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À notre regretté collègue, Laurent Lamy, traductologue, enseignant, poète, philosophe et musicien, décédé le 13 mars 2018.

Pour commencer l’année, nous présentons un « gros » numéro de 12 articles et 10 comptes rendus. Un effort doit en effet être fait pour publier un maximum d’articles en souffrance. Nous recevons en moyenne entre 120 et 150 articles par année mais n’en publions que 10 par numéro régulier, soit 20 par an puisque l’un des numéros est un spécial dirigé par des collègues qui gèrent leur appel d’articles. C’est dire que, même compte tenu du taux élevé de rejet, un certain nombre d’articles tardent à être publiés près d’un an après leur acceptation. Meta et son éditeur déploieront tous leurs efforts afin d’augmenter ne fut-ce que légèrement le nombre d’articles par numéro afin de remédier à cette situation.

La numérisation annoncée des 10 premières années de Meta a commencé et va bon train. Nous espérons pouvoir faire la mise en ligne avant la fin de l’année. Autre initiative qui nous tient à coeur : la publication d’entrevues de traductologues. Plusieurs collègues et étudiants ont pressenti des traductologues qui ont d’ores et déjà accepté. Le processus est en marche et nous en présenterons les premiers résultats prochainement.

Ce numéro offre une grande variété de travaux qui vont des langues de spécialité aux aspects professionnels, des langues autochtones à l’autotraduction, du surtitrage à l’interprétation et certaines questions d’ordre plus linguistique.

Quatre collègues français s’attaquent à la langue de spécialité en sciences humaines et sociales pour montrer le rôle primordial du lexique disciplinaire et ses interactions fréquentes avec le lexique scientifique transdisciplinaire dans la formation des termes poly-lexicaux de forme N_Adj. L’étude est fondée sur un corpus d’articles d’archéologie, de linguistique et de psychologie et examine la composition de quatre candidats termes poly-lexicaux de forme N_Adj.

Trois collègues de l’Université d’Alicante en Espagne nous offrent une étude dont l’objectif est d’identifier les genres et les domaines économiques le plus fréquemment traduits. Pour ce faire, ils ont conçu une enquête pour collecter des données auprès des entreprises qui, de par leurs caractéristiques, sont susceptibles d’avoir besoin des services d’un traducteur pour mener à bien leurs activités commerciales. Suit une mise en parallèle des résultats de l’enquête et des travaux menés au préalable par d’autres chercheurs.

D’Espagne à nouveau, deux collègues se penchent sur la question de l’enseignement de la traduction en langue seconde dans le contexte du marché espagnol. Elles décrivent une première tentative de réconciliation entre les exigences professionnelles (développement de la compétence de la traduction et de la compétence instrumentale, ainsi que desdites soft skills ou compétences sociales) et les exigences institutionnelles (conception d’un programme d’études, évaluation, compte-rendu d’apprentissage). Elles prennent pour modèle un cours de traduction vers l’anglais à l’Université autonome de Barcelone.

Zuriñe Sanz-Villar, de l’Université du pays basque – l’Espagne est décidément très présente dans les pages de Meta – s’intéresse à la traduction littéraire de l’allemand vers le basque, et plus particulièrement aux interférences. L’étude est une analyse de traductions d’unités phraséologiques extraites d’un corpus numérique, parallèle et multilingue. Il en résulte que les interférences trouvent leur origine non seulement dans la langue source mais également dans une langue tierce, en l’occurrence l’espagnol.

Kenneth Grima nous fait pénétrer dans le monde des marqueurs culturels que sont les noms propres. Il les étudie dans sa traduction en maltais des mémoires de Frank McCourt Angela’s Ashes. Après avoir identifié huit catégories de noms propres et quatre catégories de transpositions interculturelles, le traducteur adopte plusieurs stratégies de traduction selon que le nom propre considéré possède un sens « conventionnel » ou culturellement « chargé ». Il discute alors la question des pertes et des gains culturels.

De nouveau d’Espagne, Marta Arumí Ribas commente une expérience de quinze simulations filmées récréant des situations fréquentes d’interprétation en milieu socio-éducatif. Cinq questionnaires avant tournage et cinq entretiens après tournage auprès de chacun des participants à l’expérience complètent l’expérience. L’analyse révèle des stratégies de médiation active qui pousse l’auteure à prôner l’établissement d’une distinction précise entre médiation interculturelle et interprétation en milieu social. L’auteure souligne la pertinence de former les futurs interprètes, de façon consciente, à la prise stratégique des décisions.

L’article suivant, d’Isabel Repiso, aborde la traduction en espagnol de la construction Should have + participe passé. Dans un un corpus de textes issus des Sciences Sociales réunissant 1,7 million de mots, 95 phrases contenant l’occurrence Should have + Participe passé ont été analysées puis croisées avec un corpus de référence en espagnol réunissant 145 millions de mots. Il apparaît que la préférence des traducteurs pour debería haber contredit les usages des hispanophones natifs. L’étude fournit toutefois des solutions empiriques pour éviter cette construction mot-à-mot.

Avec l’article suivant, trois chercheurs en sociolinguistique et traduction andine, abordent la traduction en cinq langues autochtones de la Loi sur les langues autochtones du Pérou. Les auteurs se concentrent sur le comportement stratégique des traducteurs autochtones, tel que décrit par eux-mêmes, lorsqu’ils communiquent à leurs peuples les normes de l’État contenues dans la loi. L’approche adoptée est postcoloniale pour analyser le discours juridique de l’espagnol dans les langues autochtones du Pérou, traduit par des traducteurs bilingues situés « à l’intérieur » sur le plan culturel.

Seiji Marukawa s’adonne à un exercice périlleux : celui de comparer plusieurs traductions françaises de deux haïkus de Bashô (1644-1694), une des formes fixes les plus concises de la poésie lyrique dans le monde. Il cherche à voir en quoi peut consister la soi-disant intraduisibilité de la poésie d’une langue aussi éloignée des langues indo-européennes. L’article se penche plus particulièrement sur deux difficultés : l’ellipse agrammaticale de l’original, qui doit être complétée dans les traductions, et le rôle de la particule de ponctuation servant de césure, idiomatique et intraduisible. Cette brièveté met en relief le rapport au non-dit ou aux sentiments inexprimables.

L’article suivant traite aussi de poésie, cette fois québécoise, sous la plume d’Émile Nelligan, symbole du « poète maudit ». Quatre versions latino-américaines d’un même poème, sont analysées, soit « Soir d’hiver » un grand « classique » nelliganien. Aucune d’entre elles ne semble reproduire le schéma métrique ou rimique du poème original. C’est pourquoi l’étude analyse de près les recours phoniques (répétitions, rimes et mètres) des quatre traductions auxquelles vient s’ajouter la traduction de l’auteure de l’article ; il en ressort une discussion des plus intéressantes.

Xosé Manuel Dasilva clôt ce volume par un article qui propose de considérer l’autotraduction comme la version prototypique, notamment lorsqu’il s’agit de traduire l’oeuvre dans des tierces langues. On constate en effet que les auteurs qui se traduisent en viennent fréquemment à attribuer au texte autotraduit une hiérarchie supérieure. Et ce pour plusieurs raisons, notamment l’introduction par l’auteur d’importantes modifications esthétiques Le concept de version prototypique est ici mis en chantier sur de multiples exemples relevant de divers espaces culturels.

Bonne lecture !