Corps de l’article

Introduction

Cela pèse lourd, une absence. Bien plus lourd qu’une disparition. Parce que avec les morts, c’est commode, on sait qu’ils ne reviendront pas. Tandis que les lointains nous narguent ou nous font espérer[1].

S’il est des sections de notre Code civil sur lesquelles les professeurs de droit contemporains et leurs étudiants — sans parler des responsables de la formation professionnelle — ne jettent qu’un oeil distrait et amusé, celle sur l’absence en fait (à l’instar des dispositions sur les trésors et l’affrètement) très certainement partie. Les dispositions y étant contenues, lesquelles visent principalement la protection des intérêts des personnes disparues, ont, aux yeux de plusieurs, une allure anachronique.

Or, il est encore aujourd’hui des instances où les dispositions relatives à l’absence trouvent application devant les tribunaux[2]. Certes, ces situations sont relativement rares, vu le développement des technologies de recherche et de communication, mais elles n’en demeurent pas moins possibles. La disparition d’une soixantaine de personnes dans le récent incendie d’une tour de logement à Londres, et d’une centaine d’autres des suites d’un important éboulement dans le sud-ouest de la Chine, couplée à l’incapacité des autorités d’identifier ou même de retrouver plusieurs des corps dans ces cas, nous le démontre de manière tragique[3]. De même, l’institution de l’absence demeure nécessaire à une époque où les catastrophes naturelles sont, en raison de l’activité humaine, toujours plus fréquentes et meurtrières[4].

C’est face à l’éventualité de telles disparitions que le législateur québécois, loin d’abandonner l’institution de l’absence au moment de la réforme du Code civil, a plutôt décidé de la simplifier et de la moderniser, l’adaptant ainsi aux réalités contemporaines. Étant donné la rareté — et l’ancienneté — des ouvrages de droit québécois sur la question, ainsi que l’absence (!) d’écrits contemporains offrant un portrait global des origines et du développement de cette institution au Québec, il nous a semblé opportun d’ajouter, par le présent texte, notre contribution à cette discussion.

Nous proposons donc, dans cet article, d’observer les premières manifestations de cette institution en droit romain et dans l’ancien droit français, pour ensuite retracer les origines — historiques et conceptuelles — du droit québécois de l’absence, et de détailler son évolution, du Code civil du Bas-Canada jusqu’au Code civil du Québec.

Le présent texte vise également à mettre en relief l’influence qu’a pu avoir sur le droit québécois le traitement de l’absence dans les systèmes de droit continental — particulièrement les droits napoléonien et germanique. Il entend aussi s’attarder aux raisons ayant motivé le législateur québécois à abandonner l’idée propre au modèle napoléonien du maintien de l’incertitude quant à la vie ou la mort de l’absent, et ce au profit de celle issue du droit germanique selon laquelle la vie de l’absent devrait être présumée jusqu’à ce que la preuve à l’effet contraire soit suffisante. Il avance que c’est non seulement en raison de l’avancement technologique de l’époque, mais aussi devant le constat de l’impraticabilité du maintien de l’incertitude que s’est opérée cette transition.

Certains pourraient s’interroger sur l’utilité, à notre époque, de faire remonter la présente analyse aussi loin dans le temps. Or, l’étude d’une institution aussi ancienne que l’absence ne peut, selon nous, prétendre à quelque forme d’exhaustivité sans un survol préalable du droit romain et de l’ancien droit français en la matière, et ce aussi bref soit-il. Il en est ainsi car, comme le soulignait avec justesse le doyen Villequez dans son texte sur les origines du droit de l’absence :

Celui qui veut étudier le droit civil moderne dans ses sources, qui en sont le meilleur commentaire, ne rencontre guère de dispositions, même de détail, qui n’aient leurs racines dans la législation antérieure.

Si l’ancien principe a été conservé dans la loi nouvelle, son étude dans l’ancien droit peut seule en faire connaître exactement la portée et les conséquences. S’il a été rejeté, la connaissance de l’ancien droit, en nous révélant le motif qui l’a fait écarter, les conséquences qui en étaient déduites, nous mettra à même de trouver les justes limites que la règle nouvelle doit recevoir dans son application[5].

En d’autres termes, une meilleure compréhension de ce qui est passe par une étude de ce qui était. Gardant ces paroles à l’esprit, un tour d’horizon du traitement de la question de l’absence par le droit romain et l’ancien droit français nous parait constituer un point de départ plus qu’approprié à la présente réflexion.

I. Le droit romain : du caractère exceptionnel de l’absence

A. Un ensemble de règles éparses

Le droit romain, malgré sa grande prévoyance, ne contenait aucun corpus exhaustif, uniforme et englobant, de règles sur l’absence[6]. Cela s’explique du fait que l’absence était alors vue comme une situation exceptionnelle, voire extraordinaire, dont la loi n’avait pas à se soucier. Celle-ci, croyait-on, ne devait s’attarder qu’à ce qui arrive le plus fréquemment[7].

Comme le note Gaston Behenne, Rome « ne semblait pas admettre qu’un citoyen romain désertât sa patrie et abandonnât, même momentanément, les avantages qu’elle lui procurait »[8]. Outre le commerce, alors peu encouragé[9], et la guerre, laquelle laissait planer peu de doutes sur les raisons d’une disparition[10], les causes de déplacement étaient limitées, et rendaient les absences excessivement rares.

Dans ces circonstances, l’absence « ne méritait pas que le législateur appliquât sa sollicitude à introduire des règles [...] pour la conservation des droits de celui qui avait porté ses espérances et son industrie hors du sein de sa famille »[11]. Du moins, il semble que la nécessité d’un système complet, qui contiendrait l’ensemble des règles relatives aux conséquences de l’absence, ne se faisait alors pas sentir.

Seules quelques règles éparses permettaient donc, çà et là en droit romain, d’obvier à l’incertitude et aux inconvénients découlant d’un état d’absence.

En ce qui a trait, par exemple, aux militaires et aux prisonniers de guerre, il était prévu que leurs biens étaient « administrés par des parents ou par des amis » jusqu’à leur retour[12]. Cette idée de l’administration par un tiers des biens du disparu, pour la durée de la période d’absence, perdure encore aujourd’hui dans plusieurs systèmes de droit. Si les militaires « revenaient, ils étaient considérés comme n’ayant jamais quitté la patrie »[13]. Dans l’éventualité où, au contraire, on les savait morts en captivité, ils étaient réputés l’avoir été dès le début de celle-ci, aux fins notamment de la succession[14]. De l’avis des auteurs, ces fictions juridiques, « dont l’application était assez fréquente, avaient paru suffire pour régler les successions et les autres droits échus au prisonnier pendant son absence »[15].

Le rapport entre l’état d’absence et le mariage faisait, lui aussi, l’objet de l’attention du législateur. Le Digeste consacrait, par exemple, « le droit pour le fils de famille de se marier sans le consentement de son père, s’il s’est écoulé plus de trois ans » depuis la disparition de ce dernier[16]. De même, il reconnaissait de se remarier à la femme demeurée sans nouvelles, pendant quatre années, de son mari parti en guerre[17]. Après avoir porté le délai à dix ans, l’empereur Justinien mit un terme à cette possibilité[18], jugée alors par certains comme étant « souvent funeste aux [enfants], à des tiers, et aux époux eux-mêmes »[19]. Seule la présentation de la preuve certaine que l’époux absent était décédé suffisait alors[20]. Comme nous le verrons en détail ci-dessous, il faudra attendre longtemps avant que le remariage soit à nouveau permis aux épouses des absents.

Le droit romain fournissait donc, en quelques matières du moins, des règles ponctuelles pour faire face aux défis posés par la non-présence d’une personne[21]. Celle-ci y était alors confondue avec l’idée d’absence, laquelle, comme nous le verrons plus loin, a depuis été entendue en droit comme impliquant nécessairement, en plus de la non-présence, « l’incertitude de l’existence de la personne disparue »[22]. Sans vouloir devancer l’analyse, notons simplement que la non-présence d’une personne, bien qu’encore une condition de l’absence, ne lui équivaut plus aujourd’hui.

B. Problèmes découlant de cette approche

Outre l’absence d’un système uniforme et complet en la matière, deux problématiques sérieuses découlaient de l’échafaudage législatif romain.

D’une part, en ce qui concerne « l’ouverture des droits subordonnés au décès de l’absent »[23], un problème se posait dans la mesure où, « tant qu’il y avait incertitude sur l’existence d’une personne, ceux qui avaient [de tels droits] à exercer sur son patrimoine ne pouvaient les faire valoir »[24]. Pour ce faire, de l’avis des auteurs, « on devait sans doute attendre la preuve du décès de l’absent [...] ou l’expiration du délai de cent ans écoulés depuis sa naissance »[25]. Un délai si long, on le comprendra, pose certains problèmes sur le plan successoral et, tel que discuté précédemment, sur le plan matrimonial.

D’autre part, tout porte à croire que, selon la règle générale, la preuve de l’existence du disparu était nécessaire à l’exercice des droits subordonnés à sa vie[26]. Ces droits ne pouvaient donc, eux non plus, être exercés pendant l’absence. On peut penser, par exemple, au droit de l’absent d’hériter.

Malgré ces problèmes, « [l]’élaboration d’une théorie complète sur l’absence fut lente à se former », l’absence n’étant pas un « état habituel et normal dans [nos] vie[s] », mais bien un « accident plus ou moins passager » de celles-ci[27].

II. L’ancien droit français : À la recherche d’un tout cohérent

Les auteurs français situent à la fin du dix-huitième siècle, et au début du dix-neuvième, le commencement de l’organisation d’une véritable théorie complète de l’absence[28].

Avant cette période, les rois français s’en étaient remis à l’idée selon laquelle l’absence est une chose extraordinaire qui ne mérite pas l’attention du législateur. Le soin d’encadrer cette réalité croissante fut alors « abandonné à la sagesse des magistrats », ce qui mena, de l’avis des auteurs, à un certain arbitraire[29].

Les conséquences de l’absence divergeaient alors selon les us et coutumes de chaque territoire français, sans que quelque cohérence puisse véritablement en ressortir. Certes plus volubile que le droit romain sur la question, l’ancien droit français ne pouvait cependant se targuer d’avoir une législation claire et complète en ce qui concerne l’absence[30].

La Révolution française amena sur ce front plusieurs changements[31]. La première législation réelle quant à l’absence fut adoptée par L’Assemblée Constituante, et des lois transitoires suivirent en 1790, 1791 et 1792, certaines se rapportant exclusivement aux militaires absents[32].

III. Le Code Napoléon : l’absent, un mort vivant?

Le titre Des absents du Code Napoléon est finalement présenté au Conseil d’État en septembre 1801, pour être adopté et promulgué en mars 1803[33]. La France se dote alors de son premier système de loi uniforme et cohérent sur l’absence.

A. Le droit antérieur

Le titre Des absents du Code Napoléon constitue, aux yeux de plusieurs, « l’oeuvre propre de ses rédacteurs, créateurs d’un droit nouveau, dans la plus grande partie au moins des articles qui le composent »[34]. Or, le doyen Villequez ne manque pas de rappeler que la « somme des dispositions empruntées [...] à la législation qui régissait la France avant sa promulgation est de beaucoup supérieure à celle des dispositions qu’ils ont rejetées »[35].

La tâche à laquelle se sont attelés les rédacteurs consistait davantage à trancher les controverses qui s’étaient élevées par le passé en cette matière, et à uniformiser le tout, plutôt que de partir à neuf. Il leur incombait de rendre constantes des règles incertaines, d’en conserver quelques-unes et d’en élaguer d’autres, pour ensuite les ordonner de façon cohérente. Travaillant à partir du fertile terreau jurisprudentiel développé au fil d’années de discussions sur la question, ils comblèrent certaines lacunes, ordonnèrent l’ancien et le nouveau en un tout harmonieux et en firent, selon Behenne, un corps régulier et suffisant[36].

B. Les nouveautés

Aussi utile ait pu être la législation antérieure aux rédacteurs du Code Napoléon, ceux-ci ont néanmoins innové.

D’une part, bien que le Code ne contienne pas de définition des termes absent et non-présent, le modèle napoléonien distingue dans le langage du droit ces deux notions[37]. Le premier terme désigne, selon ce que note Picot, « une personne qui a disparu de son domicile, dont on n’a point de nouvelles et sur l’existence de laquelle il existe des doutes plus ou moins probables »[38]. On comprend de la doctrine que pour bénéficier de la protection du législateur sous ce titre, l’absent devait rencontrer trois conditions, soit d’avoir élu domicile en France (i), d’être disparu (ii), et de n’avoir point donné de nouvelles depuis sa disparition (iii) — ce qui jette un doute sérieux sur son existence. Le terme non-présent vise, quant à lui, la personne qui ne se trouve pas au lieu de son domicile, mais sur l’existence de laquelle ne pèse aucun doute sérieux.

D’autre part, l’apport du Code est d’avoir clairement divisé la durée de l’absence en trois périodes, chacune étant rattachée à certains droits et devoirs relatifs à la conservation et l’administration des biens de l’absent[39]. L’idée derrière cette division était que l’incertitude quant à la vie de l’absent évolue à mesure que le temps s’écoule depuis sa disparition, et que la protection qui lui était accordée par la loi devait se moduler en conséquence[40]. La clarté que cette division apporta sur un domaine jusqu’alors confus du droit a d’ailleurs été saluée par plusieurs.

C. L’incertitude

De par les innovations discutées ci-haut, le modèle napoléonien formalise en droit le principe du maintien de l’incertitude sur la vie ou la mort du disparu; l’absent n’est, aux yeux des rédacteurs du Code, « ni vivant ni mort »[41]. Comme le dit Behenne, citant Demolombe, « la présomption de vie et la présomption de mort obtiennent tour à tour l’une sur l’autre des avantages partiels, mais [...] ni l’une ni l’autre ne règn[e] jamais sur tous les points absolument et sans partage »[42]. Cette idée, au coeur du droit napoléonien de l’absence, a eu un impact considérable sur la formation du droit québécois de l’absence, comme nous le verrons plus loin.

D. Les périodes d’absence

Un bref survol du régime napoléonien de l’absence, et des trois périodes qu’il établit, soit celle de la présomption d’absence, de la déclaration d’absence, et de l’envoi en possession définitive, s’impose à ce stade. C’est que les notions esquissées ici nous permettront une meilleure compréhension de l’inspiration derrière le régime du Code civil du Bas-Canada.

La première période, dite de la présomption d’absence, débutait au moment de « la disparition de l’absent, ou quand le défaut de nouvelles [faisait] douter de son existence »[43]. Elle se prolongeait jusqu’à la déclaration d’absence, à moins, bien sûr, « qu’elle n’ait préalablement cessé par le retour de l’absent ou la constatation de son existence ou de son décès »[44].

Le retour de l’absent pouvant encore être présumé à ce stade, la préservation de ses intérêts se devait d’être, selon le droit napoléonien, « le but principal de la sollicitude du législateur »[45]. Il revenait donc aux tribunaux, en vertu du Code Napoléon, de pourvoir à l’administration des biens de l’absent lorsque la nécessité s’en faisait sentir, et qu’une requête à cet effet était déposée par les parties intéressées[46]. Concrètement, le juge se trouvait alors autorisé, sur demande des parties intéressées[47], à édicter les mesures d’urgence nécessaires à la protection des biens de l’absent[48].

La seconde période commence, quant à elle, par la déclaration d’absence. Cette déclaration judiciaire pouvait être demandée au tribunal par les parties intéressées lorsque l’absent avait « cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, et que depuis quatre ans on n’en [avait] point eu de nouvelles »[49]. Notons que la décision de constater formellement l’absence n’était pas prise à la légère par le tribunal[50]. Le Code Napoléon prévoyait notamment la tenue d’une enquête[51]. Selon Behenne, « les rédacteurs du Code [...] ont pris toutes les mesures nécessaires pour faire parvenir la demande en déclaration d’absence à la connaissance de l’absent »[52]. C’est que le présumé absent se devait d’être avisé des conséquences néfastes pouvant découler de la situation dans laquelle il se trouvait. L’opportunité lui était donc donnée de faire connaître son existence, et d’ainsi mettre un terme à ce fâcheux état de fait[53]. Qui plus est, le tribunal se devait, conformément à l’article 117, de s’attarder « aux motifs de l’absence, et aux causes qui ont pu empêcher d’avoir des nouvelles de l’individu présumé absent »[54].

Ce souci du législateur illustre que, durant cette seconde période, bien que « l’idée de [la] mort de celui qui a disparu acquiert plus de force »[55], celle de son retour possible n’en est pas pour autant complètement écartée[56]. C’est pourquoi, comme nous le verrons ci-dessous, une balance est assurée par le Code entre les intérêts de l’absent, et ceux des personnes qui ont à exercer des droits subordonnés à son décès. On y voit là une manifestation du maintien de l’incertitude sur la vie ou la mort de l’absent.

La conséquence principale de cette déclaration d’absence, et du début de cette seconde période, est que les héritiers présomptifs peuvent alors se voir octroyer la possession provisoire « des biens qui appartenaient à l’absent au jour de son départ ou de ses dernières nouvelles », le tout « à la charge de donner caution pour la sûreté de leur administration »[57]. La probabilité du décès du disparu étant, à ce stade, plus grande qu’auparavant, les rédacteurs du Code ont trouvé « juste de ne pas paralyser plus longtemps l’exercice, du moins provisoire, des droits subordonnés à cette condition »[58]. L’absence déclarée permet ainsi que soient provisoirement exercés « les droits que le décès prouvé ouvrirait d’une façon définitive sur les biens [...] appartenant [à l’absent] lors de ses dernières nouvelles »[59].

Cette possession présentait tout de même certaines limites en raison de son caractère temporaire et incertain. En effet, le légataire présomptif n’acquérait pas, de par l’envoi en possession, la propriété des biens de l’absent. On ne lui reconnaissait qu’une forme « de dépôt judiciaire, qui consist[ait] dans le droit d’administrer les biens et de profiter d’une part des fruits »[60]. Les biens en dépôt ne pouvaient pas, de ce fait, être cédés. Quant aux immeubles de l’absent, ils ne pouvaient être ni hypothéqués, ni affectés de droits d'usage, d'usufruit ou de servitudes[61]. C'est sans compter que le légataire présomptif devait rendre à l’absent une partie des revenus accumulés, si celui-ci reparaissait avant que se soient écoulés trente ans depuis sa disparition[62].

Il convient aussi de noter que, selon le Code Napoléon, la communauté de biens pouvait être continuée dans le cas où l’époux présent le demandait. L’envoi en possession provisoire pouvait, ainsi, être évité par ce dernier[63]. L’époux conservait alors, par préférence, l’administration des biens. Picot jugeait utile de préciser, à cet égard, que si l’époux a « opté pour la continuation de la communauté, c’est parce qu’il espérait le retour de son conjoint »[64]. Là encore, la probabilité croissante de la mort du disparu n’éclipsait pas toute espérance de son retour.

Compte tenu du maintien de l’incertitude absolue quant à la vie ou la mort du disparu, si caractéristique au modèle napoléonien, l’envoi en possession des biens de l’absent sous ce régime ne visait toutefois pas ceux faisant « partie de successions ouvertes depuis les dernières nouvelles »[65]. En effet, l’effet combiné de l’incertitude qui pèse toujours sur l’existence de l’absent au moment de l’ouverture de ces successions, et de la non-reconnaissance par le droit de l’époque d’une présomption de vie, faisait considérer l’absent comme n’étant pas héritier[66]. Il en découle que celui qui réclamait un droit au nom d’un individu dont l’existence n’était pas évidente devait prouver que ce dernier était en vie, ce qui revenait à priver l’absent de la possibilité d’hériter [67].

On pourrait donc dire, comme Behenne, que, bien qu’elle ne prime jamais, « c’est la présomption de mort qui domine dès les premiers jours » en ce qui a trait « aux droits éventuels qui s’ouvrent au profit de l’absent depuis sa disparition »[68].

Le Code Napoléon prévoyait toutefois, afin d’éviter les iniquités, que la succession réputée ouverte au profit d’un absent serait dévolue non seulement à ceux avec lesquels il aurait concouru, mais aussi « à ceux qui l’auraient recueillie à son défaut »[69]. Les biens en question entraient alors directement dans le patrimoine de ces héritiers, et ce comme leur part propre, non comme celle de l’absent. Ne leur étaient donc rattachés aucune des obligations de conservation et d’inventaire prévues, au profit de l’absent, en cas d’envoi en possession provisoire[70].

Ce maintien de l’incertitude sur l’existence de l’absent, qui a par la suite été reprise dans le Code civil du Bas-Canada, pouvait ainsi engendrer des situations fâcheuses auxquelles, nous le verrons plus loin, ont tenté de répondre les rédacteurs du Code civil du Québec.

Lorsque trente ans s’étaient écoulés depuis la déclaration d’absence, ou cent ans depuis la naissance de l’absent, la troisième période débutait. Les ayants-droit pouvaient alors « demander le partage des biens de l’absent, et faire prononcer l’envoi en possession définitif »[71]. Entre les héritiers présomptifs, « l’envoi définitif ouvre une véritable succession et met les choses dans l’état où elles seraient placées par le décès prouvé de l’absent »[72]. Ceux qui, après cette date, obtenaient des biens appartenant à l’absent, en étaient alors les propriétaires. Ils pouvaient donc les aliéner et les hypothéquer en toute liberté[73].

Comme le notait à cet égard Behenne, citant Bigot-Préameneu, le Code Napoléon reconnait ainsi qu’« [i]l est un terme [...] au delà duquel il ne serait ni juste ni conforme à l’intérêt public de laisser les héritiers dans un état aussi précaire »[74].

Quant à l’administration des biens de l’absent, la présomption de mort était, à ce stade, jugée comme ayant une force équivalente à la certitude[75]. L’absent était donc, à cet égard seulement, « réputé mort du jour de sa disparition ou de ses dernières nouvelles »[76]. Advenant le retour de l’absent, celui-ci n’avait droit « [qu’]au recouvrement de ses biens encore existants, dans l’état où ils se trouv[ai]ent »[77].

Ainsi, sous l’égide du Code Napoléon, l’idée voulant que l’absent soit présumé ni mort ni vivant ne perdure, aux fins de l’administration de ses biens, que jusqu’à l’envoi en possession définitive, moment à partir duquel l’absent est réputé mort[78].

Or, quelque longue était l’absence, elle ne dissolvait pas le mariage[79], et une nouvelle union ne pouvait être contractée que sur présentation de l’acte de décès de l’absent[80]. Behenne se demandait d’ailleurs si l’on pouvait considérer, « relativement au mariage, que la présomption de vie dure à l’infini, puisque l’absence, si prolongée qu’elle soit, ne peut jamais le dissoudre »[81].

Il était prévu, de plus, que si l’époux présent s’était remarié, en ayant été « induit en erreur par un faux acte de décès » ou en ayant « trompé l’officier de l’état civil en se disant célibataire », l’époux absent pouvait, s’il reparaissait, contester ce mariage[82]. La pratique voulait aussi qu’en « cas de certitude évidente de l’existence de l’absent, le ministère public p[ouvait], dans l’intérêt de la morale publique et de la dignité du mariage », demander la nullité de la nouvelle union, vue alors comme « une scandaleuse bigamie »[83].

On peut donc dire que l’incertitude sur l’existence n’est pas entièrement écartée par l’envoi en possession définitive. Il demeure des domaines où elle perdure bien après que le délai de trente ans depuis la déclaration d’absence se soit écoulé.

En somme, devant l’impossibilité pratique du maintien absolu de l’incertitude quant à l’existence de l’absent, le législateur français en est venu à adopter, en quelque sorte, des présomptions différentes en fonction des circonstances. À certains égards, le Code Napoléon favorise la présomption de mort, notamment quand sont impliqués des droits subordonnés à la vie de l’absent. Or, à d’autres égards, par exemple, lorsqu’il est question de lien matrimonial, il penche plutôt pour une présomption de vie de longue durée. Notons que le législateur maintient ces présomptions simultanément, sans que l’une n’ait jamais complètement le dessus sur l’autre. Le système qui en découle se révèle donc, en pratique, pour le moins incohérent.

IV. Le Code civil du Bas-Canada : le doute persiste

A. L’inspiration française

En vigueur de ce côté de l’Atlantique à compter de 1866, le C.c.B.-C. s’inspire fortement, en ce qui concerne l’absence, du modèle napoléonien.

La définition que le C.c.B.-C. donne à l’article 86 de la notion d’absent ressemble en tous points à celle retenue, en pratique, sous le Code Napoléon. L’absent se doit, en effet, d’avoir élu domicile dans la province (i), d’être disparu (ii), et de n’avoir donné, depuis sa disparition, aucune nouvelle de son existence (iii). La distinction entre l’absent et le non-présent est, elle aussi, conservée[84].

Le C.c.B.-C. reprend également, avec certaines adaptations, notamment de natures terminologiques, les périodes du droit napoléonien, soit celle de la présomption d’absence, rebaptisée curatelle aux absents; de la déclaration d’absence, remplacée par l’envoi en possession provisoire; et de l’envoi en possession définitive[85].

Plus encore, il préserve l’idée « [qu’u]n absent n’est aux yeux de la loi ni mort ni vivant »[86]. Le droit québécois de l’époque ne se distingue donc pas de son homologue français en ce qui a trait aux effets de l’absence sur l’exercice des droits subordonnés à la vie ou à la mort de l’absent, ou encore sur la question du mariage.

Selon l’article 105 du C.c.B.-C., l’absent était, comme en droit français[87], exclu des successions à venir[88]. En d’autres termes, il était « complètement ignoré, considéré comme n’existant pas au moment de l’ouverture de la succession »[89]. Cela étant dit, le C.c.B.-C. prévoyait, à l’instar du Code Napoléon, que la succession pouvait être dévolue à ceux qui l’auraient recueillie à défaut de l’absent[90].

Dans la même optique, l’article 104 du C.c.B.-C. dispose que celui qui réclame un droit qu’il prétend lui venir de l’absent doit prouver que ce dernier existait au moment où le droit s’est ouvert[91]. Sans cette preuve, la demande était irrecevable[92]. La règle selon laquelle celui qui allègue une chose doit la prouver, et celle voulant que l’incertitude quant à l’existence de l’absent perdure, sont toutes deux à la source de cet état de fait[93].

Le C.c.B.-C. reprend aussi la règle de droit français voulant que l’absence, aussi longue soit-elle, ne dissout pas le mariage. Il innove néanmoins, si l’on peut dire, en codifiant ce principe à son article 108, alors que celui-ci n’était qu’implicite au Code Napoléon[94]. De plus, cet article dispose qu’une nouvelle union ne peut être contractée qu’advenant la preuve certaine du décès de l’absent. Or, le C.c.B.-C. ne connaissait alors, comme preuve du décès, que l’acte de sépulture, lequel ne pouvait être dressé lorsque « le cadavre n’a[vait] pu être retrouvé ou identifié »[95].

Le principe du maintien de l’incertitude quant à la vie ou la mort de l’absent, principe issu du modèle napoléonien, est ainsi maintenu en droit québécois[96].

B. Les particularités du C.c.B.-C.

Cela étant, le C.c.B.-C. ne manque pas de se distinguer du modèle napoléonien en ce qui a trait à d’autres aspects du droit de l’absence. Ces distinctions ont notamment pour objet de contrer certaines conséquences néfastes du maintien de l’incertitude sur la vie ou la mort. Les Commissaires du C.c.B.-C précisent, dans leur second rapport, que :

Le mérite incontestable [du modèle napoléonien] a d’abord fait désirer de l’adopter en entier, sauf quelques changements indispensables. Le travail nécessaire à cette fin avait même été préparé ; mais comme il fallait, avant tout, établir la loi telle qu’elle existe, abstraction faite de ce qu’elle pourrait ou devrait être, les Commissaires, pour remplir ce devoir, ont dû compulser les anciennes lois françaises, les statuts provinciaux, la jurisprudence et les usages de nos tribunaux se rapportant au sujet.

Une fois fait, ce dernier travail, qui, au reste, comprend une partie de celui du code, s’est trouvé former un ensemble de dispositions qui, au mérite d’être en harmonie avec notre jurisprudence actuelle, réunissait celui de régler d’une manière correcte et suffisante, dans l’opinion des Commissaires, les questions que soulève l’absence. C’est pour ces raisons, qu’ils soumettent le présent titre en préférence à celui du Code Napoléon, dont il diffère sous plusieurs rapports[97].

Par exemple, on remarque que, contrairement à son homologue français, le C.c.B.-C. prévoit le pouvoir du tribunal de nommer un curateur aux biens de l’absent[98]. L’usage d’un curateur, inspiré du droit romain et de l’ancien droit français, avait été consciemment écarté par les rédacteurs du Code Napoléon, au motif qu’il était problématique à maints égards[99]. Le législateur québécois n’y vit vraisemblablement pas une raison de s’en départir et, pour en limiter les risques, a soumis cette nomination à la décision du tribunal; a imposé aux curateurs de prêter serment; et a explicitement limité l’étendue de leurs pouvoirs[100].

De plus, le C.c.B.-C. dispose à l’article 94 que la possession provisoire peut être ordonnée avant l’expiration du délai de cinq ans depuis la disparition, « s’il est établi, à la satisfaction du tribunal, qu’il y a de fortes présomptions que l’absent est mort »[101]. Bien que présente sous l’ancien droit français, et défendue par des auteurs[102], une telle possibilité n’était pas prévue par le Code Napoléon[103].

Ce choix du législateur québécois représente, selon nous, une prise en considération louable des intérêts des personnes ayant des droits subordonnés au décès de l’absent, et une volonté accrue d’arrimer le régime de l’absence à la réalité. Il constitue aussi, dans une certaine mesure, un présage des réformes à venir.

V. Réforme du C.c.B.-C. : Chronique d’une mort déclarée

En décembre 1964, le navire Marie-Carole, parti en mer depuis les Îles-de-la-Madeleine pour une expédition de pêche, sombre lors d’une tempête au large du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Les cinq hommes à son bord, pères de dix-neuf enfants, sont introuvables[104]. Cette tragédie, en plus d’inspirer chansons populaires et ouvrages divers[105], mènera aussi à l’adoption, par la législature, d’une loi privée.

C’est que le droit québécois de l’époque ne reconnaissait comme preuve civile du décès que l’acte de sépulture, lequel ne pouvait être confectionné dans les cas « où le cadavre n’a[vait] pu être retrouvé ou identifié, de même que ceux, moins spectaculaires, où une personne décédée dans la province a[vait] été inhumée hors de cette province »[106]. Dans ces situations où l’acte de sépulture ne pouvait être dressé malgré le peu de doute qui demeurait quant au décès des absents, le droit de l’époque n’offrait pas de solution satisfaisante. D’une part, le titre « Des absents » du C.c.B.-C. proposait le mécanisme de l’envoi en possession définitive, avec les limites qu’on lui connaît. D’autre part, le recours à la législature par voie de bill privé constituait une procédure aussi lourde que couteuse[107].

C’est dans ce contexte que la législature adopte, en 1966, la Loi concernant le naufrage du navire Marie-Carole, laquelle établit, entre autres choses, « que les cinq personnes à bord sont disparues au cours de ce naufrage et qu’il y a lieu de présumer qu’elles sont mortes à cette date », soit autour du 2 décembre 1964[108]. Il y est même précisé, dans le préambule, « qu’il a été impossible, jusqu’à ce jour, d’obtenir les certificats de décès pour les victimes de cet accident » et que, conséquemment, « les légataires, héritiers et représentants légaux de ces victimes ne peuvent procéder à la vérification des testaments non plus qu’au règlement des successions »[109].

En mai 1968, le Comité de l’état civil et de la célébration du mariage de l’Office de révision du Code civil présente au professeur Paul-André Crépeau, son président, un rapport préliminaire sur les jugements déclaratifs de décès. Il y propose, pour l’essentiel, « le recours aux tribunaux comme solution afin que dans les cas où cela s’impose, un jugement déclaratif de décès puisse être prononcé » à l’égard d’une personne pour laquelle ne peut être dressé un acte de sépulture[110]. Cette recommandation fera l’objet d’un second rapport, celui-là publié en 1969[111].

Est finalement adoptée en 1969 la Loi concernant les jugements déclaratifs de décès[112], laquelle amende le C.c.B.-C. afin que puisse être déclaré judiciairement tout décès survenu au Québec, « dans les cas où, de l’avis du tribunal, [ce dernier] peut être tenu pour certain sans qu’il soit possible de dresser un acte de sépulture »[113]. Les héritiers de l’absent se voient ainsi accorder un choix selon les circonstances, soit de demander l’envoi en possession provisoire, par le biais des articles 93 et 94, s’ils gardent espoir de le revoir en vie, soit d’obtenir un jugement déclaratif de décès.

Dans ce dernier cas, deux conditions ressortent du libellé de l’article 70 : le décès doit être tenu pour certain, et il doit être impossible d’obtenir un acte de sépulture. Le tribunal devait apprécier « les présomptions qui résultent des faits et ordonn[ait], s’il le juge[ait] utile, un complément d’enquête sur les circonstances de la disparition »[114]. Le jugement faisant droit à une telle requête était ensuite retranscrit dans les registres de l’État civil, et avait la même autorité qu’un acte de sépulture[115].

De cette manière, le C.c.B.-C. accorde des statuts juridiques différents à l’absent, dont l’existence demeure incertaine, et au disparu, dont le décès relève de la quasi-certitude, mais dont la dépouille est introuvable[116]. Ce dernier « est tenu pour décédé à compter du jour fixé par le tribunal », ne possède plus de personnalité juridique, et voit sa succession ouverte ainsi que son mariage dissous[117].

Cet amendement au C.c.B.-C. représente donc un rejet, du moins un rejet partiel, du principe napoléonien du maintien de l’incertitude quant à la vie ou la mort de l’absent, en ce qu’il fait primer la présomption de mort. Notons d’ailleurs que la France a, en 1945, elle aussi mis en place son propre régime de la disparition dans l’optique avouée de pallier à la « lourdeur des règles napoléoniennes »[118]. Ce régime s’appliquait, en France, « lorsque les circonstances [...] rend[aient] très probable le décès parce qu’il y avait eu péril de mort »[119]. On ne saurait s’étonner du fait que cette modification législative soit survenue en France en 1945, cette année marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conflit militaire le plus meurtrier de l’histoire. 

La présomption de mort consacrée par un jugement déclaratif de décès n’en demeurait pas moins réfragable. Dans l’éventualité où la personne disparue reparaissait, l’article 73 du C.c.B.-C. prévoyait que les effets du jugement déclaratif de décès cessaient, et que le revenant pouvait recouvrer ses biens dans l’état où ils se trouvaient, de même que la valeur de ceux qui avaient été aliénés.

Il importe de souligner que « [l]e retour du disparu entraîn[ait] également la nullité du second mariage que [le] conjoint aurait pu contracter durant l’intervalle »[120]. Cela dit, comme le note la professeure Deleury, la bonne foi qui transparaissait du jugement déclaratif de décès faisait généralement en sorte que les règles du mariage putatif s’appliquent. Le second mariage, bien qu’annulé, produisait donc encore certains effets légaux.[121].

Quoique majoritairement saluée comme une avancée d’importance en la matière, la réforme de 1969 fut aussi considérée par certaines comme trop restreinte. D’une part, la professeure Lauzon soulignait que, pour obtenir un jugement déclaratif de décès, il fallait « une forte présomption de décès[,] laquelle n’existe vraiment que dans des cas de tragédies aériennes, maritimes ou autres »[122]. Référant à ce qui semblait être un fléau de l’époque, elle faisait remarquer, de manière plutôt imagée, qu’« [e]n aucun temps pourrait-on y recourir dans le cas du bon-père-de-famille-parti-acheter-un-paquet-de-cigarettes qui n’est jamais revenu »[123].

D’autre part, la professeure Deleury affirmait « regrett[er] [...] que le législateur n’ait pas profité de son intervention pour modifier le régime général de l’absence, vu les difficultés qu’il implique sur le plan successoral »[124]. Elle critiquait notamment la longueur des délais, précisant qu’il est plutôt ardu, à notre époque, « d’imaginer qu’une personne puisse demeurer plus de trente ans sans donner de ses nouvelles »[125].

Comme nous le verrons, ces doléances ont trouvé réponse lors de l’adoption du CcQ Il convient toutefois, avant de s’y attarder, de traiter d’un dernier amendement au C.c.B.-C., lequel s’est révélé important pour la réforme à venir. En 1974, le législateur québécois décide de procéder à la modernisation et à la réorganisation des dispositions concernant le contrat d’assurance. Est adopté, dans le cadre de cette réforme, l’article 2529 du C.c.B.-C., lequel prévoit que « le bénéficiaire de l’assurance-vie souscrite par l’absent avant qu’il ne disparaisse » peut obtenir du tribunal, suite à une absence de sept ans, une déclaration de présomption de décès, ce qui lui permettait de réclamer le versement du capital[126].

Par ces modifications au C.c.B.-C., le législateur crée une première brèche dans le rempart du maintien de l’incertitude absolue quant à l’existence de l’absent, une brèche qu’il ne manquera pas d’élargir lors de sa réforme tant attendue.

VI. Le Code civil du Québec : s’affranchir du doute

A. L’Office de révision du Code civil

En 1977, l’Office de révision du Code civil (ORCC) publie son Rapport sur le Code civil du Québec[127]. Dans son projet de Code, le droit de l’absence se trouvait relégué à une sous-section du chapitre sur les majeurs protégés, intitulée « De la tutelle à l’absent »[128]. Les dispositions encadrant les jugements déclaratifs de décès étaient, elles, renvoyées à une sous-section du chapitre sur les actes de l’état civil.

Plusieurs modifications d’envergure y étaient suggérées, notamment « de doter l’absent d’une véritable tutelle et non [d’une simple] curatelle aux biens »[129], et de remplacer la possession provisoire par le jugement déclaratif d’absence[130].

Plus précisément, le projet prévoyait que tout intéressé pourrait, « lorsque l’absence a duré pendant sept années consécutives, obtenir un jugement déclaratif d’absence », à compter duquel l’absent serait présumé décédé[131]. Celui-ci aurait mis fin au mariage de l’absent, dissout son régime matrimonial, et envoyé ses héritiers en possession[132]. On écarte donc la nécessité, au terme de ce délai, d’une preuve à l’effet que le décès pouvait être tenu pour certain. Le simple écoulement du temps aurait suffi à cet égard. Ce faisant, l’on répondait partiellement à la critique formulée précédemment par la professeure Lauzon.

En 1980, l’Assemblée nationale institue le Code civil du Québec (CcQ), mais décide « d’échelonner l’adoption de ses différentes parties en raison de l’ampleur des réformes proposées »[133]. Le droit de la famille est alors le seul à être réformé[134].

La réflexion du législateur québécois sur la réforme du droit civil s’est prolongée durant la période séparant la publication du Rapport de l’ORCC de l’adoption en bonne et due forme du Code en 1991. En fin de compte, le projet de Code civil de l’ORCC n’a pas été adopté dans sa mouture initiale. Il a plutôt fait l’objet, pendant ces douze ans, d’importantes modifications, tant en sa forme qu’en sa substance[135].

B. Le Code civil du Québec

Le CcQ est finalement adopté en date du 4 juin 1991, mais il faudra attendre jusqu’au 1er janvier 1994 pour son entrée en vigueur. Bien loin d’abandonner l’institution de l’absence dans le cadre de sa réforme du droit civil, comme le souhaitaient certains[136], le législateur décide plutôt de la simplifier grandement, et de l’adapter aux réalités contemporaines. Les commentaires du ministre de la Justice à cet égard méritent d’être reproduits :

L’absence, telle qu’envisagée dans le Code civil du Bas Canada, était une institution complexe et pratiquement sans application qui ne correspondait pas aux réalités sociales actuelles. Pourtant une telle institution a sa place dans notre droit, puisqu’elle est la seule à pouvoir régir la situation juridique de toutes ces personnes qui disparaissent sans laisser de traces et sans donner de nouvelles, adolescents ou personnes en fuite ou portées disparues[137].

L’absence fait dorénavant l’objet d’un chapitre intitulé De l’absence et du décès, lequel inclut aussi les dispositions sur le jugement déclaratif de décès.

La notion d’absent au CcQ fait écho au droit antérieur, car l’article 84 du CcQ, qui la définit, reprend les trois éléments de l’article 86 du C.c.B.-C., soit le domicile au Québec, la disparition, et l’incertitude quant à l’existence[138]. L’incertitude relative à la vie ou la mort demeure donc, sous le nouveau régime, une condition essentielle de l’état d’absence; elle le distingue de l’état de non-présence. Le Code va toutefois à l’encontre du droit antérieur en ce qu’il ne maintient pas, comme conséquence juridique de l’absence, cette incertitude.

En effet, le CcQ renouvelle le droit de l’absence en instituant, à l’article 85, une présomption de vie, laquelle vaut pour les sept ans suivant la disparition[139]. L’objet de l’article 85 du CcQ est donc de pallier juridiquement, pendant les sept ans suivant la disparition, à l’incertitude factuelle qui persiste quant à l’existence de l’absent, et de préserver ses intérêts dans l’éventualité de son retour. Ce dernier objectif est assuré par l’ouverture d’un régime de tutelle particulier en vertu de l’article 86 du CcQ, lequel permet, entre autres choses, que les obligations qu’il pourrait avoir à l’égard de tiers soient honorées pendant la période d’absence[140]. Par ce mécanisme, le tuteur obtient alors la simple administration des biens de l’absent[141].

La présomption de vie de l’article 85 du CcQ est simple, pouvant être écartée par la preuve du décès de l’absent[142]. Si, par exemple, la dépouille venait à être trouvée durant les sept années suivant la disparition, la procédure normale serait suivie, et un acte de décès pourrait alors être dressé par le Directeur de l’état civil[143].

Qui plus est, l’article 92 du CcQ énonce qu’un jugement déclaratif de décès peut être prononcé sept ans après la disparition[144] ou, vestige de la réforme de 1969, avant cette date lorsque la mort « peut être tenue pour certaine »[145] malgré l’impossibilité de dresser un constat de décès[146].

On peut se demander pourquoi le législateur en est finalement venu à retenir un délai de sept ans pour la présomption de vie. Le rapport de l’ORCC précise, à cet égard, qu’« [é]tant donné la vitesse des communications à l’heure actuelle, ce délai a paru d’une durée suffisante pour présumer que la personne dont on n’a pas de nouvelles est décédée »[147]. Il ajoute, sur ce point, que :

Le délai de sept ans est inévitablement arbitraire. C’est néanmoins celui qui a été jugé suffisant pour le paiement d’une assurance-vie après la disparition de l’assuré (a. 2529 C.C.) (209) et celui à l’expiration duquel une personne dont le conjoint est absent peut se marier sans être coupable de bigamie[148][.]

En effet, il n’est pas illogique que le moment au-delà duquel un remariage ne constitue plus de la bigamie coïncide avec la fin de la présomption de vie.

Dans un autre document préparatoire issu des travaux de l’ORCC, ce délai de sept ans est aussi mentionné, et son origine est alors attribuée au droit anglais. Or, on peut se demander, à l’instar des auteurs Corral Talciani et Rodriguez Pinto, si cette règle anglaise n’est pas, elle-même, un calque de certaines coutumes françaises[149] :

La règle traditionnelle de la common law en Angleterre, qui s’est ensuite transmise aux décisions des tribunaux nord-américains et au droit écrit de nombreuses nations, veut que la disparition d’une personne de son lieu habituel de résidence, sans que ceux qui devraient normalement savoir où elle se trouve n’aient reçu de nouvelles, pour un laps de temps d’au moins sept ans, autorise le juge à déclarer la présomption de décès (presumption of death) du disparu pour les effets demandés auprès du tribunal. [...]

La règle des sept ans apparaît quant à elle comme une réception assez curieuse des coutumes du droit civil reçues dans l’île et recueillies dans une ou deux lois ponctuelles. Il est communément admis depuis lors que la règle est passée à la common law au moyen de deux décisions célèbres de juges anglais [(Doe d. George v. Jesson et Nepean v. Doe)] qui ont inspiré le traitement que donne ce système à la disparition de personnes [italiques dans l’original, notes omises][150].

Le délai de sept ans qui a été retenu par le législateur québécois à l’article 85 du CcQ semble donc avoir des origines diverses. Cette réalité illustre bien les influences multiples qui ont façonné le droit québécois tel que nous le connaissons[151].

En ce qui a trait aux autres cas, prévus à l’article 92 du CcQ, où le décès peut être déclaré avant le délai de sept ans, le tribunal devra alors apprécier les circonstances de la disparition « afin de déclarer que la personne est morte et de déterminer la date du décès ou de l’événement qui emporte la quasi-certitude du décès »[152]. Les circonstances précises du décès devront donc ressortir de la preuve. Cette preuve devra, de plus, comporter des « “indices graves, précis et concordants” permettant de conclure au décès et écartant toute autre hypothèse »[153]. Par exemple, c’est ce mécanisme qui a été utilisé à l’égard des personnes n’ayant pu être identifiées suite au tragique incendie d’une résidence pour personnes âgées de l’Isle-Verte en janvier 2014[154].

Bien que le système américain soit de common law, et qu’il réponde à des règles distinctes, c’est un processus relativement similaire qui a été suivi au lendemain des événements du 11 septembre 2001[155]. En effet, le New York Times rapportait, environ un an après la tragédie, que près de la moitié des victimes, soit quelque 1300 personnes, ont dû été déclarées mortes par voie judiciaire. Ces déclarations faisaient suite à la démonstration par les familles des victimes que les disparus se trouvaient dans le bâtiment au moment de l’attentat et qu’ils n’avaient pas donné de nouvelles depuis cette date[156].

C. Un revirement

Le législateur québécois s’est donc livré à une profonde réinvention du droit de l’absence dans le cadre de l’adoption du Code civil du Québec. De l’avis du ministre de la Justice de l’époque, l’amélioration des modes de communication et l’efficience grandissante des techniques de recherche avaient rendu désuète l’idée, propre au modèle napoléonien, du maintien de l’incertitude sur la vie ou la mort de l’absent[157]. L’incapacité des autorités à retrouver un cadavre sur-le-champ, malgré les performants outils technologiques à leur disposition, était alors vue comme un indice que l’absent est probablement encore en vie; à l’inverse, l’absence de nouvelles pendant un certain temps suivant la disparition était perçue, vu la multiplication des modes de communication, comme un signe funeste[158].

Selon nous, outre la désuétude de cette idée importée du Code Napoléon, c’est surtout son caractère impraticable qui a poussé le législateur à l’écarter au profit de la présomption de vie de l’absent jusqu’à preuve du contraire. Cette impraticabilité, il convient de le rappeler, se manifestait notamment par des conséquences absurdes sur le plan successoral ainsi que sur le lien du mariage. Si le régime instauré en 1991 répond à ces problématiques, c’est précisément en s’affranchissant de la nécessité du maintien de l’incertitude.

D’une part, il ne fait aucun doute que l’absent peut, dans la mesure où il est présumé vivant en vertu de l’article 85 du CcQ, « succéder et acquérir des droits »[159]. Le CcQ prévoit même explicitement, au Livre des Successions, que « [p]euvent succéder les personnes physiques qui existent au moment de l’ouverture de la succession, y compris l’absent présumé vivant à cette époque »[160].

Ce faisant, le législateur s’écarte radicalement du droit antérieur en la matière. Il abandonne la règle, codifiée à l’article 105 du C.c.B.-C. et issue du droit napoléonien, voulant que l’absent soit exclu des successions à venir. L’absent n’est donc plus « complètement ignoré »[161] à l’ouverture des successions.

D’autre part, la présomption de vie laisse intact le lien matrimonial. Il est toutefois possible pour le conjoint marié de l’absent de demander le divorce après une séparation d’un an[162], ou encore la séparation de corps, laquelle peut être obtenue lorsqu’il y a séparation factuelle[163]. Le CcQ permet aussi au conjoint uni civilement d’obtenir la dissolution de l’union pour cause de séparation[164].

De plus, l’article 89 du CcQ permet au conjoint, ainsi qu’au tuteur à l’absent, de demander au tribunal, lorsqu’une année s’est écoulée depuis le début de l’absence, une déclaration à l’effet que les droits patrimoniaux des époux peuvent être liquidés. Peuvent alors être partagés et liquidés le patrimoine familial et le régime matrimonial. On peut donc, de cette manière, « opérer la séparation des patrimoines des conjoints »[165].

Le jugement déclaratif de décès, lequel peut être obtenu lorsque sept années se sont écoulées depuis la disparition, ou avant, lorsque la mort de l’absent peut être tenue pour certaine, permet également de mettre un terme au mariage, dans la mesure où il « produit les mêmes effets que le décès »[166]. L’article 210 du projet de Code de l’ORCC précisait d’ailleurs que le jugement déclaratif de décès « met fin au mariage de l’absent » et « dissout son régime matrimonial »[167]. De plus, il est à noter que, sous le présent code, le mariage demeure dissout malgré le retour de l’absent[168].

Bien que ce changement de paradigme constitue indéniablement une innovation majeure en droit québécois, le modèle choisi par le législateur, caractérisé par une présomption de vie remplacée, après un certain temps, par une présomption de mort, est loin d’être inédit en droit de l’absence.

D. Le modèle germanique

Comme le notent Corral Talciani et Rodriguez Pinto, cette idée existe depuis longtemps dans le modèle germanique de l’absence, lequel trouve son origine dans « les Codes civils prussiens (1794) et autrichien (1811) »[169]. À l’inverse du modèle napoléonien, « le modèle germanique, devant l’alternative entre le doute et la certitude, insiste sur cette dernière », et a depuis toujours favorisé « un système qui se prononce clairement sur l’état du disparu »[170]. Ce modèle prévoyait, en effet, que l’absent était présumé vivant tant que le décès n’était pas déclaré, et que, conséquemment, l’acquisition de droits par ce dernier était possible au cours de cette période[171]. Il instituait aussi une véritable déclaration de mort[172]. Le mariage n’était, toutefois, pas dissout par la déclaration; sur ce plan, les deux modèles étaient défaillants[173].

Le système moderne de l’absence au Québec semble donc être fortement inspiré du modèle germanique, de par l’usage de présomptions de vie et de mort pour pallier à l’incertitude[174], ce qui l’éloigne de ses origines napoléoniennes. Notons que le Québec n’est pas la seule juridiction à avoir opéré un tel virage. La France, berceau du modèle napoléonien, a, elle aussi, pris ce tournant. Selon les auteurs Corral Talciani et Rodriguez Pinto :

La législation française actuelle, qui date d’une réforme radicale du Code civil en 1977, a remplacé complètement le titre Des absents du Code Napoléon pour instituer un régime semblable au système germanique. La nouvelle réglementation s’occupe de deux situations : la présomption d’absence, dans laquelle le disparu est réputé vivant et peut acquérir des biens (art. 112 à 121 du Code civil) ; et la déclaration d’absence, à partir de laquelle le disparu est considéré comme légalement mort (art. 122 à 132 du Code civil). La France a donc abandonné à partir de 1977 la notion de doute comme trait distinctif de son régime juridique pour rejoindre la théorie germanique de la certitude [italiques dans l’original][175].

Malaurie soutient que cette réforme n’a, à son sens, « pas fait disparaître l’incertitude », qu’elle s’est plutôt « bornée à en accélérer le rythme, tirer des conséquences de la probabilité de mort et simplifier le régime »[176]. Or, force est de constater que, comme le note Teyssié, le législateur français, « [a]près avoir longtemps accordé à l’absent le bénéfice de l’immortalité », fait alors preuve de « plus de réalisme : reprenant en cela les rythmes de l’existence, à une supposition de vie, [...] fait succéder, passé quelques années, une supposition de mort »[177].

Le revirement qu’a connu le droit québécois de l’absence avec l’avènement du CcQ, soit le passage d’un système ancré dans la tradition napoléonienne à un modèle d’inspiration germanique, n’est pas sans rappeler la voie empruntée par certains pays européens, dont l’Italie, la Suisse et l’Espagne. Comme le soulignaient à cet égard, en 2000, les auteurs Corral Talciani et Rodriguez Pinto :

Rares sont les législations qui ont suivi et maintenu intact le système du Code [Napoléon] jusqu’à nos jours. [...] Les législations qui ont commencé par copier le schéma napoléonien pour ensuite y introduire des éléments de plus grande certitude en provenance de la tradition allemande sont en revanche beaucoup plus nombreuses. C’est le cas de la Suisse (Code civil de 1901) qui peut pour cette raison être rattachée au système germanique plus qu’au système napoléonien.

Un autre exemple de législation ayant reproduit le traitement des absents fait par le Code Napoléon avant d’instaurer l’institution de la déclaration de mort présumée est donné par l’Italie. [...] Le dernier système à avoir recueilli le modèle français est l’Espagne, laquelle a incorporé dans son Code civil les concepts napoléoniens des mesures transitoires [...] et de l’absence déclarée [...] La législation espagnole contient cependant une déclaration de décès [...] et ne suit pas en cela le prototype français[178].

La tendance européenne, favorisant « des solutions offrant un degré raisonnable de certitude dans les relations juridiques avec un disparu »[179], semble avoir eu un impact sur les choix du législateur québécois. En effet, il convient de noter que le Comité du droit des personnes et de la famille de l’ORCC a produit, en 1971, dans le cadre de ses réflexions sur la réforme du droit civil, un rapport portant notamment sur le droit de l’absence en Espagne et en Suisse[180]. Sachant cela, il n’est pas déraisonnable de penser que cette révision du droit québécois de l’absence était, dans une certaine mesure, aiguillonnée par les développements observés sur la scène internationale.

Conclusion

Dans une ère où les catastrophes naturelles sont, en raison de l’activité humaine, toujours plus fréquentes et plus meurtrières, où le terrorisme international cause, quotidiennement, son lot de décès et de disparitions, où des bateaux sombrent régulièrement en Méditerranée et emportent avec eux des foules de migrants à la recherche d’une vie meilleure, et où les disparitions forcées sont monnaies courantes dans certains coins du globe, le droit de l’absence demeure, encore et toujours, la seule institution à même de régir la situation juridique de tous ces disparus et de tempérer, un tant soit peu, l’incertitude qui en découle.

Comme nous l’avons vu, cette institution a connu beaucoup de changements au fil du temps, et elle a été grandement bonifiée depuis l’ère du droit romain et de l’ancien droit français. De quelques règles éparses et contradictoires, le droit de l’absence est devenu, entre les mains des rédacteurs du Code Napoléon, un complexe échafaudage législatif en trois périodes, chacune clairement délimitée et impliquant diverses obligations pour l’administration des biens. Il s’est mué, à cette époque, en un corpus juridique exhaustif centré sur l’idée d’incertitude et visant à assurer en tout temps une balance entre les intérêts de l’absent et ceux des présents. Le Code civil du Bas-Canada a par la suite repris plusieurs de ces règles, en a écarté certaines et en a ajouté d’autres, question d’adapter l’institution aux réalités de l’époque et au contexte canadien.

Enfin, le CcQ a opéré un important changement de paradigme en la matière, assurant le passage d’un système ancré dans la tradition napoléonienne à un modèle d’inspiration germanique. Le régime québécois, fondé initialement sur le principe du maintien de l’incertitude quant à l’existence de l’absent, favorise désormais la certitude dans les relations juridiques avec l’absent. Le Code, en plus de suivre le développement technologique de l’époque, met ainsi de côté les conséquences absurdes de l’ancien modèle sur le plan successoral et sur le mariage.

Cela ne signifie pas pour autant que cette institution, sous sa forme actuelle, est parfaite, qu’elle a atteint son plein potentiel, et que nous en sommes rendus à la fin de l’absence. Il ne fait aucun doute que des améliorations pourraient encore rendre cette institution plus simple, efficace, et représentative de la réalité contemporaine. La création par le législateur québécois, en 2013, d’une déclaration administrative de décès, laquelle facilite l’établissement du décès d’une personne disparue lorsque la responsabilité criminelle d’un tiers est démontrée, est un bon exemple d’avancée en la matière[181]. Celle-ci se révèle plus simple qu’un jugement déclaratif de décès et fait disparaître le besoin de se prononcer deux fois sur un même décès.

D’ailleurs, une avenue intéressante pour le futur réside peut-être, comme en beaucoup d’autres matières, en une déjudiciarisation accrue de l’institution. On peut se demander, par exemple, s’il est réellement essentiel, de nos jours, de confier au tribunal la tâche de prononcer un jugement déclaratif de décès dans les cas où sept ans se sont écoulés depuis la disparition d’un absent. En cette ère où l’engorgement des tribunaux fait périodiquement les manchettes, et où l’accroissement des pouvoirs de l’administration publique dans des sphères historiquement réservées aux magistrats est chose commune, telle fonction — de nature essentiellement comptable — ne pourrait-elle pas simplement être confiée au Directeur de l’état civil? Celui-ci se voit, par ailleurs, déjà accorder un pouvoir similaire par l’article 127 du CcQ, soit celui de fixer la date et l’heure du décès, « suivant les présomptions tirées des circonstances »[182] lorsque la dépouille d’une personne est retrouvée, mais que ces informations sont alors inconnues.

Tout comme l’absence n’a pas fini de fasciner, et ce tant dans les livres de droit que dans les romans, qu’on pense au colonel Chabert ou encore à Ulysse, le corpus juridique mis en place pour l’encadrer n’a pas fini d’évoluer. Bien qu’il soit probable que la prochaine réforme en la matière se fasse attendre, elle viendra assurément. Espérons simplement que, à l’instar de Pénélope sur son métier à tisser, nous n’ayons pas à attendre vingt ans pour la voir arriver.