Corps de l’article

Face aux enjeux liés au changement climatique et à la croissance verte, il est communément admis que les innovations environnementales ont un rôle crucial à jouer (Aghion, Veugelers et Serre, 2009). C’est particulièrement le cas pour les PME qui représentent 99 % des entreprises européennes et qui contribuent encore à 64 % de la pollution industrielle émise à l’échelle européenne (Calogirou, Sørensen, Bjørn Larsen et Alexopoulou, 2010). Cet impact négatif substantiel sur l’environnement souligne les difficultés des PME à développer des innovations à plus faible impact environnemental. Or, force est de constater que les réponses académiques à ces difficultés restent partielles et encore largement en débat.

D’une part, pour certains auteurs, les PME ne disposeraient pas des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre des stratégies environnementales proactives, au-delà d’une mise en conformité vis-à-vis de la réglementation environnementale (e.g. Rutherfoord, Blackburn et Spence, 2000). Ce point a été identifié comme un obstacle majeur à l’adoption d’initiatives environnementales pour les PME (Worthington et Patton, 2005). Par conséquent, conformément à l’hypothèse de Porter (Porter et van der Linde, 1995), une réglementation et des politiques publiques adaptées sont nécessaires pour améliorer la mise en oeuvre des innovations environnementales (Del Brìo et Junquera, 2003).

D’autre part, d’autres travaux nuancent cette perspective « orientée politique publique » en portant l’accent sur l’engagement environnemental des PME (Boiral, Baron et Gunnlaugson, 2014). Les PME seraient susceptibles de mettre en oeuvre des stratégies environnementales proactives basées sur certaines capacités organisationnelles (Roome et Wijen, 2006; Berger-Douce, 2011), en particulier sur leur capacité à acquérir des sources de connaissances (Hansen et Klewitz 2012; Thorpe, Holt, Macpherson et Pittaway, 2005). Dans cette perspective, les PME seraient de véritables « acteurs du changement » grâce à leurs connaissances en la matière. Toutefois, ces études ne permettent pas de conclure si l’engagement environnemental des PME se traduit effectivement par l’introduction d’innovations environnementales. Par conséquent, les ressources et les connaissances utilisées par les PME pour développer des innovations environnementales restent une question de recherche encore ouverte (Roy et Thérin, 2008).

Cet article s’intéresse à cette question, en portant l’accent sur le rôle des sources internes et externes de connaissances utilisées par les PME pour innover en matière environnementale, tout en contrôlant les facteurs réglementaires. Ancré dans la knowledge-based view (Barney, 1991; Grant, 1996; Kogut et Zander, 1992; Nonaka, 1994), le cadre d’analyse proposé considère que l’introduction d’innovations environnementales dépend étroitement de la capacité des PME à acquérir des connaissances, à les combiner avec leurs savoirs existants et à en créer de nouvelles. Les connaissances, de nature tacite ou explicite, sont vues comme les « ressources stratégiques les plus importantes » (Grant, 1996, p. 110) pour les PME. Dans ce cadre, c’est bien leur capacité à les acquérir et à les gérer[1] qui s’avère essentielle pour innover. Notre cadre d’analyse vise ainsi à étudier cette capacité en développant une lecture intégrative des sources de connaissances internes et externes, de leurs interactions potentielles et de leurs effets sur l’innovation environnementale des PME. Pour évaluer les éventuelles spécificités associées à ce type d’innovation, nous comparons l’effet de ces sources de connaissances à la fois sur l’innovation environnementale et l’innovation technologique. A notre connaissance, très peu d’articles effectuent une telle comparaison, les rares articles existants se concentrant essentiellement sur les grandes entreprises (Horbach, Oltra, et Belin, 2013) et n’étant pas concluants sur le rôle des sources de connaissances pour les innovations environnementales (Cainelli, De Marchi et Grandinetti, 2015).

L’analyse empirique est basée sur une base de données originale de 600 PME localisées dans la région Rhône-Alpes. Suivant le Manuel d’Oslo, une approche subjective de l’innovation est privilégiée en utilisant des mesures directes et déclaratives (Mairesse et Mohnen, 2010; OECD/Eurostat, 2005). Afin de distinguer les effets des sources de connaissances internes et externes pour chaque type d’innovation adopté par les PME, deux modèles de type logit multinomial sont estimés.

Les résultats montrent, qu’au-delà des aspects réglementaires, l’acquisition de sources de connaissances est essentielle pour les innovations environnementales des PME mais diffère de celles mobilisées pour les innovations technologiques. Comparées aux innovations technologiques, les PME font davantage appel aux sources externes de connaissances qu’aux sources internes pour les innovations environnementales.

Cet article est structuré comme suit. Après avoir dressé l’état des recherches antérieures sur le rôle des sources de connaissances en tant que déterminants potentiels des innovations environnementales et technologiques des PME, une description de la méthodologie empirique est réalisée. L’analyse des données et les résultats sont ensuite présentés. Finalement, nous discutons des implications théoriques et managériales de cette recherche.

Cadre théorique

Innovations technologiques et environnementales : définitions

Les innovations dans les organisations sont classées en différents types, Zaltman, Duncan et Holbek (1973) en dénombrent près d’une vingtaine. Parmi ces types, la littérature en économie et management de l’innovation a porté majoritairement sur l’innovation technologique en la définissant comme l’introduction de produits (biens ou services) ou de procédés, nouveaux ou significativement améliorés dans une organisation (OCDE/Eurostat, 2005). Toutefois, selon Rennings, Ziegler, Ankele et Hoffmann (2006), la demande croissante pour un développement plus durable a conduit à l›introduction d’un nouveau type d’innovation dite environnementale (ou éco-innovation). Ces innovations correspondent à l›introduction de produits ou de procédés, nouveaux ou modifiés, avec des bénéfices environnementaux ou écologiques et des objectifs durables (Rennings, 2000).

Les innovations environnementales partagent avec les innovations technologiques des caractéristiques communes. Elles sont associées toutes deux à des changements de technologies liés notamment à l’acquisition de nouvelles machines, de nouveaux équipements ou encore l’introduction de nouveaux produits (Sanidas, 2005). Elles témoignent aussi de différences. Les innovations environnementales sont adoptées pour générer des avantages environnementaux pour l’entreprise et/ou pour ses utilisateurs finaux alors que les innovations technologiques visent avant tout à accroître la performance économique de l’entreprise, indépendamment de tout impact environnemental (Horbach, Rammer et Rennings, 2012). Parce qu’elles intègrent une dimension environnementale supplémentaire, les innovations environnementales sont généralement perçues comme étant plus complexes que les innovations technologiques (Rennings et Rammer, 2009). Elles doivent combiner plusieurs objectifs : des objectifs environnementaux, une productivité et une performance produits, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour les PME (Oltra et Saint Jean, 2009). Cette vision est confortée par De Marchi (2012) qui les considère comme un type d’innovation plus complexe et plus coûteux pour les PME, impliquant d’importants investissements lors de l’adoption de technologies vertes. Cette idée est précisée par Horbach et al. (2012) qui montrent, à partir d’un échantillon de firmes allemandes, que l’innovation environnementale a une intensité d’innovation plus forte, associée à des investissements accrus dans les équipements, les logiciels, le marketing, etc. générant ainsi des coûts plus élevés pour l’entreprise à court terme, mais théoriquement compensés sur le long terme.

Ces similitudes et ces différences interrogent. Les innovations environnementales et technologiques des PME font-elles appel aux mêmes ressources, en particulier auxmêmes sources de connaissances ou à des sources distinctes ? Récemment, un nombre croissant d’études a examiné les déterminants de l’innovation environnementale (Del Río González, 2009; Horbach et al, 2013; Kesidou et Demirel, 2012). Ces études montrent que ce type d’innovation est favorisé par différents facteurs, parmi lesquels les sources de connaissances sont appelées à jouer un rôle crucial. Une de leurs conclusions importantes est que les entreprises qui développent de telles innovations devraient faire appel à plus de connaissances et d’informations, de manière plus intense et plus ouverte que les autres entreprises (Horbach et al., 2013). Toutefois, ces études n’apportent pas de conclusion sur les déterminants spécifiques à l’innovation environnementale par rapport à l’innovation technologique, car elles n’offrent généralement pas d’études comparatives entre ces types d’innovation. En outre, elles se concentrent sur de grandes entreprises ou de larges échantillons au sein desquelles les PME sont sous-représentées. Or, si certains auteurs considèrent que les innovations environnementales s’avèrent difficiles à mettre en oeuvre pour les PME en raison de leur déficit de ressources, de réseau et d’accès aux sources de connaissances (Hausman, 2005), d’autres insistent au contraire sur leur capacité à acquérir des connaissances pour combler ce déficit (Thorpe et al., 2005). C’est notamment la conception de la perspective knowledge-based que nous adoptons ici. Les PME peuvent acquérir des connaissances en dehors des frontières de l’entreprise (Grant, 1996), provenant de sources diverses (Roy et Thérin, 2008), au-delà des ressources internes disponibles (Gupta, 1995; Shrivastava, 1995). Cette aptitude est à l’origine des stratégies environnementales qui se basent sur des capacités organisationnelles (Roome et Wijen, 2006; Berger-Douce, 2011). Les leviers sous-jacents restent toutefois peu connus, c’est pourquoi nous souhaitons combler ce manque en examinant le rôle des sources de connaissances comme des déterminants potentiellement clés de l’innovation environnementale des PME. A cette fin, nous adoptons la distinction traditionnelle entre les sources internes et externes de connaissances à l’entreprise, qui est bien adaptée aux PME (Bougrain et Haudeville 2002; Davenport, 2005; Roy et Thérin, 2008).

Sources de connaissances internes et externes[2]

Sources de connaissances internes

Concernant la capacité des PME à innover, y compris en matière environnementale, les sources de connaissances internes telles que le capital humain et la R&D interne sont considérées comme des moteurs essentiels (Hansen et Klewitz, 2012; Hoffman, Parejo, Bessant et Perren, 1998). D’autres travaux mettent en évidence le rôle des objectifs stratégiques de l’entreprise qui peuvent contribuer à améliorer ses capacités d’absorption et favoriser ainsi leur capacité à acquérir des connaissances (Flatten, Greve et Brettel, 2011). Certaines études ont montré que l’innovation des PME dépend fortement du niveau d’éducation du dirigeant, de sa stratégie, de son leadership (Bougrain et Haudeville, 2002; Heunks, 1998) mais aussi de ses compétences, connaissances et perceptions liées à l’environnement qui sont une condition nécessaire pour mettre en oeuvre une stratégie d’innovation environnementale (Del Brìo et Junquera, 2003). Lorsque le dirigeant de la PME est également le créateur de l’entreprise, sa propension à innover serait plus forte que le dirigeant non propriétaire compte tenu de sa double qualité d’entrepreneur et d’innovateur (Heunks, 1998). Le capital humain relatif aux employés est également important dans un contexte PME. Les employés très qualifiés contribuent à la capacité d’absorption de l’entreprise et apparaissent comme des déterminants clés pour l’innovation technologique des PME (Hoffman et al., 1998). Dans le cadre des innovations environnementales, le résultat est plus nuancé, celui-ci étant dépendant du niveau de conscience environnementale des employés. Parce qu’ils ont généralement une faible conscience environnementale, les employés contribueraient peu au développement environnemental de la PME (Del Brìo et Junquera, 2003).

Une autre source de connaissances clé est la R&D interne. Tout d’abord, l’intensité de la R&D interne est fortement et positivement corrélée avec l’innovation technologique en PME (Caloghirou, Kastelli et Tsakanikas, 2004). Cet effet est renforcé si la PME a son propre département de R&D interne. Pour les PME innovantes environnementalement, la R&D interne est souvent considérée comme capitale pour développer ce type d’innovation (Horbach, 2008; Mazzanti et Zoboli, 2006). Néanmoins, les PME françaises qui développent des innovations environnementales réaliseraient moins de R&D interne que les autres PME innovantes (Horbach et al., 2013). En outre, il est démontré que les PME possèdent des capacités de R&D en interne moins développées que les grandes entreprises, à la fois pour l’innovation environnementale et l’innovation technologique (Del Brìo et Junquera 2003).

Au regard des objectifs stratégiques, un dirigeant de PME avec de forts objectifs de croissance, une faible sensibilité au risque, est plus disposé à engager son entreprise dans une activité d’innovation qu’un dirigeant qui a seulement un objectif de stabilité. Ainsi, Gray (2006) précise que les PME ayant un objectif affirmé de croissance développent leur capacité d’absorption en faveur de l’acquisition de nouvelles connaissances et de leur capacité à innover. Par ailleurs, la probabilité d’innover sera d’autant plus faible que le risque financier est élevé. Si cela représente un frein pour l’innovation technologique (Bougrain et Haudeville, 2002), ce résultat reste à être vérifié dans le cadre de l’innovation environnementale où il existe encore peu d’éléments en rapport avec les décisions managériales et l’intention stratégique (Worthington et Patton, 2005).

Sources de connaissances externes

Cohen et Levinthal (1990) qualifient les sources externes de connaissances comme des ressources « critiques pour le processus d’innovation » (op. cit., p. 128). Sachant que les ressources des PME sont rares et instables dans le temps, le recours à des sources externes de connaissances devient crucial (Bapuji, Loree et Crossan, 2011), en particulier pour les innovations environnementales (Hansen et Klewitz, 2012). Toutefois, les sources de connaissances externes ont aussi d’importants coûts d’appropriation (Bapuji et al., 2011) qui peuvent être plus élevés que ceux associés aux sources de connaissances internes, avec pour conséquence de freiner les PME à avoir recours à de telles sources. Plus précisément, trois sources d’acquisition des connaissances externes ont été mises en évidence dans la littérature : les réseaux, les collaborations en R&D ainsi que les fusions et acquisitions et l’achat de R&D. A ces trois sources, nous considérons également l’activité d’exportation des PME, celle-ci ayant un rôle démontré sur l’acquisition de connaissances (Ganotakis et Love, 2012).

Concernant les réseaux, des travaux en contexte PME insistent sur le rôle des réseaux informels car ils leur fournissent des flux de connaissances relatifs à l'évolution technologique, à l’offre et aux stratégies. (Bougrain et Haudeville, 2002; Mazzanti et Zoboli, 2006). Dans la même lignée, d’autres recherches montrent que les PME qui font partie de clusters augmentent fortement leur capacité d’innovation (Keizer, Dijkstra et Halman, 2002) à la fois pour l’innovation environnementale et pour l’innovation technologique. Différents arguments justifient ce résultat. D’une part, des PME proches géographiquement peuvent bénéficier d’externalités de connaissances qu’elles n’auraient pas pu bénéficier au-delà d’un certain périmètre (Audretsch, 1998; Davenport, 2005). D’autre part, certains auteurs insistent sur le rôle joué par le développement de formes non spatiales de proximité pour accroître la capacité d’innovation technologique des PME. Ainsi, le soutien de la structure de gouvernance des clusters permet aux PME de bénéficier de sources internes et externes de connaissances accrues favorables à l’introduction d’innovations technologiques (Bocquet et Mothe, 2015).

Par ailleurs, la coopération peut être considérée comme une aptitude à partager des compétences et des connaissances qui favorisent leur exploitation approfondie et à créer des liens interentreprises favorisant l’innovation des PME, toutes innovations confondues (y.c. innovations environnementales) (De Marchi, 2012; Caloghirou et al., 2004). En matière d’innovation technologique, la collaboration peut avoir un effet complémentaire sur les efforts d’innovation internes effectués par les PME (Rothwell et Dodgson, 1991). Généralement, les collaborations inter-entreprises pour l’innovation technologique, sont effectuées entre PME, très peu d’entre elles collaborant avec les grandes entreprises (Rothwell et Dodgson, 1991). En matière d’innovation environnementale, les coopérations avec les fournisseurs et les universités représentent un levier essentiel et plus intense que pour d’autres types d’innovations (De Marchi, 2012).

L’acquisition de technologie via des fusions et acquisitions est une stratégie d’acquisition de connaissances moins fréquente pour les PME car peu d’entre elles sont en mesure d’engager des ressources humaines et financières aussi importantes. Des études antérieures sur l’innovation technologique montrent d’ailleurs que cette forme d’acquisition de connaissances est susceptible d’être utilisée davantage par les grandes entreprises (Veugelers et Cassiman, 1999). Les PME peuvent acquérir des technologies par d’autres moyens, en particulier par de la R&D effectuée par des entreprises externes (Arora et Gambardella, 1990). En innovation environnementale, la R&D externe est vue par certains auteurs comme n’ayant pas d’impact sur ce type d’innovation (Doran et Ryan, 2012; Hemmelskamp, 1999). Pour d’autres, dans le cadre d’études sur l’innovation au sens large, la R&D externe apparaît comme une source indissociable de la R&D réalisée en interne (Veugelers et Cassiman, 1999; Cassiman et Veugelers, 2006).

Enfin, parmi les autres sources de connaissances externes, les exportations sont susceptibles de favoriser l’acquisition de connaissances et l’innovation. En effet, lorsqu’une entreprise exporte, elle bénéficie d’effets d’apprentissage et de nouvelles connaissances liés à son expérience sur les marchés étrangers qui « améliorent à la fois sa capacité à innover et sa productivité » (Ganotakis et Love, 2012, p. 844). Une forte internationalisation affecte positivement la propension à l’innovation environnementale de l’entreprise (De Marchi, 2012).

En résumé, les résultats de ces travaux suggèrent que les PME ne recourent pas aux mêmes sources selon le type d’innovation (i.e. environnementale vs technologique). Les PME qui innovent en matière environnementale semblent faire davantage appel aux sources externes de connaissances qu’aux sources internes. Par conséquent, nous formulons l’hypothèse suivante :

H1 :Les PME qui introduisent des innovations environnementales recourent davantage aux sources externes de connaissance qu’aux sources internes comparativement aux PME qui introduisent des innovations technologiques.

Interrelations entre les sources internes et externes de connaissances

Après avoir examiné d’une part, les sources internes de connaissances et d’autre part, les sources externes, il convient d’étudier leurs interrelations compte tenu de possibles effets de substitution ou de complémentarité sur l’innovation (Cassiman et Veugelers, 2006).

Tout d’abord, les sources externes de connaissances peuvent se substituer à la R&D réalisée en interne. L’argument principal repose sur le fait que la R&D externe est perçue par les PME comme plus coûteuse, impliquant des coûts de transaction particulièrement élevés compte tenu de leur petite taille (Love et Roper, 2002). Toutefois, cette source externe de connaissances peut venir compenser leur manque de R&D interne et favoriser ainsi des innovations technologiques (Grimpe et Kaiser, 2010). Dans le cas des innovations environnementales, les entreprises sont ainsi susceptibles d’utiliser plus de sources de connaissances externes, pour contrebalancer leur manque de capacités internes en R&D (Hemmelskamp, 1999).

Ensuite, certaines recherches, ancrées dans la perspective knowledge-based, vont plus loin en montrant que les sources externes de connaissances sont, non pas substituables, mais complémentaires à la R&D et aux ressources internes. Veugelers et Cassiman (1999), avec des données CIS belges, montrent qu’il existe une complémentarité entre la R&D interne et les activités d’acquisition de connaissances externes, qui favorise l’activité d’innovation des entreprises. Par ailleurs, la présence d’une capacité d’absorption (mesurée par la R&D interne) accroit significativement l’acquisition de connaissances externes (Cohen et Levinthal, 1990). Il est montré, pour les PME innovantes technologiquement qui ont développé de manière adaptée leurs capacités internes de R&D, une augmentation de leur capacité à coopérer et à mener un projet d’innovation avec succès (Bougrain et Haudeville, 2002).

Au regard de ces travaux, la complémentarité entre la R&D interne et la R&D externe semble être un facteur crucial pour introduire des innovations environnementales par rapport aux innovations technologiques. La seconde hypothèse peut être formulée comme suit :

H2 : Les PME qui introduisent des innovations environnementales bénéficient d’un effet de complémentarité entre la R&D interne et la R&D externe plus fort que celles qui introduisent des innovations technologiques.

Le tableau en annexe 1 fournit une synthèse des résultats de la littérature existante.

Données et méthodes

Données

Notre analyse empirique est basée sur des données de PME de moins de 250 salariés, situées dans la région française Rhône-Alpes. Cette région occupe la seconde place nationale en termes de potentiel de recherche après l’Ile de France. Les données ont été recueillies en 2012, avec un questionnaire spécialement conçu[3]. La majorité des questions est analogue à celles incluses dans l’Enquête Communautaire sur l’Innovation 2008 (CIS) et fournissent des informations détaillées sur l’activité d’innovation des PME de 2009 à 2011 ainsi que leurs principales caractéristiques[4]. Les dirigeants ont été invités à fournir des informations sur les types d’innovation mis en oeuvre (technologique, non-technologique, avec des avantages environnementaux pour l’entreprise et/ou ses clients). Le questionnaire renseigne également sur les sources d’innovation et les barrières aux connaissances perçues lors de leur démarche d’innovation. L’échantillon final est de 671 PME françaises (600 dans le sous-échantillon cylindré). Sa structure est représentative de celle de la population mère des PME situées dans la région Rhône-Alpes malgré une légère surreprésentation des PME manufacturières (voir annexe 2).

Variables

Nos données sont basées sur une approche subjective de l’innovation mesurée de manière directe et déclarative (Mairesse et Mohnen, 2010; OCDE / Eurostat, 2005). Bien que les perceptions puissent entraîner un biais, le point de vue des répondants offre la meilleure mesure. Les données sur les brevets ne peuvent pas refléter objectivement l’innovation pour les petites entreprises, notamment en matière d’innovation environnementale (Arimura, Hibiki et Johnstone, 2007). La variable dépendante Innovation a été construite à partir de deux questions. La première renseigne si la PME a introduit des innovations technologiques au cours de la période 2009-2011, soit des processus de fabrication nouveaux ou significativement améliorés, soit des biens ou services nouveaux ou significativement améliorés. La seconde question précise si les innovations technologiques introduites par la PME au cours de la même période ont fait l’objet de bénéfices environnementaux (par exemple, une réduction de la consommation d’énergie, des émissions de CO2 ou de recyclage des déchets) pour l’entreprise elle-même ou pour ses utilisateurs finaux[5]. Ces questions permettent de distinguer les PME qui introduisent des innovations environnementales de celles qui introduisent des innovations technologiques. La variable dépendante est une variable discrète, non-ordonnée et multinomiale. Elle varie de 0 à 2, où 0 = pas d’innovation (NI, non-innovante), 2 = innovation technologique (IT), 2 = innovation environnementale (IE). Le tableau 1 précise la répartition des PME dans l’échantillon cylindré.

Tableau 1

Distribution de l'échantillon

Distribution de l'échantillon

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Concernant les variables indépendantes, le premier ensemble de variables contient les sources de connaissances internes. La revue de littérature a montré toute l’importance du capital humain pour l’innovation des PME à travers notamment le rôle du dirigeant. Si ce dernier est également le fondateur de l’entreprise (Créateur), il sera probablement plus innovant (toutes innovations confondues) (Heunks, 1998). Ensuite, s’il possède un niveau d’éducation supérieur (Education), un effet positif sur l’innovation technologique est attendu (Bougrain et Haudeville, 2002). Une formulation claire d’objectifs de croissance (Croissance) favoriserait l’innovation des PME, en particulier l’innovation technologique (Bougrain et Haudeville, 2002). Une variable binaire pour la R&D interne (Make) est intégrée compte tenu de son effet positif et significatif sur l’innovation, quel que soit son type.

Le deuxième ensemble de variables reflète les sources de connaissances externes. La coopération entre entreprises, est saisie par une variable relative aux coopérations dans les achats (Coopération) compte tenu du rôle clé joué par les fournisseurs sur l’innovation environnementale (De Marchi, 2012; Zsidisin et Siferd, 2001). Comme mentionné précédemment, l’activité d’exportation (Export) devrait jouer positivement sur l’innovation des PME. Les PME exportatrices peuvent en effet bénéficier de sources de connaissances additionnelles liées à leur expérience des marchés étrangers favorables à l’innovation technologique et environnementale (Ganotakis et Love, 2012). Les acquisitions externes sont des autres moyens d’acquisition de connaissances (Acquisitions), même si elles sont plus utilisées par les grandes entreprises que les PME (Veugelers et Cassiman, 1999). En outre, les clusters (Clusters) ont un rôle important à jouer pour les innovations environnementales et technologiques, en favorisant l’acquisition et la diffusion des connaissances (Audretsch, 1998; Davenport, 2005, Bocquet et Mothe, 2015). Les stratégies de R&D externe (Buy) sont prises en compte bien que ce type de stratégie soit plus susceptible d’être choisi dans les grandes entreprises que dans les PME (Love et Roper, 2002).

Nous considérons enfin les complémentarités potentielles ou les effets de substitution entre la R&D interne et externe. Nous opérationnalisons des variables de la même manière que Cassiman et Veugelers (2006) en considérant les variables binaires Make_only, les PME ne font que de la R&D interne, Buy_only, les PME acquièrent de la R&D externe uniquement, Make_buy, les PME font de la R&D interne et externe. La dernière possibilité, Make_or_buy, c’est-à-dire des PME qui font soit de la R&D interne, soit de la R&D externe, est en référence. Il est attendu que les PME innovantes en matière environnementale fassent appel à plus de R&D interne et externe.

Finalement, des variables de contrôle sont intégrées. La taille de la PME (Taille) est susceptible d’affecter les décisions d’introduire des innovations environnementales (Del Brìo et Junquera, 2003), les plus petites pouvant avoir des désavantages liés à leur petite taille. L’âge des entreprises (Age) est également considéré, les jeunes entreprises pouvant être plus innovantes (Hausman, 2005). Bien que la diversification sectorielle soit plus fréquente dans les grandes entreprises (Nelson, 1959), une variable Diversification relative à une offre diversifiée au niveau des secteurs de destination des produits est introduite. Nous considérons également une mesure de l’intensité des barrières liées aux connaissances (Barrières). Cette mesure basée sur la perception du dirigeant agrège les sous-barrières suivantes : manque d’employés qualifiés, manque d’information sur les technologies, manque d’informations et de visibilité sur les marchés et difficultés à trouver des partenaires. Nous émettons l’hypothèse que ces barrières ne sont pas perçues de la même manière par chaque groupe de PME : non-innovantes, innovantes technologiquement ou environnementalement. Le recours aux sources de connaissances externes diffère d’un secteur à l’autre (Hoffman et al., 1998), c’est pourquoi nous contrôlons les secteurs industriels (Industrie) ou de services (Services). Une variable relative aux secteurs polluants (Polluant) est introduite pour capter l’effet de la réglementation en matière environnementale. Conformément à l’hypothèse de Porter (Porter et van der Linde, 1995), les PME qui opèrent dans des secteurs polluants devraient être plus innovantes sous l’effet de la réglementation et des incitations que des PME appartenant à des secteurs non polluants.

La définition de chaque variable utilisée dans les estimations est disponible dans le tableau 2. Les statistiques descriptives sont proposées en annexe 3.

Afin de distinguer les effets des sources de connaissances internes et externes pour chaque type d’innovation adopté par les PME, nous utilisons des modèles de type logit multinomial. La variable dépendante Innovation nous permet d’identifier trois catégories de PME par le type d’innovation qu’elles ont introduit. Nous sommes donc en mesure de comparer les effets des sources de connaissances pour chaque catégorie de PME : les PME non-innovantes sont prises en référence, les PME innovantes technologiquement et les PME qui ont adopté des innovations environnementales sont comparées à la catégorie de référence. Nous estimons deux modèles logit multinomiaux pour tester nos hypothèses. Le premier modèle examine l’effet des sources internes et externes de connaissances au regard des deux types de PME innovantes environnementalement et technologiquement. Le second modèle estime les effets des sources internes et externes de connaissances ainsi que leurs interrelations en considérant ces mêmes catégories d’entreprises. Toutes les variables du deuxième modèle sont semblables à celles introduites précédemment, sauf celles relatives à la R&D interne et à la R&D externe. Afin d’évaluer un effet de complémentarité potentiel entre ces deux types de R&D, nous suivons la méthodologie proposée par Cassiman et Veugelers (2006). Tout d’abord, nous remplaçons les variables de R&D interne (Make) et de R&D externe (Buy) par les variables suivantes Make_only (R&D interne uniquement) et Buy_only (R&D externe uniquement). Nous ajoutons ensuite une variable de R&D croisée, Make_Buy, qui indique si les PME font de la R&D interne combinée à de la R&D externe.

Tableau 2

Variables utilisées dans les estimations

Variables utilisées dans les estimations

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Les deux modèles indiquent les ratios de risque relatifs[6] (ou odds ratios conditionnels). Comme notre groupe de référence est le même pour les deux types d’innovation, une comparaison directe est possible.

Plusieurs tests ont été effectués pour assurer la validité des modèles. Tous les modèles réussissent le test d’indépendance des alternatives non pertinentes (IIA) et le test de multicolinéarité (test de VIF).

Résultats

Les résultats de l’analyse économétrique sont présentés dans le tableau 3.

Le premier modèle montre que les sources internes de connaissances diffèrent selon le type d’innovation. La R&D interne (Make) est la seule source interne qui ait un effet significatif, favorisant la mise en place d’innovations environnementales. Les autres sources internes relatives au dirigeant, au fait qu’il soit fondateur de l’entreprise (Créateur) ainsi que son niveau d’éducation (Education) n’ont pas d’effet sur ce type d’innovation. Nous observons également que, contrairement aux innovations technologiques, les innovations environnementales ne sont pas favorisées par la formulation d’objectifs de croissance (Croissance). Ils semblent donc davantage associés à des objectifs d’efficience de la production que les autres types d’innovations. Le rôle crucial de la R&D interne pour les PME qui introduisent des innovations environnementales est clairement démontré. Les coefficients de la variable de R&D interne (4.474 pour les innovations technologiques et 3.691 pour les innovations environnementales) confortent ce résultat en indiquant un effet positif de la R&D plus important pour l’innovation technologique qu’environnementale. Ainsi, si cet investissement leur permet d’accroître leur capacité d’absorption pour améliorer l’assimilation des connaissances provenant de sources externes, il apparaît également nécessaire au regard du caractère émergent, nouveau et complexe des technologies utilisées. A la différence des innovations environnementales, presque toutes les sources de connaissances internes favorisent significativement les innovations technologiques. Ainsi, l’innovation environnementale requiert moins de sources internes de connaissances par rapport aux innovations technologiques, révélant ainsi une première spécificité de ce type d’innovation en contexte PME.

Au regard des sources externes, il existe également des spécificités relatives à chaque type d’innovation. La variable Coopération a un effet positif et significatif uniquement pour les PME innovantes en matière environnementale. La variable Export n’a pas d’effet sur l’innovation, quel que soit le type concerné, suggérant plus largement les difficultés des PME à exporter. Les stratégies de croissance externe (Acquisitions) ont un effet significatif et différencié selon le type d’innovation des PME, soulignant le caractère particulièrement coûteux et risqué de telles stratégies dans le cadre d’innovations environnementales.

La variable Cluster a, quant à elle, un impact significatif et positif sur les deux types d’innovations, avec un effet plus fort pour les entreprises innovantes en matière environnementale. Ces résultats tendent à confirmer, au-delà de la seule proximité géographique, le rôle important joué par les structures de gouvernance des clusters. Les diverses actions menés envers les PME contribuent à accroître leur capacité d’absorption et de meilleures performances en matière d’innovation. La R&D externe (Buy), quant à elle, n’affecte pas l’innovation des entreprises, quel que soit son type, celles-ci arbitrant très nettement en faveur de la R&D interne.

Concernant les variables de contrôle, les jeunes entreprises ont logiquement une plus grande probabilité d’introduire des innovations technologiques. En revanche, l’âge des PME (Age) n’a pas d’effet sur les innovations environnementales. Les barrières liées à la connaissance (Barrières) sont hautement significatives pour les PME innovantes en matière environnementale, alors qu’elles ne sont pas significatives pour les PME innovantes en matière technologique. Ceci est largement dû au caractère émergent, nouveau et complexe des innovations environnementales. La diversification sectorielle (Diversification) représente, quant à elle, un déterminant clé pour les innovations technologiques mais n’a pas d’influence sur les innovations environnementales. En revanche, l’appartenance à un secteur polluant (Polluant) a un effet significatif et positif sur les innovations environnementales attestant du caractère incitatif de la réglementation en contexte PME. Enfin, la capacité à innover des PME, quel que soit le type ne diffère pas selon leur taille (Taille) et leur secteur d’appartenance (Secteurs). Au total, les résultats obtenus supportent l’hypothèse H1, selon laquelle les PME qui introduisent des innovations environnementales recourent davantage aux sources externes qu’aux sources internes de connaissances comparativement aux PME qui introduisent des innovations technologiques.

Dans le modèle 2, nous examinons les effets des sources de connaissances internes, externes et leurs interrelations potentielles sur les innovations environnementales et technologiques. Les résultats montrent que les effets des sources internes et externes sont similaires à ceux identifiés dans le modèle 1. Ils indiquent aussi que les PME innovantes, quel que soit le type d’innovation, font appel aux même sources de R&D pour innover : soit de la R&D interne uniquement, soit de la R&D interne associée à de la R&D externe. Cependant, l’effet positif de la R&D interne (Make_only) est plus élevé pour les innovations technologiques (4.137) que pour les innovations environnementales (3.280). Pour les PME qui associent de la R&D interne avec de la R&D externe (Make_Buy), le coefficient est plus élevé pour les innovations environnementales (20.612) que pour les innovations technologiques (15.243). Ces résultats sont en faveur de H2, et confirment que les PME qui introduisent des innovations environnementales bénéficient d’un effet de complémentarité entre la R&D interne et la R&D externe plus fort que celles qui introduisent des innovations technologiques. Concernant les variables de contrôle, nous obtenons les mêmes effets que ceux trouvés dans le modèle 1.

Tableau 3

Résultats des modèles

Résultats des modèles

Notes : Les PME non-innovantes sont prises en tant qu’entreprises de références. *** Significatif à 1 %. ** Significatif à 5 %. * Significatif à 10 %. ns, non-significatif. Les logit multinomiaux sont estimés avec l’option “robust”, qui fournit des écarts-types robustes. Les coefficients estimés sont des ratios de risques relatifs.

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Discussion et conclusion

Cet article contribue à la littérature existante sur les déterminants de l’innovation en portant l’accent sur les sources de connaissances utilisées par les PME. Cette catégorie d’entreprises reste peu étudiée alors que ses marges de progression en matière d’innovation environnementale sont importantes. A la différence de la majorité des travaux sur l’innovation environnementale des PME[7] (Klewitz et Hansen, 2014), notre analyse empirique est basée sur une méthodologie quantitative. Elle montre que si la réglementation publique peut inciter les PME à introduire des innovations environnementales, les PME développent aussi des stratégies actives d’acquisition de connaissances internes et externes qui contribuent directement à ce résultat. Les connaissances internes, en tant que composantes de la capacité d’absorption, s’avèrent essentielles pour améliorer le sourcing de connaissances externes (Cohen et Levinthal, 1990). Dans la lignée de Cainelli et al. (2015), cette recherche montre l’importance de la capacité interne en R&D combinée à des ressources externes pour développer des innovations environnementales. Nous confirmons ce résultat sur la catégorie des PME et identifions la spécificité des sources mobilisées pour ce type d’innovation par rapport à l’innovation technologique. A l’image des PME qui innovent en produits ou en procédés, les PME innovantes en matière environnementale semblent avoir acquis certaines capacités organisationnelles. En particulier, elles témoignent d’une « capacité de gestion des connaissances » (Lichtenthaler et Lichtenthaler, 2009, p. 1334) qui contribue à améliorer leur probabilité à innover avec succès. Cette capacité est toutefois davantage orientée vers les sources de connaissances externes, résultat en rupture avec les travaux antérieurs sur les innovations technologiques qui insistent sur le fait que les PME comptent davantage sur leurs sources internes de connaissances (Hoffman et al., 1998). Nous confortons ici la proposition de Klewitz et Hansen (2014) selon laquelle les interactions avec les acteurs externes peuvent améliorer significativement la capacité d’innover des entreprises en matière environnementale.

Nos résultats soulignent aussi les effets différenciés des sources de connaissances sur les innovations environnementales et technologiques. Si les PME innovantes en matière environnementale effectuent de la R&D en interne, elles développent une stratégie de recherche pour acquérir des ressources externes (Ketata, Sofka et Grimpe, 2015). Des travaux récents montrent qu’une telle stratégie d’open innovation est particulièrement importante en innovation environnementale (Ghisetti, Marzucchi et Montresor, 2013). Nous confirmons qu’elle est adaptée aux PME et génère d’importants bénéfices pour l’entreprise en favorisant les échanges entre les connaissances internes et externes (Chesbrough, Vanhaverbeke et West, 2006). En revanche, cette stratégie ne semble pas aussi « large et approfondie » que celle décrite par Ketata et al. (2015) dans le cadre « des innovations durables », un type d’innovations au périmètre beaucoup plus large que les innovations environnementales[8]. En effet, les sources externes de connaissances mobilisées par les PME pour les innovations environnementales se limitent encore à des sources spécifiques. Et bien que les PME soient en mesure de développer leur capacité d’acquisition de connaissances externes, elles font toujours face à des contraintes de ressources pour bénéficier pleinement de l’ouverture. Ce résultat est conforme à celui de Laursen et Salter (2006), selon lequel une ouverture trop importante peut générer des effets contre-productifs en matière d’innovation. En effet, les PME peuvent être conduites à rationaliser leur activité de gestion des connaissances internes et externes car l’une comme l’autre sont coûteuses et consommatrices de temps (Clausen, 2013). Pour cela, elles sont contraintes d’opérer des arbitrages quant aux sources sélectionnées.

Les résultats de cette recherche confortent la nécessité de soutenir l’engagement et les efforts d’innovation des PME en matière environnementale. Des actions pourraient être ciblées selon le type d’innovation pour une meilleure efficacité, davantage orientées sur la promotion des sources de connaissances externes pour l’innovation environnementale et des sources de connaissances internes pour l’innovation technologique. Sans des mesures appropriées, les PME sont susceptibles d’éprouver un manque de soutien décourageant les initiatives en la matière (Segarra-Blasco et Arauzo-Carod, 2008). A ce titre, les pôles de compétitivité peuvent être un dispositif utile pour accroitre la capacité d’absorption et l’innovation des PME. Ils le sont par l’implication directe de leur structure de gouvernance dans les actions individuelles et collectives, et indirecte en tant qu’intermédiaires entre les PME et leurs partenaires potentiels (Bocquet et Mothe, 2015). En étant plus proche des besoins des PME, les structures de gouvernance des pôles contribuent aussi à lever les barrières aux innovations environnementales, notamment celles dues au manque de connaissances liées à ce type d’innovation (Pinget, Bocquet et Mothe, 2015).

Pour les dirigeants souhaitant introduire des innovations environnementales, des investissements conjoints en matière de R&D interne et externe s’avèrent essentiels pour bénéficier des effets de complémentarité entre ces deux types de R&D (Cassiman et Veugelers, 2006). Nos résultats suggèrent également qu’il pourrait être utile d’avoir recours plus fréquemment aux sources de connaissances externes telles que la coopération et l’exportation, qui restent relativement peu utilisés en PME. Ces types de sources apportent des connaissances différentes (Caloghirou et al., 2004) et renforcent également la capacité d’innovation (Ganotakis et Love, 2012). En outre, comme nous l’avons souligné, faire partie d’un cluster ou d’un réseau ne doit pas être vu comme le simple réceptacle de stratégies individuelles mais bien le résultat de stratégies collectives qui favorisent fortement la diffusion de connaissances (Audretsch, 1998) et l’innovation (Keizer et al., 2002). Nous conseillons donc aux dirigeants, engagés ou non dans des innovations environnementales, de considérer la localisation dans un cluster ou dans un réseau comme un choix éminemment stratégique. Les PME adoptent souvent des comportements individualistes pour accéder à des ressources rares telles que des salariés compétents, des financements additionnels ou encore des services adaptés (Maskell et Lorenzen, 2004). Or, ces comportements limitent leur capacité à percevoir des opportunités de collaboration et les rendent incapables de mobiliser des sources externes de connaissances pourtant essentielles à leur capacité d’innovation (Pillania, 2008). Nous recommandons ainsi aux dirigeants de PME, souvent peu enclins à la coopération, de se rapprocher des structures d’animation de ces clusters et des réseaux qui peuvent faciliter les échanges de connaissances entre des PME et contribuer à accroître leur capacité d’absorption.

Malgré son originalité, cette recherche n’est pas exempte de limites. Tout d’abord, cette étude est basée un échantillon représentatif de PME de Rhône-Alpes. Les résultats ne peuvent donc pas être généralisés à une population plus large. Une réplication de cette recherche sur d’autres régions françaises permettrait d’accroître sa validité externe. Ensuite, comme cette étude est en coupe, nous n’avons pas pris en compte l’influence d’une éventuelle expérience passée en matière d’innovation. Certaines sources de connaissances, relatives aux employés ou à l’acquisition de nouveaux équipements, bien que marginales, n’ont pas pu être intégrées à l’analyse. De même, des mesures d’étendue et de profondeur des sources de connaissances mobilisées par les PME auraient sans doute permis d’approfondir certains résultats. Compte tenu des informations disponibles, de telles mesures n’ont pas pu être envisagées. Enfin, cette recherche n’a pas cherché à analyser les mécanismes de conversion de connaissances alors qu’ils peuvent affecter significativement la capacité des PME à introduire des innovations environnementales. L’étude de ce lien dans un cadre KBV nous semble être une piste de recherche stimulante pour étudier la diversité des performances des PME en matière d’innovation environnementale[9]. Au-delà de ces limites, nous insistons sur deux contributions importantes majeures de cet article. Tout d’abord, nous avons étudié l’effet des sources de connaissances sur l’innovation des PME. À notre connaissance, notre recherche est la première à proposer une lecture intégrative des sources internes et externes de connaissances pour l’innovation environnementale des PME. Ensuite, cette recherche permet d’identifier les spécificités des sources de connaissances des innovations environnementales par rapport aux innovations technologiques. A ce jour, très peu d’études comparatives sur les déterminants et les sources de connaissances sont disponibles (Cainelli et al., 2015; Del Río González, Peñasco et Romero-Jordán, 2015; Horbach et al., 2013).