fonction de ce qu’il en a jugé connaissable, suivant sa formation et sa connaissance des (possibilités compositionnelles des) deux langues, des deux cultures, sa conception de la littérature et de la lisibilité, sa vision du public cible, ses rapports à l’éditeur, sa personnalité, sa vision du monde. Tous ces éléments qui composent le « donné » de la traduction n’appartiennent pas à la forme non traduite, mais peuvent être retracés et reconstruits par l’analyse de la forme du texte traduit, en comparant celle-ci au texte à traduire afin d’évaluer quels aspects de ce dernier ont été rendus connaissables et comment.

L’on n’échappe donc pas, bien entendu, à la comparaison, mais celle-ci, conformément à la spécificité épistémologique de la traduction comme processus dialogique et aux renversements de perspective qui y sont liés (Sections 3.1., 3.2. et 3.3.), (1) part de la forme « créée » du texte traduit (et non pas du texte « source »), (2) pour évaluer comment celle-ci a intégré le matériau du discours d’autrui (et non pas comment la forme « source » a donné lieu à une forme « cible » supposée équivalente), (3) dont il est possible de détecter les aspects rendus connaissables par une comparaison entre les formes du texte traduit et du texte non traduit, puisqu’il s’agit d’un matériau que ces deux formes incorporent chacune à sa manière (et non pas par une comparaison du texte « source » au texte « cible » comme produit dérivé). Bref, le traductologue, qui étudie le rapport dialogique entre le « créé » et le « donné » de la forme traduite, n’occuperait plus la position, toujours quelque peu malhonnête, du censeur qui lit les traductions d’une manière dont elles ne sont guère destinées à être lues, c’est-à-dire en comparant le texte « original » ou « source » au texte « cible » conçu comme produit dérivé pour évaluer dans quelle mesure celui-ci en est encore une version « équivalente » ou « fidèle » (voir Guidère 2010 : 81-85). La poétique bakhtinienne de la traduction met, au contraire, la voix créatrice du traducteur au centre de son attention : il s’agit d’étudier comment le traducteur a créé la forme du rapport dialogique qu’implique sa rencontre avec le discours d’autrui, comment il a créé la forme nouvelle d’un matériau là où celui-ci était inaccessible, comment il a donné une vie nouvelle à un texte encore inconnu, dans un contexte langagier et culturel nouveau.

4. La retraduction comme dialogisme au second degré

Le cas particulier de la retraduction présente un intérêt singulier pour une poétique de la traduction conçue comme l’étude des formes qu’adopte le rapport dialogique entre langues et cultures. Si la traduction littéraire est du discours dialogique, la retraduction – c’est-à-dire une nouvelle traduction faisant concurrence à une traduction existante du même texte (Gambier 1994 ; 2011) – l’est aussi, et même doublement. Elle n’a pas affaire, en effet, au seul « donné » d’un matériau à traduire (puisqu’une retraduction est toujours, au premier abord, une traduction), mais aussi au « donné » de la ou des traductions existantes. Le « donné » de la retraduction comprend ainsi deux discours d’autrui qui sont, de plus, emboîtés l’un dans l’autre : le matériau à traduire, mais aussi la ou les traductions existantes, « textes pivots » (Gambier 1994 ; 2011) qui sont eux-mêmes des formes du rapport entre le « donné » du matériau à traduire et un « créé » de la traduction qui a déjà rendu ce matériau connaissable.

C’est pourquoi la retraduction se définit elle aussi par une spécificité qui n’est pas de nature, mais de modalité épistémologique de connaissance du langage d’autrui. Si le langage d’autrui reste, tout comme c’est le cas pour une première traduction, connaissable pour le traducteur sous sa forme non traduite, mais relève, lors du processus de traduction, d’un matériau, celui-ci est, dans le cas d’une retraduction, déjà connu, dans le contexte langagier et culturel du texte traduit, sous une forme antérieure elle aussi traduite. Le retraducteur est donc amené à définir une position dialogique envers cette forme préexistante également (envers donc la manière spécifique dont elle a rendu le matériau à traduire), d’autant plus que ce discours d’autrui déjà traduit est connaissable aussi au destinataire de la retraduction, voire souvent offert sur le marché. C’est pourquoi les retraductions s’accompagnent fréquemment d’un paratexte de nature épidictique qui, tout en saluant la première traduction et son importance de texte fondateur, souligne sa vieillesse, son excès de zèle idiomatique, ses carences de fidélité, face auxquels la retraduction est présentée, souvent pour des raisons commerciales qui ne disent pas nécessairement grand-chose sur sa forme, comme étant novatrice, fraîche, respectueuse et fidèle mais non pas servile (Peeters 2013). Ces paratextes présentent la retraduction selon le mode d’une dialectique différentielle qui l’oppose aux premières traductions. Or, comme le « donné » de la retraduction comprend non seulement le matériau à traduire qui est dialogiquement intégré à un « créé » de la retraduction, mais encore les formes traduites antérieures déjà données à ce matériau à la suite d’un processus dialogique de traduction, face auxquelles le retraducteur prend une position qui est, elle aussi, dialogique, la retraduction est en réalité dialogique au second degré.

La retraduction, ainsi, constitue un champ privilégié pour l’étude de la poétique de la traduction, historique en particulier (voir Venuti 2004 : 35 ; Brisset 2004), car elle rend visible, dans la comparaison entre différentes traductions d’un même matériau, l’évolution des formes successives par lesquelles ce matériau a été rendu connaissable dans une culture donnée. La traductologie parle volontiers à cet égard de « normes » de traduction (Toury 2012 ; Hermans 1999 ; Schaeffner 1999), nous nous en tiendrons pour notre part au terme d’axiologie que Bakhtine (voir 1978a : 45) associe au « créé » de l’énoncé (voir Section 2.3.), de valeurs associées, à un moment donné, dans une culture donnée, à des langages et des cultures autres. Si la traduction montre des valeurs associées, dans un contexte culturel donné et à un moment donné de son histoire, au rapport dialogique entre des cultures différentes, la retraduction enseigne, de plus, sur la façon dont est conçue cette relation dialogique à une langue et à une culture autres, dans sa confrontation dialogique à un ou des moments antérieurs. La retraduction est dialogique au second degré, aussi bien sur l’axe synchronique (au moment de l’acte de traduire) parce qu’elle intègre un « donné » déjà dialogique composé de deux discours d’autrui emboîtés l’un dans l’autre, que sur l’axe diachronique (dans la durée) parce qu’elle réagit dialogiquement à une ou des relations de valeurs entre langues et cultures, elles-mêmes dialogiques, antérieures.

5. Le dialogisme des retraductions, ou la retranslation hypothesis revisitée

Il est grand temps de nous pencher sur quelques exemples de retraductions, c’est-à-dire de reformulations dialogiques du rapport lui-même dialogique au texte, au langage et à la culture que l’on retraduit, afin de montrer, dans le texte traduit, les échos du « donné » – du matériau à traduire d’une part, de la ou des premières traductions d’autre part – et la façon dont ce « donné » est dialogiquement intégré à un « créé », à un accent de valeurs nouveau et original qui est celui de la retraduction. Cette analyse sera l’occasion aussi, comme le veut une pratique devenue systématique, de revisiter la retranslation hypothesis, selon une idée initialement formulée par Berman (1990) transformée en hypothèse par Chesterman (2000).

Berman avait présenté les traductions successives d’un texte littéraire comme un « espace d’accomplissement » (1990 : 1), « vers toujours une meilleure performance », explique Gambier (2011 : 57), menant à la réalisation d’une « grande traduction », qui est toujours une retraduction. Une première traduction, parce qu’elle introduit une oeuvre inconnue dans un domaine culturel qui lui est étranger, serait, à en croire l’hypothèse concernée, plus orientée sur la « culture cible », plus « target-oriented ». Elle adapterait le texte étranger à sa propre culture dans le but de garantir une adhésion plus facile. Les retraductions par contre auraient davantage de liberté vis-à-vis d’un texte déjà connu, seraient plus respectueuses d’un original devenu canonique et admettraient donc plus facilement l’« épreuve de l’étranger » que Berman (1985) défend.

Notre propos n’est pas ici de discuter cette hypothèse pourtant discutable, qui dialectise la question de la traduction, qui se fie sans doute trop aussi aux paratextes de la retraduction et finit par instrumentaliser leur épidictique différentielle, tout en soustrayant la traduction à la réalité du commerce et en l’inscrivant dans un parcours téléologique qui ne correspond pas toujours à une réalité historique bien plus complexe et nuancée. C’est ce qu’ont montré nombre d’études (Koskinen et Paloposki 2003 ; 2010 ; Brisset 2004 ; Collombat 2004 ; Kaplansky 2004 ; Topia 2004 ; Venuti 2004 ; Brownlie 2006 ; Desmidt 2009) qui soit confirment soit infirment l’hypothèse, au gré des corpus et contextes étudiés et au prix d’ailleurs d’une certaine caricature de la pensée de Berman (Brownlie 2006 ; Gambier 2011). Nous voudrions au contraire attirer ici cette hypothèse dans le domaine de l’épistémologie de la retraduction, là où l’argumentation de Berman est menée sur le plan de son ontologie, de sa nature qui, d’un point de vue bakhtinien, n’est pas différente de celle de la traduction. Notre hypothèse serait, en bref, que les retraductions, comparées aux premières traductions, (1) ne sont pas un « espace d’accomplissement » ontologique ou téléologique, mais de prise de conscience épistémologique des discours et cultures d’autrui et donc d’hybridation accrue (selon une évolution globale qui participe à l’évidence de la mondialisation culturelle) ; (2) ne sont pas plus « source-oriented », mais plus dialogisées de l’intérieur, en ce qui a trait au « donné » de la retraduction, puisque celui-ci comprend un matériau à traduire mais aussi une ou des formes déjà traduites qui sont le produit dialogique d’une rencontre antérieure avec ce matériau à traduire ; et (3) que les retraductions sont par conséquent plus susceptibles (in potentia) de recourir aussi à des formes dialogiques, bivocales au lieu de formes dialectiques ou monologiques (voir Section 2.3.). Dans les termes utilisés par les tenants de cette hypothèse, les retraductions ne seraient pas plus « source-oriented » (ceci au lieu de cela) ni plus « target-oriented », mais plus à-la-fois-source-et-target-oriented (et ceci et cela) – en ce qui concerne leur « donné » et par conséquent aussi, plus souvent mais pas nécessairement, dans leur forme – que les premières traductions.

Voici donc quelques exemples, que nous avons glanés dans le corpus des nombreux articles sur la retraduction, afin de montrer le dialogisme, car c’en est un aussi, de la reconceptualisation proposée.

5.1. Première traduction et forme dialectique, retraduction et forme dialogique : L’Étranger en anglais

Notre premier exemple est emprunté à Kaplansky (2004) et porte sur les traductions anglaises de L’Étranger de Camus, dont la première, par Stuart Gilbert, parut en 1946 à Londres, sous le titre The Outsider, puis à New York en 1954 sous l’intitulé The Stranger. L’analyse de Kaplansky insiste beaucoup sur la langue de cette première traduction, sur son « highbrow rendering » (2004 : 191) et son goût « distinctly British » (2004 : 189). C’est ce que démontrent notamment les exemples suivants :

À côté du caractère britannique de cette première traduction, Kaplansky mentionne une seconde particularité, à savoir qu’elle donne « a wordier, more explanatory text » (2004 : 192) qui « continually explains and interprets more than Camus does » (2004 : 193). Ainsi, dans les exemples (4) et (5), Gilbert recourt à des modalisateurs qui verbalisent les propos du narrateur :

Kaplansky (2004 : 192) décrit ceci comme de l’« étoffement », « tantamount to embroidery » qui rend le protagoniste plus « talkative and emphatic ». Or, cette première traduction n’étoffe pas seulement les propos de Meursault, les modalisateurs explicitent tout d’abord la présence de sa conscience, de sa subjectivité (cf. « hardly conscious of », « to my mind »). C’est-à-dire que, en deçà de la forme du texte traduit (de la langue), en ce qui a trait au processus dialogique par lequel cette forme a été créée, il se passe plus, dont les deux caractéristiques qui ont retenu l’attention de Kaplansky ne sont que les symptômes. À ces symptômes précède une cause unique et plus profonde, qui concerne la manière dialogique spécifique dont le texte traduit a incorporé le matériau à traduire du discours d’autrui.

La comparaison des textes traduit et non traduit montre que ce matériau contient, dans le cas des exemples (1) à (3) et outre le contenu de ce qui est dit, la présence d’une première personne, celle d’une autre personne, le dialogue qui a eu lieu entre ces personnes et le récit de ce dialogue. Ce dernier donne lieu, dans le texte non traduit, au discours transposé qui est une forme dialogique, bivocale : on entend résonner, dans le récit du dialogue, à la fois les voix de Meursault narrateur (à la première personne) et de Céleste ou de Sintès (à la troisième personne) amalgamées, celles-ci dans celle-là. Les paroles des autres sont rendues dans la voix et les paroles distantes de Meursault. Pour ce qui est du texte traduit par contre, il semble que le traducteur, lors du processus dialogique d’intégration de ce matériau à la forme « créée », a donné la priorité à l’élément du dialogue. Il a, ainsi, représenté les deux voix sur le mode objectivé et monologique de la forme dialoguée, une voix après l’autre, et a soustrait, de la sorte, la voix de Céleste ou de Sintès au rayon d’action dialogique de la voix (de la conscience) de Meursault.

Ceci a eu deux conséquences pour la forme du texte traduit. D’une part, le dialogue a été mis en forme suivant les normes de politesse liées au contexte anglais, selon une vision de la langue qui est conforme aux particularités hétérologiques du traducteur et qui appartient, elle aussi, au « donné » de cette traduction. En 1947, Stuart Gilbert, fils d’un officier britannique et de la fille du radjah de Kapurthala, ancien étudiant de Hertford College à Oxford, ancien juge en Birmanie, homme de lettres et traducteur respecté, a 65 ans. Le caractère « highbrow » et « British » du texte traduit est ainsi directement lié à la forme dialoguée par laquelle a été incorporé le « donné » de la traduction. D’autre part, la forme dialoguée et la restriction du rayon d’action dialogique de la conscience de Meursault qui en est la conséquence, entraînent la disparition de sa voix de narrateur du texte traduit partout où celui-ci relate les dialogues qui ont eu lieu. Aussi cette disparition a-t-elle été compensée, dans les exemples (4) et (5) où il n’y a pas de dialogue, par l’explicitation de la conscience du narrateur (« conscious of », « to my mind ») afin de rendre son importance connaissable dans la forme du texte traduit. Le texte traduit, en bref, ne sectionne pas seulement l’hybridité dialogique du matériau à traduire en représentant celui-ci dans la forme du dialogue, mais en étale et explicite aussi les éléments séparés. Le dialogisme de cette première traduction est certes présent pour ce qui est du processus de traduction, mais c’est un dialogisme caché (voir Bakhtine 1970 : 252 ss. ; 1984a : 299), qui n’atteint pas la forme du texte traduit : le rapport dialogique entre le « créé » et le « donné » que celui-ci incorpore a donné lieu à des formes monologiques qui sont de l’ordre de l’explicitation dialectique, aussi bien des voix de Céleste et Sintès que de celle du narrateur.

Les exemples qu’invoque Kaplansky illustrent aussi, d’autre part, comment les retraductions successives de Joseph Laredo, parue en 1982 à Londres (The Outsider), et de Matthew Ward, parue en 1988 à New York (The Stranger), ont pu s’appuyer sur un corpus critique, dont la célèbre Explication de l’Étranger de Sartre qui insiste sur la syntaxe acausale de Camus et sur l’effet de déracinement et de froid distant qu’elle crée (voir Kaplansky 2004 : 188). Si la retraduction de Laredo reste britannique, mais d’un registre plus colloquial (voir Kaplansky 2004 : 191 ; voir aussi McCarthy 2004 : 108), elle pratique une syntaxe qui n’explicite plus et dont la « scrupulous adherence to the original » (Kaplansky 2004 : 197) « gets the balance between direct and indirect speech right » (McCarthy 2004 : 108). Mais c’est la seconde retraduction, du poète américain Ward, qui est la plus intéressante pour notre propos. Ward a traduit la célèbre phrase initiale de L’Étranger par « Maman died today » au lieu de « Mother died today » qu’avaient pratiqué Gilbert, puis Laredo (Kaplansky 2004 : 196 ; Bloom 2012). Le choix de cette forme bivocale et hétéroglossique est argumenté dans une Translator’s note qui précède le texte et qui commente les premières traductions tout en se référant aussi à l’Explication de Sartre et aux Carnets de Camus – qui font donc tous partie du « donné », désormais intérieurement dialogisé, de la retraduction :

No sentence in French literature in English translation is better known than the opening sentence of The Stranger. It has become a sacred cow of sorts, and I have changed it. In his notebooks Camus recorded the observation that “The curious feeling the son has for his mother constitutes all his sensibility.” And Sartre, in his “Explication de L’Étranger,” goes out of his way to point out Meursault’s use of the child’s word “Maman” when speaking of his mother. […] To use the more removed ‘Mother is, I believe, to change the nature of Meursault’s curious feeling for her. It is to change his very sensibility.

Ward 1988 : vii, cité par Kaplansky 2004 : 196

En dépit du caractère canonique de l’incipit anglais, de part et d’autre de l’Atlantique, Ward a opté pour une forme ouvertement dialogique, non pas cependant par souci de couleur locale ou par excès de zèle « sourcier », mais par une claire volonté – en réaction dialogique à un « donné » de la retraduction qui comprend plusieurs textes en interaction dialogique les uns avec les autres : le texte à traduire, l’Explication de Sartre et les Carnets de Camus mais aussi la forme des traductions existantes – de modifier la forme existante de l’incipit afin de ne plus altérer la conscience de Meursault.

Si la forme de la première traduction anglaise de L’Étranger est dialectique, les retraductions sont de plus en plus ouvertement dialogiques. Leur dialogisme n’appartient plus au seul processus de traduction, mais parvient aussi à atteindre la forme, de manière « passive » (Bakhtine 1970 : 262) chez Laredo, voire sous la forme « active » de la polémique cachée (et commentée dans sa Translator’s note) chez Ward. La dernière retraduction en date, The outsider de Sandra Smith, publié en 2012 chez Penguin Classics, a traduit la phrase initiale par « My mother died today ». Comme l’avait fait Ward en 1988, Smith également a argumenté son choix en critiquant les traductions antérieures (Messud 2014). Comme l’avait fait Ward, Smith a coulé le matériau à traduire dans une forme nouvellement créée qui incorpore, même si elle n’est plus hétéroglossique, la forme des traductions existantes sur le mode activement dialogique de la polémique cachée.

5.2. Un discours bivocal dont le « donné » n’est pas le texte à traduire : la voix du retraducteur dans le Nana anglais

Notre second exemple, plus ponctuel, est emprunté à un article de Siobhan Brownlie (2006) et concerne les traductions anglaises de Nana d’Émile Zola. Dans l’extrait (6), que Brownlie (2006 : 162) cite tel que nous le reprenons ici, la dernière retraduction à ce jour de Douglas Parmée présente une « modulation » (au sens de Vinay et Darbelnet), un changement de perspective :

Pour traduire la notion ambigüe de « filles » (prostituées, de cabaret ou courtisanes, selon l’ascension sociale que parcourt la protagoniste), que les premières traductions avaient rendue par des formes euphémiques devenues archaïques (« gay women », « strumpets ») ou explicitant l’appartenance à une couche sociale supérieure (« notorious courtesans », « courtesans ») qui les rapproche des « bourgeoises les plus dignes », le texte de Parmée focalise sur les « most respectable women » pour expliquer ce qu’elles ressentent. Le texte introduit ainsi leur point de vue (tout en reprenant la forme « obsessive fascination » à la traduction antérieure de Holden), sur celles qu’elles appellent elles-mêmes, avec une formule victorienne, des « ladies of easy virtue ». Cette formule n’est pas seulement « deliberately archaiz[ing] » (Brownlie 2006 : 163) ; elle introduit un discours bivocal, là où le texte de Zola n’en présente pas, un discours bivocal, autrement dit, dont le « donné » n’est pas le texte à traduire. Cette formule est, en effet, comme un retour sur les premières traductions, une allusion au premier espace de réception anglais, victorien, et aux formes euphémiques qui le caractérisent. Le passage se lit, de plus, par le contexte dans lequel il figure – Parmée ne se prive pas d’expressions explicites du type « her buttocks », « bugger off » ou « between her thighs » (Brownlie 2006 : 158, 160, 164) –, comme une pirouette ironique qui nourrit dialogiquement le texte retraduit qui est en fait tout sauf victorien. Bref, le retraducteur donne ici, comme aussi dans d’autres passages, par exemple lorsque Fauchery dit « she’s eminently bedworthy » là où le texte à traduire donne « on coucherait avec » (Brownlie 2006 : 158-159), un coup de patte aux premières traductions, dont il incorpore la forme sur le mode dialogique du discours d’autrui stylisé, voire parodié. Ces parodies de formules victoriennes sont des interventions qui appartiennent à part entière à la voix créatrice du retraducteur. Elles montrent comment le discours d’autrui faisant partie du « donné » de la retraduction peut aussi être celui des premiers traducteurs et comment la forme qu’ils avaient donnée au matériau à traduire peut donner lieu à une réinterprétation dialogique (en l’occurrence ironique) du rapport lui-même dialogique à la culture traduite. Entre le texte à traduire et le texte retraduit s’intercale, de manière doublement dialogique, la forme des textes déjà traduits.

5.3. Ulysses en français, un cas complexe de dialogisme retraduit

Le troisième cas de figure que nous voudrions évoquer est emprunté à Bernard Hoepffner (2011), un des traducteurs qui ont procuré en 2004, en équipe, une retraduction française d’Ulysses, traduit une première fois en français en 1929, en dépit du statut d’« oeuvre littéraire en soi, censée être insurpassable » (Topia 2004 : 130) de cette traduction d’Auguste Morel, assisté par Stuart Gilbert, révisée par Valéry Larbaud et supervisée par Joyce himself. L’expérience de la retraduction d’Ulysses, réunissant une équipe de huit traducteurs autour des différents épisodes du texte, offre un chantier sans doute unique à la traductologie. Hoepffner (voir 2011 : 108-110) nous apprend que l’équipe a consciemment réfléchi à ce qui rendrait leur traduction différente de la première traduction et, aussi, que chaque traducteur lisait et commentait les traductions des autres. C’est dire que le travail d’équipe a été mené suivant une approche consciemment dialogique, aussi bien au regard du texte à traduire et de la traduction existante – au regard du double « donné » de la retraduction, donc – que de l’élaboration du texte traduit – qui a fait l’objet de véritables négociations, par courriel notamment. Du coup, il serait à vérifier si le texte traduit porte témoignage d’une seule ou de huit poétiques de traduction, quels sont les rapports dialogiques entre ces huit voix de traducteur, entre celles-ci et la première traduction d’une part et le texte à traduire d’autre part, et s’il s’agit au demeurant d’un seul ou de dix-huit textes à traduire…

Le « re-mords de l’inextimé » est un Leitmotiv du texte traduit qui décrit la pénible et répétitive introspection de Stephen[6]. Selon Hoepffner (voir 2011 : 109), c’est Michel Cusin, traducteur de l’épisode de Nestor, qui, « en lacanien », a proposé cette formule. La référence à Lacan n’est pas due au hasard : dans le livre XXIII du Séminaire, Joyce est omniprésent. Lacan y a critiqué la traduction d’Auguste Morel devenue irrecevable par une allusion dialogique post factum à l’en-soi sartrien : « Quelque part dans Ulysse, Stephen Dedalus parle de agenbite of inwit, de la morsure – on traduit ça en français, je ne sais pas pourquoi – de l’ensoi, alors que ça veut plutôt dire le wit, le wit intérieur, la morsure du mot d’esprit, la morsure de l’inconscient »[7]. La formule choisie est, ainsi, un écho dialogique au passage de Lacan – qui appartient donc lui aussi au « donné » de la retraduction – et à son refus de la première traduction, tout comme un pastiche assez patent de son jeu avec les signifiants.

Or la traduction que Lacan avait substituée à celle de Morel – « morsure de l’inconscient » – opère un glissement significatif par rapport au texte à traduire. Joyce écrit ceci : « Agenbite of inwit : remorse of conscience »[8]. La conscience, qui est une catégorie morale, devient, sous la plume de Lacan, « l’inconscient ». C’est là la réorientation, le rapport axiologique différent au matériau à traduire qu’opère la retraduction en optant pour le lacanien « re-mords de l’inextimé », qui, de plus, crée un amalgame dialogique d’interprétations possibles. L’« inextimé » est d’abord ce qui n’a pas été soumis à l’extime lacanien, c’est-à-dire le versant extérieur de l’intime, le regard de l’autre dont le moi a besoin pour se constituer. Ensuite, l’« inextimé » (et non pas « extime », qui est le terme lacanien) est un adjectif verbal qui connote la passivité. Enfin, l’« inextimé » signifie aussi le conflit entre l’interne et l’externe, entre la conscience et la société. Bref, il y a là tout un réseau de connotations qui véhicule une axiologie particulière, propre au « créé » de la retraduction et qui interprète et réoriente le travail de Joyce sur la langue dans le sens d’un travail sur le signifiant d’ordre ou d’esprit lacanien, révélant l’inconscient des personnages.

Quant au début de la formule, « le re-mords », là encore résonne un réseau de voix différentes en interaction dialogique, de discours d’autrui entremêlés. Primo, l’élément lacanien est là, sous forme de pastiche. Secundo, l’insistance sur la répétition, par le préfixe « re- » isolé par un trait d’union, réfère à la répétition incisive de la formule au long du roman. Mais il y a plus. Le mot de Joyce, « agenbite of inwit », est lui-même la transformation de Ayenbite of Inwyt, l’intitulé de la traduction anglaise d’un traité de morale français du xiiie siècle[9]. « Ayenbite » remonte au latin remordere, ‘mordre de nouveau’, d’où est issu le substantif anglais ‘remorse’ (‘remords’). Joyce avait discrètement récupéré cette étymologie en transformant la formule en « agenbite », ‘again bite’, morsure répétée[10]. Dans la retraduction, cette étymologie est explicitée par un travail lacanien sur le signifiant : le « re-mords » rend à la fois la morsure répétée de « agenbite » et la morale que Lacan avait sacrifiée à l’inconscient. Bref, autour de cette formule se tisse un réseau de voix d’autrui incorporées et orchestrées en une relation axiologique nouvelle au matériau à traduire. Celle-ci se résume à une réinterprétation lacanienne du stream of consciousness qui se traduit par un travail sur le signifiant, mais qui est en même temps un travail re-joyceant la formule de Lacan par la réintroduction, en pastiche lacanien, de la morale et du problème de la conscience. Bref, c’est en même temps du Joyce lacanisé et du Lacan re-joycé. Qui pourra dire, encore, si une telle opération est plutôt « source-oriented » ou plutôt « target-oriented » ? Aussi la véritable question n’est-elle pas là. Il s’agirait plutôt, pour la poétique bakhtinienne, de suivre les échos de ces différentes voix, de la façon dont ce multiple « donné » est orchestré et intégré à un « créé » comme relation axiologique nouvelle au matériau à traduire comme aussi à la forme de la première traduction, de façon plus ou moins systématique. Il s’agirait aussi de voir dans quelle mesure ce double geste, qui est à-la-fois-source-et-target-oriented ainsi que profondément dialogique, interagit avec d’autres accents axiologiques, d’autres formes du rapport doublement dialogique au « donné » de la retraduction, c’est-à-dire au texte à traduire mais aussi à l’Ulysse d’Auguste Morel, voire même à nombre d’autres discours d’autrui en interaction dialogique avec ce double « donné », eux aussi intégrés à la forme du texte retraduit.

Hoepffner (voir 2011 : 109) mentionne un autre exemple intéressant à cet égard. Le matériau à traduire concerne, en l’occurrence, une devinette à base d’un calembour transformant un intitulé d’opéra :

Là où Morel avait choisi un opéra-comique français (de Meyerbeer sur livret d’Eugène Scribe), la retraduction d’Hoepffner opte pour L’Enlèvement d’Hélène qui, tout en donnant forme au matériau à traduire, constitue aussi un clin d’oeil au projet scriptural de Joyce et à sa réécriture elle-même dialogique de l’Iliade. Le titre choisi, de plus, renvoie à la fois à une multitude de sources françaises – dont le Roman de Troie et La Fontaine qui en avait donné une version burlesque dans Les deux coqs (Fables, VII, 13) – et à La Belle Hélène, l’opéra bouffe de Jacques Offenbach qui fut créé à Paris mais connut un succès durable à Londres. Ce faisceau de références à un ensemble de textes eux-mêmes dialogiques et fonctionnant dans les deux contextes culturels concernés, montre comment différentes voix en interaction dialogique avec le matériau à traduire et avec la forme déjà traduite de ce matériau viennent enrichir le processus dialogique de la retraduction et nourrir dialogiquement le rapport de la retraduction aux différents textes qui appartiennent à son « donné ». La retraduction d’Hoepffner se positionne, avec cette belle trouvaille, sur la frontière des textes et des cultures.

6. En guise de conclusion : dialogisme et poétique de la (re)traduction

En résumé, les trois exemples de retraductions évoqués ici ont en commun que le « donné » de la retraduction comprend non seulement un texte à traduire, mais un ensemble de discours d’autrui en interaction dialogique avec ce matériau, dont les premières traductions, entre lesquels la retraduction tisse des rapports dialogiques complexes, de part et d’autre du « partage » des cultures. La retraduction, ainsi, est un événement-coexistence (sobytie) qui crée une intersection dialogique de voix résonnant les unes à travers les autres. De cette manière, elle nourrit la propre culture par la création de rapports (de connaissance et de valeur) dialogiques nouveaux et originaux au matériau à traduire du discours d’autrui, comme aussi à la forme des premières traductions. Si, ainsi, le « donné » de la retraduction est dialogisé de l’intérieur, les formes retraduites sont elles aussi, du moins pour les exemples discutés, ouvertement dialogiques. Les premières traductions examinées tendent à expliciter le matériau du discours d’autrui et à représenter les voix d’autrui en les objectivant. Les retraductions analysées, par contre, montrent des formes du dialogue caché ou de la polémique cachée, qui réinterprètent dans le sens d’un dialogisme ouvert les formes monologiques par lesquelles les premières traductions examinées avaient représenté la voix d’autrui traduite. En ce sens, les analyses que nous avons menées indiquent, en effet, que les retraductions étudiées ne sont guère plus sourcières, mais plus indécidables, plus ouvertement dialogiques, plus à-la-fois-sourcières-et-ciblistes que les premières traductions. Là où ces dernières cherchent à faire traverser la frontière imaginaire entre cultures, là où la forme de leur rapport dialogique entre le « donné » et le « créé » de la traduction obéit à un principe dialectique de représentation et d’explicitation épistémologique de la voix d’autrui, les retraductions cherchent par contre, suivant l’hypothèse que nous avons mise en avant, à dialogiser cette dialectique et à se situer, par leur recours à des formes dialogiques, sur la frontière même. Si la traduction est un espace de prise de conscience épistémologique (de awareness) du matériau du discours d’autrui, la retraduction est, en outre, une prise de conscience du propre rapport dialogique à ce discours d’autrui, des formes successives données à ce matériau. La retraduction, en bref, n’est pas la correction « sourcière » d’une première traduction « cibliste » ni un cheminement toujours plus accompli du texte « source » à la culture « cible », mais un espace de connaissance non seulement du discours d’autrui, mais aussi de la propre culture dans son rapport à autrui, un espace d’intersection – aux deux sens du terme, comme carrefour ou croisement et comme recoupement et hybridation – des langues et cultures. La traduction et a fortiori la retraduction sont des tissus de voix, des discours d’autrui « donnés », incorporés à un « créé » nouveau et original, qui occasionne à son tour la prise de conscience et la fertilisation mutuelle des discours concernés. C’est pourquoi toute (re)traduction, comme tout discours, est fatalement mais heureusement appelée à devenir un jour discours incorporé elle-même. C’est ce que nous osons espérer aussi pour les quelques remarques que nous avons voulu partager ici.