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La littérature ayant trait aux trajectoires d’expansion des PME a souvent opposé les approches graduelles - pour qui l’internationalisation est un processus long et séquentiel (Johanson et Vahlne, 1977, 2009) - et les approches born globals ou born international - pour qui l’expansion se fait, au contraire, de façon rapide et intensive (Oviatt et McDougall, 1994; D’Angelo et al., 2013; Johanson et Martin, 2015). Dans les deux cas, l’internationalisation est appréhendée comme étant un phénomène linéaire et unidirectionnel. Les recherches conduites dernièrement ont toutefois mis en avant l’existence de trajectoires discontinues que les modèles classiques peinent à expliquer (Vissak et Francioni, 2013). Eckert et Mayrhofer (2005) considèrent que l’internationalisation ne se résume pas seulement à un enchaînement d’étapes mais qu’elle est plutôt constituée d’une succession d’époques. Vissak (2010) indique, à ce propos, que l’expansion non-linéaire, à savoir le retrait et/ou le retour sur les marchés étrangers, s’avère plus fréquente que l’internationalisation linéaire dans le cas des PME. Là encore, peu de travaux se sont attachés à expliquer le phénomène, notamment dans une perspective qualitative (Welch et Welch, 2009).

Il paraît donc pertinent de s’intéresser à ces trajectoires afin d’identifier les éléments conditionnant le passage d’une phase d’internationalisation à une phase de retrait et vice-versa. Pourquoi les PME se sont-elles dé- et réinternationalisées ? Quels sont les facteurs poussant les PME à freiner et, le cas échéant, à réamorcer leur expansion ? Cet article vise à identifier les principales étapes d’internationalisation de quatre PME manufacturières rhonalpines suivant un processus non-linaire. Après avoir analysé les principaux travaux ayant trait à l’internationalisation des PME, nous expliciterons la méthodologie retenue dans le cadre de cette recherche et présenterons les résultats obtenus, limites et perspectives de recherche.

Internationalisation des PME : une trajectoire non-linéaire

L’internationalisation des PME fait l’objet de nombreuses contributions depuis les années 70, la majorité des travaux reposant sur deux courants : les approches incrémentale et born global (ou born international) (Vissak et Francioni, 2013; Johanson et Martin, 2015). Dans le premier cas, l’internationalisation s’effectue de manière graduelle et lente, les entreprises augmentant progressivement leur niveau d’engagement et leur périmètre d’intervention afin d’accéder à de nouveaux marchés et/ou à de nouveaux réseaux à l’étranger tout en minimisant le risque et l’incertitude (Johanson et Vahlne, 1977, 2009). Malgré son intérêt pour expliquer le développement international des firmes, cette approche a fait l’objet de vives critiques en raison de son caractère déterministe et linéaire (Andersen, 1993; Forsgren 2002), de son pouvoir explicatif limité (Oviatt et McDougall, 1994; Buckley et Casson, 1998; Ojala et Tyrvainen, 2006), de l’ambiguïté définitionnelle et la validité de certains concepts clés (Andersen, 1993; Steen et Liesch, 2007), du caractère difficilement mesurable des indicateurs qualitatifs utilisés (O’Grady et Lane, 1996; Evans et Mavondo, 2002) ou encore de l’absence d’intégration des typologies d’entreprise et des spécificités sectorielles (Andersen, 1993; Ojala et Tyväinen, 2006). En l’état, l’approche incrémentale ne permet pas d’expliquer l’internationalisation rapide des entreprises « nées globales » ou encore les trajectoires d’expansion non-linéaires (Oviatt et McDougall, 1994; Welch et Wlech, 2009; Vissak, 2010).

Dans le deuxième cas, l’internationalisation s’opère de façon rapide, massive et multimarchés (Johanson et Martin, 2015). Il s’agit généralement d’entreprises de haute-technologie, opérant sur des marchés de niche, proposant une offre à durée de vie limitée et cherchant à exploiter rapidement un avantage concurrentiel sur un grand nombre de marchés (Chetty et Campbell-Hunt, 2003). L’émergence de ce type d’organisation, dont la stratégie est principalement dictée par une logique de maximisation de la valeur, s’explique par le développement des systèmes d’information, le progrès technique, la saturation des marchés domestiques, le renforcement des compétences des dirigeants ou encore la pression des parties prenantes (Oviatt et McDougall, 1997; Chetty et Campbell-Hunt, 2003; Meier et Meschi, 2010). Comme l’indiquent Meier et Meschi (2010, p.16), ce phénomène a vocation à croître dans la mesure où « l’environnement international des firmes […] et les savoirs des managers […] ne sont plus les mêmes que ceux qui prévalaient lors de l’élaboration du modèle Uppsala ».

Bien que prédominantes dans la littérature, ces deux approches souffrent toutefois de plusieurs limites qui viennent réduire leur portée analytique. Celles-ci ont tout d’abord trait à la définition de l’internationalisation retenue. En effet, la plupart des travaux conduits en la matière partent du postulat selon lequel l’internationalisation est un processus d’engagement croissant de ressources à l’étranger (Welch et Luostarinen, 1988). Cette définition implique dès lors que l’expansion s’effectue de manière linéaire, unidirectionnelle et uniforme. Analyser la trajectoire d’expansion revient donc à étudier la croissance de l’entreprise et de son niveau d’engagement à l’étranger or ceci ne s’avère pertinent que lors des premières opérations internationales. En effet, les PME se voient contraintes de procéder à des ajustements en termes d’allocation des ressources, les amenant potentiellement à se retirer – totalement ou partiellement – de certains marchés (Turkan, 2003). La définition de Welch et Luostarinen (1988) exclut ainsi toute opération dé- et/ou de ré-internationalisation de l’analyse, bien que celles-ci s’avèrent plus fréquentes que les trajectoires linéaires dans le cadre des PME (Bell et al., 2001, 2003; Eckert et Mayrhofer, 2005; Vissak, 2010; Vissak et Francioni, 2013).

La seconde limite réside dans le déterminisme de ces deux approches. En effet, l’internationalisation considérée comme étant un phénomène se produisant soit rapidement, massivement et dès la création, soit longtemps après la création de l’entreprise et de façon lente et graduelle. Ceci écarte dès lors toute possibilité de changement de stratégie au fil du temps. Bell et al. (2001, 2003), repris par Crick (2002, 2004), ont cependant mis en avant l’existence d’entreprises (appelées born-again global) s’internationalisant rapidement et massivement après une longue période de concentration sur le marché domestique. Il s’agit ici d’entreprises traditionnelles suivant un développement de type incrémental et ayant radicalement changé de stratégie suite à un incident critique : changement de dirigeant et/ou de mode de gouvernance et/ou de business model, acquisition de nouvelles ressources et/ou compétences, progrès technique, suivi d’un client à l’étranger et/ou arrivée d’un client étranger sur le marché domestique, etc. Le tableau 1 synthétise les principales caractéristiques des entreprises suivant une approche incrémentale, born et born-again global.

Les travaux conduits par Bell et al. (2001, 2003) montrent ainsi que les entreprises ne suivent pas nécessairement l’une ou l’autre des approches précédemment présentées mais qu’elles peuvent passer de l’une à l’autre au gré des stratégies déployées et des mutations de l’environnement : les différences constatées en matière de motivation, d’objectifs et d’intensité des connaissances impactent fortement les choix stratégiques, le modèle et la trajectoire d’expansion des entreprises. Ceci s’inscrit dans la lignée d’Oesterle (1997) pour qui l’internationalisation n’est pas linéaire mais peut être précipitée par des épisodes particuliers pouvant mener à une expansion rapide ou, au contraire, à une désinternationalisation. Eckert et Mayrhofer (2005), Welch et Welch (2009) ou encore Vissak et Francioni (2013) aboutissent à la même conclusion en précisant que la trajectoire d’expansion des PME est faite d’une succession de phases de durée variable pouvant entrainer une augmentation ou, au contraire, une réduction du niveau d’engagement à l’étranger. Selon Welch et Welch (2009, p. 575), l’internationalisation non-linéaire est « un phénomène méritant davantage d’attention de la part des chercheurs » dans la mesure où « nos connaissances en la matière restent limitées ». Dès lors, nous nous attacherons à décrire les phases d’internationalisation afin d’en saisir les principales caractéristiques et les facteurs explicatifs. Une attention particulière mérite d’être portée aux phases de réinternationalisation au regard du nombre restreint de travaux conduits en la matière (Vissak et Francioni, 2013).

Tableau 1

Attitudes à l’international par type d’entreprises

Attitudes à l’international par type d’entreprises

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Désinternationalisation

L’internationalisation non-linéaire renvoie, comme précédemment évoqué, à l’enchainement de phases d’expansion, de dé- et, le cas échéant, de ré-internationalisation.

La désinternationalisation peut être définie comme toute opération de retrait – totale ou partielle - des marchés étrangers (Vissak, 2010). Elle résulte d’une réduction du niveau d’engagement actuel – voire du désengagement - à l’étranger (cession de parts dans le capital d’une entreprise étrangère, réduction des effectifs dédiés au développement international, etc.) ou de la décision de poursuivre l’internationalisation en optant pour des modes d’entrées moins engageants (exportation suite à une phase de désinvestissement, par exemple (Benito et Welch, 1997; Johanson et Vahlne, 2009; Vissak et Francioni, 2013).

Pour Bell et al. (2003) et Crick (2004), la désinternationalisation est liée à la vitesse d’internationalisation des PME : plus le développement est lent, plus la probabilité de voir une PME se désinternationaliser sera élevée dans la mesure où les entreprises suivant une expansion incrémentale sont fortement averses au risque et à l’incertitude. Dès lors, toute difficulté ou échec rencontrés sur les marchés étrangers est susceptible d’entrainer une réduction du niveau d’engagement. Vissak et Francioni (2013) précisent toutefois que le phénomène touche aussi les entreprises à internationalisation rapide en raison de leur jeunesse, de leur manque de ressources et compétences, de la faiblesse de leur structure de gouvernance ou encore du manque de relations/réseaux (Jones et Khanna, 2006; Mudambi et Zhara, 2007).

Volontaire ou contrainte, la désinternationalisation peut avoir deux origines. Elle peut émaner, d’une part, d’événements internes tels qu’un changement de stratégie et/ou d’équipe dirigeante, des résultats jugés insatisfaisants par les parties prenantes, le manque de ressources et compétences, ou encore la perte de compétitivité de l’entreprise. Elle est, dans ce cas, souvent volontaire et provisoire dans la mesure où elle n’a qu’un faible impact sur la confiance des membres de l’équipe dirigeante. La désinternationalisation peut également résulter d’une dégradation plus ou moins brutale et prévisible de l’environnement au sein duquel l’entreprise opère : nationalisation, expropriation, boycott (Benito et Welch, 1997), réduction de la demande locale (Welch et Wiedersheim-Paul, 1980), intensification de la concurrence (Javalgi et al., 2011), accessibilité restreinte aux ressources/compétences et/ou réseaux de distribution locaux (Bell et al., 2003), gestion des partenaires locaux (Benito et Welch, 1997), préparation du marché insuffisante (Matthyssens et Pauwels, 2000), etc. Dans ce cas, l’entreprise se voit souvent contrainte de se retirer du marché, ce qui impacte plus ou moins fortement sa confiance et donc l’éventualité d’un retour ultérieur sur le marché puisqu’elle s’accompagne souvent d’une vague de départ du personnel (Welch et Welch, 2009).

Tableau 2

Synthèse des principales caractéristiques des opérations de dé- et réinternationalisation

Synthèse des principales caractéristiques des opérations de dé- et réinternationalisation

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Il est intéressant de souligner que la désinternationalisation n’est pas nécessairement signe d’échec car elle peut résulter d’un choix stratégique temporaire. A l’image de la réussite, l’échec constitue une source de connaissances expérientielles importante (Johanson et Vahlne, 2009). Welch et Welch (2009) précisent que contrairement aux réussites, le rôle négatif de l’expérience (échec) sur la trajectoire d’expansion reste peu exploré dans la littérature. L’apprentissage est un processus complexe soumis à un grand nombre de biais cognitifs (notamment en situation d’échec), en raison de ce que Levinthal et March (1993) qualifient de myopie organisationnelle. L’échec ne sera pas vécu et géré de la même façon par les entreprises : certaines y verront une source d’apprentissage quand d’autres y percevront un frein définitif. Les recherches empiriques montrent que pour de nombreux entrepreneurs, l’échec à l’international est vécu comme un traumatisme et exacerbe l’aversion au risque, écartant alors toute option de retour sur le marché (Benito et Welch, 1994; Crick, 2002, 2004). Ceci fait écho aux notions de vulnérabilité et de résilience.

Selon Bhamra et al. (2011), les individus, les entreprises, les communautés et les pays sont sujets à des environnements en constante évolution, mettant par là-même au défi leur capacité d’adaptation. En situation de choc, les organisations peuvent avoir deux réponses opposées : la vulnérabilité ou la résilience. Dans le premier cas, les entreprises comme les individus adoptent une attitude passive et négative en situation de crise, se contentant de subir les chocs externes. Dans le second cas, les individus agissent de façon proactive et tentent de s’adapter afin d’assurer la survie de l’organisation. Définie comme étant la capacité des individus et des organisations à répondre aux turbulences, à maintenir un certain niveau de fonctionnement et à rebondir suite à un échec (Sawalha, 2015), la résilience constitue aujourd’hui un avantage stratégique majeur (Cheng, 2007) en ce sens où elle permet de maintenir la flexibilité organisationnelle. Capables de rebondir et d’apprendre de leurs erreurs, les organisations résilientes seraient donc davantage enclines à se réinternationaliser que leurs homologues vulnérables.

Réinternationalisation

La réinternationalisation peut être définie comme tout « processus impliquant une période de business à l’étranger, l’arrêt des affaires à l’international suivi d’une période de temporisation/stagnation d’une certaine durée puis un processus de ré-entrée se concluant par un renouvellement réussi des opérations internationales » (Welch et Welch, 2009, p. 568). Il s’agit ainsi d’une démarche en quatre temps : internationalisation, retrait, stagnation et réinternationalisation. Les critères d’identification et de définition des entreprises « ré-internationalisantes » restent vagues, expliquant le peu de travaux conduits en la matière (Welch et Welch, 2009; Vissak, 2010). Considérée au sens large, la réinternationalisation peut s’opérer dans le pays précédemment quitté - l’entreprise mettant à profit les connaissances expérientielles acquises ainsi que les relations et les réseaux précédemment noués (Welch et Welch, 2009; Javalgi et al., 2011) - ou au sein d’un marché tiers (Crick, 2004; Javalgi et al., 2011).

Tableau 3

Principales caractéristiques des PME (2015)

Principales caractéristiques des PME (2015)

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A l’image de la désinternationalisation, la réinternationalisation concerne tout type d’entreprise mais reste plus fréquente chez les exportateurs confirmés et/ou les entreprises fortement engagées à l’international par le passé (Welch et Wiedersheim-Paul, 1980; Hadjikani, 1997). Elle peut être motivée par des facteurs internes et externes et fait généralement suite à un incident critique au sens de Bell et al. (2001, 2003) : nouvelle structure de gouvernance et/ou équipe dirigeante, acquisition de nouvelles ressources et compétences, réduction des barrières commerciales, stabilisation des conditions de marchés, etc. Les réseaux jouent, à ce stade, un rôle clé dans la mesure où le support et les connaissances qu’ils apportent permettent à l’entreprise de se réorienter vers les marchés étrangers et, le cas échéant, de s’internationaliser plus rapidement que par le passé (Welch et Welch, 2009). Le tableau 2 présente une synthèse des principales caractéristiques des opérations de dé et ré-internationalisation.

L’internationalisation non-linéaire est, comme évoqué précédemment, faite de quatre phases. Si l’existence de ces phases est connue, la nature des éléments permettant le passage de l’une à l’autre reste, pour sa part, peu évidente (Vissak et Francioni, 2013). Une attention particulière mérite donc d’être portée quant à l’identification des moteurs et/ou des freins conditionnant la progression de l’entreprise à l’international. De même, la durée des différentes phases varie d’une entreprise à l’autre au regard de ses ressources, de ses expériences et de son attitude vis-à-vis des marchés. Welch et Welch (2009) postulent que, dans le cas précis de la phase de stagnation, la durée joue un rôle clé sur la probabilité, le succès et le type de réinternationalisation. Selon eux, une période de longue stagnation – souvent signe d’épisode traumatisant - sclérose l’entreprise puisqu’elle favorise le départ des ressources humaines clés, dilue la force des relations établies avec les acteurs étrangers et réduit donc considérablement la réussite d’un retour sur les marchés étrangers. Inversement, une phase de stagnation courte permet de maintenir l’agilité de l’entreprise, de conserver ses ressources humaines et réticulaires et de rebondir plus facilement en cas d’échec à l’international. Ils précisent toutefois que « la période de stagnation n’a que peu été étudiée dans la littérature or il s’agit d’un élément critique dans la décision et les modalités de retour à l’international » (Welch et Welch, 2009, p.575). La compréhension des trajectoires non-linéaires nécessite donc d’étudier différents types de dé- et de ré-internationalisation afin d’en identifier les déterminants, les similarités et/ou les différences.

Tableau 4

Trajectoire d’internationalisation de l’entreprise A

Trajectoire d’internationalisation de l’entreprise A

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Méthodologie

Notre recherche est de nature qualitative et repose sur la réalisation d’une étude de cas multiple menée auprès de quatre PME manufacturières de la région Rhône-Alpes entre les mois d’octobre 2013 et septembre 2014. Le recours à l’étude de cas multiple se justifie par la portée compréhensive de nos travaux. Par la richesse des données collectées, l’étude de cas est particulièrement adaptée à l’étude de phénomènes contemporains nouveaux et/ou complexes en vue, le cas échéant, de développer ou d’actualiser les théories existantes (Eisenhardt, 1989; Miles et Huberman, 2003; Yin, 2003; Ghauri et Gronhaug, 2005). Elle contribue à contextualiser une problématique et à proposer des explications solides tenant compte des réalités et des spécificités locales (Miles et Huberman, 2003). Ainsi, l’étude de quatre cas de PME vient renforcer la généralisabilité analytique de nos résultats, assurant que ceux-ci ne souffrent de biais de nature idiosyncratique. Les aller-retours opérés entre la littérature et le matériau empirique - dans le cadre de la démarche abductive retenue - permettent de proposer différentes pistes d’actualisation des modèles théoriques existants en vue d’aboutir à une compréhension plus fine des éléments et des mécanismes influençant la trajectoire d’internationalisation des PME.

Le choix des cas repose sur la sélection de quatre entreprises de moins de 250 salariés (et d’un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros) actives à l’international et disposant de filiales commerciales et/ou de production à l’étranger. L’identification de ces PME repose sur une démarche en trois temps, à savoir (1) un recensement des PME manufacturières de la région Rhône-Alpes disposant d’une filiale à l’étranger, (2) une étude exploratoire réalisée auprès de 18 entreprises et, enfin, (3) une étude empirique conduite auprès d’un échantillon de quatre « cas d’intensité » (Patton, 2006), c’est-à-dire quatre cas pour lesquels le phénomène étudié se présente de façon particulièrement claire et intense. Ces PME ont été sélectionnées au regard de la discontinuité de leur trajectoire d’expansion, faite de phases d’investissement, de désinvestissement et de réinternationalisation. En outre, le choix de nous focaliser sur la région Rhône-Alpes s’explique par le poids des PME et du secteur industriel dans le tissu économique local (2ème région industrielle de France) et l’orientation internationale de la région (30 % du PIB annuel)[1].

Plusieurs sources de données ont été mobilisées : les données primaires, recueillies par le biais d’observations non-participantes et d’entretiens semi-directifs conduits - via un guide d’entretien - auprès des chefs d’entreprise et de cadres impliqués dans l’internationalisation des PME. Les thèmes abordés, à savoir l’identité et l’histoire de l’entreprise, le déroulement du processus et le bilan perçu de l’expansion, nous ont permis de retracer la trajectoire de chaque entreprise et de recueillir l’expérience et les perceptions des principaux acteurs. Ces entretiens nous ont notamment amené à identifier les événements critiques ayant conditionné le développement international des PME. Au total, 22 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’1 h 30 (de 0 h 45 à 4 h 30) ont été menés auprès des entreprises suivantes : Entreprise A[2], Emball’iso, Hydrola et SLAT. Ces PME manufacturières opèrent toutes sur un marché de niche global et réalisent d’importantes opérations à l’international. Le tableau 3 résume les principales informations relatives aux PME étudiées.

Les données collectées ont par la suite été triangulées via des sources secondaires (archives de presse, sites internet, etc.) et complétées par dix entretiens ouverts conduits auprès d’acteurs institutionnels du développement international : Entreprise Rhône-Alpes International (ERAI)[3], la Chambre de Commerce et d’Industrie Régionale (CCIR) et Business France

Les entretiens réalisés ont été enregistrés et retranscrits. Un compte-rendu a été envoyé aux interviewés dans les 15 jours suivant l’entrevue afin de leur permettre de confirmer, préciser ou modifier les données collectées. L’exploitation des retranscriptions nous a permis de faire émerger les moteurs et freins du développement international des PME étudiées. Les entretiens ont été codés puis analysés à l’aide du logiciel N’Vivo. Nous avons procédé à une analyse de contenu en débutant par repérer les principaux thèmes abordés par nos interlocuteurs et en attribuant de codes aux données sur la base des éléments identifiés dans la revue de littérature et des thèmes mobilisés dans le guide d’entretien. Nous avons par la suite tenté d’associer les thèmes afin de mettre en avant l’existence de lien entre les concepts observés. Parallèlement à l’analyse de contenu effectuée, des matrices chronologiques ont été établies pour chaque cas comme préconisé par Miles et Huberman (2003). Celles-ci renforcent notre compréhension du phénomène en facilitant l’identification des événements critiques et des principales phases d’internationalisation des PME étudiées. Un tableau synthétique est fourni en annexe (annexe 1)

Après avoir présenté les cas retenus, nous analyserons la trajectoire suivie par chacun d’entre eux en accordant une importance particulière au rythme d’internationalisation, au choix de la localisation et au niveau d’engagement, ces trois dimensions nous paraissant clé en vue de comprendre les raisons ayant poussé les entreprises à passer d’une phase d’expansion à l’autre.

Internationalisation des PME : un processus aryhtmé et non-linéaire

La présente partie s’attache à décrire le développement international de chacune des quatre PME retenues afin de mettre en lumière les éléments influençant leurs trajectoires d’expansion respectives.

Cas 1 : Entreprise A

L’entreprise A est une PME spécialisée dans l’exploitation et la sécurisation des mines créée en 2000 suite à la reprise, par Monsieur Z (actuel PDG), de la TPE familiale. Elle emploie 130 personnes et réalise, en 2015, un chiffre d’affaires de plus de 44 millions d’euros (dont 66,1 % à l’étranger). Son internationalisation a débuté en 2006 principalement suite à l’association du dirigeant avec Monsieur B (expert italien dans la prévention des éboulements) et à l’acquisition la société TMAE (Techniques Minières Anti-Eboulements- leader dans la prévention des éboulements). Elle s’est effectuée en trois phases (tableau 4). L’entreprise a connu une première phase d’internationalisation de sept ans (2006-2013). Elle a débuté par l’exportation – via un réseau de distributeurs –en Europe avant d’intensifier son engagement international en procédant à l’acquisition d’entreprises complémentaires (permise grâce à trois levées de fonds et une introduction en bourse) dans des pays plus distants tels que les Etats-Unis ou la Turquie. Les dirigeants entendent principalement exploiter un brevet technique et les réseaux auxquels l’entreprise et ses parties prenantes appartiennent. L’entreprise A connaît un premier revers en 2013 qui la pousse à réviser sa stratégie d’expansion. Entre 2013 et 2014, la PME est contrainte de se désinternationaliser partiellement en raison de son manque de compétitivité et de la pression exercée par les actionnaires. Les contrats de distributions sont renégociés voire rompus, les distributeurs les plus performants sont intégrés au sein de l’entreprise et les filiales sont restructurées. Par ailleurs, la zone de prospection est elle aussi réduite aux pays jugés comme étant à fort potentiel de croissance : l’Amérique du Nord et du Sud. Les actions engagées entre 2013 et 2014 permettent à l’entreprise A de se restructurer, de regagner la confiance des investisseurs et d’amorcer un nouveau cycle d’expansion sur le continent américain. L’objectif est de renforcer la compétitivité de la PME en optimisant les ressources déjà engagées, en exploitant les relations d’affaires ainsi que les accords de coopération existants entre les pays d’implantation et cibles pour se rapprocher des clients et réduire les coûts et délais de transport. Le tableau 4 résume les phases d’internationalisation, de désinternationalisation et de réinternationalisation de l’entreprise A.

Cas 2 : Emball’iso

Emball’iso est une PME rhodanienne créée en 1990 par Pierre Casoli, ingénieur chimiste et actuel PDG. Elle est spécialisée dans la fabrication et commercialisation d’emballages isothermes et de panneaux légers pour arts graphiques pour l’industrie. Emball’iso emploie 130 personnes et réalise, en 2015, un chiffre d’affaires d’environ 20 millions d’euros (dont 60 % en provenance de l’étranger). Emball’iso connaît une première phase d’internationalisation d’une durée de 10 ans. Entre 1994 et 2000, l’entreprise réalise de nombreuses exportations en Europe puis en Asie suite à la réception de commandes non-sollicitées émanant de clients français implantés à l’étranger (notamment en Angleterre). Les normes et certifications détenues, ainsi que la réputation bâtie en France et l’exploitation des réseaux clients, permettent à la PME de rapidement s’ouvrir au grand export. Cette première phase s’accélère entre 2000 et 2004 suite à l’intégration d’un fournisseur allemand en difficultés financière. Cette acquisition permet à Emball’iso de se doter de sa première filiale à l’étranger, d’accéder à de nouvelles ressources et compétences mais aussi de réduire sa dépendance envers les fournisseurs de matières premières et d’atteindre une taille critique sur le plan européen. En 2004, la PME fait face à d’importantes difficultés suite à sa tentative de diversification en Allemagne au début de l’année (secteur agroalimentaire). Cet échec s’explique principalement par la méconnaissance des spécificités du secteur, la sur-évaluation des gains potentiels, la volatilité du coût des matières premières et la guerre des prix imposée par le principal concurrent. Emball’iso se voit contrainte de liquider l’entreprise acquise et de se reconcentrer sur ses marchés. Les difficultés rencontrées et le manque de ressources constituent les deux éléments moteurs de la désinternationalisation partielle d’Emball’iso en Europe. Il s’en suit alors une phase de stagnation d’une durée de quatre ans au cours de laquelle la PME se reconcentre sur ses marchés, limite tout nouvel engagement de ressources à l’étranger et se restructure afin d’absorber les pertes financières subies. A partir de 2008, la PME s’engage dans un nouveau cycle d’expansion et créée ses premières filiales ex-nihilo à Shanghaï (2008), à Singapour (2009 – jointventure) et à Pittsburg (2014). L’objectif de cette réinternationalisation est quadruple : (1) regagner en compétitivité en délocalisant la production des éléments à faible valeur-ajoutée en Chine, (2) se positionner en amont au regard du potentiel de croissance et des plans d’investissements futurs des gouvernements asiatiques, (3) accéder à de nouvelles ressources et compétences et, enfin, (4) accéder à de nouvelles opportunités d’affaires par la création d’un réseau intra et inter-organisationnel solide. Le tableau 5 résume les trois phases précédemment exposées.

Tableau 5

Trajectoire d’internationalisation d’Emball’iso

Trajectoire d’internationalisation d’Emball’iso

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Tableau 6

Trajectoire d’internationalisation d’Hydrola

Trajectoire d’internationalisation d’Hydrola

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Tableau 7

Trajectoire d’internationalisation de SLAT

Trajectoire d’internationalisation de SLAT

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Cas 3 : Hydrola

Hydrola est une PME rhodanienne créée en 1978 ayant choisi un nouveau Directeur Général depuis l’an 2000. Elle conçoit et commercialise des équipements hydrauliques, pneumatiques et mécaniques pour l’industrie. L’entreprise emploie 30 personnes et réalise, en 2015, un chiffre d’affaires de 3,7 millions d’euros (dont 35 % en provenance de l’étranger). L’internationalisation de la PME a débuté en 2000 par la réception de demandes de prix suite à la création et au référencement d’un site internet (sous l’impulsion de son nouveau dirigeant). Hydrola réalise ses premières exportations en 2006 en Tunisie et au Maroc puis intensifie rapidement son internationalisation. En 2008, la PME créé sa première filiale commerciale ex-nihilo au Mexique en réponse à une opportunité interne et au volume croissant de commandes en provenance d’Amérique latine. A partir 2010, elle se dote de deux nouvelles entités en Tunisie puis au Sénégal, portée par l’industrialisation des pays émergents d’Afrique, par la faible intensité concurrentielle locale et par son expérience antérieure dans la zone. L’année 2010 constitue une date dans la mesure où Hydrola se voit contrainte de réduire son niveau d’engagement au Mexique (suite à de nombreuses tensions et aux mauvais résultats enregistrés par la filiale) et de se retirer du marché tunisien en raison des risques et de l’incertitude liés aux Printemps arabes. Entre 2010 et 2012, Hydrola restructure entièrement la filiale mexicaine : les activités de prospection sont stoppées, une nouvelle équipe locale est constituée et le contrôle est renforcé par la nomination d’un directeur de zone - basé au siège - en charge de la gestion de la filiale. A partir de 2012, la PME se réinternationalise en Amérique latine et en Afrique francopohone. Ceci se matérialise par une augmentation des effectifs au niveau du siège et des filiales afin de répondre au surplus d’activités en provenance de ces deux zones. Au regard de l’instabilité persistante en Tunisie, la PME met l’accent sur le développement des marchés ouest africains. Elle se concentre sur le Sénégal et y envoie l’un de ses commerciaux originaire du pays afin de satisfaire les demandes des clients historiques nécessitant de travailler avec des entreprises locales ainsi que de diversifier les sources de revenus. Le tableau 6 présente les principales phases d’expansion d’Hydrola.

Cas 4 : SLAT

L’entreprise SLAT (Société Lyonnaise d’Appareillage Téléphonique) est une PME lyonnaise créée en 1953 et spécialisée dans la conception, fabrication et commercialisation d’alimentations électriques secourues à des fins sécuritaires. Elle emploie 70 personnes et réalise un chiffre d’affaires de plus de 17 millions d’euros (2015) dont 27 % à l’étranger. L’entreprise débute son internationalisation à la fin des années 70 par le biais d’exportations indirectes en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe. Jusqu’en 1999, l’entreprise adopte une démarche réactive à l’égard des marchés étrangers, se contentant simplement de répondre aux demandes émanant de ses clients implantés à l’étranger. Elle perd progressivement des parts de marchés suite à son intégration au sein de Quante Ag (grand groupe allemand) à partir de la fin des années 80. Les managers tentent de redresser la situation en créant une filiale de production en Chine en 1999 suite à l’obtention d’une certification locale du ministère des télécoms chinois, convaincus du potentiel de croissance du pays. Cette première tentative d’expansion se solde par un échec et contraint l’entreprise à se retirer du marché la même année. Entre 1999 et 2004, SLAT se désinternationalise : fermeture de la filiale chinoise, retour aux exportations indirectes et arrêt de toute démarche proactive d’expansion. L’échec rencontré en Chine - première tentative volontaire d’expansion - entraine une désinternationalisation totale, caractérisée par un désinvestissement en Chine et une réduction du niveau d’engagement au niveau global, suivie d’une période de stagnation de plus de six ans. L’arrivée d’un nouveau dirigeant, en 2004, disposant d’une longue expérience à l’international apporte une dynamique nouvelle et permet à la PME de se réorienter vers les marché étrangers. SLAT se réinternationalise à partir de 2004 : l’entreprise adopte une attitude proactive (passant de l’exportation indirecte à l’exportation directe) et de nouvelles orientations stratégiques sont définies. L’accent est mis sur les marchés européens au regard des normes et des certifications techniques détenues. Les efforts d’innovation entrepris permettent à la PME de devenir fournisseur de rang 1 chez Bosch. Ceci confère à SLAT une notoriété certaine en Europe et lui permet de créer, en 2009, de sa première filiale commerciale en Allemagne ainsi que de renforcer ses effectifs. La réinternationalisation de SLAT se matérialise donc par une augmentation du niveau d’engagement en Allemagne – tant au niveau des ressources que de l’attitude. Le tableau 7 présente une synthèse de la trajectoire d’internalisation de SLAT.

Discussion

L’étude de cas multiple conduite montre que si l’internationalisation s’effectue bien de manière processuelle, celle-ci est faite d’une succession de phases d’entrée, de sortie, de stagnation et de retour sur les marchés étrangers de durée et d’origine variables (Benito et Welch, 1994; Bell et al., 2001, 2003; Welch et Welch, 2009). L’étude des trajectoires précédemment décrites a mis en lumière les principaux facteurs internes et environnementaux ayant influencé la trajectoire d’expansion des quatre PME.

Internationalisation

Première des quatre phases étudiées, l’internationalisation a une durée comprise entre 8 et 20 ans. Elle intervient principalement dans les années suivant la création de l’entreprise et est composée de deux étapes : une première phase d’exportation (directe ou indirecte) dans des pays proches puis distants et une seconde phase caractérisée par l’ouverture de filiales dans des pays distants après cinq à huit d’expérience à l’international. Ceci atteste du rôle central de l’expérience tant dans le choix des modes d’entrée que des marchés cibles (Johanson et Vahlne, 1977, 2009).

La première phase d’internationalisation peut résulter d’une démarche proactive comme réactive. Dans le premier cas (cas des PME A, Emball’iso et Hydrola), elle est liée aux dirigeants (notamment à leur orientation internationale et à leurs expériences antérieures), à l’exploitation des actifs stratégiques ou encore aux réseaux des PME et/ou de leurs membres. Dans le second cas (cas SLAT), elle s’explique par le suivi des clients et les pressions croissante de l’environnement – notamment par la perte de compétitivité et le besoin urgent de trouver de nouveaux relais de croissance suite à la perte d’indépendance et au degré de maturité avancé des marchés traditionnels.

A l’instar de Welch et Welch (2009), il semble que l’internationalisation ne se résume pas simplement à l’accroissement du niveau d’engagement à l’international. Elle se matérialise également par les efforts engagés, en interne, pour ouvrir l’entreprise aux marchés étrangers (internationalisation de la culture organisationnelle, etc.) ou encore par l’étendue et la dispersion géographique de ses réseaux. Ces réflexions nous amènent à préciser l’origine et les effets de la désinternationalisation, l’influence de la durée de la phase de stagnation ainsi que de l’échec sur la trajectoire d’expansion.

Désinternationalisation

Concernant la désinternationalisation, nous avons pu voir que celle-ci pouvait prendre plusieurs formes. Elle pouvait être totale ou partielle, définitive ou temporaire. Dans le cas des PME Emball’iso et SLAT, elle s’est traduite par une fermeture définitive des filiales en raison des difficultés d’ordre culturelles ou concurrentielles rencontrées localement. La sous-estimation de la spécificité et de la complexité des marchés, le manque d’expérience dans les pays cibles et la distance expliquent en grande partie ce phénomène. Inversement, les entreprises A et Hydrola ont opté pour un retrait partiel. La désinternationalisation de l’entreprise A s’est traduite par la réduction du nombre de distributeurs et de marchés étrangers ainsi qu’une restructuration des filiales. Elle résulte tant du manque de contrôle du siège sur la croissance (rapide) des opérations internationale que sur le manque de compétitivité lié au choix du mode d’entrée (commissions élevées à verser aux distributeurs) ou encore sur la pression des parties prenantes face aux résultats réalisés à l’étranger. Le retrait de la PME Hydrola s’est matérialisé, d’une part, par la réduction du périmètre d’activité et des ressources dédiées à la filiale mexicaine et, d’autre part, par la mise en sommeil de la filiale tunisienne. La désinternationalisation au Mexique résulte principalement de facteurs internes, à savoir le manque de préparation de l’implantation et par l’intensification des tensions entre le siège et la filiale. Dans le cas de la Tunisie, elle s’explique par la dégradation brutale et inattendue de l’environnement macroéconomique local.

Les quatre cas analysés mettent en avant le caractère multi-facettes du phénomène de désinternationalisation. Elle ne survient pas nécessairement dans les premières années, comme indiqué par Benito et Welch (1994) mais plutôt dans les 10 ans suivant les premières opérations réalisées à l’étranger. Elle s’explique par la réunion de facteurs internes et/ou externes et se matérialise par une réduction du niveau d’engagement dans le pays et/ou d’une restructuration du réseau commercial de l’entreprise. En outre, la désinternationalisation n’est pas nécessairement synonyme d’un arrêt total de toute opération internationale mais plutôt d’une réduction (partielle ou totale) du niveau d’engagement dans un pays (ou un groupe de pays) uniquement, d’une réduction du périmètre d’affaires et/ou encore d’une réduction du nombre de partenaires étrangers (réseaux). En ce sens, nos résultats précisent les travaux conduits en la matière (Benito et Welch, 1994; Bell et al., 2003; Johanson et Vahlne, 2009; Vissak et Francioni, 2013) en incluant la notion de réseaux et de localisation aux caractéristiques de la désinternationalisation.

L’ensemble des PME étudiées, qu’elles se soient développées rapidement ou non, ont connu une phase de désinternationalisation – comme démontré par Vissak et Francioni (2013). Ceci ne permet donc pas de valider l’existence des liens montrés par Bell et al. (2001, 2003) et Crick (2004) entre la vitesse d’internationalisation et la probabilité de désinternationalisation. L’exemple de l’entreprise SLAT montre, en effet, que dans le cas d’une internationalisation lente et réactive, les managers tendent à faire preuve d’une plus grande aversion au risque et à l’incertitude, d’une plus faible tolérance à l’échec et, par conséquence, d’une capacité de résilience restreinte. Les entreprises à internationalisation rapide sont elles aussi concernées par le phénomène (Jones et Khanna, 2006; Mudambi et Zhara, 2007). Leur désinternationalisation s’explique principalement par la pression des parties prenantes ainsi que par les conséquences négatives d’une croissance non-maîtrisée (manque de contrôle sur la conduite des opérations internationales, tensions siège-filiale, sous-estimation des difficultés, etc.). La désinternationalisation ne s’explique donc pas seulement pas le rythme d’expansion (Bell et al, 2001, 2003; Crick, 2004); la structure de gouvernance, le manque de ressources et compétences (Jones et Khanna, 2006; Mudambi et Zahra, 2007); l’intensification de la concurrence (Javalgi et al., 2011) ou les défaillances des partenaires locaux (Benito et Welch, 1997) mais aussi par la non-maîtrise de la croissance et par la pression des parties prenantes. En résumé, nos résultats témoignent de la nature complexe et dynamique des épisodes de désinternationalisation. Ils attestent de la nécessité d’étudier le processus d’internationalisation sous un prisme plus large que le simple accroissement du niveau d’engagement à l’étranger (Vissak, 2010) et plaident pour une définition plus fine de ce phénomène.

Stagnation

La désinternationalisation laisse place à une phase de stagnation d’une durée comprise entre un et cinq ans. La durée de cette phase dépend principalement, dans les cas observés, de l’origine de la désinternationalisation, de l’attitude de l’entreprise à l’égard des marchés étrangers, de sa capacité de résilience et de sa perception de l’échec. Les entreprises A, Emball’iso et Hydrola – proactives sur les marchés étrangers - ont connu une phase de stagnation courte (de un à quatre ans) au cours de laquelle elles se sont réorganisées afin de se réinternationaliser en évitant les écueils passés. L’échec constitue, pour ces trois PME, une source d’apprentissage et les amène à repenser leur organisation dans le but d’être plus performantes à l’avenir. L’entreprise SLAT, en revanche, perçoit l’échec de l’expansion en Chine comme un profond traumatisme. Les difficultés rencontrées entrainent un retrait presque total de toute opération internationale : l’entreprise se replie sur son marché domestique et ne se contente que de répondre aux demandes de ses clients. En ce sens, l’entreprise SLAT peut être qualifiée d’organisation vulnérable au sens de Bhamra et al. (2011) dans la mesure où elle subit l’échec et en amplifie les conséquences. La phase de stagnation s’avère alors particulièrement longue (sept ans) et sclérosante dans la mesure où elle exacerbe les craintes et les risques perçus. Seul un incident critique, à savoir la nomination d’un nouveau dirigeant, permet à la PME de surmonter cet échec et de s’intéresser de nouveau aux marchés étrangers. Ceci confirme le rôle de la perception de l’échec et des incidents critiques sur la durée de la phase de stagnation et sur le retour à l’international (Benito et Welch, 1994; Bell et al., 2001, 2003; Crick, 2002, 2004; Welch et Welch, 2009) et précise que, dans le cas des phases de stagnation longues, seul un incident critique peut permettre le retour à l’international - la PME se trouvant sclérosée par le traumatisme passé. Inversement, une phase de stagnation courte permet à l’entreprise de conserver sa dynamique, son intérêt pour les marchés étrangers ainsi que sa flexibilité. Dès lors, une phase de stagnation courte est, dans les cas observés, positivement liée à la probabilité de réinternationalisation.

Réinternationalisation

Concernant la phase de réinternationalisation, plusieurs constats peuvent être tirés des cas observés. Tout d’abord, la réinternationalisation n’est pas nécessairement conditionnée par l’arrivée d’un incident critique tel qu’énoncé par Bell et al. (2001, 2003). Elle peut survenir après un processus lent de restructuration des filiales, de redéfinition de la stratégie et d’internationalisation de la culture organisationnelle ou encore de l’exploitation des réseaux. Ces résultats ne valident donc que partiellement les propos de Welch et Welch (2009) quant aux moteurs de la réinternationalisation. Ils précisent que l’importance de l’incident critique est à apprécier au regard de la capacité de résilience des entreprises concernées. Notre étude indique, en effet, que l’incident critique est une condition nécessaire à la réinternationalisation des entreprises vulnérables au sens de Bhamra et al. (2011) puisque seul un changement brutal peut permettre à ces organisations de dépasser les craintes liées aux échecs subis par le passé. La réinternationalisation se fera, dans ce cas, de façon lente et graduelle en (re)débutant par le biais d’exportations directes dans des pays proches. En ce sens, leur comportement est semblable à celui des entreprises traditionnelles (Johanson et Vahlne, 1977, 2009) et s’explique tant par le manque de confiance – lié aux échecs passés - et d’expériences réussies à l’international que par l’insertion limitée dans les réseaux étrangers. Plus flexibles et tolérantes face à l’échec, les entreprises résilientes n’ont pas nécessairement besoin d’un incident critique pour se réinternationaliser. Leur retour à l’international se traduit généralement par un développement plus rapide et engageant que par le passé et survient principalement lorsque les problèmes internes ayant causés le retrait sont résolus et que les opérations de réorganisation engagées en phase de stagnation sont jugées satisfaisantes par les dirigeants. Ceci s’explique principalement par la mise à profit des connaissances expérientielles acquises, par l’innovation ainsi que par les externalités positives émanant des réseaux. En ce sens, leur comportement est proche des entreprises born-again globals (Bell et al., 2001, 2003), à savoir une expansion rapide et multimarchés après une période de concentration plus ou moins longue sur le marché domestique. Les connaissances expérientielles, l’apprentissage organisationnel et la distance (Johanson et Vahlne, 1977, 2009) ont donc une influence notoire sur la réinternationalisation des entreprises – notamment les PME les plus vulnérables.

Outre le rythme d’internationalisation, nos travaux mettent en avant le rôle croissant et la grande diversité de réseaux impliqués dans le processus de réinternationalisation. Les PME peuvent ne mobiliser qu’un ou plusieurs types de réseaux simultanément, qu’ils soient de nature intra ou inter-organisationnels, professionnels ou institutionnels. La réactivation des relations précédemment établies avec les clients permet aux PME d’améliorer leur compréhension des spécificités locales ainsi que d’accroître leur notoriété au niveau global en tirant parti de la réputation et/ou des réseaux des clients. Sur le plan institutionnel, la réinternationalisation est facilitée par les ressources, les compétences et l’accès aux réseaux d’affaires locaux offerts par les organismes d’accompagnement. S’ils restent accessibles à l’ensemble des entreprises, ces réseaux semblent particulièrement efficaces dans le cas des entreprises vulnérables au regard des prestations qu’ils proposent (accompagnement) et de leur apparente neutralité. A l’image d’Hadjikhani (1997), Welch et Welch (2009) et Vissak et Francioni (2013), nos résultats montrent que les réseaux constituent bien un facteur moteur de la réinternationalisation – notamment au niveau du choix de la localisation. Ils précisent qu’une distinction peut être appliquée selon les types de réseaux mobilisés au regard de leur timing d’utilisation et de leurs apports différentiés.

La réinternationalisation peut s’opérer soit dans le pays précédemment quitté (entreprise A et Hydrola), soit dans des pays différents (Emball’iso et SLAT). Dans le premier cas, les entreprises entendent tirer parti des connaissances expérientielles et des relations établies par le passé (Welch et Welch, 2009; Javalgi et al., 2011) mais aussi optimiser les ressources précédemment engagées. Dans le second cas, les PME sont principalement en quête de marchés à fort potentiel de croissance et/ou leur permettant de valoriser au mieux les actifs détenus. Elles ciblent des pays différents en raison des échecs rencontrés lors de la première phase d’expansion les ayant amenés à se retirer complètement des marchés concernés. Le choix des pays cibles repose, dans ce cas, sur l’expérience et les réseaux du dirigeant, de l’entreprise et/ou des partenaires. Nos résultats complètent les travaux de Crick (2004), Welch et Welch (2009), Vissak (2010) et Javalgi et al., (2011) puisqu’ils montrent qu’en phase de réinternationalisation, le choix de la localisation est dicté par le niveau de désinternationalisation précédent, par l’expérience et les réseaux - de l’organisation et/ou de ses membres. La ré-internationalisation paraît s’opérer dans le même pays lorsqu’elle fait suite à une désinternationalisation volontaire (d’origine interne), partielle et de courte durée. Inversement, elle tendra à s’opérer dans un pays tiers en cas de désinternationalisation totale, de longue durée, contrainte ou s’étant traduite par une expérience traumatisante pour l’organisation.

Dans l’ensemble des cas observés, la réinternationalisation s’est traduite par le recours à des modes d’entrées plus engageants que lors des premières phases d’internationalisation ainsi que par un contrôle accru sur opérations réalisées par les filiales. Nos résultats mettent également en avant le fait que, à l’exception de l’entreprise A qui s’était provisoirement désinternationalisée pour cause de croissance trop rapide, la réinternationalisation s’accompagne d’une augmentation notoire du rythme d’expansion (Vissak et Francioni, 2013). En effet, Emball’iso, Hydrola et SLAT connaissent toutes trois une croissance plus rapide de leurs opérations internationales lors de la phase de retour – comparativement à la première phase d’expansion - grâce à la mobilisation des réseaux intra et inter-organisationnels et à l’exploitation d’un avantage concurrentiel (innovation, etc.) et/ou des connaissances expérientielles. Ceci confirme ainsi le rôle de l’apprentissage expérientiel et des différents types de réseaux sur les choix opérés en matière d’internationalisation (Johanson et Vahlne, 1977; 2009) et de réinternationalisation (Welch et Welch, 2009; Vissak et Francioni, 2013).

Conclusion, limites et perspectives

La littérature ayant trait à l’internationalisation des PME explique principalement le développement de ces entités par le biais de deux approches théoriques : les approches graduelles et born global (Vissak et Francioni, 2013). Si leurs apports restent indéniables, ces deux approches postulent que l’internationalisation s’effectue de manière unidirectionnelle, linéaire, incrémentale et continue, ce qui n’est pas nécessairement vrai dans le cas des PME (Bell et al., 2001). Dès lors, elles ne permettent pas d’expliquer les trajectoires d’expansion non-linéaires de ces organisations (Vissak, 2010).

L’étude de quatre trajectoires d’expansion nous a permis de mettre en avant les facteurs ayant causé un retrait et un retour à l’international. La désinternationalisation survient dans les 10 premières années suivant les premières opérations internationales. Elle s’explique principalement par des facteurs internes ainsi que par des bouleversements environnementaux ou encore la pression des parties prenantes. Elle est suivie par une phase de stagnation dont la durée dépend de la nature volontaire ou contrainte du retrait initial et de la capacité de résilience des PME. La réinternationalisation peut, pour sa part, s’opérer dans le pays précédemment quitté ou dans un pays tiers. Elle fait suite à un événement critique ou à une réorganisation interne jugée concluante par les membres de l’équipe dirigeante. Elle s’accompagne, dans la plupart des cas, d’un recours à des modes d’entrée à fort niveau d’engagement, d’une accélération du rythme d’expansion et d’un contrôle accru du siège sur les opérations quotidiennes des filiales.

Sur le plan managérial, cette recherche met en avant l’importance de la résilience et précise les conditions du retour à l’international. S’il est parfois difficile de pallier les chocs environnementaux, les managers peuvent, en revanche, identifier et se prémunir contre les difficultés d’ordre interne telles que la maîtrise du rythme d’expansion, par exemple. En outre, l’acceptation de l’échec et la capacité à rebondir constituent deux leviers permettant le maintien d’une certaine flexibilité et dynamique organisationnelle et facilitant, de fait, le retour à l’international. Les managers doivent réduire au maximum la phase de stagnation pour maintenir l’agilité de la PME et, le cas échéant, tirer parti des incidents critiques en vue de réamorcer un nouveau cycle d’expansion.

Sur le plan théorique, nos travaux contribuent à enrichir les débats liés au caractère non-linéaire des trajectoires d’expansion. L’étude des différents cas nous a notamment permis de mettre en avant plusieurs facteurs moteurs expliquant les désinternationalisations et réinternationalisations (rythme de croissance, manque de préparation, pression des parties prenantes, réorganisations, réseaux, connaissances expérientielles, etc.), tels que recommandé par Welch et Welch (2009). En outre, ils mettent en avant la nature complexe et dynamique de ces deux phénomènes et plaident pour une clarification des définitions existantes. Enfin, ils concourent à réconcilier les approches incrémentales et born global en montrant que les entreprises peuvent s’internationaliser de façon incrémentale puis, au terme de la phase de stagnation, se réinternationaliser en adoptant une démarche conforme à celle des born-again global. En d’autres termes, les entreprises ne suivent pas l’une ou l’autre de ces deux approches mais peuvent passer de l’une à l’autre au gré des expériences, des ressources disponibles et de leur capacité de résilience.

Notre recherche comporte plusieurs limites qu’il convient de souligner. La méthodologie retenue, à savoir l’étude de cas multiples, nous a permis de développer une connaissance profonde des entreprises ainsi que de cerner les enjeux et des difficultés auxquels sont confrontés les dirigeants. Notre décision de ne retenir que quatre PME manufacturières de la région Rhône-Alpes accentue la contextualité et la généralisabilité limitée des résultats. Il serait ainsi intéressant de prolonger cette étude – de manière longitudinale - en incluant des entreprises de taille, de région et de secteurs d’activités différents afin d’identifier des similarités ou différences en terme de progression dans la trajectoire d’internationalisation. Par ailleurs, une attention particulière mérite d’être portée aux entreprises dé- et réinternationalisantes. Comment définir et catégoriser ce type d’entreprises ? S’agit-il d’une tendance globale ou existe-il des spécificités sectorielles et/ou locales ? Une analyse en profondeur de ces différents types d’entreprises nous permettrait de mieux comprendre les modèles d’internationalisation actuels des PME.