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Le Renouvellement de la Réflexion Théorique sur l’Internationalisation des Firmes

La réflexion théorique sur l’internationalisation de la firme est née dans les années 1960. Celle-ci a été formalisée avec la volonté de mieux comprendre pourquoi et quand la firme doit faire le choix de s’internationaliser. Ces questions ont d’abord été soulevées par Stephen H. Hymer (1960). Celui-ci a défendu l’idée que la possession d’avantages spécifiques était la condition essentielle à l’internationalisation de la firme. Pour Hymer, ces avantages spécifiques proviennent des actifs intangibles (image de marque, capacité d’innovation, maîtrise technologique, personnel qualifié, capacité de financement, expérience managériale, …) qui eux-mêmes sont à relier à la taille de la firme. Dans le prolongement d’Hymer, Charles P. Kindleberger (1969) élargit ces questions en distinguant la condition nécessaire (cf. motivation) de la condition suffisante (cf. avantage spécifique) de l’internationalisation de la firme. La première condition porte sur l’intérêt de la firme à investir à l’étranger plutôt que de recourir à un investissement dans son pays d’origine. Une réponse satisfaisante à cette première condition est possible, lorsque les opportunités de croître sur le marché local deviennent difficiles (émergence d’un oligopole sur ce marché) ou impossibles (mise en place d’une législation antitrust défavorable aux firmes locales de grande taille). Les firmes peuvent alors se tourner vers les marchés étrangers, en vue de rechercher de nouveaux débouchés et l’apport de ressources complémentaires (terrain, infrastructure, personnel, matières premières, réseau de distribution…). Cependant, l’accès à un marché étranger peut parfois s’avérer compliqué, compte tenu des barrières à l’entrée. Une firme ne peut donc raisonnablement opter pour une stratégie d’internationalisation que si elle détient des avantages spécifiques qui lui permettent de couvrir les coûts générés par l’entrée sur le nouveau marché. Raymond Vernon approfondit en 1966 les motivations de la firme à s’internationaliser. Celui-ci rapproche le choix d’internationalisation du cycle de vie du produit : une firme innovatrice s’internationalise, lorsque son produit se banalise sur son marché local. A côté de la recherche de nouveaux débouchés, de l’apport de ressources complémentaires, de la gestion du cycle de vie du produit, Frederick T. Knickerbocker (1973) formalise une autre motivation associée au concept de « réaction oligopolistique ». Ce concept vise à expliquer pourquoi les firmes suivent leurs concurrents lorsqu’elles s’implantent à l’étranger. D’après Knickerbocker, le choix de s’internationaliser concerne en priorité des firmes oligopolistiques qui investissent dans différents pays pour contrer, tenir en échec ou devancer des firmes rivales. En effet, une menace majeure pour la stabilité d’un oligopole est que l’un des acteurs d’un tel système concurrentiel décide de conquérir unilatéralement un avantage compétitif, lui permettant de devancer durablement ses principaux concurrents. Cette réaction oligopolistique s’apparente à un comportement d’imitation des firmes. En s’internationalisant, la firme qui agit en premier modifie à son avantage les règles du jeu. Ce comportement est ressenti comme une agression par les autres firmes de l’oligopole local, puisqu’il y a remise en cause de l’équilibre (local) des forces en présence. Les autres firmes locales vont dès lors chercher à annuler l’avantage de l’adversaire et rétablir leur propre part de marché en imitant son comportement. Il en découle une sorte de fuite en avant, où chacun s’internationalise parce que le concurrent leader l’a fait, même si cela ne procure pas un avantage immédiat (sauf celui de prendre part au partage du marché). Cette réaction oligopolistique met par conséquent en avant la dimension défensive de l’internationalisation où la position sur le marché prime sur la recherche de rentabilité. En synthèse, la réflexion théorique sur l’internationalisation a initialement focalisé son attention sur l’arbitrage entre investissement sur le marché local et internationalisation en soulignant l’importance de la (grande) taille de la firme, de sa situation concurrentielle (oligopolistique) et du degré de maturité de ses produits.

Avec les opportunités de croissance forte offerte par les BRIC (cf. Brésil, Russie, Inde et Chine) et plus généralement par les pays dits émergents, la thématique « classique » de l’internationalisation a trouvé de nouveaux champs d’étude et a ainsi été renouvelée. Les problématiques liées au processus d’internationalisation des firmes se sont déplacées. Il ne s’agit plus de savoir si la firme doit s’internationaliser ou pas, si celle-ci doit attendre d’avoir une certaine taille, ou encore si celle-ci doit atteindre une certaine maturité dans le cycle de vie de ses produits pour s’internationaliser. Ces questions ne se posent plus aujourd’hui. L’internationalisation n’est plus une option parmi d’autres choix stratégiques. Cette question de l’internationalisation s’impose aujourd’hui à toutes les firmes, aux grandes structures oligopolistiques comme aux PME. En effet, il n’est pas rare de voir aujourd’hui des PME présenter une répartition géographique de leur chiffre d’affaires qui soit proche de celle des grandes multinationales. Cet impératif de l’internationalisation est particulièrement fort pour les firmes des pays développés qui sont confrontés à la faible croissance de leur marché local. La question de la taille et de la période du cycle de vie de la firme qui soient les plus propices pour déclencher un processus d’internationalisation laissent la place à d’autres types d’arbitrage.

D’un point de vue stratégique, le processus d’internationalisation de la firme se caractérise par une succession de choix incrémentaux, l’un concernant le pays ou du marché cible et l’autre portant sur le mode d’entrée dans ce pays cible. En effet, la firme qui a décidée de se développer hors de son marché local est confrontée au choix du marché étranger cible : quel pays choisir ? Et à partir de quels critères, ce choix va-t-il se faire ? La question des critères guidant le choix du pays cible par la firme est centrale dans le processus d’internationalisation. Après avoir déterminé le pays cible, la firme se doit de définir les différents modes d’entrée ou d’investissement à leur disposition (export, bureau de représentation, joint venture, filiale, …), de les évaluer et de choisir l’un d’entre eux. Dans cette démarche, la question des critères du choix du mode d’entrée par l’investisseur étranger est centrale.

Plusieurs théories de la firme se sont intéressées à ces questions et ont proposé un certain nombre de réponses. Ces théories de la firme ont cependant pour la plupart d’entre-elles une approche partielle du processus d’internationalisation et des critères de choix (du pays et du mode d’entrée) associés. Certaines se sont concentrées sur les critères de choix du pays cible (« born globals » et « international new ventures » ou INV), d’autres sur les critères de choix du mode d’entrée (théorie des coûts de transaction, théorie néo-institutionnelle, modèle des ressources et compétences et théorie de l’apprentissage organisationnel). A notre connaissance, seul le modèle Uppsala a apporté une réponse conjointe aux deux questions et a développé ainsi une véritable théorie du processus d’internationalisation de la firme. C’est sans doute la raison de son succès, mais également de ses nombreuses critiques dans le monde académique.

L’objectif de cet article introductif est double : il s’agit dans un premier temps de faire un état du modèle Uppsala dans ses deux versions, initiale (1977) et amendée (2009). La première partie de cet article propose ainsi une étude des spécificités du modèle Uppsala et de ses apports en matière d’internationalisation des firmes. Comme nous le montrerons, dans le cas du choix du pays cible, le modèle Uppsala est avant tout une théorie fondée sur le contrôle de l’incertitude et sur les facteurs contraignant le processus d’internationalisation. De plus, dans le cas du choix du mode d’entrée, le modèle Uppsala s’appuie sur la notion de « chaîne d’établissement » (« establishment chain ») postulant un investissement gradué (ou incrémental) au cours du temps allant de modes peu ou pas capitalistiques (export, bureau de représentation, franchise, accord commercial) à des modes plus capitalistiques (joint venture de production, filiale à 100%, acquisition). Dans un deuxième temps, cet article vise à présenter les critiques et les réponses apportées d’une part pour le choix du pays cible, par l’approche « international new ventures », et d’autre part pour le choix du mode d’entrée, par les théories de la firme.

Les Modèles Uppsala (1977 et 2009) : Le Développement d’une Théorie du Processus d’Internationalisation de la Firme

Le Modèle Initial (1977)

Ebauché au début des années 1970 (Johanson & Wiedersheim-Paul, 1975) puis formalisé dans un article fondateur en 1977 (Johanson & Vahlne, 1977) par des chercheurs de l’Université d’Uppsala, le modèle éponyme a cherché à apporter une réponse conjointe et articulée à deux questions centrales pour toute firme qui veut s’internationaliser : quel pays/marché faut-il choisir ? Quelle modalité d’expansion dans le pays faut-il choisir ? Ces deux questions renvoient respectivement aux enjeux de « sélection » et d’« expansion ». Ces chercheurs de l’Université d’Uppsala ont construit un modèle qui intègre ces deux enjeux en les abordant successivement avec la même dynamique incrémentale. De ce point de vue, les chercheurs de l’Université d’Uppsala ont cherché à développer une théorie « intégrée » du processus d’internationalisation de la firme. C’est à notre connaissance la seule théorie qui décrive et explique le processus d’internationalisation dans son intégralité.

Le modèle Uppsala est caractérisé par l’importance de la progressivité dans l’expansion internationale des firmes. Le principal objectif de cette expansion progressive est de réduire l’incertitude spécifique aux marchés étrangers en s’appuyant sur une connaissance « expérientielle » élargie des opérations internationales. Le critère de minimisation de l’incertitude est au coeur du modèle Uppsala : c’est le déterminant prioritaire des choix de la firme en matière de « sélection » du pays cible et d’« expansion » dans ce pays. Dans la version initiale du modèle Uppsala, l’incertitude perçue par la firme est inversement proportionnelle à son stock d’expériences internationales. Ce stock d’expériences internationales est constitué par les expansions à l’étranger réalisées dans le passé par la firme. Il se transforme au cours du temps en une connaissance expérientielle grâce aux mécanismes d’apprentissage organisationnel (codification, mémorisation et diffusion). La connaissance expérientielle du modèle Uppsala se distingue en connaissance générale et connaissance spécifique (ou locale). La connaissance générale concerne les outils et les routines d’expansion internationale qui sont applicables indifféremment à tous les marchés étrangers. La connaissance locale renvoie à des savoirs et à une expertise (connaissance des clients, des habitudes de consommation, des canaux de distribution, des réglementations, …) qui sont propres à un marché étranger en particulier.

S’appuyant sur ce critère de la minimisation de l’incertitude, le modèle Uppsala se présente sous la forme de quatre séquences qui s’enchainent graduellement (cf. Figure 1) : niveau d’engagement sur les marchés étrangers (séquence 1), connaissance des marchés étrangers (séquence 2), décisions d’engagement à l’international (séquence 3) et résultats des opérations d’engagement (séquence 4). Les deux premières séquences permettent d’établir un diagnostic de la situation de la firme en matière d’internationalisation. La séquence 1 présente une analyse de la firme des expansions internationales actuelles en regard de deux critères : la quantité des ressources engagées dans chaque pays (nombre de salariés, nombre de filiales, montant investi, …) et le degré d’engagement (degré de dépendance de la firme vis-à-vis des marchés étrangers, transfert de ressources stratégiques, …). La séquence 2 correspond à la base de connaissances expérientielles dont dispose la firme. Cette séquence découle directement de la séquence 1 au travers des mécanismes d’apprentissage organisationnel. Cette séquence 2 va conditionner à son tour les choix de « sélection » d’un nouveau pays cible et d’« expansion » dans ce pays (cf. séquence 3) ainsi que les résultats de ces choix (cf. séquence 4). Les deux séquences consécutives de celles « de situation » permettent de comprendre les décisions, les actions et les résultats de la firme en matière d’internationalisation : ce sont des séquences « de changement ». Plus précisément, les choix de « sélection » et d’« expansion » qui sont faits lors de la séquence 3 s’appuient respectivement sur le critère de « distance psychique » et sur celui de « chaîne d’établissement ». La sélection des marchés étrangers cibles se fait à partir de la distance psychique perçue entre la firme et chacun de ces marchés. Ce critère se définit comme « l’ensemble des facteurs bloquant le flux d’informations entrants et sortants du marché. Ceux-ci comprennent les différences de langage, de formation, de pratiques managériales, de culture et de développement industriel » (Johanson & Vahlne, 1977, p. 24). En d’autres termes, la firme va cibler et approcher en priorité les marchés étrangers présentant la distance psychique la plus faible en regard de sa base de connaissances expérientielles. L’expansion dans les marchés étrangers qui ont été ciblés se fait selon le critère de la chaîne d’établissement. La firme étrangère se développe dans chaque marché étranger en suivant un même cycle d’expansion qui conduit à un accroissement par étapes des ressources transférées et du de degré d’engagement local. De manière schématique, cette chaîne d’établissement comprend les étapes suivantes (Johanson & Wiedersheim-Paul, 1975) :

  • absence d’activité régulière d’export

  • étape d’export à l’aide d’agents locaux indépendants

  • étape de création d’une filiale locale de commercialisation

  • étape de création d’une filiale locale de production

Figure 1

Les Séquences du Processus d’Internationalisation (Modèle Uppsala 1977)

Les Séquences du Processus d’Internationalisation (Modèle Uppsala 1977)

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Par la suite, cette chaîne d’établissement va être complétée avec l’ajout d’autres modalités d’expansion locale telles que le partenariat non-capitalistique et la coentreprise (ou joint venture).

Les critères de distance psychique et de chaîne d’établissement sont importants dans le modèle Uppsala car ils contribuent à minimiser l’incertitude spécifique aux marchés étrangers et renforcent la dynamique incrémentale du modèle. Cependant, ils restent secondaires par rapport à la connaissance expérientielle qui est le concept central du modèle Uppsala. En effet, l’accumulation au cours du temps de connaissances expérientielles couplée avec des choix d’expansion internationale fondés sur la distance psychique et la chaîne d’établissement initie la dynamique incrémentale du modèle Uppsala. Ensuite, cette dynamique incrémentale s’autoalimente et se cumule de manière autonome : « une fois que le processus d’internationalisation a démarré, celui-ci aura tendance à fonctionner indépendamment des décisions stratégiques qui pourraient l’affecter » (Johanson & Vahlne, 1990, p. 12).

Le Modèle Amendé (2009)

Dans leur article paru dans Journal of International Business Studies en 2009, Jan Johanson et Jan-Erik Vahlne ont amendé le modèle Uppsala initial et développé une nouvelle version de ce modèle. Cet article formalise des réflexions menées par les deux chercheurs depuis le début des années 1990 sur l’importance de la place du « réseau d’affaires » dans le processus d’internationalisation (voir notamment Johanson & Vahlne, 1990). Le réseau d’affaires est défini comme « l’ensemble des relations variées, proches et durables [de la firme] avec des fournisseurs et des clients importants » (Johanson & Vahlne, 2009, p. 1414). L’appartenance à un tel réseau offre à la firme des informations, des opportunités, des relations de confiance et des partenaires sur lesquels elle va s’appuyer dans son processus d’internationalisation. Dans cette nouvelle version du modèle Uppsala, le concept de réseau d’affaires s’est substitué à celui de marché étranger. Pour la firme engagée dans un processus d’internationalisation, la question n’est plus de cibler « des marchés qu’elle peut plus facilement comprendre » (Johanson & Vahlne, 1990, p. 13) mais d’être intégré dans un réseau d’affaires dans lequel un ou plusieurs membres, déjà bien implantés dans les marchés étrangers, peuvent constituer des ressources clés permettant d’assurer le succès de son expansion internationale. On passe ainsi d’une logique où la firme devait faire face au « handicap de la firme étrangère » (ou liability of foreignness) à celle où la firme doit désormais faire face au « handicap de ne pas appartenir à un réseau » (ou liability of outsidership). Ces éléments entraînent la mise en retrait des concepts de distance psychique et de chaîne d’établissement qui apparaissent beaucoup moins pertinents que dans la version initiale du modèle : « la corrélation entre le cycle à partir duquel une firme sélectionne les marchés étrangers et la distance psychique s’est affaiblie » (Johanson & Vahlne, 2009, p. 1421).

La nouvelle version du modèle Uppsala se présente toujours sous la forme de quatre séquences qui s’enchainent graduellement (cf. Figure 2) : position dans un réseau (séquence 1), connaissances et opportunités du réseau (séquence 2), décisions d’engagement dans les relations de réseau (séquence 3) et résultats au niveau de l’apprentissage et de la confiance (séquence 4).

La séquence 1 analyse la firme en relation avec un réseau d’affaires : celle-ci appartient-elle à un réseau ? Et dans l’affirmative, quelle est la position (centrale ou non) de celle-ci dans le réseau ? En effet, Johanson & Vahlne (2009, p. 1424) précisent que « les niveaux spécifiques de connaissances, de confiance et d’implication peuvent être inégalement distribués entre les parties [au réseau], et par conséquent peuvent avoir un impact différencié sur le succès de l’internationalisation ». La séquence 2 correspond à la base de connaissances expérientielles issues du réseau et dont dispose la firme pour l’aider dans internationalisation. Cette base est positivement corrélée au nombre d’opportunités d’expansion internationale qui se présentent à la firme. Cette séquence 2 va conditionner à son tour le développement de nouvelles relations avec un ou plusieurs membres du réseau (cf. séquence 3) ainsi que les conséquences de ces nouvelles relations en termes de connaissances et de confiance (cf. séquence 4).

Figure 2

Les Séquences du Processus d’Internationalisation (Modèle Uppsala 2009)

Les Séquences du Processus d’Internationalisation (Modèle Uppsala 2009)

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De notre point de vue, cette nouvelle version du modèle Uppsala procède d’une évolution, et non d’une rupture par rapport à la version initiale. En effet, la minimisation de l’incertitude spécifique au processus d’internationalisation, la dynamique incrémentale et son moteur, l’accumulation de connaissances expérientielles, restent au coeur de cette nouvelle version.

Critiques et Réponses de l’Approche « International New Ventures » et des Théories de la Firme

L’Approche « International New Ventures » et le Choix du Pays Cible

Dans un article publié en 1994, Benjamin Oviatt et Patricia McDougall ont décrit la situation particulière de PME ou de start-ups qui, peu de temps après leur création, présentent une répartition géographique du chiffre d’affaires proche de celle des multinationales. Ces firmes qui ont connu une expansion géographique originale ont été qualifiées de « born globals », en reprenant une terminologie proposée par Bonaccorsi (1992), ou d’« international new ventures ». Pour ces firmes, le processus d’internationalisation est rapide et ne suit pas la dynamique incrémentale postulée par le modèle Uppsala. Oviatt & McDougall (1994 et 2005) défendent l’idée qu’il ne s’agit pas là de cas exceptionnels mais de situations organisationnelles relevant d’un véritable modèle d’internationalisation, alternatif à celui d’Uppsala. Ces « international new ventures » sont appelées à se multiplier car l’environnement international des firmes (globalisation des marchés, convergence des attentes des clients, libéralisation de l’investissement direct étranger, développement des technologies d’information et de communication, …) et les savoirs des managers (plus forte exposition internationale, expériences plus variées, …) ne sont plus les mêmes que ceux qui prévalaient lors de l’élaboration du modèle Uppsala.

L’approche « international new ventures » se focalise sur la question du choix du pays cible. Cette approche considère la création de valeur et l’exploitation des ressources de la firme comme des facteurs moteurs du processus d’internationalisation. A ce sujet, Oviatt & McDougall (1994, p. 49) note que « l’international new venture est une organisation qui, dès sa conception, cherche à tirer un avantage concurrentiel significatif de l’exploitation de ressources et de la vente de biens dans de multiples pays ». Pour l’approche « international new ventures », le choix d’un pays cible se fait en regard de son potentiel de création de valeur, alors que le modèle Uppsala est plus concerné par les actifs et connaissances expérientielles détenus par l’investisseur étranger. Le pays est évalué avant tout à partir de ses potentialités et des opportunités uniques qu’il peut offrir à un investisseur étranger. En synthèse, il apparaît que deux approches du choix du pays cible se font face : d’un côté, l’approche « international new ventures » avec une logique de maximisation de la valeur et de l’autre, le modèle Uppsala avec une logique de minimisation de l’incertitude.

Les Théories de la Firme et le Choix du Mode d’Entrée

Le thème relatif au processus d’internationalisation et à la question du mode d’entrée des firmes sur un marché ont fait l’objet de recherches nombreuses en raison de leur importance dans le développement des organisations. Des analyses visant à rendre compte de ces stratégies sont ainsi apparues dès les années 1960-1970. Elles sont principalement nées du rapprochement de deux disciplines, l’économie industrielle et l’économie internationale. Elles reposent sur le constat de la nature imparfaite de la concurrence régissant le fonctionnement des marchés. Les théories proposées correspondent avant tout à des approches fondées sur l’identification/captation d’opportunités et sur les facteurs facilitant le processus d’internationalisation. Ces théories de la firme réfutent cette notion de cycle « universel » et privilégient une approche contingente aux coûts de transaction, aux facteurs institutionnels du pays cible, et au niveau de ressources stratégiques, d’expérience et d’apprentissage de l’investisseur étranger.

Il est proposé une synthèse des principales théories sur l’internationalisation, en vue d’en étudier leurs apports mais également leurs différences fondamentales avec le modèle Uppsala. Cette synthèse s’appuie notamment sur un article de Madhok (1997) dans lequel il fait un travail de comparaison important entre les critères transactionnels et internes (cf. ressources stratégiques, d’expérience et d’apprentissage de l’investisseur étranger) de choix du mode d’entrée.

L’une des avancées théoriques en matière d’internationalisation s’est faite à travers le développement de modèles fondés sur l’existence de coûts de transaction. Selon ce courant, la firme possède un certain nombre d’avantages spécifiques comme la détention de savoir-faire et va chercher à entrer sur de nouveaux marchés (étrangers) afin d’exploiter cet avantage de la manière la plus efficiente. Plus précisément, la théorie des coûts de transaction montre qu’un entrepreneur a le choix entre plusieurs formes d’organisation pour mener à bien son projet. Les formes extrêmes sont les pures relations de marché ou au contraire l’agencement de tous les échanges au sein d’une organisation intégrée. Ces deux pôles sont dénommés respectivement « marché » et « hiérarchie ». Le décideur doit dès lors effectuer un arbitrage entre les transactions qu’il effectue et trouver un équilibre entre celles qui relèvent du marché et celles relevant de la hiérarchie. C’est la comparaison entre les coûts spécifiques à chaque mode de transaction qui va alors déterminer s’il vaut mieux intégrer (relation interne organisée) ou recourir au marché (relations contractuelles). Selon cette perspective, le marché est caractérisé par la rationalité limitée et l’opportunisme des opérateurs (Williamson, 1975 et 1985), l’incertitude et la complexité des situations, la loi du petit nombre, l’asymétrie de l’information et la spécificité des actifs. En internalisant leurs activités internationales, les firmes répondent ainsi au souci d’éviter les coûts inhérents aux échanges sur le marché, les défaillances du marché, les obstacles à l’échange international, et les coûts qui en découlent. De manière générale, cette théorie s’intéresse donc avant tout à la sélection de modes d’entrée susceptibles de minimiser les coûts de transaction, tout en recherchant une exploitation optimale des avantages existants.

Le courant, développé par Dunning (1980, 1993 et 2000) propose une approche de l’internationalisation des firmes, organisée autour de trois conditions nécessaires à la réalisation de l’internationalisation de la firme : « avantage spécifique, localisation, internalisation ». Les avantages spécifiques (ownership advantage) prennent la forme d’actifs mobiles, incorporels, qui sont la propriété exclusive de ceux qui les détiennent. Entrent dans cette catégorie pratiquement tout ce qui a trait au capital humain (y compris les compétences en commercialisation et le savoir-faire technique), la différenciation des produits, l’image de marque, la qualité des produits, les droits de propriété (y compris les brevets, les formules et les marques commerciales), et la technologie. Les avantages de localisation (location advantage) permettent de mesurer aussi bien le caractère attractif que les aspects dissuasifs des politiques pays en matière de développement international. Ils concernent la situation économique et politique du pays, le transport, l’accessibilité à certaines ressources (main d’oeuvre, matières premières, infrastructure), les barrières culturelles et réglementaires ou encore le potentiel du marché. Il peut également s’agir d’interventions exogènes de la part des gouvernements en place, à travers des politiques relatives aux droits de douane et aux barrières non tarifaires. Enfin, la possibilité d’effectuer des opérations internationales au sein d’une même firme plutôt que de recourir aux marchés extérieurs correspond à ce qu’on appelle les avantages de l’internalisation (internalization advantage). Aujourd’hui, ce cadre s’avère insuffisant pour expliquer la majeure partie des IDE, constitués par l’implantation à l’étranger d’unités de production dont les activités sont similaires à celles du pays d’origine. Des facteurs notamment comme la taille des marchés, les économies d’échelle ou l’importance des actifs intangibles permettent ainsi de mieux appréhender le développement des investissements internationaux au cours des deux dernières décennies.

L’approche ressource ou RBV (resource-based view) a été développée dans les années 1980 en pointant l’importance des facteurs internes et spécifiques de la firme pour comprendre ses performances. Ses fondements sont à rechercher dans les travaux d’Edith Penrose qui aborde la firme comme un ensemble de ressources productives et qui insiste sur le fait que ce ne sont pas les ressources en tant que telles qui constituent les inputs des processus d’offre, mais les services que ces ressources peuvent rendre. A partir de ces travaux, Wernerfelt (1984) et Barney (1986) prolongent la réflexion en se focalisant sur trois points en particulier qui définissent leur cadre d’analyse: la firme n’est pas considérée au travers de son portefeuille d’activités mais comme un ensemble unique de ressources tangibles et intangibles ou comme un portefeuille de noyaux de compétences et de ressources distinctes. Les firmes sont hétérogènes en raison de la nature des ressources qu’elles détiennent et par la façon dont elles les utilisent. Enfin, la nature des ressources et la manière dont elle les utilise déterminent la capacité de la firme à être compétitive. L’approche ressource met ainsi l’accent sur la nature des ressources engagées et plus particulièrement sur leurs propriétés de transmission et de reproduction, que recouvre la notion centrale de spécificité. Par rapport à la question relative au mode d’entrée, ce courant met donc avant tout en exergue le management des capacités des firmes en termes de développement et de déploiement de ces compétences fondamentales, en veillant à combiner ressources existantes et intégration de nouvelles capacités. Selon cette perspective, l’entrée sur un marché étranger est beaucoup plus dynamique et principalement basée sur l’apprentissage et la construction de nouveaux développements organisationnels et processuels.

Conclusion

Ces différentes théories et approches, bien qu’utiles en termes d’analyse et de réflexion, en limitant leurs démarches à certaines variables clés, rendent ainsi difficile une vision globale et dynamique de l’internationalisation des firmes. Elles ont en effet pour la plupart d’entre-elles une approche partielle du processus d’internationalisation et se focalise sur un aspect spécifique de ce processus (le choix du pays cible dans le cas de l’approche « international new ventures » et le choix du mode d’entrée dans le cas des théories de la firme). De ce point de vue, seul le modèle Uppsala, dans ses deux versions (initiale en 1977 et amendée en 2009), donne une approche consistante à la fois sur les déterminants de choix du pays cible et sur les critères de choix du mode d’entrée ; ce qui fait encore aujourd’hui de ce modèle une des références théoriques incontournables sur le processus d’internationalisation de la firme. Cette approche globale de l’internationalisation est unique en son genre et c’est une des raisons pour lesquels le modèle Uppsala a été l’objet de toutes les attentions mais également de toutes les critiques !