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La mobilité internationale des étudiants issus de toutes les filières de l’université peut prendre plusieurs formes : un séjour pour stage, la poursuite des études, le volontariat international en entreprise ou en organisation non gouvernementale. Les impacts de certaines de ces missions ont été étudiés dans une perspective professionnelle et académique. Ainsi, plusieurs travaux de recherche traitent des flux et des profils d’étudiants impliqués (King, Findlay et Ahrens, 2010), des déterminants du choix que fait l’étudiant enclin à la mobilité internationale (Choudaha et De Wit, 2014), des facteurs d’attrait ou des obstacles à la migration étudiante (Van Mol et Timmerman, 2014) et des logiques qui guident les parties prenantes en dehors des étudiants (Garneau et Mazzella, 2013). Ceux portant sur l’impact de la mobilité internationale des étudiants sont également nombreux (Gesing et Glass, 2019). Les retombées de la mobilité internationale des étudiants les plus mentionnées touchent à l’employabilité et aux compétences transversales. Celles-ci sont souvent évoquées pour justifier les politiques publiques incitant les jeunes à partir à l’étranger pendant leurs études (Calmand et al., 2018).

Ces recherches souffrent cependant de l’absence de données construites de manière longitudinale et quantitative (Havet, 2017). Par ailleurs, les composantes entrepreneuriales des compétences transversales construites ne sont guère identifiées (Bauvet, 2019), alors que les établissements d’enseignement supérieur français cherchent à développer les compétences entrepreneuriales de leurs étudiants (Chambard, 2014), à l’instar du programme PEPITE[1] qui donne la possibilité à certains jeunes de choisir la carrière entrepreneuriale ou, pour le moins, de développer leur professionnalité par les démarches entrepreneuriales. De telles compétences peuvent être appréhendées au travers des motivations, aptitudes et comportements des étudiants, autrement dit de leurs potentialités entrepreneuriales (Gasse et D’Amours, 2000; Dokou, Philippart et Karbouai, 2018). Si l’expérience de séjour d’études ou de stage à l’étranger favorise l’insertion professionnelle des étudiants (Béduvé et Mora, 2017), qu’en est-il de l’influence de cette mobilité internationale sur leurs potentialités entrepreneuriales ?

Notre contribution pose la question de recherche suivante : en quoi la mobilité internationale contribue-t-elle au développement des potentialités entrepreneuriales chez les étudiants impliqués dans les missions socio-éducatives à l’étranger ? L’enjeu est de circonscrire de telles potentialités au moment où le nombre d’étudiants et de diplômés ayant une expérience à l’international continue d’augmenter[2].

Le support théorique retenu articule le modèle expliquant les potentialités entrepreneuriales avec les approches de la mobilité internationale des étudiants. À partir de ce cadre conceptuel, nous avons conduit une étude quantitative longitudinale (avant et après la mobilité) auprès de 332 étudiants du Nord de la France. Il s’agit d’étudiants ayant déjà fait un stage en France et ayant un projet entrepreneurial couplé au projet de mobilité internationale. Plus spécifiquement, la plupart des étudiants qui manifestent le désir de créer une entreprise, sont accueillis dans un des sept incubateurs généralistes de la région. Ces incubateurs généralistes labellisés « HUBHOUSE » sont animés par des professionnels d’accompagnement à la création/reprise d’entreprise dans le cadre de la mission d’insertion professionnelle des établissements d’enseignement supérieur. Seuls les étudiants ayant passé la phase de l’idéation sont considérés comme des porteurs de projet entrepreneurial. C’est le cas de nos enquêtés. Les motifs de mobilité concernent des projets solidaires, la poursuite d’études et la réalisation d’un stage à l’international. L’exploitation des données recueillies avant et après la mobilité fournit des résultats significatifs sur la nature de l’impact de la mobilité sur les potentialités entrepreneuriales. L’article est structuré en trois parties. La première partie présente le cadre conceptuel, alors que le deuxième volet explicite la méthodologie utilisée et expose les résultats qui sont, ensuite, soumis à la discussion dans la troisième partie.

Mobilité internationale et potentialités entrepreneuriales

Les travaux sur la mobilité internationale des étudiants portent tant sur les déterminants d’une telle mobilité que sur ses apports. De tels apports enrichissent les potentialités entrepreneuriales dont le contour conceptuel est succinctement exposé pour consolider nos hypothèses de recherche.

Mobilité internationale : caractéristiques, déterminants et apports

Caractéristiques

Selon l’Institut de statistique de l’UNESCO (2009) et l’OCDE (2009), les étudiants en mobilité internationale sont « des personnes étudiant dans un pays étranger dont ils ne sont pas des résidents permanents ». La mobilité internationale des étudiants s’inscrivait à l’origine dans les traditions humaniste, coloniale et pacifiste étendues aux loisirs, à l’acquisition des compétences et au cheminement professionnel (Zarate, 1999). Son étude s’est depuis enrichie des concepts de « capital migratoire », de « compétences migratoires », d’« habitus mobilitaire » et de la « prise de conscience d’un espace élargi d’action » (Erlich, 2013). Ces notions renvoient aux diverses expériences construites par les étudiants en séjour international à partir de leurs projets et attentes, de leurs conditions de vie d’apprenant, de leur apprentissage interculturel et de leur rapport à l’espace ou aux territoires (Terrier, 2009).

Pour Dubet (1994), l’expérience étudiante se construit à travers la combinaison de la nature du projet poursuivi, du degré d’intégration dans la vie universitaire et l’engagement dans une vocation intellectuelle. Dans cette même logique, Ballatore (2011) précise qu’au niveau de la mobilité internationale, les profils types vont de l’étudiant défensif avec un repli sur la culture d’origine à l’étudiant converti avec une réelle perméabilité culturelle. A priori, l’étudiant converti présente un capital de mobilité et un potentiel d’adaptation facilitant la combinaison du triptyque projet-intégration-vocation.

Déterminants

Plusieurs facteurs incitants (push) et attirants (pull) expliquent le choix de la mobilité internationale (Didisse, Nguyen-Huu et Anh-Dao Tran, 2019).

Les facteurs incitants renvoient aux insuffisances du système éducatif du pays d’origine en termes de qualité de l’enseignement et de reconnaissance des diplômes (Efionayi et Piguet, 2014) et à la perception qu’en fait le réseau social et familial (Beech, 2015). Le réseau familial est souvent vigilant et sensible à la qualité du personnel enseignant, aux facteurs politiques ou sociaux favorables au développement des liens interpersonnels et interculturels.

Les facteurs attirants concernent le prestige des diplômes en termes d’employabilité à composantes internationales, la dimension linguistique avec la recherche d’une langue identique de celle du pays d’origine ou le souhait de mieux maîtriser une langue étrangère, les liens existants entre le pays d’origine et le pays d’accueil du fait d’un passé colonial, l’existence d’un réseau de compatriotes, l’offre de cours, le ranking de l’université d’accueil (Perkins et Neumayer, 2014). Les aspects économiques jouent un rôle important aussi (Caruso et de Wit, 2014) : le coût de la vie dans le pays d’accueil, les frais de scolarité, la possibilité de bourse, la qualité des infrastructures en matière de logement par exemple, la qualité de vie.

La mobilité internationale des étudiants obéit à un certain nombre de logiques qui interagissent : des logiques gouvernementales du pays de départ et du pays d’accueil en termes de migration, des logiques institutionnelles d’établissement en termes de coopération, des logiques de communauté scientifique qui permettent la reconnaissance de trajectoire d’études et bien sûr des logiques individuelles et familiales qui facilitent ou non la perception et la réalisation de la mobilité (Garneau et Mazzella, 2013). Il faut aussi souligner des différences notables selon que les étudiants sont originaires d’un pays développé ou en voie de développement (Perkins et Neumayer, 2014).

Apports

Les motivations à la mobilité et les compétences acquises se comprennent dans des écosystèmes d’acteurs et de dynamiques bien spécifiques (Talleu, 2017). La mobilité internationale des étudiants peut être ainsi la première étape d’une stratégie de vie à long terme dans le pays d’accueil (Perkins et Neumayer, 2014). Un meilleur salaire, de meilleures perspectives de carrière (Hazen et alberts, 2006), de meilleures conditions matérielles et politiques de vie (Findlay, 2011), des compétences linguistiques (Baláz et Williams, 2004) sont autant de raisons qui peuvent expliquer le choix de la mobilité étudiante comme porte d’entrée vers un lieu de vie différent et donc vers une vie rêvée comme meilleure.

Même si certaines études mettent en évidence la difficulté de conclure à une plus-value incontestable (Groult et Macaire, 2019; Robert, 2020), pour Deligianni (2017), les étudiants qui partent en mission professionnelle à l’international développent leur autonomie, leur capacité à communiquer, à résoudre des problèmes, leur ouverture culturelle et un sentiment d’intégration sociale. Au travers de leurs expériences d’études à l’étranger, les étudiants acquièrent des habiletés sociocognitives, développent des réseaux internationaux (Allemand, 2004; Brassier-Rodrigues, 2015).

Par ailleurs, l’expérience à l’étranger constitue un élément de différenciation certain en termes d’employabilité (Berghoff et Taboadela, 2014) grâce aux compétences techniques (linguistiques, académiques), mais aussi et surtout transversales (soft skills) reposant sur l’ouverture d’esprit, la curiosité pour de nouvelles expériences, la capacité à résoudre des problèmes, etc. Les étudiants en mobilité internationale améliorent en effet sous certaines conditions (type de mobilité, caractéristiques du secteur d’activité, genre) leur insertion professionnelle (Havet, 2017; Calmand, et al., 2018). La mobilité internationale permet ainsi d’acquérir et de développer un capital de mobilité (Murphy-Lejeune, 2001) qui, s’il est substantiel, facilite l’acquisition de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire et améliore toute expérience de mobilité supplémentaire en conférant à l’étudiant un habitus issu mobilitaire (Robin, 2018), l’aidant à s’approprier une capacité certaine de mobilité socio-spatiale ou motilité au sens de Kaufmann, Bergman et Joye (2004).

En outre, l’acquisition et le développement des compétences transversales constituent dorénavant un enjeu important dans l’enseignement supérieur, dans la mesure où elles jouent un rôle important pour l’employabilité et le déroulement de carrière des diplômés (Bauvet, 2019). À ce titre, dans la mesure où la sensibilisation à l’entrepreneuriat constitue un enjeu important du système éducatif (Minichiello, 2016) et notamment de l’enseignement supérieur, la mobilité internationale offre-t-elle aux étudiants des ressources cognitives et comportementales à même de développer leurs potentialités entrepreneuriales ?

Potentialités entrepreneuriales : motivations, aptitudes et comportements

Les potentialités entrepreneuriales d’un individu s’appréhendent au travers de ses motivations, aptitudes et comportements (Gasse et D’Amours, 2000).

Motivations entrepreneuriales

Si la littérature identifie plusieurs motivations à la création, la satisfaction des besoins de réalisation, d’autonomie et de pouvoir (au sens de contrôle) est le plus souvent mise en avant (Dokou, Philippart et Karbouai, 2018). Une caractéristique forte du comportement entrepreneurial relève du besoin d’accomplissement, c’est-à-dire du besoin d’exceller et d’atteindre des objectifs avec un sentiment de progression. Cela nécessite la mobilisation et l’exploitation des capacités personnelles dans une dynamique d’apprentissage, d’innovation et de réaction positive face à l’échec (Gasse et D’Amours, 2000). McClelland (1961) précise ainsi que les personnes qui ont un niveau de besoin d’accomplissement élevé expriment un désir très important de réussite. L’autonomie, quant à elle, suggère que l’entrepreneur éviterait de se soumettre à l’autorité d’autrui et chercherait à échapper à la pression hiérarchique (Kets De Vries, 1977). Il fonctionnerait selon des règles qu’il a lui-même fixées, l’espace de travail qu’il a installé, le climat et la culture de travail qu’il instaure et à partir desquels il agit. Devenir autonome implique l’exercice d’un contrôle direct (pouvoir) sur les parties prenantes, afin de mieux mobiliser les ressources et de parvenir à organiser les actions en vue d’atteindre les objectifs qu’il a établis (Gasse et D’Amours, 2000).

Aptitudes entrepreneuriales

Les aptitudes sont des compétences latentes, développées au fil des expériences et auxquelles l’individu peut faire appel selon les circonstances (Lorrain, Bellay et Dussault, 1998). Elles lui confèrent une disposition certaine à l’action. Elles se définissent à travers quatre dimensions : la confiance en soi, la persévérance, la tolérance au stress et la capacité conceptuelle (Gasse et D’Amours, 2000). La confiance en soi désigne la capacité à décider et agir par soi-même, à effectuer et à mener jusqu’au bout des projets en bonne autonomie. Elle donne de l’assurance, la capacité à agir et à faire face aux situations. Pour Ho et Koh (1992), la confiance en soi est liée à l’« internal locus of control », à la tolérance, à l’ambiguïté et à la créativité. Bien qu’elle puisse être liée à d’autres attributs et que le succès conduise également à la renforcer, elle constitue un facteur fondamental pour expliquer la réussite entrepreneuriale. La persévérance se définit comme la poursuite d’une ligne d’action choisie en dépit de l’adversité et des contre-influences. C’est une caractéristique forte de la prise de décision et de l’apprentissage des entrepreneurs plus enclins au respect de l’engagement et à la persistance de l’effort (Holland et Shepherd, 2013). L’incertitude étant inhérente au projet entrepreneurial, le fait d’avoir une forte tolérance au stress est considéré comme une réelle qualité entrepreneuriale (Frese, 2009). Elle favorise un meilleur contrôle interne, des gains positifs en termes de productivité et de temps de récupération et un équilibre entre le travail et la vie personnelle (Cordon et Patel, 2015). Gérer au mieux le stress, les contradictions et les choix complexes relève de la capacité conceptuelle de l’entrepreneur : celui-ci se trouve souvent dans une situation très complexe, où les faits ne permettent pas toujours de décider rationnellement et où le temps impose une pression supplémentaire (Allisson, Chell et Hayes, 2000).

Comportement entrepreneurial

L’exploitation des opportunités par l’entrepreneur peut être saisie au travers de cinq dimensions : l’innovation, l’attitude face à la concurrence, l’attitude face au risque, la cognition et l’action (Gasse et D’Armours, 2000; Dokou, Philippart et Karbouai, 2018).

L’innovation, qu’elle soit entrepreneuriale, managériale, organique ou planifiée dépend des objectifs, des compétences et des expériences de l’entrepreneur. Elle s’exprime par une créativité centrée sur la production d’un « ensemble d’idées ou de solutions essentielles et utilisables » (Amabile et al., 2005, p. 368). Cette créativité et cette proactivité (Covin et Miller, 2014) sont nécessaires dans des situations changeantes et d’agressivité concurrentielle. Elles permettent de déployer une attitude face à la concurrence par le développement de nouvelles idées, l’identification d’opportunités d’affaires, la combinaison de ressources de façon à créer de la valeur. L’entrepreneur est soumis à des facteurs d’apprentissage endogènes et exogènes capables de le conduire à une évolution de ses acquis, de son comportement, de ses repères, de ses projets et de ses méthodes de gestion. Ce capital cognitif est constitué de l’ensemble des ressources culturelles et intellectuelles, de la capacité d’analyse et d’exploitation informationnelle et de la capacité décisionnelle et de résilience de l’individu. Il va lui permettre de conduire des actions afin d’exploiter concrètement les opportunités tirées de son environnement, de réaliser son projet entrepreneurial, en dressant un pont entre la situation présente et la situation future souhaitée (Covin et Miller, 2014).

Si le décryptage des potentialités s’appuie sur les principaux travaux relatifs aux paradigmes des traits et des faits de l’entrepreneur, leur mise en perspective théorique passe par l’approche des spécificités individuelles inscrites dans un contexte et façonnées par ce même contexte (Fayolle, 2004). Ainsi, le contexte spécifique de la mobilité internationale enrichit-il ces traits et comportements ? La réponse à cette question renvoie à la vérification des hypothèses ci-après.

Hypothèses

L’éducation et l’apprentissage sont des déterminants clés des potentialités entrepreneuriales (Fayolle, 2013). Or, la mobilité internationale génère une expérience interculturelle significative, source d’apprentissages multiples, de modèles de rôle qui peuvent servir de relais d’imitation au sens de l’habitus (Bourdieu, 1980). Pour l’étudiant en mobilité internationale, les compétences relationnelle et interculturelle développées pendant le parcours de formation ou de stage dans le pays d’accueil enrichissent celles développées dans le pays d’origine. Ainsi, il est légitime de proposer H1 : la mobilité internationale améliore les potentialités entrepreneuriales.

La mobilité internationale des étudiants peut prendre plusieurs formes : un séjour pour le stage ou la poursuite des études, le volontariat international en entreprise ou en organisation non gouvernementale, le service civique international et le portage de projet associatif de solidarité internationale avec un partenaire local, ou projet entrepreneurial de perspectives internationales. Notre recherche s’est focalisée sur les deux premiers motifs qui s’appuient sur des dispositifs précis : programmes d’échange, Erasmus Mundus, Volontariat International en Entreprise, etc. Chacun de ces dispositifs met l’accent sur l’accès à la formation et à l’apprentissage conduisant aux connaissances, aux expériences et aux compétences diverses susceptibles d’enrichir le parcours professionnel projeté. Mais les occasions de création des liens interpersonnels et interculturels peuvent ne pas être les mêmes. Par ailleurs, le fait d’acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances peut contribuer à l’évolution des potentialités entrepreneuriales des étudiants de façon différente. Au-delà des bénéfices recherchés à travers la mobilité internationale, la motivation initiale et la perception de la qualité de l’enseignement ou celle de l’expérience professionnelle reçue impactent cette évolution (Dubet, 1994; Zarate, 1999; Berghoff et Taboadela, 2014). En ce sens, il est alors possible de proposer H2a : Le motif de mobilité internationale impacte significativement l’amélioration des potentialités entrepreneuriales.

La durée de la mobilité internationale se situe souvent entre trois semaines et six mois (Brassier-Rodrigues, 2015; Calmand et al., 2018). Les individus ayant une mobilité internationale plus longue peuvent acquérir davantage d’expériences et nouer plus facilement des contacts professionnels (Calmand et al., 2018; Robert, 2020), ce qui contribue aux développements de leurs compétences transversales. Pour conséquent, on pose H2b : La durée du séjour à l’étranger impacte le développement des potentialités entrepreneuriales.

Les potentialités entrepreneuriales sont déterminées notamment par des antécédents ou caractéristiques individuelles. Le genre façonne l’intention entrepreneuriale en termes d’auto-efficacité et de motivation relative au choix de la carrière d’entrepreneur (Fietze et Boyd, 2017). Les travaux de Shneor et Jessen (2014) soulignent que la magnitude de l’auto-efficacité dans l’intention d’entreprendre est plus importante chez les femmes que chez les hommes du fait des variables subjectives de perception comme la confiance en soi et le sentiment d’avoir les compétences requises pour entreprendre. Par contre, les hommes ont tendance à percevoir de façon plus optimiste ces différents éléments, ce qui rend plus importante leur intention d’entreprendre et expliquerait pourquoi il y a plus d’entrepreneurs masculins. L’aversion au risque des femmes est le trait psychologique qui est le plus discriminant pour expliquer le différentiel dans l’intention d’entreprendre entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, les analyses révèlent que l’exposition aux modèles de réussite a une importance plus grande chez les hommes, ce qui explique le plus faible impact de la perception des risques chez ce genre. Dans la même optique, le potentiel de mobilité est également impacté par les effets de genre, au même titre que le niveau d’études et les origines sociales (Robert, 2020). Il est alors légitime de poser H3a : Le genre de l’étudiant en mobilité internationale impacte la structuration de ses potentialités entrepreneuriales.

L’âge influe sur le développement des compétences entrepreneuriales (Tornikoski, Kautonen et Le Loarne-Lemaire, 2012). Selon Craik et Bialystok (2006), le contrôle cognitif augmente en puissance, en vitesse et en complexité de l’enfance jusqu’au stade de jeune adulte, pour ensuite décliner. En conséquence, la vitesse de traitement de l’information est très élevée aux premières phases de la vie professionnelle. Cette vitesse et cette agilité des jeunes adultes renforcent leur capital cognitif, et d’une certaine manière leurs potentialités entrepreneuriales. On pose donc H3b : L’âge de l’étudiant en mobilité internationale impacte ses potentialités entrepreneuriales.

Le niveau d’instruction des entrepreneurs est plus élevé que celui de l’ensemble de la population (Tremblay et al., 2019). Cela est particulièrement vrai des créateurs d’entreprises en technologie de pointe (High-tech) ou à fort potentiel de croissance : le niveau de compétence peut conditionner l’efficacité personnelle perçue dans l’accomplissement des tâches requises. Le niveau d’études est par ailleurs susceptible d’avoir une influence sur la capacité perçue à être entrepreneur (Gabay-Mariani et Boissin, 2019). Ces éléments nous amènent à proposer H3c : Le niveau d’études de l’étudiant en mobilité internationale impacte le niveau des potentialités entrepreneuriales.

Selon Granovetter (2006), le comportement humain ne peut être expliqué en faisant seulement référence aux motifs individuels; il est modelé et contraint par la structure des relations sociales dans lesquelles tout acteur est inscrit. L’étudiant qui évolue dans un milieu familial ouvert et riche en réseaux de toutes sortes bénéficie d’un certain capital social. Mais le réseau relationnel issu de l’environnement familial peut être aussi considéré comme un facteur de répartition inégale et agir différemment sur le développement des potentialités entrepreneuriales. Cet environnement familial est caractérisé par la catégorie socio-professionnelle des parents (Reddy, Vinay et Venkateswarlu, 2019). Aussi, nous proposons H3d : La catégorie socio-professionnelle des parents de l’étudiant en mobilité internationale impacte le niveau d’acquisition des potentialités entrepreneuriales.

Cadre méthodologique et éléments de résultats

La plus-value que génère le séjour international en termes de potentialités entrepreneuriales est identifiée, validée et décryptée après une succincte présentation du cadre méthodologique de la recherche.

Cadre méthodologique

Recueil des données

Afin de répondre à notre question de recherche, un questionnaire permettant de mesurer l’évolution du niveau des potentialités entrepreneuriales des étudiants en mobilité internationale a été élaboré à partir des échelles de mesures en versions courtes rigoureusement validées (Gasse et D’Amours, 2000; Dokou, Philippart et Karbouai, 2018). Ainsi, l’échelle de motivation est composée de trois dimensions avec 9 énoncés (accomplissement, pouvoir et autonomie), l’échelle d’aptitude est composée de quatre dimensions pour 12 énoncés (confiance en soi, persévérance, tolérance au stress et capacité conceptuelle) et celle du comportement entrepreneurial de cinq dimensions avec 15 énoncés (cognition, innovation, attitude face à la concurrence, attitude face aux changements et action). Toutes ces mesures sont des échelles de Likert en 4 points allant de (1) pas du tout à (4) tout à fait et sont disponibles en annexe 1.

Ce questionnaire a été administré de manière longitudinale où T0 correspond aux réponses avant la mobilité et T1 aux réponses après la mobilité. Ainsi le moment T0 s’est déroulé sur une période comprise entre la cinquième et la dernière semaine avant le départ et T1 entre la quatrième et la dixième semaine après le retour. Tout ceci a duré 11 mois, soit de février à décembre 2018. Par ailleurs, seuls les étudiants ayant déjà fait un stage en France et ayant un projet entrepreneurial couplé au projet de mobilité internationale ont été retenus. En effet, le fait d’avoir déjà fait un stage en France amène tous les participants à être sur un pied d’égalité avant la mobilité sur ce point et permet donc de contrôler que les effets entrepreneuriaux recherchés ne sont pas simplement le résultat d’un stage qui aurait pu être vécu sans aller à l’étranger. De plus, le ciblage d’étudiant ayant déjà un projet entrepreneurial couplé au projet de mobilité internationale a été motivé par deux aspects. Le premier aspect repose sur le fait que nous n’étudions pas l’existence du lien mais plutôt sa nature. Il est donc, dans ce cas, permis de s’adresser directement à une population dans laquelle le lien existe de facto. L’autre aspect est méthodologique puisqu’il a permis de réduire le nombre de questionnaires à envoyer pour obtenir un échantillon final de taille correcte. En effet, la fréquence d’apparition de ces deux caractéristiques dans la population étudiante étant plutôt faible, il aurait fallu envisager de questionner plus de 13000 personnes pour espérer avoir un nombre de réponses suffisantes en suivant les formules d’échantillonnage aléatoire. Ici ce choix méthodologique a permis de diviser par 10 ce nombre et de rendre ainsi l’étude « faisable ». Et comme le suggèrent les chercheurs du CEREQ, seules les périodes d’études et de stages avec convention doivent être prises en compte afin d’éviter les sous-sur estimations de la pertinence des séjours (Robert, 2020). À ce titre, les motifs de mobilité retenus sont de trois natures : projets de coopération internationale ou solidaires, poursuite d’études et stage à l’international. Le profil sociodémographique des enquêtés, leurs parcours et leurs positions avant et après la réalisation du projet de mobilité internationale ont été pris en compte. Nous rappelons que la population ciblée est uniquement issue de l’université publique. Ainsi, sur 1350 questionnaires envoyés en T0, 393 réponses valides ont été obtenues soit 29.1 %. Ce taux de réponse, de près du tiers, est tout à fait normal au vu de la population ciblée avec l’appui des services des relations internationales. Par ailleurs, le taux d’attrition est très faible puisque sur les 393 répondants en T0, 332 ont répondu au second questionnaire au retour de leur séjour soit 84.6 %. Ce faible taux d’attrition s’explique par le fait que le questionnaire n’était pas anonyme et que nous avons pu solliciter les répondants individuellement. Les spécificités sociodémographiques de l’échantillon final sont présentées dans le tableau n° 1.

Tableau 1

Variables socio-démographiques de l’échantillon d’étudiants ayant vécu la mobilité internationale

Variables socio-démographiques de l’échantillon d’étudiants ayant vécu la mobilité internationale

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Traitement des données

L’analyse des données a classiquement débuté par la validation des échelles de mesure utilisées. Ainsi, La fiabilité des échelles a été testée grâce au calcul de l’oméga de Macdonald (1985). Cet indicateur a été préféré à l’alpha de Cronbach car le coefficient ω offre des conditions d’utilisation plus souples que α. Principalement, il accepte que les données soient multidimensionnelles, ce qui correspond bien à la réalité des données collectées en sciences de gestion. L’ω devrait être supérieur à 0,5 pour être considéré comme satisfaisant (Morin et al., 2016). La validité de chaque échelle a été testée à l’aide des modèles d’équations structurelles via le logiciel Amos v21. Les indices d’ajustements retenus sont le Rχ² (Khi² associé au robust maximum likelihood estimator), le GFI (goodness of fit index), le NFI (normed fit index), le TLI (Tucker-Lewis index), le RMSEA (root mean square error of approximation). Le GFI, le CFI et le TLI devraient être supérieurs ou égaux à 0,900 pour être satisfaisants (Bentler et Bonett, 1980) alors que le RMSEA devrait être inférieur ou égal à 0,080 (Hu et Bentler, 1999).

Une fois les échelles de mesure validées, les axes de potentialités entrepreneuriales ont été testés une nouvelle fois par le biais d’équations structurelles à T0 et à T1 en utilisant les mêmes critères que pour la validation des échelles. Un dernier modèle a finalement été testé avec les données collectées en T1 en différenciant le motif de la mobilité : la poursuite études ou la réalisation d’un stage. La figure 1 présente le modèle de recherche testé.

Par la suite, une classification par une méthode alliant les avantages de l’ascendante hiérarchique et de la nuée dynamique (Chanegrih et Creusier, 2016) sur la base des trois dimensions des potentialités entrepreneuriales a été mise en oeuvre afin de mieux définir le niveau de développement de ces mêmes potentialités entrepreneuriales après la mobilité internationalité donc en T1. Cette étape permet de passer d’un niveau d’analyse centré sur les variables à un niveau d’analyse centré sur les personnes. Plus spécifiquement, la construction de cette typologie suit les étapes suivantes. Une première nuée dynamique a été réalisée avec un nombre élevé de classes. Nous avons utilisé 1/10 de l’échantillon pour la réaliser. A partir de cette première analyse, les coordonnées de classe ont été enregistrées. Ces coordonnées ont ensuite été utilisées pour mener une ascendante hiérarchique. Ensuite, une nouvelle nuée dynamique a été menée avec les coordonnées des classes et le nombre final de profils. Cette étape est utile car elle permet aux chercheurs d’enregistrer les coordonnées finales des classes. Une dernière nuée dynamique a été réalisée sur l’échantillon d’origine en utilisant les coordonnées de classes finales et le nombre final de profils. Cette méthode étape par étape augmente considérablement le nombre de personnes bien classées à chaque étape par rapport à l’utilisation d’une seule méthode de classification.

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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Les résultats concernant la forme de ces profils ainsi que leurs fréquences d’apparition peuvent alors être étudiés. Pour finir, les profils mis au jour ont pu faire l’objet de tests par le biais de régressions logistiques multinomiales afin de faire ressortir les principales caractéristiques sociodémographiques associées statiquement de chaque profil mis au jour. Il est alors permis de savoir si le genre, l’âge, le niveau d’étude, la CSP parents, le type de suivi du projet ou encore la durée de la mobilité ont un impact sur la probabilité d’appartenance à un profil plutôt qu’à un autre. En d’autres termes, cela permet de mettre au jour si certaines caractéristiques personnelles ou de la mobilité sont plus importantes que d’autres pour appartenir aux profils ayant les plus fortes potentialités entrepreneuriales. Les résultats de ces analyses sont exposés dans la section suivante.

Principaux résultats

Les premiers résultats révèlent la bonne fiabilité des trois échelles de mesure puisque les valeurs de l’Oméga de Macdonald sont respectivement de 0.67, 0.68 et 0.76 pour la motivation, l’aptitude et le comportement entrepreneurial. Ces valeurs sont, en effet, toutes supérieures à la norme admise par la communauté scientifique. De plus, les résultats obtenus pour la validité des échelles, présentés dans le tableau n° 2, sont également tout à fait satisfaisants puisque le GFI, le NFI et le TLI sont toujours supérieurs à 0.900 alors que le RMSEA est lui systématiquement inférieur ou égal à 0.08. Ainsi, l’ensemble des échelles de mesures peuvent être légitimement utilisées pour la suite de l’étude.

Tableau 2

Validation des échelles de mesures par équations structurelles pour les étudiants ayant vécu un épisode de mobilité internationale

Validation des échelles de mesures par équations structurelles pour les étudiants ayant vécu un épisode de mobilité internationale

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Le tableau n° 3 présente les résultats de la validation du modèle structurant les potentialités entrepreneuriales pour les étudiants avant et après leur mobilité. Les indices d’ajustements montrent que le modèle est légèrement en dessous des normes admises par la communauté scientifique pour les étudiants qui n’ont pas encore réalisé leur expérience de mobilité internationale ce qui laisse penser qu’il n’est pas valide pour eux. En revanche, après leur mobilité l’ensemble des indices d’ajustement passent au-dessus des normes. Le modèle des potentialités entrepreneuriales devient ainsi valide. Ce résultat soutient donc très fortement l’hypothèse H1 : la mobilité internationale améliore les potentialités entrepreneuriales des étudiants.

En raffinant ce test par la séparation de la population sur le critère de la raison de la mobilité internationale, nous obtenons les résultats présentés dans le tableau n° 4. Ces résultats montrent que les conclusions obtenues pour la validation de l’hypothèse 1 doivent être nuancées. En effet, si les étudiants ayant eu une mobilité internationale pour effectuer un stage montrent des indices d’ajustement du modèle des potentialités entrepreneuriales très satisfaisants, ceux ayant été à l’étranger pour suivre des cours voient les indices d’ajustement du même modèle se dégrader. Ensemble, ces éléments soutiennent bien l’hypothèse H2a : Le motif de mobilité internationale impacte significativement l’amélioration des potentialités entrepreneuriales.

Tableau 3

Validation du développement des potentialités entrepreneuriales

Validation du développement des potentialités entrepreneuriales

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Tableau 4

Validation du développement des potentialités entrepreneuriales suivant les motifs de la mobilité internationale

Validation du développement des potentialités entrepreneuriales suivant les motifs de la mobilité internationale

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Plus spécifiquement, les résultats issus d’une série de tests t de Student montrent que les dimensions du modèle qui progressent significativement le plus après l’épisode de mobilité internationale sont celles de l’autonomie (p=4.10-9), de la confiance en soi (p=2.10-15), de la capacité conceptuelle (p= 9.10-12), d’adaptation (p= 1.10-19), d’action (p= 1.10-14) et de cognition (p= 6.10-19). Ces résultats montrent que six dimensions des potentialités entrepreneuriales apparaissent tels les porte-flambeaux des acquis de la mobilité internationale.

Pour affiner encore ces résultats, le passage à un niveau d’analyse centré sur les personnes et donc la création de profils sont nécessaires. Ainsi, une ascendante hiérarchique réalisées sur la base des trois dimensions du modèle des potentialités entrepreneuriales suggère l’existence de 3 profils comme le montre la figure 2. La nuée dynamique réalisée ensuite confirme bien ce résultat. En effet, le tableau 5 montre que la répartition des étudiants au sein des groupes est assez homogène et que le test converge en très peu d’itération pour chacun de ces groupes. Afin de faciliter la lecture des résultats, la figure 2 a été réalisée. Elle représente les valeurs moyennes de motivation, d’aptitude et de comportement entrepreneurial en fonction de leurs écarts types pour chacun des profils.

Figure 2

Classification des étudiants après mobilité internationale en fonction de leur profil de potentialités entrepreneuriales

Classification des étudiants après mobilité internationale en fonction de leur profil de potentialités entrepreneuriales

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Tableau 5

Résultats issus de la nuée dynamique

Résultats issus de la nuée dynamique

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Ainsi, le premier profil 1 représente 43.3 % de l’échantillon et montre que l’effet de la mobilité sur les potentialités entrepreneuriales est faible puisque les scores obtenus sont en dessous de la moyenne de l’échantillon pour chaque dimension. S’agissant du deuxième profil, il représente 33.3 % de l’échantillon et il présente des scores très proches de la moyenne pour chaque dimension du modèle. L’effet de la mobilité est dans ce cas bien plus perceptible sur les potentialités entrepreneuriales. Enfin, le troisième profil représente 23.4 % de l’échantillon et montre les scores les plus élevés sur chaque dimension du même modèle.

À partir de ce résultat des régressions logistiques multinomiales ont été réalisées avec l’ensemble des éléments sociodémographiques que nous possédions. Le tableau 6 regroupe ces résultats. Nous constatons ainsi que les étudiants du sexe féminin et ceux ayant une durée de mobilité faible, de moins de deux mois, ont significativement plus de chance d’appartenir au 1er profil, c’est-à-dire ceux ayant un niveau d’acquisition faible, plutôt qu’au profil n° 2 dont le niveau d’acquisition est plutôt élevé. Ces résultats soutiennent dès lors les hypothèses H3a : Le genre impacte la progression des potentialités entrepreneuriales et H2b : La durée de la mobilité impacte la progression des potentialités entrepreneuriales.

Tableau 6

Résultats de l’analyse typologique

Résultats de l’analyse typologique

OR= Odd ratio, **= sig à 0.05

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En revanche, lorsque l’on compare les chances d’appartenir à un de ces deux profils spécifiquement plus qu’à l’autre, on constate aussi que les autres caractéristiques : l’âge, le niveau d’études, la CSP des parents ne semblent pas avoir d’impact. Par ailleurs, si l’on compare les chances d’appartenir au profil n° 2 plutôt qu’au profil n° 3 (ceux ayant un niveau d’acquisition fort), on constate que la durée de la mobilité joue encore un rôle important puisque plus un étudiant sera parti longtemps et plus ses chances d’être dans le groupe du profil 3 sont grandes. En revanche, le genre ne joue plus de rôle significatif alors que l’âge et le niveau d’études sont cette fois déterminants. En effet, on constate que plus l’étudiant est âgé et plus son niveau d’études est élevé et plus ses chances d’appartenir au profil 3 sont grandes. Ces éléments soutiennent ainsi les hypothèses : H3b : L’âge impacte la progression des potentialités entrepreneuriales et H3c : Le niveau d’études impacte la progression des potentialités entrepreneuriales. Les leviers pour passer du profil 1 au profil 2 ou pour passer du profil 2 au profil 3 ne sont donc pas tout à fait les mêmes. Enfin, dans tous les cas, on constate que la CSP des parents n’augmente pas les chances d’appartenir à un profil ou à un autre et ne doit donc pas être un critère clé. Dans ces conditions l’hypothèse : H3d : La CSP des parents impacte la progression des potentialités entrepreneuriales doit être rejetée.

Discussion : Principaux acquis de la mobilité internationale et importance du stage professionnel

Un impact certain mais différencié de la mobilité internationale sur le développement des potentialités entrepreneuriales

Les résultats de notre recherche sont cohérents avec ceux de Dokou, Philippart et Karbouai (2018) qui démontraient que l’expérience internationale contribue au développement des potentialités entrepreneuriales. Ils en diffèrent bien sûr parce que la mobilité internationale de l’étudiant n’est pas assimilable à des phénomènes migratoires (Lee, 1966). Mais ils vont cependant plus loin en soulignant que les trois composantes de ces potentialités sont impactées dans certaines de leurs dimensions : l’autonomie (pour les composantes motivationnelles), la confiance en soi et la capacité conceptuelle (pour les aptitudes entrepreneuriales), l’attitude face aux changements, la cognition et l’action (pour le comportement entrepreneurial). Ces dimensions constituent aussi des marqueurs des compétences transversales que les étudiants en mobilité acquièrent (Berghoff et Taboadela, 2014). Ainsi, une expérience de mobilité internationale participe en soi au développement des potentialités entrepreneuriales. En effet, l’ouverture interculturelle, la capacité d’adaptation, la capacité à résoudre des problèmes, développées au fil de l’expérience de mobilité (Deligianni, 2017), expliquent une amplification des potentialités entrepreneuriales. Cette augmentation est cependant à nuancer dans la mesure où elle est plus importante pour un certain type de mobilité et qu’elle ne concerne pas identiquement tous les étudiants quel que soit leur profil. Ceci va dans le sens des travaux de Dubet (1994) et de Ballatore (2011) qui nuancent le profil des étudiants en fonction des expériences construites à partir de l’articulation projet-intégration-vocation. Les articulations qui génèrent les plus fortes potentialités relèvent de « l’expression d’un engagement social et professionnel plus marqué » (Endrizzi, 2010, p. 15).

Effectivement, notre recherche souligne qu’en matière de développement des potentialités entrepreneuriales, le type de mobilité importe. La validation statistique des échelles de progression des dimensions de ces potentialités (Morin et al., 2016) consacre l’importance du stage comme le type de mobilité le plus impactant. Le stage en général est une modalité d’apprentissage « learning by doing » qui sort l’étudiant de sa zone de confort en le confrontant à une réalité économique, sociale et culturelle différente (O’Neill, 2010). La qualité de l’apprentissage repose sur la motivation, une certaine organisation personnelle, l’ouverture aux opportunités et aux ressources mobilisables, les interactions avec différents acteurs (Denoux, 2014). Effectuer un stage à l’international renforce l’ouverture d’esprit, caractéristique d’individus manifestant une intention entrepreneuriale (Minichiello, 2016). Pour Talleu (2017), les compétences acquises dans le cadre de la mobilité se comprennent dans des écosystèmes d’acteurs et de dynamiques bien spécifiques. Or, une immersion en stage à l’étranger confronte l’étudiant à d’autres acteurs économiques baignant dans une autre culture, dans un autre environnement socio-économique que celui qu’il connaît. On pourrait ici relativiser ce résultat dans la mesure où l’impact du stage sur les potentialités entrepreneuriales serait non pas spécifique à la mobilité mais un effet classique de toute professionnalisation de cette nature. Notre étude a donc essayé de neutraliser ce biais en ne portant que sur des étudiants ayant déjà tous effectué un stage. Ainsi, l’augmentation des potentialités entrepreneuriales est bien propre à la mobilité internationale. Ce résultat est conforme aux observations de Deligianni (2017), tout en les enrichissant dans la mesure où il concerne des périodes de mobilité plus longue. Par ailleurs, la durée de la mobilité est un facteur notable qui permet (entre autres) de différencier dans notre échantillon trois profils d’étudiants. En effet, l’impact de la mobilité n’est pas identique pour tous. Il est faible pour ceux dont la durée de mobilité n’excède pas deux mois, tandis qu’il est d’autant plus fort que les étudiants sont partis longtemps. Ceci s’explique par la nature des compétences qu’ils acquièrent. Elles relèvent davantage de savoirs tacites dont l’appropriation nécessite un temps long (Reber et Lewis, 1977). Le profil d’étudiants les plus impactés est aussi défini par un niveau d’études élevé et un âge plus avancé, deux caractéristiques congruentes dans la mesure où un niveau d’études élevé suppose en principe que l’étudiant soit plus âgé. Cela est cohérent avec les constats portant sur le degré de plus grande instruction des entrepreneurs (Tremblay et al., 2019) et l’âge comme facteur influençant le développement des compétences et des structures cognitives au travers d’expériences vécues au fil du temps (Craik et Bialystok, 2006). Ces résultats confirment les conclusions émises par Erlich (2013) quant à l’impact du vécu antérieur et du niveau d’études sur le développement des compétences internationales des étudiants en séjour à l’étranger.

Enfin, en ce qui concerne la caractéristique personnelle du genre, le fait que les potentialités entrepreneuriales des étudiantes soient peu impactées par la mobilité peut être rapproché des travaux soulignant la faible proportion de femmes entrepreneures (Kelley et al., 2015) ou de femmes qui considèrent la carrière entrepreneuriale possible (Shinnar et al., 2018). Nos résultats apportent une contribution relative à la littérature sur l’entrepreneuriat féminin dans la mesure où, s’il a déjà été souligné que le passage de l’intention à la création est moins fréquent chez les femmes, il faut ici ajouter que leurs potentialités entrepreneuriales sont proportionnellement moins affectées par une mobilité internationale. Il ne s’agit pas de sélectionner les candidates sur ce seul critère bien sûr, mais plutôt de construire avec elles, si leur intention entrepreneuriale a été identifiée, un parcours en mobilité davantage axé sur le stage et donc une durée longue.

Retombées de la recherche

D’un point de vue pédagogique, le croisement de la mobilité internationale et des potentialités entrepreneuriales ouvre plusieurs perspectives au niveau de l’acquisition des compétences entrepreneuriales. Dans une perspective de cursus ouvert ou consacré à l’entrepreneuriat, la mobilité internationale constitue un vecteur de développement à ne pas négliger. À notre connaissance, c’est la première fois qu’elle peut être considérée comme une modalité pédagogique à part entière de l’enseignement de l’entrepreneuriat. Nos résultats peuvent nourrir certaines approches critiques et réflexives sur l’enseignement de l’entrepreneuriat, au-delà d’une logique le considérant comme un domaine professionnel allant de soi (« taken for granted ») (Fayolle, 2013, p. 699). En outre, dans une perspective non circonscrite à l’enseignement en soi de l’entrepreneuriat et donc en sortant du champ purement académique de l’entrepreneuriat, nos résultats démontrent que le départ à l’étranger, quel que soit le cursus des étudiants, impacte positivement leurs compétences entrepreneuriales. Cet impact doit bien sûr être identifié et explicité pour que les étudiants concernés en aient pleinement conscience. Il doit s’appuyer sur une sensibilisation d’une part, des étudiants à ce type d’acquisition et, d’autre part, de certains personnels universitaires.

Aussi, nos résultats peuvent intéresser le fonctionnement des services universitaires dédiés aux relations internationales et à l’entrepreneuriat. En effet, les contributions de notre étude s’attachent à éclairer les logiques d’action des étudiants et de leur famille en termes de projets d’études et de destination, et à explorer l’expérience professionnelle vécue à travers le stage en entreprise. Le stage professionnel apparaît comme une des conditions de transmission et d’appropriation des savoirs et des savoir-faire dans un contexte mondialisé. Notre grille de questionnement devient un outil d’évaluation des compétences que peuvent acquérir les étudiants en mobilité internationale. En amont, les étudiants peuvent être préparés à la démarche réflexive qui leur permettra au retour de prendre du recul sur les compétences développées lors de leur immersion culturelle. La prise en compte des actions conduites par les étudiants avant, pendant et après conduira à mieux apprécier les compétences développées. Il est même possible d’imaginer, à terme, un outil d’autoévaluation de telles compétences tant les résultats de notre recherche structurent les activités réflexives et de verbalisation des apprentissages effectués lors du séjour à l’étranger. C’est une autre manière de favoriser l’insertion professionnelle des diplômés à partir des actions pédagogiques ciblant à la fois l’entrepreneuriat et le salariat. Développer les potentialités entrepreneuriales chez les étudiants, c’est former de futurs chefs ou cadres d’entreprises (Lopez, Jubenot et Feigne, 2018).

Enfin en termes de politique de mobilité internationale, notre étude peut conduire certains décideurs institutionnels à privilégier des formes de mobilité au détriment d’autres, dans la mesure où les ressources ne sont pas infinies. Nos résultats montrent en effet qu’il vaut mieux statistiquement parlant envoyer des étudiants avancés dans le cursus et plus âgé pour effectuer un stage, afin de maximiser les chances de les voir revenir avec un fort impact sur leurs potentialités entrepreneuriales. Cette forme de mobilité axée sur la professionnalisation à un stade « avancé » des études est cohérente avec une logique d’employabilité (Calmand et al. 2018). Mais l’allocation privilégiée de ressources à cette forme de mobilité ne peut échapper à une réflexion sur les missions de l’université.

Conclusion

Les différentes analyses effectuées au cours de cette recherche mettent clairement en évidence l’impact de la mobilité internationale sur le développement des potentialités entrepreneuriales.

La statistique descriptive a permis d’apprécier l’effectivité de cet impact au niveau des dimensions relatives aux motivations, aptitudes et comportement entrepreneuriaux. Les composantes clés de ces potentialités connaissent une amélioration qui avoisine 20 % de progression. Les niveaux des plus-values mentionnées varient suivant les composantes des potentialités entrepreneuriales prises en compte. Mais surtout ils sont fonction du type de mobilité (le stage), de la durée du séjour et de certains déterminants personnels tels que l’âge, le genre et le niveau d’études. Ces résultats sont confirmés par l’analyse multidimensionnelle.

Un système éducatif destiné à sensibiliser, préparer et former aux valeurs d’esprit d’entreprendre doit prendre en considération l’importance de la mobilité internationale en général et du stage à l’étranger en particulier. Il doit aussi mettre en place un accompagnement pédagogique afin d’aider l’étudiant à prendre conscience de cet enrichissement de compétences et à mettre en valeur son potentiel entrepreneurial. Dans une société mondialisée, la mobilité internationale est non seulement un formidable levier d’ouverture aux autres cultures, mais aussi un stimulateur des potentialités entrepreneuriales.

Les limites de notre recherche résident dans le fait que les enquêtes réalisées au retour ont couvert des délais différents entre la fin de la mobilité et l’enquête. Certains étudiants ont répondu à l’enquête peu de temps après être rentrés, alors que d’autres ont participé à l’étude pour une mobilité internationale qu’ils avaient effectuée entre six semaines et trois mois auparavant. Or, on sait qu’il faut un certain délai pour que le transfert de compétences ait lieu après l’expérience à l’étranger, s’il a lieu (Berthoin Antal, 2001). Ce délai dépend aussi des caractéristiques personnelles ou cognitives de chacun. En pleine phase d’adaptation au retour, les compétences ainsi acquises ont souvent un caractère tacite – difficilement exprimable par des mots et les participants ont besoin d’une période d’introspection pour en prendre conscience. Il est donc possible que nos résultats aient été différents si tous les participants avaient attendu six mois ou plus avant de répondre à notre étude. Une autre limite a trait au fait que nous n’ayons pas collecté d’informations précises sur le contenu des missions ou sur les enseignements suivis dont certains ont peut-être été relatifs à l’entrepreneuriat.

Ainsi, plusieurs pistes de recherche sont possibles pour améliorer et compléter nos résultats. Il est envisageable d’affiner l’importance du stage en prenant en compte les missions confiées à l’étudiant, ainsi que, par exemple, la taille, le secteur d’activités et le système organisationnel des entreprises d’accueil. Une autre piste de recherche consisterait à vérifier si le contenu des cours suivis par les étudiants (par exemple des cours d’entrepreneuriat) durant leur séjour permet ou non de limiter les différences avec ceux qui ont réalisé un stage. Il pourrait également être envisagé d’inscrire une future recherche dans une complémentarité d’approches quantitative et qualitative qui, à partir des données issues des grandes enquêtes menées par des organismes comme l’Observatoire de la Vie Étudiante mettrait en oeuvre des analyses secondaires pour construire des questionnaires à visée qualitative pour des entretiens plus ciblés. Enfin, dans une approche plus internationale, il serait intéressant de développer une étude comparative cherchant à évaluer les différences d’impact au regard des systèmes éducatifs dont sont issus les étudiants.