Corps de l’article

Cet ouvrage rassemble un ensemble d’études relatives à l’évolution de la Chine en tant que nation innovante. Les auteurs partent de divers constats. Le premier assume que l’on ne peut raisonner sur ce sujet globalement, à partir de critères et d’indices macro-économiques classiques tels que l’évolution du PIB ou de la balance commerciale, ou encore à partir d’indicateurs relatifs au secteur des Sciences et Technologies, comme le nombre de brevets déposés, le montant des dépenses en R&D, ou la main d’oeuvre disponible en STEM (Sciences Technologies, Engineering, Mathématiques). Ils insistent au contraire sur le fait que même si ces indicateurs peuvent être utiles, ils doivent être analysés dans une approche dynamique d’évolution simultanée des technologies, des marchés, de la concurrence, voire même parfois de certaines entreprises qui développent des moyens innovants.

Par ailleurs, dans la course à la recherche d’une meilleure qualité, la production à coûts réduits est analysée comme étant l’innovation à proprement parler, sachant que les industries doivent changer de façon radicale tant en termes d’organisation que de technologies de production et de marchés à développer. De plus, la Chine se trouve en compétition avec d’autres pays tant sur son marché intérieur que sur le marché global. Enfin au sein d’une même industrie, on trouve des entreprises qui bénéficient d’avantages concurrentiels uniques, qui sont ainsi capables d’émerger en tant que leaders sur les marchés étrangers. Si on veut donc analyser la Chine comme un pays de l’innovation, il est nécessaire d’approfondir l’analyse des conditions dans lesquelles les secteurs industriels dynamiques réussissent ces mutations, sans oublier de porter une attention toute particulière aux entreprises de ces secteurs.

C’est à partir de cette vision qu’est construit l’ouvrage. Diverses études portant sur un éventail d’industries importantes pour l’avenir de la Chine, pays d’innovation, sont présentées tout en considérant l’évolution du rôle des investissements d’Etat.

Chaque chapitre est écrit par un académique spécialiste à la fois du secteur concerné et de l’innovation. Les industries sont diverses. Il s’agit d’une part de secteurs traditionnels de l’industrie chinoise (ingénierie mécanique, les chemins de fer, l’automobile), d’autre part de secteurs qui évoluent rapidement et fortement intégrées internationalement (les TIC, ou encore les énergies renouvelables telles que l’énergie solaire, l’énergie éolienne). Ces « études de cas » permettent de comprendre comment s’est développée la Chine et comment elle pourra se développer dans le futur.

Les questions que se sont posées les auteurs sont les suivantes :

  • Quel sont l’état et le potentiel d’innovation de la Chine dans les secteurs industriels étudiés ?

  • Quelle est l’importance de l’innovation dans le maintien de la croissance et de la compétitivité chinoise ?

  • En quoi les processus d’innovation en Chine différent de ceux des pays développés ou des pays nouvellement industrialisés ?

  • Quelles sont les conditions sociales et les caractéristiques qui sous-tendent la trajectoire chinoise de l’innovation ?

  • Quelles sont les implications sociales de l’innovation en Chine dans le cadre de la croissance économique, de l’équité quant à la distribution des revenus, du bien-être social de la population chinoise, et quelle est la contribution de la Chine au bien-être global ?

L’ouvrage apporte des éclairages intéressants, et non des réponses définitives à ces questions, dans la mesure où les chemins vers l’innovation sont longs, incertains et où ils différent d’une industrie ou entreprise à une autre, tout en étant assez fluides dans le temps. En effet, dans chaque secteur, on observe une coévolution continue entre la politique de l’Etat, la demande du marché et le développement technologique. Les stratégies et les structures des entreprises comme des écosystèmes industriels évoluent rapidement, et les différences existant entre ces structures chinoises et celles des autres pays diminuent, mais à des degrés variables selon les cas. Quant à l’innovation elle-même, elle n’est pas seulement analysée à partir des entreprises d’Etat, mais également à-partir d’entreprises privées. L’innovation chinoise est donc vue comme un double processus : les initiatives top-down et les stratégies bottom-up, mixant les investissements de l’Etat et les transferts de technologies depuis l’étranger.

Le processus de l’innovation est conçu comme engagé, très prometteur, mais avec encore un long chemin à parcourir pour satisfaire aux exigences affichées d’amélioration du niveau de vie, de développement durable et d’équité sociale.

Qu’est-ce qu’une Nation Innovante ?

Si tout le monde s’accorde aujourd’hui à considérer que toute nation a besoin d’innover pour prospérer, c’est parce qu’innover signifie généralement améliorer le niveau de qualité. Or il y a pléthore de dimensions possibles pour mesurer la qualité : par exemple pour une voiture cela peut-être la sécurité ou l’efficience énergétique qui relèvent de préoccupations publiques et qui vont donc engendrer des réglementations de la part des Etats. Ce peut être également des critères de choix des consommateurs comme le confort ou le style, pour lesquels les consommateurs sont plus ou moins prêts à payer un coût additionnel.

Quoiqu’il en soit, seuls certains pays sont capables de produire des véhicules de qualité. La question posée est donc de savoir s’il est possible pour un pays de passer par exemple d’une industrie automobile de basse qualité à une industrie automobile de haute qualité, et si cela peut avoir un impact sur la croissance économique du pays en question, sachant que dans notre monde global cette qualité supérieure doit être reconnue au niveau mondial.

C’est pour répondre à cette question que les auteurs initient une analyse comparative avec le Japon passé d’une industrie automobile de faible qualité dans les années 1970 à une industrie de haute qualité dans les années 80 en mettant le consommateur au coeur de leur problématique. C’est en ayant cette même approche dans différents secteurs que le Japon, selon les auteurs, est passé du statut de nation relativement pauvre à celui de nation relativement riche. A cela se sont ajoutés d’autres éléments comme l’exportation non seulement de leurs véhicules, mais également de leur méthode de management grâce à des implantations d’usines à l’étranger.

Enfin, l’analyse se centre sur les conditions sociales de développement des entreprises innovantes. Selon les auteurs, 3 conditions doivent être satisfaites : le contrôle stratégique, l’intégration organisationnelle et l’engagement financier. C’est à-partir de ces 3 conditions qu’est analysé le secteur automobile chinois avec ses contraintes et ses spécificités et par conséquent sa capacité d’évolution vers la haute qualité.

Dans le même ordre d’idées sont envisagés les secteurs High-Tech et plus généralement les modèles d’affaires de la Nouvelle Economie américaine et leur adaptabilité possible à l’économie chinoise, avec les risques sociaux qu’ils comportent.

Mais pour que la Chine puisse devenir une Nation Innovante, le gouvernement doit être proactif et se concentrer sur 3 types d’institutions facilitatrices : les institutions gouvernementales, les institutions de l’emploi, et celles de l’investissement.

La construction d’Institutions facilitatrices pour créer une Nation Innovante

Les divers types d’institutions sont présentés, et les auteurs mettent l’accent sur le fait que le gouvernement chinois a su, contrairement à ce qui est souvent avancé, ne pas se cantonner à la mise en place d’un capitalisme d’Etat. Au contraire il a développé non seulement des entreprises sous contrôle de l’Etat, mais également permis la création d’entreprises privées, et a aidé à ce que de multiples interactions collaboratives entre ces deux types d’entités se réalisent. De nombreux exemples sont fournis comme le secteur automobile, celui des semi-conducteurs ou encore les chemins de fer.

Par ailleurs, l’Etat chinois a déployé un nombre considérable d’outils flexibles pour promouvoir l’innovation. Parmi eux, on peut citer : le financement direct de la R&D, des mesures fiscales adaptées, des standards technologiques, etc. Le rôle des gouvernements national et locaux est également analysé à travers divers secteurs, comme par exemple l’équipement, la communication, ou les semi-conducteurs.

L’accent est mis sur la nécessité d’une gouvernance qui assure la complémentarité entre les investissements d’Etat et privés. Cette complémentarité est assurée grâce aux négociations entre acteurs privés et publics. Les institutions gouvernementales, quant à elles, doivent permettre de lutter contre la tendance humaine de recherche de rente économique, qui consiste à extraire la valeur de façon excessive comparativement à la contribution de chacun à la valeur créée, ce qui est analysé comme nuisible en termes d’innovation. Là encore de nombreux exemples sont développés.

De même, le rôle des institutions de l’emploi est envisagé. L’innovation naît des entreprises apprenantes, qui reposent sur des processus cumulatifs d’apprentissage. Les exemples de la téléphonie mobile et du secteur « integrated circuit design » sont mobilisés pour mettre en évidence l’impact négatif de la mobilité des compétences high-tech dans la capacité d’innovation des entreprises. La fidélité du personnel et donc la gestion des carrières à long terme dans la même entreprise est analysée comme un élément positif pour l’innovation. Par ailleurs, l’accent est mis sur l’importance de l’évolution rapide de l’enseignement supérieur pour répondre aux nouveaux besoins du marché du travail chinois.

Enfin, les institutions d’investissement d’Etat qui viennent en complément des nouvelles opérations de venture capital permettent d’assurer une certaine stabilité dans la recherche de profits et sont vues comme devant permettre d’éviter les excès de la financiarisation de l’économie, antinomiques de l’innovation. Ces institutions sont là également pour soutenir les secteurs d’activité nécessitant d’énormes investissements sans qu’il soit nécessaire d’apporter des réponses innovantes rapides à la concurrence internationale.

Ces diverses infrastructures doivent permettre à la Chine de gérer l’innovation chinoise dans un système de production global, ce qui d’ailleurs constitue la différence fondamentale avec les transformations qui avaient eu lieu tant au Japon qu’aux Etats-Unis. En effet le système de production global rend le contrôle du développement technologique très difficile (ex : semi-conducteurs, automobile). Le problème est donc de se positionner sur les segments à forte valeur ajoutée de la chaine de production. Pour cela, il convient avant tout d’éviter d’être capturé par des réseaux avec un manque de contrôle stratégique sur son propre développement technologique.

Dans le même ordre d’idées, la seconde solution possible évoquée consiste à avoir un contrôle stratégique de tout processus de transfert de technologie. Ceci permet de mettre au point des systèmes différenciés, personnalisés, qui dans un second temps peuvent à leur tour constituer des innovations.

La troisième solution consiste à maintenir le contrôle stratégique en développant davantage la R&D en interne.

Enfin, les entreprises peuvent consolider leur contrôle stratégique en s’attaquant à leur marché domestique qui, compte tenu de la montée en puissance de la classe moyenne qui est demandeuse, non des produits étrangers de très haute qualité, mais de produits de qualité acceptable. Ceci permet de se positionner en innovateur de « qualité acceptable » (ex : la téléphonie mobile).

En résumé, selon les auteurs, la Chine peut devenir une nation innovante tout autant qu’elle est capable de créer une gouvernance qui assure la complémentarité entre les investissements publics et privés en matière de capacités de production – collaboration qui inévitablement signifie une division collaborative du travail notamment en termes de contrôle stratégique. Ce contrôle doit être maintenu et étendu tant que les entreprises chinoises sont totalement impliquées dans le système de production global, grâce soit à un système d’intégration, soit par contrôle de tout transfert de technologie, ou par le ciblage de marchés domestiques. L’émergence de la Chine comme nation innovante est également contingente à l’existence d’institutions de l’emploi qui doivent permettre aux organisations de développer les processus d’apprentissage collectif et cumulatif. Enfin, la Chine doit maintenir et développer les institutions d’investissement qui fournissent des capitaux « patients » c’est-à-dire plus attachés à récompenser la création de capacités de production créatrices de valeur, qu’à favoriser l’ingénierie d’extraction de valeur financière.