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Contrairement à la croyance populaire, le télétravail, c’est-à-dire tous les modes d’organisation du travail rendus possibles par l’entremise des technologies de l’information et des communications et qui permettent la réalisation du travail à l’extérieur des bureaux traditionnels, n’est pas un phénomène nouveau. Le premier cas recensé date de 1877 : le président de la Boston Bank avait fait installer une ligne téléphonique entre la banque et sa résidence pour pouvoir travailler de chez lui et gérer les opérations de la banque à distance (Gibson et al. 2002). Toutefois, la facilité d’accès aux nouvelles technologies que sont l’Internet, les collecticiels et les systèmes de communication mobile, la simplicité d’utilisation de ceux-ci, de même que leurs faibles coûts ont contribué à rendre incontournable ce mode d’organisation du travail qu’est le télétravail. Des instituts statistiques tels que Statistique Canada, STAT-USA et groupe de consultants tels que Gartner et IDC[1] prévoient que le nombre de télétravailleurs dans le monde, c’est-à-dire de travailleurs qui effectuent les tâches liées à leur emploi à l’extérieur des bureaux traditionnels, tout en y étant connectés électroniquement, passera de 758,6 millions, en 2006, à plus d’un 1,2 milliards, en 2013. Les télétravailleurs représentent actuellement environ le tiers des travailleurs mondiaux. La plus forte proportion de télétravailleurs se trouve aux États-Unis : on parle de 105 millions de personnes[2], ce qui représente 68 % des travailleurs. L’Europe de l’Ouest affiche pour sa part un taux de 47,8 % de télétravailleurs. C’est cependant en Asie[3] que se trouve le plus grand nombre de télétravailleurs, soit 479,8 millions de personnes. Finalement, le Japon montre le taux de croissance le plus élevé du nombre de télétravailleurs avec 8,5 % d’augmentation par année. En comparaison, le nombre de télétravailleurs a crû de 5 % par année aux États-Unis et de 4 % au Canada durant les cinq dernières années. En 2005, 44 % des entreprises américaines et 41 % des entreprises canadiennes avaient adopté des pratiques de télétravail, et les prévisions indiquent que ces proportions grimperont à 75 % et 68 % d’ici 2011. Bref, les statistiques montrent clairement que le télétravail est un phénomène majeur qui touche une proportion importante d’entreprises, de gestionnaires et de travailleurs partout dans le monde et qu’une croissance considérable est à prévoir dans les années à venir.

Cette tendance s’explique par les nombreux avantages qu’offre cette forme d’organisation du travail, autant pour les entreprises que pour les travailleurs. Les recherches démontrent entre autres que les programmes de télétravail bien gérés engendrent généralement une augmentation de la productivité des employés, réduisent le taux d’absentéisme, contribuent à la rétention du personnel et donc à la diminution du taux de roulement, offrent de nouvelles possibilités de recrutement de personnel et permettent de diminuer les coûts de location d’espaces de bureaux (Butler et al. 2007; Kirk, Belovics, 2006; Siha, Monroe, 2006). Par exemple, les recherches conduites par l’International Telework Association and Council (ITAC) montrent une augmentation moyenne de 22 % de la productivité pour les entreprises qui adoptent des pratiques de télétravail. De plus, la réduction de coûts liés à la location d’espace de travail varie de 35 % à 55 % (Crandall, Wallace, 1998) pour les grandes entreprises.

Lorsque les pratiques de télétravail sont adéquates, les employés, de leur côté, perçoivent généralement le télétravail comme un moyen de créer un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle (Harris, 2003), de vivre moins de stress (Konradt et al., 2003) et d’avoir une plus grande flexibilité dans leur horaire et d’autonomie dans leur travail (Golden et al., 2006). Finalement, la satisfaction des télétravailleurs vis-à-vis de leur emploi est nettement plus grande (Golden et al., 2006).

Les études sont toutefois unanimes sur un point : la manière dont un dirigeant exerce son leadership joue un rôle déterminant sur la réussite du télétravail (Gibson et al., 2002; Hambley et al., 2007; Kirk, Belovics, 2006; Konradt, Hoch 2007; Neufeld, Fang, 2005). Ainsi, un dirigeant de télétravailleurs doit parvenir à influencer, motiver et mobiliser ses employés, à partager sa vision de l’organisation et à communiquer efficacement avec ces derniers par l’entremise de moyens technologiques et ce, malgré la distance, s’il veut atteindre ses objectifs (Avolio et al., 2000). Ce contexte de direction comporte donc deux particularités : la nécessité d’utiliser les TIC comme moyen privilégié d’interaction avec les employés et l’impact de la distance physique des employés sur les relations de travail. En effet, le mode de communication, la dynamique d’influence, le travail d’équipe, la confiance, le contrôle, la gestion des technologies, les jeux de pouvoir, les rôles, les réseaux sociaux et les processus de travail se trouvent modifiés (Avolio, Kahai, Dodge, 2000; Gajendran, Harrison, 2007; Gibson, Blackwell, Dominicis, Demerath, 2002). Puisque la nature des relations est considérablement transformée, il devient impératif pour le dirigeant de s’adapter et d’adopter de nouvelles pratiques de direction pour être efficace. Il s’agit là de la pierre angulaire qui permet aux entreprises de tirer avantage de ce mode d’organisation du travail (Fisher, Fisher, 2001; Garton, Wegryn, 2006).

Le dirigeant doit par exemple faire face au possible sentiment d’isolement de ses employés et à leur insécurité vis-à-vis de leur carrière (Cooper, Kurland, 2002; Golden et al., 2008). Il est également confronté à des défis en ce qui a trait au contrôle des employés, aux choix technologiques, aux différences culturelles et aux communications (Baker et al., 2006; Hylmö, 2006; Kurland, Egan, 1999; Siha, Monroe, 2006).

Bien qu’il existe un nombre considérable de recherches sur le télétravail, très peu portent sur l’exercice du leadership et sur les pratiques efficaces de direction dans un tel contexte (Golden, Veiga, 2008). Ce constat est d’autant plus surprenant qu’un consensus se dégage parmi les chercheurs sur le fait qu’il s’agit là de facteurs déterminants pour assurer le succès du télétravail (Avolio, Kahai, 2003). De plus, les études qui s’intéressent au leadership et aux pratiques de direction demeurent principalement théoriques et offrent souvent des réflexions sans validation empirique (Bailey, Kurland, 2002; Siha, Monroe, 2006). Il existe donc des lacunes importantes dans la documentation en ce qui concerne les déterminants des pratiques efficaces de direction dans un contexte de télétravail.

Cet article présente les résultats d’une étude dont la préoccupation était de contribuer à combler ces lacunes. Cette étude avait en effet pour objectif d’identifier des pratiques efficaces de direction dans un contexte de télétravail et de comprendre ce qui détermine l’efficacité de ces pratiques. Afin de présenter cette étude, cet article présente d’abord une revue de la littérature sur les pratiques de direction en contexte de télétravail, puis la démarche méthodologique empruntée pour réaliser cette recherche, ensuite les résultats de nos analyses et finalement, propose une réflexion et un cadre d’analyse en guise de conclusion et de discussion.

Pratique de direction et télétravail

Diriger des personnes dans un contexte de télétravail présente de nombreux enjeux et plusieurs défis particuliers et différents de la direction en contexte traditionnel. Pensons par exemple, aux enjeux liés à la nécessité et aux moyens de mobiliser, motiver, convaincre, construire sa légitimité et sa crédibilité, au maintien du lien de subordination, à la position de pouvoir du leader, etc. En somme, les études portant sur la direction de personnes dans un contexte de télétravail mettent en évidence deux grandes catégories de défis auxquels les entreprises font face : les défis liés au pouvoir et au contrôle, et ceux rattachés aux communications et aux relations interpersonnelles. Cette section constitue une synthèse de ce que démontrent les plus récentes recherches sur ce sujet.

Le pouvoir et le contrôle

La logique traditionnelle du travail repose principalement sur des procédures à suivre et un temps nécessaire pour la réalisation des tâches. Dans cette logique, le dirigeant se voit confier la responsabilité d’encadrer ses subalternes, de manière à ce que l’exécution du travail respecte les procédures établies et que les heures payées correspondent à ce qui a véritablement été accompli. Pour l’aider dans cette tâche, il se voit octroyer le pouvoir de distribuer des récompenses et des punitions. Malgré qu’on ait assisté à plusieurs assouplissements de cette approche de la relation entre patron et employés, celle-ci demeure présente dans de nombreuses organisations et elle influence les pratiques de nombreux dirigeants (Garton, Wegryn, 2006). La recherche est catégorique à ce sujet : cette logique de contrôle est inadéquate dans le cas du télétravail. Il s’agit là d’une question vitale dans un contexte de télétravail : quels sont les leviers et instruments de contrôle à la disposition du dirigeant ? En effet, comment vérifier qu’un employé absent des lieux de travail habituels respecte les procédures établies et qu’il effectue véritablement le nombre d’heures de travail supposé ? Maintenir une approche de contrôle traditionnelle dans un tel contexte ouvre la porte aux conflits et à la méfiance et à la suspicion du dirigeant envers ses subalternes, et engendre inévitablement des problèmes de fonctionnement (Pulley, Sessa, 2001). Le fait que les employés ne soient pas présents sur les lieux habituels de travail et la nécessité qui en découle d’utiliser pour les rejoindre les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont pour effet de modifier la nature des relations entre dirigeant et employés en remettant une partie du pouvoir entre les mains des subalternes. Ces derniers prennent entre autres le contrôle du processus de réalisation de leur travail. Le télétravail nécessite donc des mécanismes de contrôle qui reposent sur l’atteinte d’objectifs préétablis et la remise de livrables (Fisher, Fisher, 2001).

Le contrôle par les résultats peut devenir un réel défi pour le dirigeant (Nilles, 1998). Par exemple, il n’est pas facile d’établir des objectifs réalisables par l’employé sans pour autant sous-utiliser les capacités de ce dernier. Les divergences et les contradictions entre les objectifs individuels et les objectifs collectifs peuvent également devenir des sources de tension et même de conflit. Il est nécessaire de trouver un équilibre, surtout lorsque l’atteinte d’objectifs individuels est liée à l’interdépendance entre employés qui ne sont pas en contact direct et qui n’ont aucun pouvoir les uns sur les autres. De plus, les TIC facilitant le partage des opinions et des informations entre les employés, le dirigeant doit être préparé à voir émerger rapidement des divergences, des critiques et même des contestations pendant l’établissement d’objectifs collectifs et individuels. Il peut assister à des collusions de la part de certains employés et à une lutte pour le pouvoir qui imposent à ce dernier de posséder des habiletés politiques (Fisher, Fisher, 2001). Aussi, si les TIC sont susceptibles de favoriser les échanges entre employés, ces outils sont également une occasion de favoriser la transparence. Tel que souligné par Cohendet et al. (2007), les communications écrites présentent parfois plus de transparence pour la hiérarchie que les communications orales basées sur le face-à-face et ont pour conséquence de faciliter l’acceptation du pouvoir des dirigeants par les subordonnées.

Plusieurs auteurs soulignent que les dirigeants qui se trouvent dans un contexte de télétravail doivent passer d’une attitude de surveillance, basée sur la punition et la récompense, à une attitude de confiance dans les individus et de transparence (Malone, 2004). Il semblerait que le dirigeant efficace dans ce contexte soit celui qui agit comme le ferait le coach d’une équipe sportive en plaçant son équipe à l’avant-scène, en cherchant à aider chaque individu à s’améliorer et à atteindre ses objectifs et en ayant pour principal mandat de motiver ses troupes, de les mobiliser et de les rassembler autour d’une vision et de valeurs communes (Fisher, Fisher, 2001). La manière même d’exercer la fonction de dirigeant est ainsi profondément transformée. Plusieurs auteurs en viennent à parler d’un nouveau paradigme, qu’ils nomment le « e-leadership » (Cascio, Shurygailo, 2003). Si ce changement de paradigme est contesté (Zigurs, 2003), il reste que d’importants bouleversements des structures du pouvoir surviennent lorsque la direction de personnes se fait dans un mode de télétravail (Avolio, Kahai, 2003). Les relations d’autorité principalement fondées sur le pouvoir formel et le contrôle laissent la place à des relations qui reposent davantage sur la capacité du dirigeant de mobiliser et de motiver ses employés, sur le coaching, sur la transmission de valeurs et d’une vision qui guident les actions des télétravailleurs et sur l’application de mécanismes de contrôle visant l’atteinte de résultats (Fisher, Fisher, 2001).

La communication et les relations interpersonnelles

La communication et les relations interpersonnelles se retrouvent au coeur même de la fonction d’un dirigeant de télétravailleurs (Mintzberg, 1990). Le télétravail engendre en effet d’importantes transformations des modes communicationnels et relationnels (Avolio et al., 2000). Par exemple, les communications électroniques réduisent considérablement la richesse des messages transmis (Rice, 1992). Cela est principalement dû à l’absence de langage non verbal et à la réduction de l’interactivité dans les échanges (Trevino et al., 1987). Ainsi, la communication en face-à-face dans laquelle les sens sont sollicités et où il est facile de vérifier instantanément la compréhension de son message par différents moyens conscients et inconscients, laisse la place à des relations qui reposent de plus en plus sur une communication écrite asynchrone. Pensons, par exemple, aux brèves réunions improvisées lors de « rencontres de corridors », qui permettent des ajustements ad hoc et qui offrent des moments de socialisation riches en informations. Les interlocuteurs disparaissent au profit de réunions à distance de plus en plus planifiées, structurées et impersonnelles.

Dans un contexte où les occasions de relations interpersonnelles en face-à-face deviennent plus rares et où les contacts restent plus anonymes, comment un dirigeant de télétravailleurs peut-il parvenir à créer un esprit d’équipe, une culture propice à l’échange d’information, à la collaboration et à la confiance mutuelle ? Comment faire en sorte que tous les membres aient un sentiment d’appartenance à l’organisation, qu’ils se sentent importants pour l’organisation, qu’ils soient motivés et qu’ils aient un niveau de satisfaction élevé ? Ce sont déjà des défis de taille dans un contexte traditionnel où les relations se déroulent en direct et où le dirigeant est en mesure de prendre le pouls de la situation. La distance qu’impose le télétravail a pour effet de complexifier ces défis et d’ajouter à la tâche des dirigeants (Kissler, 2001).

Il devient donc indispensable pour le gestionnaire d’exercer du leadership (Brunelle, 2009). Peu de solutions sont toutefois proposées dans les recherches actuelles. La « présence sociale », c’est-à-dire le sentiment de présence du dirigeant et des autres collègues de travail malgré la distance physique, a récemment été identifiée comme un élément important pour assurer l’engagement du télétravailleur, sa satisfaction, sa confiance et son désir de s’impliquer (Zhang et al., 2007). Plusieurs approches peuvent être utilisées pour développer ce sentiment de présence sociale. Il semblerait que des rencontres occasionnelles en mode « face-à-face » favorisent grandement l’éclosion de ce sentiment et qu’elles contribuent au succès de ce mode d’organisation du travail (Golden, Veiga, Dino, 2008). Ces rencontres permettent des rapprochements, une meilleure connaissance mutuelle du patron et de son employé; ces contacts humains facilitent l’établissement d’une relation de confiance, améliorent la communication, réduisent les complications lors de conflits et augmentent le sentiment d’appartenance, de même que la satisfaction des travailleurs à l’égard de leur travail (Fisher, Fisher, 2001).

En conclusion, les études démontrent que les dirigeants de télétravailleurs doivent principalement faire face à des défis liés à l’exercice du pouvoir et du contrôle ainsi qu’à des défis d’ordre communicationnel et relationnel. Ces défis proviennent de deux particularités du télétravail : une utilisation importante des TIC pour communiquer et la distance physique entre dirigeant et subalterne, qui ne facilite pas l’établissement d’une relation de confiance (Siha, Monroe, 2006). Les recherches indiquent clairement que, pour remplir efficacement son rôle, un dirigeant en contexte de télétravail doit être un « leader » et non seulement un « manager » qui se limite à gérer son personnel (Gibson, Blackwell, Dominicis, Demerath, 2002). Toutefois, il existe actuellement très peu d’études portant sur des pratiques de direction dans un contexte de télétravail afin de soutenir ce nouvel exercice du leadership (Zaccaro, Bader, 2003).

La présente recherche visait donc à répondre à ce manque. Elle a consisté dans un premier temps à identifier des pratiques de direction que des dirigeants expérimentés dans la gestion de télétravailleurs – et donc en mesure d’évaluer la valeur de telles pratiques – jugent efficaces. Elle a consisté dans un second temps à établir les déterminants de l’efficacité de ces pratiques de direction.

Méthodologie

Échantillon et procédure

Les objectifs de cette recherche nous ont poussés à réaliser une étude qualitative s’appuyant sur le cadre méthodologique suivant.

Dans un premier temps, nous avons établi les critères de notre contexte d’étude. Afin d’obtenir des informations pertinentes pour répondre à nos objectifs, notre première décision a été d’interroger des dirigeants expérimentés, c’est-à-dire ayant une expérience d’au moins deux ans dans la gestion de télétravailleurs. Il est intéressant de souligner que ces dirigeants se trouvent à être eux-mêmes des télétravailleurs. Ainsi, de par leur position et leur expérience, ils ont eu l’occasion de côtoyer plusieurs télétravailleurs, de vivre de nombreuses relations avec des subordonnées et d’échanger avec plusieurs télétravailleurs. Ils se trouvent donc à être une source d’information riche afin de répondre à nos objectifs de recherche.

Comme il existe plusieurs formes de télétravail (Cascio, Shurygailo, 2003), notre deuxième décision a consisté à concentrer notre recherche sur le travail sur la route et le travail à domicile, qui sont les deux formes de télétravail les plus courantes (Schweitzer, Duxbury, 2006).

Nous avons également défini la nature des relations que nous voulions observer : il s’agirait de dirigeants de premier niveau hiérarchique, qui cherchent à établir une relation durable avec leurs subalternes. Afin de limiter l’impact des collègues sur les dynamiques d’influence et possiblement dans l’interprétation de l’efficacité des pratiques de direction, nous avons choisi un contexte dans lequel l’interdépendance entre les subalternes était minime, voire inexistante, c’est-à-dire un contexte où la réalisation du travail ne dépend pas d’un collègue. Finalement, pour l’atteinte de nos objectifs de recherche, il était indispensable d’observer des contextes dans lesquels la relation entre superviseur et subalterne s’établissait majoritairement à travers le télétravail. Nous avons donc choisi de limiter notre collecte de données à des dirigeants qui estiment que plus de 50 % de leurs interactions avec leurs employés se déroulent à distance, par l’entremise de moyens technologiques.

Dans un deuxième temps, nous avons créé notre outil de collecte de données : une grille d’entrevue (voir Annexe 1). Les questions posées aux dirigeants s’appuyaient sur des thèmes abordés dans la recherche et visaient à amener chacun à parler de ses expériences, des pratiques de direction qu’il utilise ou a utilisées, à faire une évaluation de ces pratiques et à justifier leur efficacité ou leur non-efficacité.

Tableau 1

Profil des répondants

Profil des répondants

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Dans un troisième temps, nous avons réalisé une collecte de données sous forme d’entrevues semi-structurées avec des dirigeants. Le recrutement des sujets a été fait selon une approche itérative (Drongelen, 2001; Shneiderman, 1992). Après chaque entrevue, nous avons procédé à une évaluation des données récoltées dans le but de faire le point sur les connaissances que nous venions d’acquérir et de les mettre en relation avec les connaissances acquises à l’issue des entrevues précédentes. Cette démarche nous a permis de faire des ajustements mineurs dans notre grille d’entrevue, de manière à accumuler des connaissances au fur et à mesure que se déroulaient les entretiens. Ces derniers ont duré de 30 à 110 minutes, ils se sont déroulés dans une salle réservée à cet effet à HEC Montréal et ont été enregistrés en fichiers audio. Des notes ont été prises immédiatement après chaque rencontre. Selon la méthode itérative, nous avons cessé notre collecte de données lorsque nous avons atteint un niveau de saturation des connaissances, c’est-à-dire lorsque nous étions en mesure de prédire les réponses formulées par nos répondants. Ainsi, 21 répondants dont le profil est présenté dans le tableau 1, ci-avant, ont été sollicités. Selon ce tableau, les répondants ont de deux à 22 ans d’expérience dans des postes de direction (en moyenne 8,7 ans), ils occupent leur poste actuel depuis deux à neuf ans (en moyenne 3,5 ans), ils supervisent de trois à 11 employés (en moyenne 6,7) et ils dirigent les télétravailleurs à distance de 60 % à 100 % du temps (en moyenne 85 %). Sept dirigeants supervisent du télétravail à domicile, huit supervisent du télétravail mobile et six s’occupent de télétravail mixte, c’est-à-dire d’une combinaison de travail mobile et de travail à domicile. Les répondants proviennent de différents secteurs d’activités : multimédia, transport, santé, télécommunications, informatique, consultation et formation. Cet échantillon représente donc un éventail relativement large de types d’activités et de modes d’organisation du télétravail; il présente également des interactions qui se déroulent majoritairement à distance et dans une situation où les employés n’ont pas nécessairement à collaborer étroitement avec des collègues pour l’accomplissement de leurs tâches.

Analyse des données

Le verbatim de chaque entrevue a été transcrit et codifié pour permettre l’analyse du contenu. La première étape a été de répertorier les pratiques de direction que les répondants jugent efficaces pour diriger des télétravailleurs. Lors de la codification des entrevues transcrites, nous avons identifié chacune des pratiques de direction mentionnée par le répondant et, pour chacune, nous avons relevé l’évaluation faite par le répondant. Ceci nous a permis de dresser une liste des pratiques de direction utilisées par chacun des répondants et de l’évaluation de chacune de ces pratiques par ce répondant. Cinq pratiques de direction de télétravailleurs ont émergées de cette analyse. Ces pratiques sont présentées dans la section suivante et le tableau 2 constitue un résumé de chacune. Notons que nous n’avons observé aucune différence entre les pratiques de télétravailleurs à domicile, les télétravailleurs mobiles et les télétravailleurs adoptant un mixte de ces formes.

Tableau 2

Cinq pratiques efficaces de direction de télétravailleurs

Cinq pratiques efficaces de direction de télétravailleurs

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Notre analyse a porté dans un deuxième temps sur les déterminants de l’efficacité de ces cinq pratiques. Nous avons donc relevé les explications données par chacun des répondants pour chacune des cinq pratiques. Nous avons pour ce faire élaboré un modèle qui explique la dynamique particulière à chaque pratique et qui permet de comprendre sur quoi repose l’efficacité de ces pratiques de direction dans un contexte de télétravail. Ce modèle est présenté plus loin.

Finalement, nous avons montré les résultats de notre analyse aux répondants et leur avons demandé de les commenter. Le but était d’établir la valeur de notre analyse et de vérifier que les résultats obtenus reflétaient bien la situation décrite par les répondants. Tous ont approuvé les résultats de cette analyse.

Résultats. Pratiques efficaces de direction de télétravailleurs

Les résultats obtenus offrent plusieurs contributions intéressantes pour l’enrichissement des connaissances au sujet des pratiques de direction de télétravailleurs. Premièrement, les pratiques de direction relevées rejoignent en plusieurs points ce dont la documentation actuelle fait mention. Ainsi, les résultats de notre étude, qui reposent sur des observations empiriques, valident d’une certaine manière les études antérieures qui, elles, s’appuient principalement sur des réflexions théoriques et intuitives. Cependant, les résultats de notre analyse permettent d’apporter plusieurs précisions, de faire des ajustements et d’ajouter des éléments nouveaux dans la description des pratiques efficaces de direction de télétravailleurs. Il s’agit là d’une contribution intéressante qui mérite de s’y attarder un instant. Voici donc un résumé de chacune des cinq pratiques retenues.

  1. Organiser des rencontres en face-à-face avec un employé, mais surtout, adapter la fréquence de ces rencontres aux besoins de ce dernier.

Notre analyse fait ressortir que la tenue de rencontres face-à-face avec un employé est une pratique de direction efficace dans un contexte de télétravail lorsque le superviseur cherche à établir une relation durable avec son subalterne. Ces rencontres individuelles permettent au dirigeant de créer des liens plus solides avec son subalterne, de mieux le connaître et de se faire connaître à ce dernier. Tout comme les études le suggèrent, les répondants de notre étude indiquent que cette connaissance réciproque favorise l’instauration d’un climat de confiance, facilite la gestion des conflits et améliore grandement les communications à distance.

Notre étude permet toutefois d’aller un peu plus loin. Premièrement, nous constatons que la principale préoccupation des dirigeants est de parvenir à déterminer la fréquence des rencontres en face-à-face avec un employé. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour les répondants. En effet, lorsque l’intervalle entre les rencontres est trop grand, le subalterne se désengage de l’organisation et devient indifférent, et les risques d’avoir des difficultés de communication ou des conflits, de perdre le contrôle et de voir l’employé quitter son poste augmentent de manière significative. Inversement, lorsque les rencontres sont trop rapprochées, les dirigeants sentent qu’ils n’arrivent pas à profiter pleinement des avantages du télétravail. Les pertes de temps et d’efficacité occasionnées par ces rencontres génèrent des frustrations chez eux, mais également, et surtout, chez les employés.

Cette question est une préoccupation constante pour les dirigeants. Il s’agit d’un défi plus difficile à relever qu’il peut sembler. En effet, le moment idéal pour organiser une rencontre en face-à-face avec un subalterne change constamment, selon des circonstances ponctuelles liées aux tâches, selon la personnalité de l’employé et celle du dirigeant, et selon les outils de communication à distance qui sont utilisés. Il est impossible pour le dirigeant d’établir une règle ou une procédure précise quant aux moments où doivent avoir lieu de telles rencontres. La décision d’organiser ou non une rencontre repose sur son seul jugement. Comme le superviseur a essentiellement que des relations à distance, principalement par l’entremise des TIC, avec son subalterne, il est difficile d’obtenir toutes les informations pertinentes pour prendre une telle décision. Les répondants de notre étude ont tous affirmé que choisir le moment opportun est un art complexe qui repose sur la capacité du dirigeant de décoder les états d’âme de chaque subalterne et de saisir intuitivement ses besoins. Selon eux, il est indispensable d’être capable d’empathie envers des subalternes « invisibles ».

Les répondants de notre étude ont clairement indiqué que le télétravail ne convient pas à tous les employés. Les télétravailleurs doivent en effet être autonomes, à l’aise avec l’informatique et les moyens de communication à distance, proactifs et disciplinés. Il est donc primordial de faire une bonne sélection du personnel qui aura à travailler dans ce contexte. Quoi qu’il en soit, le besoin de voir un collègue ou « le patron » en chair et en os de temps en temps semble être souhaitable et souhaité par le subalterne tout comme par le superviseur. Ce besoin varie cependant considérablement d’une personne à une autre. De plus, il se modifie selon que l’employé vit des situations particulières, qu’elles soient d’ordre professionnel ou personnel. Avec l’apprentissage que fait le télétravailleur de sa nouvelle tâche, ses besoins de rencontres en face-à-face peuvent également diminuer. Devant une telle complexité, les dirigeants n’ont pas d’autre choix que d’être à l’écoute et de tenter de s’adapter aux circonstances.

  1. Organiser des rencontres de socialisation pour faciliter l’émergence d’un sentiment d’appartenance, mais surtout, profiter de ces moments d’échange informel pour apprendre à mieux connaître ses employés et mieux répondre aux attentes de chacun par la suite.

Un des plus grands défis des dirigeants de télétravailleurs est de surmonter le sentiment d’isolement de leurs employés. En effet, il est difficile pour un dirigeant d’amener ses subalternes à sentir qu’ils sont des membres à part entière de l’entreprise alors qu’ils ne sont presque jamais sur les lieux de travail. Pour ce faire, ils utilisent différents moyens. Par exemple, certains organisent régulièrement des soupers de groupe. D’autres utilisent un système de messagerie instantanée pour échanger plus personnellement avec leurs employés et favoriser les échanges informels entre ces derniers. Un des répondants prend des pauses café téléphoniques avec ses subalternes, au cours desquelles il parle avec eux de tout et de rien. Les moyens utilisés par les dirigeants pour socialiser avec leurs employés sont donc très variés. Dans l’esprit de tous les superviseurs interrogés, ces moyens ont tous le même objectif : permettre aux gens de se connaître personnellement et pas seulement professionnellement.

Une rencontre périodique avec tous les employés, souvent annuelle, annoncée plusieurs mois à l’avance, est une autre des tactiques utilisées par la majorité des répondants. Cette rencontre obligatoire de deux à cinq jours, qui réunit tous les subalternes pendant 12 à 15 heures par jour, permet de réaliser un travail collectif. Par exemple, on fait un bilan de l’année, on fixe de nouveaux objectifs pour la prochaine année, on répartit les tâches pour la prochaine année, etc. Cette rencontre se déroule souvent en même temps qu’un autre évènement d’envergure, un congrès par exemple. Des activités de socialisation, comme une soirée de musique de jazz, sont aussi prévues après les heures de travail. Les répondants ont clairement indiqué qu’ils profitent de ces moments de rencontre annuelle pour développer des liens à la fois professionnels et personnels avec leurs employés et que c’est même leur objectif principal. Ils souhaitent également permettre à chacun de leurs subalternes de mieux les connaître. Une telle rencontre sert donc d’assise au télétravail, en permettant aux employeurs comme aux employés d’établir les fondements relationnels sur lesquels reposeront par la suite tous leurs échanges à distance.

Les répondants sont unanimes : pour qu’une relation durable et efficace s’établisse avec leurs employés dans un contexte de télétravail, il est impératif de se connaître mutuellement, sur le plan professionnel, mais aussi personnel. Cette connaissance réciproque facilite l’intervention du superviseur auprès de son subalterne et lui permet d’adapter les moyens de communiquer, de résoudre un conflit, de mettre en valeur ou de récompenser un employé, etc.

  1. Définir les rôles de chaque employé et les attentes du dirigeant, mais surtout, faire une mise à jour régulière et des rappels continuels à ce sujet.

Selon notre analyse, les conflits, malaises et frustrations qui surviennent dans un contexte de télétravail sont le plus souvent liés au fait qu’un employé ne répond pas aux attentes ou qu’il ne joue pas son rôle adéquatement. La distance physique des employés complique le processus habituel d’ajustements mutuels, souvent improvisé, qui permet aux personnes en place de saisir rapidement qu’il y a, par exemple, un problème de coordination et d’y remédier. Par conséquent, un superviseur de télétravailleurs doit définir clairement les rôles de ses subalternes, de même que ses attentes vis-à-vis de chacun. Cette pratique constitue le coeur même de sa fonction.

Bien que cette pratique de direction soit centrale, notre analyse montre, cependant, que la définition claire des tâches et des attentes ne suffit pas. En effet, il est indispensable qu’un superviseur vérifie constamment que ces rôles et ces attentes sont à tout moment bien compris par chacun des employés. Ce dernier doit faire un suivi continuel auprès de ses employés pour s’assurer que les ajustements nécessaires sont apportés et que ces ajustements sont connus et compris par tous.

  1. Parler d’avenir avec chacun de ses employés, mais surtout, établir un plan de carrière concret et réaliste pour chacun.

Un autre défi auquel doit faire face un dirigeant de télétravailleurs est le sentiment que peuvent avoir ces derniers d’être exclus des processus de promotion de l’entreprise. Ils peuvent ainsi en venir à considérer le télétravail comme un frein à leur carrière. Plusieurs craignent de ne pas être mis au courant des postes qui s’ouvrent à l’interne et ont l’impression que la direction de l’entreprise les oubliera lorsque des occasions se présenteront, même s’ils sont des employés très performants. Les dirigeants que nous avons interrogés sont donc catégoriques : il est indispensable de parler ouvertement de ces questions avec chacun des subalternes. Cette discussion doit être honnête et sincère, et doit démontrer à l’employé que son superviseur est un allié dans la gestion de sa carrière.

Notre analyse fait cependant ressortir qu’il ne suffit pas pour le dirigeant de discuter franchement de possibilités d’avenir avec ses employés. Il doit établir un plan de carrière concret avec chacun. Ce plan devient une sorte de contrat tacite entre le dirigeant et son subalterne. Le superviseur s’engage de son côté à informer son employé des possibilités d’avancement qui s’offrent à l’interne et à faire la promotion de ce dernier auprès des instances organisationnelles concernées. En retour, le subalterne s’engage à tenir son superviseur informé de ses aspirations professionnelles et des possibilités qui se présentent à lui, même des offres qui lui sont faites par d’autres entreprises. Rédiger un plan présentant les objectifs de carrière de l’employé, les compétences à développer, le cheminement anticipé, les possibilités d’avancement à l’interne et même celles à l’externe, devient un outil pour réduire les angoisses des télétravailleurs et possiblement les retenir au sein de l’entreprise. Toutefois, le plus important pour les répondants est d’arriver à instaurer ce climat d’ouverture réciproque et de démontrer à leur employé que sa carrière est importante pour lui.

Ce contrat tacite a plusieurs effets positifs. Il amène tout d’abord le subalterne à être plus fidèle à son supérieur et à l’organisation. Si l’employé décide par ailleurs de quitter son poste, le dirigeant est au courant plus rapidement et est mieux en mesure de gérer la transition. Les répondants indiquent que cette manière de faire permet de retenir plus efficacement les subalternes, en dépit des offres extérieures qu’ils peuvent recevoir. Ce serait le résultat de la confiance et du respect qui est témoigné à l’employé par ce geste.

  1. Accorder un soin particulier aux communications écrites, mais surtout, vérifier constamment la compréhension par les subalternes des messages envoyés.

Tel que le soutiennent les études antérieures, le télétravail engendre d’importants défis au niveau de la communication. Notre analyse confirme que les dirigeants de télétravailleurs accordent une grande importance aux communications écrites avec leurs employés, de manière à réduire au minimum les ambigüités et les risques de compréhension erronée et d’interprétations divergentes d’un même message. Toutefois, il semblerait que le fait de faire un suivi après la transmission d’un message afin de s’assurer que celui-ci est bien compris par tous les télétravailleurs est tout aussi important que de rédiger une missive claire.

Les répondants sont certes d’avis qu’un message clair et précis au départ permet de réduire l‘énergie à investir dans des rectifications ultérieures. Mais, d’après leur expérience, il arrive inévitablement qu’un message soit mal compris, malgré les meilleures intentions et les plus grands efforts pour en soigner la rédaction. C’est dans cette optique que le suivi adéquat d’un message devient une pratique incontournable.

Au moment d’un tel suivi, il ne faut en aucun cas laisser planer le moindre doute, selon eux. Si le doute s’installe tout de même, les répondants utilisent alors un autre moyen de communication, comme le téléphone ou la webcam, pour s’assurer de la bonne compréhension du message. Le but est de désamorcer les conflits avant qu’ils éclatent et de rendre la communication aussi transparente que possible.

Déterminants de l’efficacité des pratiques de direction

Comment expliquer que les cinq pratiques que nous venons de voir sont jugées efficaces par les dirigeants expérimentés de télétravailleurs que nous avons interrogés ? L’apport le plus important de cette étude réside certainement dans la proposition de réponse à cette question. Tel que nous le mentionnons dans la section réservée à la méthodologie utilisée, nous avons procédé à une deuxième étape d’analyse des données recueillies. Cela nous a permis de définir en quoi chaque pratique de direction retenue est efficace. Les sections qui suivent présentent ces résultats et les réflexions qui en découlent quant à l’exercice du leadership dans un contexte de télétravail.

Distance physique et distance psychologique

Comme nous l’avons démontré au début de cet exposé, les études effectuées sur le télétravail mettent en évidence plusieurs défis importants pour la direction efficace de télétravailleurs, qui découlent essentiellement de la distance physique et du délai de réponse qu’engendre l’utilisation des TIC. Notre étude nous amène toutefois à avoir un point de vue différent sur cette question. Bien plus que la distance physique et que les délais de réponse inhérents aux technologies de la communication, le véritable enjeu serait en fait la distance psychologique, c’est-à-dire la perception qu’un individu a de son niveau de proximité avec une autre personne, un groupe ou une organisation (Napier, Ferris, 1993). Cela explique par exemple que plusieurs des répondants interrogés ont le sentiment d’être beaucoup plus proches de certains subalternes vivant à l’étranger que d’autres travaillant dans le même édifice qu’eux, voire dans le bureau voisin. Ainsi, selon nos observations, ce ne sont pas tant la distance physique et les délais dans les communications qui ont un impact sur l’efficacité du leadership d’un dirigeant que le fait que l’individu se sente loin.

La distance psychologique est un facteur peu étudié, mais connu, qui joue un rôle important dans les dynamiques relationnelles au sein des organisations; elle constitue déjà un enjeu de taille dans la gestion des entreprises « traditionnelles » (Salzmann, Grasha, 1991). Le télétravail ne fait qu’accentuer cette dynamique, en ayant pour effet d’accroître le sentiment de distance psychologique. Cependant, comme ce sentiment repose sur des mécanismes perceptuels, le dirigeant peut influencer cette perception et donc, réduire la distance psychologique qui existe entre son subalterne et lui.

Nos analyses soutiennent l’idée que l’efficacité des pratiques de direction s’appuie donc sur la capacité du dirigeant de réduire l’effet de la distance réelle qu’engendre le télétravail. La figure 1, ci-dessous, présente la proposition de modèle qui se dégage de cette étude.

Figure 1

Proposition d'un modèle

Proposition d'un modèle

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Gérer efficacement la distance psychologique

Selon notre analyse, gérer la distance psychologique est prioritaire dans le contexte du télétravail. En effet, selon les répondants, lorsque la distance psychologique entre un dirigeant et son subalterne est faible, l’engagement des deux parties se trouve renforcé, la satisfaction de tous est plus grande, les communications et la résolution de problèmes ou de conflits sont facilitées, une culture commune émerge plus facilement et la qualité des interventions du dirigeant est améliorée. Cela permet au dirigeant de mobiliser, de motiver et de guider plus facilement et plus adéquatement ses employés. À l’inverse, lorsque la distance psychologique est trop grande, le dirigeant et le subalterne se désintéressent l’un de l’autre, il y a désengagement réciproque, une implication mutuelle moindre. Il devient alors difficile de contrôler les employés, les problèmes de communication augmentent et ceux-ci quittent plus fréquemment leur emploi.

Les résultats de notre étude nous amènent donc à conclure que le véritable enjeu pour le dirigeant de télétravailleurs est de parvenir à trouver un équilibre quant à la distance psychologique entre lui et ses subalternes. C’est dans ce sens que nous devons comprendre l’intérêt des répondants pour les cinq pratiques de direction retenues : l’organisation de rencontres en face-à-face, le calcul d’un juste intervalle entre ces rencontres en fonction des besoins de chacun, le développement d’un lien personnel et non seulement professionnel avec les employés, une définition adéquate des rôles et des attentes, l’établissement d’un plan de carrière concret pour chaque individu et le suivi des messages écrits pour en vérifier la compréhension. Les dirigeants interrogés appuient sur l’importance de susciter chez les télétravailleurs l’émergence d’une représentation mentale riche au sujet des personnes, des tâches et de l’organisation. Ces pratiques de direction permettent aux dirigeants d’évaluer l’état de la représentation mentale d’un individu, d’apporter des ajustements afin de l’enrichir si nécessaire et de veiller à ce que cette représentation mentale demeure adéquate, qu’elle soit cohérente avec les objectifs et qu’elle contribue effectivement à la réduction de la distance psychologique lorsque cela devient nécessaire.

Nous savons que le développement des représentations mentales chez un employé repose sur des mécanismes d’acquisition et de traitement de l’information, de même que sur des mécanismes perceptifs (Endsley, 1995). Comme le dirigeant de télétravailleurs est le principal intermédiaire entre l’organisation et l’employé et qu’il occupe une position privilégiée dans le contrôle, l’orientation, la diffusion, la présentation et le partage des informations, il est en mesure d’influencer les représentations mentales de ce dernier. Il s’agit là d’un levier important pour exercer son leadership dans un contexte où le télétravail lui fait perdre son pouvoir habituel. De nombreux moyens sont en effet à la disposition du dirigeant pour faire circuler les informations : rencontres en face-à-face, rencontres de groupe, téléphone, courriel, communication mobile, intranet, etc. Chacun de ces moyens contribue, à sa façon, à forger la représentation mentale de l’individu en lui présentant des informations pouvant être acquises et traitées. Puisque le dirigeant contrôle une bonne partie de cette interface, il est en mesure d’orienter sa constitution, son développement et sa configuration. Ainsi, une partie de son influence et de son leadership repose sur sa capacité à livrer des informations qui favorisent l’émergence de représentations mentales satisfaisantes et qui sont cohérentes avec les objectifs visés.

Conclusion

Le but de cette étude était de cerner des pratiques efficaces de direction en contexte de télétravail et d’identifier les déterminants de l’efficacité de ces pratiques. Cinq pratiques efficaces de direction ont été retenues; ces pratiques nous ont permis de comprendre la dynamique qui les sous-tend et d’établir les déterminants de l’efficacité du leadership des dirigeants de télétravailleurs. De plus, un modèle permettant d’expliquer l’efficacité du leadership dans un contexte de télétravail a été proposé, à la suite des analyses réalisées dans le cadre de cette recherche.

Plusieurs limites doivent évidemment être prises en compte quant à l’interprétation des résultats obtenus : la composition et la taille de l’échantillon retenu, par exemple, de mêmes que les choix méthodologiques quant aux modes de télétravail privilégiés. De plus, nous nous sommes concentrés sur la relation entre un dirigeant et un employé, alors qu’il aurait également été intéressant de se pencher sur les interactions entre subalternes, qui ont nécessairement un impact sur le leadership exercé par le dirigeant. Malgré ces limites, plusieurs contributions originales et pertinentes pour le développement des connaissances dans le domaine de la direction de télétravailleurs doivent être retenues de cette étude. D’abord, en raison de la démarche empruntée, les résultats de cette recherche offrent un support empirique à plusieurs éléments présents dans la documentation, mais qui reposaient surtout, jusqu’ici, sur des réflexions théoriques et des intuitions. Ces résultats permettent également d’approfondir nos connaissances sur les pratiques de direction et sur le leadership dans un contexte de télétravail. Finalement, ils ouvrent la porte à une toute nouvelle approche de l’étude du leadership et de la direction d’employés dans un contexte de télétravail. En effet, examiner l’impact de la distance psychologique sur les mécanismes de leadership dans un contexte de télétravail et, possiblement, dans des contextes organisationnels plus traditionnels nous semble une avenue riche et prometteuse. Cet angle de recherche est susceptible de s’appliquer également à des domaines tels que celui des équipes et des organisations virtuelles. Bref, cette recherche constitue un premier pas qui, nous l’espérons, en engendrera plusieurs autres.