Corps de l’article

La diversité de capital humain dans les entreprises est associée à une plus grande créativité et à plus d’innovation, à une meilleure représentativité des clients, à davantage de solutions potentielles pour résoudre les problèmes et plus d’alternatives stratégiques (Robinson et Dechant, 1997). Les recommandations pour plus de diversité dans les entreprises se multiplient, y compris en gouvernance. Des lois imposant des quotas sur la diversité de genre dans les conseils d’administration s’instaurent dans plusieurs pays. La Norvège, en précurseur, a voté en 2003 une loi pour la parité hommes femmes dans les conseils d’administration. En trois ans, la détention de mandats d’administrateurs par des femmes est passée de 18 % à 40 %[2] dans ce pays. L’Espagne en 2007 et la France en janvier 2011 ont adopté un texte de loi imposant 40 % de femmes dans les conseils respectivement en 2014 et 2017. Des lois sur les quotas ont également été votées en Islande et en Finlande et des propositions, non suivies pour l’instant, ont été faites en Belgique, aux Pays Bas, en Italie, en Suède, en Allemagne, en Angleterre et au Canada.

Dans la théorie néo-institutionnelle, trois mécanismes contribuent à l’uniformisation des conduites dans les organisations, les incitant à être plus homogènes entre elles et engendrant le changement organisationnel : le mimétisme, l’isomorphisme normatif et les pressions coercitives (DiMaggio et Powell, 1983). Lorsque ces mécanismes ne sont pas suffisants pour répondre aux attentes de la société, les pressions coercitives peuvent être renforcées en légiférant. En 2010, avant la promulgation de la loi en France, les sociétés du CAC40 ne comptaient que 16,3 % de femmes dans leurs conseils d’administration[3]. Début 2013, la France occupe la première place au niveau mondial du classement de la féminisation des conseils d’administration des 200 plus grandes entreprises du globe avec 25,1 % de femmes administrateurs[4]. Légiférer peut alors apparaître comme un passage obligé pour que les femmes accèdent aux organes de direction. La progression des femmes dans les postes d’encadrement dépend principalement de la volonté politique et du cadre légal (Guay, 2008). Le coût de mise en oeuvre de la réglementation et son impact sur la compétitivité et la rentabilité des entreprises sont souvent mis en avant par les partisans d’une moindre intervention de l’État. C’est aussi l’argument principal des opposants aux lois sur les quotas dans les conseils d’administration, selon lesquels la réglementation réduirait la performance des entreprises en les conduisant à recruter des femmes, indépendamment de leurs compétences et de leur capital humain.

La France, qui a légiféré début 2011, offre d’intéressantes perspectives d’étude comparative du capital humain des hommes et des femmes administrateurs nommés dans un contexte de réglementation. L’article propose une analyse des profils des 331 administrateurs hommes et femmes nommés en 2011 et 2012 dans les sociétés cotées à Paris du compartiment A (capitalisations boursières supérieures à 1 milliard d’euros). La première partie fait le point sur la littérature et analyse l’importance du capital humain des administrateurs et son influence sur la performance des entreprises, puis le capital humain des femmes administrateurs et enfin présente les avantages et les inconvénients d’une loi imposant un quota. La seconde partie correspond à la réalisation de l’étude, elle expose la méthodologie et les résultats.

Revue de littérature

Importance du capital humain des administrateurs pour les entreprises

Plusieurs cadres théoriques peuvent être mobilisés pour comprendre l’importance du capital humain des administrateurs pour les entreprises. La théorie du capital humain de Becker (1964) définit le capital humain comme l’ensemble constitué des connaissances, des aptitudes, des compétences et des valeurs d’un individu. Chaque individu dispose d’un stock de ressources productives : sa formation, son expérience, sa connaissance du système économique, etc. Pour Becker, l’investissement dans l’éducation, la formation et l’expérience professionnelle est essentiel pour l’évolution du capital humain individuel et contribue à la productivité de l’individu dans l’entreprise.

Dans la théorie de la dépendance envers les ressources développée par Pfeffer et Salancik (1978), la performance de l’entreprise dépend de sa capacité à s’assurer et à développer des ressources. Pour les auteurs, le capital humain apporté par les administrateurs (formation, connaissances, expertise, expérience, réseaux) fait partie des ressources essentielles de l’entreprise. Celle-ci recrute ses administrateurs en fonction des ressources critiques dont elle a besoin et cherche à attirer des candidats ayant un profil complémentaire à ceux des administrateurs déjà en place.

Pour comprendre l’importance du capital humain des administrateurs et comment celui-ci peut influencer la performance de l’entreprise, il est nécessaire de revenir sur le rôle du conseil d’administration. Les administrateurs sont amenés à prendre des décisions en fonction du contexte de l’entreprise relativement aux deux aspects du rôle du conseil d’administration : la surveillance de l’exécutif, d’une part, l’analyse et la validation de la stratégie du dirigeant, d’autre part (Gomez, 2009). Carpenter et Westphal (2001), Kroll et al. (2008) considèrent qu’il faut analyser le capital humain des administrateurs, et notamment leurs expériences, pour comprendre s’ils vont pouvoir assurer de manière efficiente leur rôle de surveillance et de conseil. Kroll et al. (2008) montrent que dans les entreprises engageant une opération de fusion acquisition, lorsque les administrateurs ont une expérience sectorielle, managériale ou d’autres conseils d’administration dans des sociétés ayant également mené des acquisitions, il y a un effet positif sur la performance. Bien que s’intéressant aux dirigeants et non spécifiquement aux administrateurs, la théorie des échelons supérieurs d’Hambrick et Mason (1984), selon laquelle les caractéristiques des dirigeants influencent et expliquent leurs choix stratégiques et la performance de l’entreprise, peut également nous aider à comprendre l’importance du capital humain des administrateurs pour les entreprises. Face à une situation donnée, un décideur fait ses choix en fonction de sa base cognitive (connaissance des évènements à venir, des alternatives, des conséquences) et de ses valeurs. Pour Hambrick et Mason, les caractéristiques managériales observables comme l’âge, la formation, l’expérience et l’ancienneté dans l’organisation, peuvent être utilisées pour prédire le comportement et les décisions d’un dirigeant. De la même manière, les caractéristiques des administrateurs pourraient expliquer leurs choix lorsqu’ils siègent au conseil et en conséquence influencer la performance des entreprises.

La composition du conseil d’administration peut également influencer la performance de l’entreprise en produisant un signal positif. Les firmes performantes choisiraient des administrateurs réputés pour attirer les parties prenantes essentielles à leur survie et leur développement (Deutsch et Ross, 2003). Les actionnaires potentiels, en situation d’asymétrie d’information sur la qualité de l’entreprise, se baseraient, pour décider de leurs investissements, sur d’autres informations plus accessibles et notamment sur les caractéristiques démographiques des administrateurs (Sanders et Boivie, 2004; Mooweon et Ji-Hwan, 2008).

L’influence des caractéristiques des administrateurs sur la performance des entreprises a fait l’objet de deux types d’études selon la perspective théorique retenue. Se référant à la théorie de l’agence, le lien entre la performance et l’indépendance des administrateurs, supposée favoriser leur rôle de contrôle et donc réduire les coûts d’agence, a été largement exploré et discuté mais sans aboutir à un consensus (Dalton et al., 1998; Forbes et Milliken, 1999; Bhagat et Black, 2002; Hermalin et Weisbach, 2003). Dans le cadre de la théorie de la dépendance envers les ressources, les études prennent en compte d’autres éléments du capital humain des administrateurs (expérience managériale, financière, juridique, âge, ancienneté dans le poste, etc.) et la relation entre les caractéristiques des administrateurs et la performance de la firme est généralement validée (McIntyre et al., 2007; De Viliers et al., 2011).

Le capital humain des femmes administrateurs

Nous allons maintenant nous intéresser aux études portant sur le capital humain plus spécifiquement des femmes administrateurs. Outre le plus jeune âge des femmes administrateurs (Ahern et Dittmar, 2012), trois différences potentielles (avec les hommes administrateurs) ressortent principalement de la littérature.

Les femmes administrateurs auraient une formation supérieure à celle des hommes : elles ont plus souvent un Master of Business Administration (MBA) dans l’étude anglaise de Singh et al. (2008); leur niveau académique est identique ou plus élevé que celui des hommes dans l’étude américaine de Simpson et al. (2010) et dans l’étude norvégienne d’Ahern et Dittmar (2012).

Les femmes administrateurs auraient moins d’expérience managériale : ceci est confirmé dans l’étude d’Ahern et Dittmar (2012), selon laquelle 31,2 % des femmes administrateurs ont été dirigeantes contre 69,4 % des hommes, et également dans les travaux de Simpson et al. (2010), pour lesquels cette lacune ne permettrait pas aux femmes d’être d’efficaces administrateurs.

Enfin, les femmes administrateurs auraient des expériences différentes de celles des hommes. Pour Singh et al. (2008), elles ont une expérience internationale équivalente à celle des hommes, une expérience d’administrateur plus variée car dans des organisations plus petites ou de types différents, une expérience plus orientée vers le consulting, le secteur public et associatif, une origine financière ou juridique alors que les hommes ont souvent un passé d’ingénieur. Selon Simpson et al. (2010), l’expérience des femmes administrateurs est davantage académique, du domaine du consulting ou médicale. Elles sont moins souvent cadres de l’entreprise (Ahern et Dittmar, 2012). Enfin dans son étude canadienne, Dunn (2012) confirme l’expérience financière ou juridique des femmes administrateurs et leur expérience autre qu’en entreprises : universités, hôpitaux, agences gouvernementales, associations, ce qui, pour l’auteur, représente un atout pour les entreprises qui disposent déjà de suffisamment d’administrateurs avec une expérience de dirigeant d’entreprise. De plus, selon Dalton et Dalton (2010), les choses évoluent : 70,1 % des femmes administratrices des entreprises de Fortune 500 ont une expérience dans une grande entreprise commerciale en 2009, contre 37,6 % en 1996.

Il n’y a pas aujourd’hui de consensus sur l’influence positive ou négative du capital humain des femmes administrateurs sur la performance financière des entreprises. Positivement, les femmes apporteraient d’autres perspectives venant enrichir la prise de décision et les discussions; la diversité serait source de connaissances et favoriserait l’innovation et la créativité (Milliken et Martins, 1996). La présence de femmes dans l’équipe de direction et le conseil d’administration augmenterait la capacité de l’entreprise à développer ses marchés car elle reflèterait la diversité des clients et des employés (Robinson et Dechant, 1997). Enfin les femmes administrateurs contribueraient à la réduction des coûts d’agence car elles seraient plus souvent indépendantes.

Mais la présence de femmes administrateurs peut aussi avoir un impact négatif sur la performance des entreprises. La diversité rendrait la prise de décision plus difficile et même si la qualité finale de la décision est supérieure, la lenteur dans la prise de décision serait défavorable à l’entreprise, surtout si elle exerce dans un contexte évoluant rapidement (Hambrick et al., 1996). La diversité peut être source de conflits (Milliken et Martins, 1996). La cohésion d’un groupe reposant sur la ressemblance entre ses membres, la diversité apportée par la présence de femmes dans les conseils pourrait avoir des conséquences négatives sur la dynamique du groupe, la communication et la coopération (Earley et Mosakowski, 2000). Les entreprises pourraient alors préférer nommer des femmes administrateurs ayant un profil semblable à celui des hommes.

Les résultats des études empiriques ne permettent pas de conclure sur l’influence positive ou négative sur la performance des entreprises de la présence de femmes dans les conseils d’administration. Le tableau 1 reprend les travaux les plus récents réalisés sur ce sujet.

Table 1

Principales études récentes sur la relation femmes administrateurs/performance de la firme

Principales études récentes sur la relation femmes administrateurs/performance de la firme

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Avantages et inconvénients d’une loi imposant un quota

La littérature sur les quotas s’est intéressée à leur influence sur la motivation, l’effort, l’espérance de réussite et la performance d’un individu. Imposer un quota à réaliser à un individu (par exemple un vendeur) le pousserait à être plus performant et à tout mettre en oeuvre pour atteindre ce quota (Locke, 1968). Les conclusions des travaux de Motowildo et al. (1978) sont plus nuancées : un quota renforcerait la motivation d’un individu tant que le quota lui semble atteignable. En transposant à la gouvernance, quel niveau d’obligation la loi peut-elle définir pour qu’il paraisse atteignable aux entreprises (en fonction des viviers de candidats qu’elles perçoivent, des changements que la diversité de genre pourraient apporter dans les conseils d’administration et de ce fait dans l’entreprise) et donc qu’elles se mobilisent pour l’atteindre, plutôt que préférer subir d’éventuelles pénalités ?

Imposer un quota de femmes dans les conseils d’administration présente des avantages et des inconvénients. Positivement, cela permettrait d’augmenter la probabilité d’avoir des administrateurs qualifiés dans les conseils. L’existence d’une telle loi permettrait d’éviter que des candidates féminines qualifiées aient des difficultés pour obtenir un mandat (Nierderle et al., 2013). Pour les auteurs, l’amélioration de l’offre compenserait les coûts de la loi. D’après Simpson et al. (2010), ouvrir le recrutement aux femmes permettrait d’augmenter le vivier de candidats potentiels. De plus, en obligeant les conseils à intégrer des femmes, la loi permettrait de mieux connaître les caractéristiques et les compétences des administratrices, ce qui réduirait les biais de sous-évaluation des capacités des futures candidates féminines (Mateos de Cabo et al., 2011).

Simpson et al., (2010) constatent que les entreprises qui n’y sont pas contraintes ont peu de femmes dans leurs conseils d’administration. L’existence d’une loi sur les quotas serait donc un moyen pour les femmes d’atteindre le niveau de représentativité leur permettant d’influencer la performance de l’entreprise (Campbell et Minguez-Vera, 2008).

Négativement, la contrainte de la loi peut conduire les entreprises à recruter des administrateurs seulement sur le critère du genre, ce qui pourrait entraîner une dégradation du capital humain dans les conseils d’administration et donc de la performance. L’étude norvégienne menée suite à la loi de 2003 par Ahern et Dittmar (2012) conclut à une influence négative sur la performance de l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils, que les auteurs expliquent par le manque d’expérience des nouvelles arrivantes. Dans leur étude, le pourcentage des administrateurs (hommes et femmes ensemble) ayant une expérience managériale décroît de 73,6 % en 2001 à 58,4 % en 2009. Ils en déduisent que pour être en conformité avec la loi, certaines entreprises ont nommé des femmes administratrices indépendamment de leurs connaissances et de leurs expériences, et souvent des femmes de la famille.

Les conclusions d’Ahern et Dittmar (2012) restent cependant à confirmer. D’une part, pour vraiment isoler l’effet de l’arrivée de ces femmes administrateurs et leur apport en capital humain, il faudrait tenir compte des sorties de capital humain correspondant aux administrateurs qu’elles ont remplacé et de la possible modification de comportement des anciens administrateurs lors de l’arrivée des femmes. D’autre part, il n’a pas été prouvé scientifiquement qu’avoir une expérience comme dirigeant d’entreprise commerciale soit une qualité indispensable pour être un administrateur. Dalton et Dalton (2010) expliquent ce qu’une femme présidente d’une grande fondation, donc d’une organisation non commerciale, peut apporter à une entreprise en termes d’expérience, de relations et de réputation. De même, nous pouvons citer pour la France la nomination chez Danone de Virginia Stallings, professeur de pédiatrie à l’Université de Pennsylvanie, Directrice du Centre de Nutrition de l’Hôpital pour Enfants de Philadelphie et membre du Conseil de l’Association Américaine de Nutrition, dont les connaissances et les réseaux peuvent constituer un avantage compétitif pour Danone. Il semble donc nécessaire de mener d’autres études avant de conclure à une dégradation ou une amélioration des profils des administrateurs lorsqu’une loi est votée.

Réalisation de l’étude

Méthodologie

La question de recherche est de mieux connaître le capital humain des femmes nommées dans les conseils d’administration dans un contexte de loi et d’analyser si les critères de sélection sont différents pour les femmes et pour les hommes. Les caractéristiques observables des individus permettant d’estimer leur capital humain (Hambrick et Mason, 1984), c’est une étude quantitative des curriculum vitae d’administrateurs qui a été menée.

Échantillon

La loi Copé Zimmermann ayant été votée en France en janvier 2011, l’étude porte sur les administrateurs nommés en 2011 et 2012 dans les sociétés françaises cotées à Paris du compartiment A. Ce choix d’analyser les plus grosses capitalisations devrait nous permettre d’étudier les plus beaux profils d’administrateurs et de voir plus clairement si les femmes nommées administratrices ont des caractéristiques différentes de celles des hommes. La liste des nominations a été établie par rapprochement entre la composition du conseil d’administration au 31 décembre 2010 et au 31 décembre 2011 figurant dans les rapports annuels et celle indiquée sur le site internet de la société au 31 décembre 2012. Une vérification a été effectuée avec une requête sur BoardEx. 331 nouveaux administrateurs ont ainsi été identifiés, dont 165 femmes et 166 hommes, pour 112 sociétés.

Les curriculum vitae des administrateurs ont été reconstitués à partir de plusieurs sources : sites internet des sociétés, rapports annuels, Who’s Who, articles de presse, sites internet (L’Agefi, Bloomberg Businessweek, LSA le carnet des décideurs, dirigeant.société.com).

Variables

La définition des variables figure dans la table 2. Il s’agit des caractéristiques démographiques des administrateurs. Les types de formation répertoriés sont ceux de la formation principale. Ainsi un ingénieur est classé dans la modalité « formation technique » même s’il a fait une année de spécialisation ensuite. Une variable spécifique MBA a été créée pour répertorier les détenteurs de MBA anglo-saxons ou de l’INSEAD, formations réputées destinées à des cadres ayant déjà de l’expérience professionnelle. Toutes les expériences ont été relevées pour chaque administrateur. Un administrateur ayant débuté comme directeur financier puis étant devenu dirigeant est comptabilisé dans la variable EXPERIENCE DIRIGEANT et dans la variable EXP AUTRE QUE MANAGERIALE. Pour mieux appréhender l’expérience managériale qui semble, d’après la littérature, constituer une différence essentielle entre les hommes et les femmes administrateurs, nous avons défini deux mesures : EXPERIENCE DIRIGEANT pour l’expérience de dirigeant de société commerciale (mandataire social) et AUTRE EXP MANAGEMENT pour une expérience managériale dans l’équipe dirigeante d’une société ou comme dirigeant d’une organisation non commerciale. Le capital relationnel, élément du capital humain des administrateurs (Singh et al., 2008), est mesuré avec deux variables : ECOLES D’ELITE et EXPERIENCE MINISTERE, à l’origine de réseaux réputés très influents en France.

Tests

Pour analyser si le profil des administrateurs recrutés en France depuis la promulgation de la loi Copé Zimmermann diffère selon le genre, nous avons effectué des tests statistiques de calcul de Chi-Deux. Pour chacune de nos variables nominales, un tableau indique dans chaque cellule les effectifs observés d’une part, pour les femmes administrateurs, d’autre part, pour les hommes administrateurs, et un tableau donne les effectifs théoriques; nous avons calculé le Chi-Deux à partir de ces deux tableaux. Les tests ont été réalisés manuellement et sur IBM SPSS Statistics 19.

Résultats

Le vote de la loi Copé Zimmermann a eu un effet immédiat puisqu’en 2011 et 2012 les nominations de nouveaux administrateurs dans les sociétés cotées françaises du compartiment A ont concerné autant de femmes (165) que d’hommes (166).

Contrairement aux résultats de l’étude suisse de Ruigrok et al. (2007), l’appartenance à la famille actionnaire est peu observée chez les nouveaux administrateurs : elle concerne seulement 4 nominations de femmes et 9 nominations d’hommes.

Les femmes administrateurs nouvellement nommées dans les grandes sociétés cotées françaises ont en moyenne 52 ans (contre 53,7 pour les hommes). 32,2 % sont des internationales (21,7 % chez les hommes). 44,4 % sont diplômées d’une école d’élite (44,2 % pour les hommes). 41,4 % ont une formation internationale et 52,7 % une expérience internationale. 52,7 % ont une expérience de dirigeant de société commerciale. 77 % ont au moins un autre mandat d’administrateur.

Table 2

Définition des variables

Définition des variables

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La table 3 présente les statistiques descriptives et les résultats des tests effectués.

Le résultat majeur de nos travaux est que les caractéristiques des administratrices recrutées depuis la loi ressemblent sur de nombreux critères à celles des hommes nommés sur la même période. Nous n’avons pas trouvé de différence significative en termes d’âge, de formation dans les écoles d’élite, de détention d’un MBA, de niveau d’études, de formation internationale, d’expérience managériale, d’expérience internationale et d’expérience comme administrateur en nombre de mandats. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que les hommes ont certainement fait l’objet d’une sélection encore plus rigoureuse puisqu’il y avait moins de places à leur proposer. Contrairement aux études qui concluaient à des caractéristiques des femmes administrateurs différentes de celles des hommes (Simpson et al., 2010; Ahern et Dittmar, 2012), nos travaux montrent qu’en France aujourd’hui les critères de sélection des administrateurs sont les mêmes pour les hommes et les femmes dans les grandes sociétés depuis la mise en place de la loi Copé Zimmermann. Ces résultats mettent aussi en évidence la capacité des entreprises à s’adapter à un nouvel environnement législatif.

Table 3

Résultats

Résultats

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Les similitudes

L’âge moyen et la répartition par tranches d’âge ne sont pas statistiquement différents entre les femmes et les hommes nommés administrateurs. On peut remarquer un pourcentage plus élevé de plus de 60 ans chez les hommes (25,3 % contre 18,4 %).

Le niveau d’études des deux populations est similaire. Le résultat concernant les formations élitistes est marquant : contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, les sociétés cotées ont réussi à recruter des femmes administrateurs diplômées des plus prestigieuses écoles, y compris d’ingénieurs, aux effectifs pourtant majoritairement masculins. Les femmes sont même plus nombreuses à être issues des Ivy league Schools, d’Oxford et Cambridge (8,6 % contre 5,5 %). Or être diplômé(e) de ces écoles est un indicateur de statut social, permettant d’être reconnu par les dirigeants et facilitant l’intégration au sein du conseil d’administration (Westphal et Milton, 2000).

La proportion de dirigeants parmi les femmes administrateurs est proche de celle des hommes. Il n’y a pas de différence significative ni en termes d’expérience comme dirigeant de société commerciale (52,7 % pour les femmes et 59,4 % pour les hommes) ni concernant l’expérience en management (respectivement 29,7 % et 23,6 %). Pour affiner, nous avons distingué dirigeants de sociétés cotées et dirigeants de sociétés non cotées. Cette fois, la différence est marquante : 57,1 % des hommes administrateurs dirigeants le sont dans une société cotée, contre 23 % pour les femmes. Les femmes occupent donc moins de postes à très hautes responsabilités que les hommes même si elles ont, elles aussi, une expérience de direction. L’expérience internationale est apportée dans les mêmes proportions par les nouveaux administrateurs qu’ils soient hommes (54 %) ou femmes (52,7 %). La conclusion est la même pour l’expérience ministérielle : quel que soit le genre, un administrateur nommé sur quatre a occupé des fonctions en ministère (22,7 % des hommes et 25,2 % des femmes).

L’expérience comme administrateur des femmes et des hommes n’est pas non plus significativement différente. Les femmes cumulent les mandats comme les hommes avec 30,9 % en détenant quatre et plus (27,1 % pour les hommes). Par contre, les hommes ont significativement plus de mandats d’administrateurs dans les sociétés cotées (63,8 % contre 50,9 %).

Toutes les similitudes observées nous conduisent à plusieurs conclusions. Tout d’abord, les entreprises, malgré la contrainte législative, ont cherché et trouvé des femmes avec des caractéristiques semblables à celles des nouveaux administrateurs. Cela laisse supposer qu’elles ont les mêmes compétences que les hommes pour exercer leur mandat. En effet, selon les travaux sur le capital humain de Parvin (1974), la formation et l’expérience sont à la base du développement des compétences professionnelles. Ensuite, il ressort de la comparaison que les modes de recrutement sont actuellement les mêmes pour les femmes et les hommes. Les réseaux (écoles d’élite, ministères, conseils d’administration) sont également pour les femmes une source importante de recrutement. Enfin, la diversité apportée par l’arrivée des femmes dans les conseils d’administration n’est pas confirmée, en tout cas pas sur les critères que nous venons d’évoquer.

Les différences

Quelques critères sont cependant significativement différents entre les femmes nommées administrateurs et les hommes. Les femmes sont plus internationales, avec 32,2 % de femmes de nationalité étrangère contre 21,7 % pour les hommes. L’écart est particulièrement marqué pour les administrateurs anglo-saxons (12,7 % des femmes, 6,1 % des hommes). La nomination de ces femmes peut constituer, dans un contexte de globalisation, un avantage concurrentiel pour les entreprises. En effet, pour se développer à l’international et savoir quels sont les produits ou les services attendus par de futurs clients étrangers, une entreprise doit disposer du capital humain adéquat (Hitt et al., 2006). Des administrateurs internationaux pourraient être une source de conseils pour les dirigeants en les informant ou les alertant sur des spécificités du pays.

La part de femmes administrateurs indépendants est significativement plus élevée que celle des hommes (63 % contre 30,7 %). Dans la théorie de l’agence, cela représente un atout pour les sociétés car les administrateurs indépendants exerceraient un meilleur contrôle des dirigeants. Dans une approche plus cognitive, c’est plutôt un désavantage car cela signifie que les femmes ont une moins bonne connaissance de l’entreprise dans laquelle elles exercent un mandat.

Si le niveau de formation et la formation en écoles d’élite sont semblables, les femmes diffèrent des hommes sur le type de formation. Les tests sur cette variable étant significatifs, nous avons effectué une seconde série de tests portant individuellement sur chaque type de formation. Elle montre que c’est sur la formation juridique que l’écart se creuse, qui concerne 16,4 % des femmes contre 8 % des hommes. Or la formation conditionnerait la capacité à traiter l’information et la tolérance à l’ambiguïté (Hitt et Tyler, 1991). Selon les auteurs, la prise de décision d’un dirigeant serait différente selon s’il a une formation d’ingénieur ou artistique par exemple. Wiersema et Bantel (1992) confirment que le type d’études des dirigeants conditionne leurs sources d’information et l’innovation dans leur prise de décision. Ceci peut être généralisé aux administrateurs et aux décisions qu’ils auront à prendre ou à valider au sein du conseil d’administration. Que les femmes administrateurs aient une formation juridique peut constituer un apport pour les entreprises : les connaissances juridiques font partie des compétences nécessaires d’un conseil d’administration, qui doit s’assurer du respect de la conformité dans un environnement légal de plus en plus complexe. En fonction de la nature de sa formation juridique (droit social, droit des affaires, etc.), l’administrateur peut aussi apporter sa contribution sur des dossiers spécifiques. Une formation juridique pourrait cependant également conduire à moins de souplesse et à une prise de risque plus faible, donc à moins de rentabilité potentielle.

Il n’y a pas de différence d’expérience en finance entre les hommes et les femmes nouvellement nommés, compétence considérée essentielle pour un administrateur. Par contre les hommes administrateurs sont plus nombreux à avoir une expérience en production et les femmes en droit. Selon Dearbon et Simon (1958), l’expérience fonctionnelle des dirigeants influencerait leur perception et leur identification des problèmes de l’entreprise; leur expérience dans un domaine particulier (finance, marketing, production, juridique, etc.) conditionnerait leur attitude et leur diagnostic face à une décision stratégique à prendre. De même pour Wiersema et Bantel (1992), la spécialisation professionnelle détermine la réceptivité au changement et la capacité à prendre des risques des dirigeants. Ceci pourrait être étendu aux administrateurs et à leur rôle de validation de la stratégie et de surveillance de l’exécutif. Le manque d’expérience en production des femmes pourrait constituer un handicap pour bien appréhender l’activité de l’entreprise et ses difficultés. Il pourrait être compensé par celui apporté par les hommes, dans une optique positive de complémentarité de la diversité.

Enfin, en termes de réputation, les hommes ont un apport supérieur aux femmes : 42,8 % des hommes nommés administrateurs en 2011 et 2012 sont dans le Who’s Who contre 30,9 % des femmes. Mais la seconde variable pouvant informer sur la réputation, EXPERIENCE MINISTERE, n’est, elle, pas statistiquement significative. De plus, les curriculum vitae des femmes administrateurs nommées sont aisément accessibles sur Google, les articles de presse les concernant sont fréquents, ce qui laisse supposer qu’elles aussi sont connues du public.

La figure 1 propose une synthèse du capital humain des hommes et des femmes administrateurs récemment nommés en France, en mettant en évidence les aspects communs et les spécificités.

Figure 1

Capital humain des administrateurs en France

Capital humain des administrateurs en France

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Limites

Une première limite de l’étude est constituée par son caractère descriptif. Son but exploratoire était de mieux connaître les caractéristiques des femmes et des hommes administrateurs nommés depuis la loi Copé Zimmermann et de vérifier si les exigences de recrutement étaient les mêmes indépendamment du genre. La loi étant récente, il est trop tôt pour effectuer des tests de performance. La seconde limite porte sur l’identification du capital humain des administrateurs. L’analyse repose sur l’étude des curriculum vitae des administrateurs, ce qui ne permet pas d’avoir une image exacte de leurs compétences. Une troisième limite peut être évoquée : l’étude porte sur les plus grandes entreprises françaises, qui ont sans doute plus de capacités, de moyens et d’incitations à chercher, à recruter et à attirer des femmes administrateurs aux profils élitistes.

Conclusion

Les femmes recrutées comme administrateurs dans les grandes sociétés cotées françaises depuis la promulgation de la loi sur les quotas il y a deux ans ont un profil ressemblant à celui des administrateurs hommes nouvellement nommés. Les caractéristiques considérées dans la littérature comme nécessaires à l’exercice du mandat d’administrateur sont présentes chez les femmes comme chez les hommes : formation élitiste, expérience managériale, expérience ministérielle, formation et expérience internationales, exercice d’autres mandats. Les différences significatives concernent le type d’entreprises où les administrateurs ont une expérience de dirigeant ou un mandat (davantage dans des sociétés cotées pour les hommes), la nationalité (plus forte internationalisation chez les femmes), l’indépendance (plus élevée parmi les femmes), la formation et l’expérience juridiques (plus fréquentes chez les femmes), l’expérience en production (plus développée chez les hommes). Les réseaux en France ont toujours une forte emprise et conduisent à un recrutement assez uniforme des administrateurs quel que soit le genre.

La promulgation de la loi a visiblement ouvert les portes aux femmes en France, qui, à profils équivalents, étaient jusque-là moins recrutées comme administrateurs que les hommes. Compte tenu de leur formation, leur expérience et leurs réseaux, leur arrivée ne devrait pas compromettre la cohésion de groupe, basée sur les similitudes entre membres, au sein du conseil d’administration.

Nos travaux ont plusieurs implications managériales. Ils éclairent les hommes et les femmes ayant l’ambition de devenir administrateurs sur les profils qui sont recherchés aujourd’hui en France. Ils apportent des éléments chiffrés et des pistes de réflexion aux conseils d’administration pour leurs futurs renouvellements, en les sensibilisant à l’existence de viviers de talents plus larges que ceux auxquels ils recouraient jusque-là. Il sera possible dans quelques années de tester l’effet sur la performance de l’arrivée de ces femmes dans les conseils d’administration en France et donc de voir si, au-delà des caractéristiques observables, leur personnalité, leurs valeurs ont modifié la valeur du capital immatériel dans les entreprises. Il sera aussi intéressant d’étudier si cela a entraîné une hausse du nombre de femmes dirigeantes en France, comme le pensent Dalton et Dalton (2010).