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La maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT) est la forme la plus fréquente de neuropathie périphérique démyélinisante et la maladie neuromusculaire la plus fréquente (elle affecte une personne sur 2 500) [1]. Elle se caractérise par une atrophie progressive des muscles distaux. Les premiers symptômes apparaissent entre 20 et 30 ans, mais environ 10 % des cas concernent des enfants ou des adolescents. Cette maladie est génétiquement hétérogène, mais la moitié des patients sont atteints de la forme 1A de la maladie. C’est une forme démyélinisante qui est due à une trisomie partielle d’une petite région du bras court du chromosome 17 [2, 3], incluant le gène PMP22 impliqué dans les processus de myélinisation [4]. Afin de mieux comprendre la physiopathologie du CMT et de proposer des solutions thérapeutiques, nous avons construit en 1996, en collaboration avec C. Huxley, un modèle animal de cette maladie, en insérant un YAC (yeast artificial chromosome) de 560 kb contenant le gène PMP22 humain, dans le génome murin [3]. Cette stratégie de production de souris « humanisées » a été développée de manière à ce que les anomalies observées aient la même origine que chez les patients, c’est-à-dire une anomalie dans un gène humain. Dans ce cas, la cible thérapeutique est identique chez une souris humanisée et chez les patients, dans notre étude sur le gène PMP22 humain. Plusieurs lignées de souris ont ainsi été obtenues et les animaux ont développé une neuropathie périphérique ressemblant au CMT1A [6]. Nous avons utilisé essentiellement la lignée montrant le phénotype le plus sévère (lignée C22).

Nous avons utilisé des souris CMT C22 comme modèle pré-clinique, pour tester, dans des « essais cliniques murins », une approche thérapeutique qui pourrait être applicable chez l’homme. Compte tenu des difficultés d’une approche de thérapie génique, nous avons privilégié la pharmacologie classique. En première intention, nous avons recherché dans la bibliographie des données sur des molécules « liées » à la myélinisation. Deux publications ont attiré notre attention [7, 8], montrant que l’acide ascorbique était un facteur absolument nécessaire à la myélinisation in vitro dans des cocultures entre axones et cellules de Schwann. Des recherches plus poussées ont révélé que les malades atteints de scorbut présentaient des neuropathies périphériques démyélinisantes. La toxicité de cette molécule étant bien connue, nous pouvions envisager des essais cliniques de phases II/III immédiats. Nous avons donc réalisé l’expérience suivante : des animaux (mâles et femelles) de la lignée C22 transgénique pour le gène PMP22 humain, ont été gavés une fois par semaine avec une dose d’acide ascorbique équivalent à quatre grammes chez l’homme (aucune donnée toxicologique n’existe pour des doses supérieures). Dans l’autre bras de l’essai, les animaux recevaient un placebo. Les capacités locomotrices des animaux ont été évaluées au bout de trois mois, en utilisant le test bien connu du rotarod (on mesure le temps pendant lequel un animal est capable de rester sur une barre tournant à une certaine vitesse). Les mâles (plus sévèrement atteints que les femelles) traités par un placebo, ou ceux qui n’avaient pas été traités n’étaient capables de tenir sur la barre qu’en moyenne neuf secondes alors que les animaux ayant reçu de l’acide ascorbique tenaient 46 secondes en moyenne. Nous avons entrepris une deuxième série d’essais, avec des critères d’inclusion stricts : mâles âgés de deux mois appartenant à une même fratrie, divisés en deux groupes, l’un traité par un placebo, l’autre par de l’acide ascorbique. Après trois mois de traitement, les mâles non traités ne tenaient qu’une seconde sur la barre (nous avions choisi des fratries très atteintes) alors que les animaux traités tenaient 45 secondes (Figure 1A). Enfin, un test de force musculaire (grip test) nous a montré que les animaux traités avaient doublé leur force musculaire en trois mois de traitement (Figure 1B) [9].

Figure 1

A. Des souris C22 ont été traitées soit par un placebo (P) soit par une forte dose d’acide ascorbique (AA).

A. Des souris C22 ont été traitées soit par un placebo (P) soit par une forte dose d’acide ascorbique (AA).

Leurs performances locomotrices ont été testées par le test au rotarod, mesurant la durée pendant laquelle les animaux tiennent sur une barre tournante. Ce test a été réalisé après un mois de traitement (Pt 1 et AA t1) et trois mois de traitement (Pt 3 et AA t3). B. La force musculaire des souris C22 a été testée après un et trois mois de traitement soit avec un placebo (P), soit avec de l’acide ascorbique à forte dose (AA). La force musculaire a été évaluée par le test d’agrippement (grip test).

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L’ensemble de ces données montrait donc un effet thérapeutique indiscutable de l’acide ascorbique. Mais quel en était le mécanisme ? Dans un premier temps, nous nous sommes aidés de l’analyse histologique. Des coupes de nerf sciatique prélevé chez des animaux transgéniques traités par l’acide ascorbique ont montré une remyélinisation des fibres qui n’existait pas chez les animaux non transgéniques, ou chez les animaux transgéniques traités par un placebo. De plus, la gaine de myéline a retrouvé une taille normale chez les animaux traités par l’acide ascorbique. Enfin, dernière preuve de l’effet de l’acide ascorbique, la restauration d’une durée de vie normale chez les animaux mâles de la lignée C22 traités par l’acide ascorbique, ce qui est remarquable car, dans cette lignée, la létalité des mâles atteints est très importante, et ce pour des raisons inconnues [9].

Restait la question du mécanisme moléculaire conduisant à la remyélinisation et à la correction du phénotype. L’hypothèse qui venait immédiatement à l’esprit était une action de l’AA sur le gène PMP22 ; celui-ci possède un promoteur minimal de 300 pb permettant une expression spécifique dans les cellules de Schwann. Toutefois, l’activité de ce promoteur est réprimée si les cellules ne sont pas stimulées par du dibutyril AMPc ou de la forskoline [10]. Or, l’acide ascorbique interagit avec le pool d’AMPc [11]. Nous avons donc transfecté des cellules de Schwann par une construction dans laquelle la transcription d’un gène rapporteur est placée sous le contrôle du promoteur de PMP22. Les cellules sont incubées avec du dibutyril AMPc utilisé seul ou en association avec l’AA. Dans ces conditions, l’AA entre en compétition avec la stimulation de l’expression de PMP22 par l’AMPc, la diminuant de moitié. Nous avons ensuite montré par RT-PCR quantitative en temps réel que la quantité des transcrits de PMP22 était plus faible chez les animaux traités par l’AA que chez ceux qui avaient reçu le placebo. La correction phénotypique observée chez les animaux recevant de l’AA s’explique donc par son action sur l’expression du gène PMP22 [9].

En conclusion, l’AA à forte dose est capable de corriger le phénotype d’animaux atteints d’une maladie voisine du CMT1A humain. La voie est donc ouverte à des essais cliniques humains, que nous espérons pouvoir entreprendre dès que possible. Il est intéressant de terminer en soulignant que les résultats de plusieurs études ont été récemment publiés, faisant état d’approches thérapeutiques similaires pour plusieurs maladies génétiques. Ces travaux reposent tous sur la même stratégie : l’utilisation de molécules connues, ou en développement pour d’autres applications, dans des modèles animaux pertinents de maladies génétiques. Les traitements de première génération pour beaucoup de maladies génétiques reposeront-ils sur de la pharmacologie classique ?