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Les sulfatases des eucaryotes et des procaryotes présentent de grandes analogies structurales, suggérant qu’elles ont évolué à partir d’un gène ancestral commun. Elles hydrolysent les liaisons esters sulfates de nombreux composés biologiques (glycosaminoglycanes, glycopeptides, glycolipides et hydroxystéroïdes) et sont présentes dans divers compartiments subcellulaires: lysosomes, Golgi et réticulum endoplasmique. Treize sulfatases humaines sont connues [1]. Les déficits isolés de huit d’entre elles sont responsables de six maladies de surcharge lysosomale (la leucodystrophie métachromatique et cinq types de mucopolysaccharidoses), de l’ichtyose liée à l’X et de chondrodysplasie ponctuée non rhizomélique [1] ((→) m/s 1996, n°6-7, p.833). Enfin, une neuvième maladie (maladie d’Austin ou déficit multiple en sulfatases: MSD, OMIM 27220), transmise sur le mode autosomique récessif, initialement décrite en 1965 comme une variante de la leucodystrophie métachromatique [2, 3] est caractérisée par des déficits plus ou moins profonds de toutes les sulfatases connues. Un second gène nécessaire à l’expression de sulfatases actives a été identifié dans les années 1980 par des études de complémentation par hybridation cellulaire entre des cellules de MSD et de déficit isolé en sulfatase [4]. L’expression des ADNc codant pour des sulfatases dans des fibroblastes de patients atteints de MSD conduit à la synthèse de polypeptides présentant une activité catalytique extrêmement diminuée, suggérant que la MSD est due au déficit d’une modification co- ou post-traductionnelle nécessaire à l’ac- quisition de l’activité sulfatasique [5]. Compte tenu de l’extrême rareté de la maladie, l’identification du gène a requis des méthodes originales qui viennent d’aboutir grâce aux travaux de deux équipes conduites par Kurt von Figura [6] et Andrea Ballabio [7].

Approche protéomique

En 1995, l’équipe de K. von Figura a réalisé une première étape majeure en démontrant, par l’analyse structurale des peptides de digestion trypsique des arylsulfatases A et B que, dans une région conservée des sulfatases, une Cα-formylglycine (Cα-FG) remplaçait la cystéine attendue d’après la séquence nucléotidique de l’ADNc (Figure 1A). Cette transformation, qui se produit pendant ou immédiatement après la traduction, avant le repliement de la protéine, ne se fait pas dans les cellules de MSD [8]. Les analogies entre les structures des sites actifs des arylsulfatases A et B et de la phosphatase alcaline ont permis de montrer le rôle essentiel de l’hydrate d’aldéhyde formé grâce à l’oxydation de la cystéine (ou de la sérine chez certains procaryotes) en Cα-FG (Figure 1B). T. Dierks et al. [6] ont entrepris de purifier l’enzyme permettant cette transformation, la FGE (formylglycine generating enzyme). Ils ont tout d’abord élaboré un test pour mesurer son activité en synthétisant un substrat peptidique contenant les résidus acides aminés 60 à 80 de l’arylsulfatase A (dont la cystéine 69 est transformée en Cα-FG par le FGE), puis en analysant le peptide en spectrométrie de masse MALDI-TOF[1]. Ils ont ainsi pu suivre et mettre au point la purification du FGE à partir de microsomes de testicules bovins. L’analyse de la séquence peptidique du FGE purifié a permis l’identification du gène correspondant, localisé en 3p26. La présence de mutations chez 7 malades et la correction des fibroblastes MSD par transfection de l’ADNc codant pour le FGE ont permis de confirmer que le déficit du gène identifié était bien responsable de MSD.

Figure 1

Formation de la formylglycine (FG) et rôle dans les modifications des sulfatases.

Formation de la formylglycine (FG) et rôle dans les modifications des sulfatases.

A. Oxydation de la cystéine en Cα-FG grâce au FGE (formylglycine generating enzyme) (d’après [8]). B. Rôle de la Cα-FG pour le clivage des liaisons esters sulfates par les sulfatases: la Cα-FG, sous forme d’hydrate d’aldéhyde, peut former, après attaque nucléophile grâce à l’un de ses groupes hydroxyles, un intermédiaire covalent avec le groupement sulfate puis le libérer grâce à son autre groupe hydroxyle.

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Approche génomique

M.P. Cosma et al. [7] ont identifié ce même gène par complémentation fonctionnelle par transfert de chromosomes et de fragments de chromosomes [9]. Ils ont localisé le gène entre les marqueurs D3S3630 et D3S2397 et ont séquencé les gènes compris dans la région génomique ainsi définie chez 12 malades MSD. Ils ont trouvé des mutations dans une séquence d’ADNc anonyme de fonction inconnue, suggérant qu’il s’agissait du gène déficitaire dans la MSD, et qu’ils ont dénommé SUMF1 (sulfatase modifying factor 1).

Le gène SUMF1 humain, d’environ 106 kb, comprend 9 exons et code pour une protéine de 374 acides aminés, qui contient un peptide signal, un site de N-glycosylation, mais pas la séquence KDEL caractéristique des protéines retenues dans le réticulum endoplasmique suggérant, pour FGE, l’existence d’un autre mécanisme. Le FGE constitue une étape essentielle et limitante dans la synthèse des sulfatases: la coexpression de SUMF 1 et de l’ADNc d’une sulfatase conduit à une augmentation de l’activité correspondante d’environ 50 fois.

Un gène homologue, SUMF2, localisé en 7q11 [7], a été identifié par les 2 groupes. Il code pour un FGE moins efficace mais responsable d’une activité résiduelle même dans les formes les plus sévères de MSD et qui augmenterait aussi l’activité arysulfatase A quand les 2 ADNc sont co-exprimés [6]. Il est possible que cette activité FGE résiduelle permette le développement pré- et périnatal dans les formes les plus sévères de MSD.

La compréhension du mécanisme à l’origine de la MSD est importante sur le plan fondamental car elle a permis d’identifier un nouveau type de modification post-traductionnelle contrôlant l’activité des sulfatases. Il reste à comprendre comment cette étape limitante intervient dans le métabolisme des composés sulfatés et si la modification post-traductionnelle d’un acide aminé est spécifique des sulfatases ou intervient aussi dans d’autres protéines. Il faudra aussi définir plus précisément les rôles respectifs des gènes SUMF1 et 2. Enfin, l’amélioration fonctionnelle apportée par la co-expression d’une sulfatase et de SUMF1 est d’un intérêt capital dans le cadre de la production de protéines recombinantes pour les thérapeutiques enzymatiques substitutives des maladies de surcharge lysosomale, dues à des déficits en sulfatase, et pour leurs futures thérapies géniques ( (→) m/s 2000, n°12, p.1371).