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L’os contient deux types cellulaires, l’ostéoblaste, responsable de la formation osseuse, et l’ostéoclaste, responsable de sa résorption. La masse osseuse est maintenue grâce à un équilibre précis entre l’activité des ostéoclastes et celle des ostéoblastes. Cette fonction physiologique est appelée le remodelage osseux. L’ostéoporose est une maladie du remodelage osseux caractérisée par une augmentation de la résorption par rapport à la formation osseuse. La fréquence et la gravité de l’ostéoporose dans les pays développés expliquent l’effort de recherche pour élucider la régulation moléculaire de la masse osseuse. Le contrôle du remodelage osseux est complexe [1]. Il fait intervenir des processus locaux avec une coopération entre les ostéoblastes et les ostéoclastes et un contrôle hormonal (Figure 1). Le laboratoire de Gérard Karsenty (Baylor College of Medicine, Texas, États-Unis) s’intéresse aux mécanismes moléculaires régulant la masse osseuse et a démontré que la leptine inhibe la formation osseuse [2]. Cette action requiert la liaison de la leptine à son récepteur hypothalamique. Le système nerveux sympathique sert de médiateur afférent à l’action de l’hormone sur le contrôle de la formation osseuse via le récepteur adrénergique β2 (ADRβ2), seul récepteur adrénergique exprimé dans l’ostéoblaste.

Figure 1

Facteurs locaux et hormones contrôlant la résorption osseuse.

Facteurs locaux et hormones contrôlant la résorption osseuse.

Classiquement, les hormones contrôlant la résorption osseuse agissent indirectement sur l’ostéoblaste, pour favoriser la formation des ostéoclastes. On retrouve ici des hormones systémiques classiques (PTH, VitD3), des cytokines (IL-1, TNF) qui induisent (1) (initiation) dans la cellule la production de facteurs locaux (2) (IL-6, IL-11, PGE2, MCSF). Des facteurs locaux intermédiaires comme IL-6, IL-11, PGE2 induisent l’expression du facteur RANKL, qui lui-même agit sur son récepteur RANK porté par le précurseur ostéoclastique (3). RANKL est le principal inducteur physiologique du programme de différenciation des ostéoclastes (4). La leptine (produite par le tissu adipeux) agit via l’hypothalamus et le récepteur β2AR sur les ostéoblastes (adapté de [1]).

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La leptine favorise la résorption osseuse par l’intermédiaire du système sympathique

Dans l’article publié dans Nature [3], il est montré que des souris, dont le gène codant pour le récepteur ADRβ2 a été invalidé, ADRb2-/-, ont une élévation des paramètres de formation de la masse osseuse. L’injection de leptine en intracérébroventriculaire (ICV) ne diminue pas la formation osseuse, validant la nécessité d’une intégrité du système sympathique pour relayer les effets de la leptine sur l’os. Le phénotypage osseux des souris ADRb2-/- a révélé des surprises. Les paramètres de résorption osseuse étaient aussi diminués ; la baisse des cellules ostéoclastiques TRAP (tartrate resistant acid phosphatase) positives indique un défaut de différenciation oscléoclastique, et celle de la désoxypyridinoline (Dpd), un dysfonctionnement des ostéo-blastes. Ces anomalies n’étaient pas corrigées par l’injection ICV de leptine. Les souris ADRb2-/- sont dans une situation idéale pour la prévention de l’ostéoporose : augmentation de la formation osseuse et baisse de sa résorption. L’analyse cellulaire et moléculaire de ce phénotype osseux a permis de montrer que le tonus sympathique favorise l’expression normale de RANKL (receptor activator of NF-B ligand) dans les ostéoblastes, le principal facteur de différenciation des ostéoclastes. L’activation sympathique via la stimulation de ADRβ2 stimule la phosphorylation d'ATF4, un membre de la famille des facteurs de transcription CREB/ATF, exprimé uniquement dans les ostéoblastes. La leptine exerce son effet sur l’ostéoblaste en induisant la différenciation des ostéoclastes via le système sympathique. Elle est en outre la seule hormone à avoir une influence sur les deux aspects du remodelage osseux –  influence exercée dans les deux cas de façon centrale. Ajoutant à l’importance de cette régulation, les souris ADRb2-/- sont protégées de la perte osseuse induite après ovariectomie. Cela indique que l’ostéoporose met en jeu des processus centraux. Le phénotype osseux des souris ADRb2-/- était inattendu car les souris ob/ob, bien qu’elles aient également une augmentation des marqueurs de formation osseuse, ont un niveau de résorption osseuse accéléré, et ce en dépit d’une activité sympathique diminuée. L’absence de perte osseuse des souris ADRb2-/- après gonadectomie était d’autant plus surprenante qu’elles devraient être une exacte phénocopie des souris ob/ob. Elles sont hypogonadiques et ont un tonus sympathique bas.

La leptine diminue la résorption osseuse par la voie CART

Cet apparent paradoxe est expliqué par le fait que la leptine exerce une autre régulation, cette fois-ci négative, sur la résorption osseuse en utilisant comme médiateur le CART (cocaine and amphetamine related transcript), dont l’expression est régulée par la leptine mais dont l’invalidation n’entraîne pas d’obésité [4]. Les souris invalidées pour le gène CART ont une masse osseuse basse liée à une augmentation marquée du nombre et de l’activité des ostéoclastes. Le phénotype osseux de souris déficientes en récepteur des mélanocortines de type 4 (MC4R-/-) et de patients porteurs de mutations MC4R a aussi été étudié. L’absence de MC4R est associée à une augmentation de l’expression de CART dans l’hypothalamus. Les mutations MC4R chez l’homme ont des conséquences sur la fonction du récepteur et des patients homozygotes MC4R sont décrits [5, 6]. Les souris MC4R-/- ont une réduction  du nombre d’ostéoclastes et les marqueurs de formation osseuse sont normaux. Chez les patients MC4R déficients, les marqueurs de formation ostéoblastique étaient diminués, suggérant une baisse des processus de résorption osseuse et expliquant une augmentation de la densité osseuse observée [6]. La leptine contrôle donc la résorption osseuse par deux mécanismes distincts et antagonistes : d’une part, la voie sympathique via son action sur le récepteur β2 adrénergique et, d’autre part, via la voie CART (Figure 2). Ces deux voies régulent l’expression de RANK1. Un aspect remarquable de la régulation de la masse osseuse par la leptine est qu’elle utilise des médiateurs spécifiques. Les souris n’ayant pas de CART ou pas de tonus sympathique ont un poids normal et sont fertiles. Cette spécificité est une indication que le contrôle de masse osseuse est probablement une fonction ancestrale de la leptine, une hormone qui apparaît durant l’évolution avec le remodelage osseux. Chez les souris ob/ob, on observe donc à la fois l’effet de la carence chronique en leptine et l’effet du tonus CART altéré (levée de l’inhibition sur la résorption osseuse), expliquant ainsi le phénotype d’une augmentation des marqueurs de formation osseuse et une augmentation des marqueurs de résorption. Du fait du rôle clé du système sympathique dans ces processus, il serait intéressant de tester l’effet des β-bloquants sur le maintien de la masse osseuse.

Figure 2

Modèle du contrôle central de la résorption osseuse.

Modèle du contrôle central de la résorption osseuse.

La leptine contrôle la résorption osseuse par deux mécanismes distincts et antagonistes : d’une part, la voie sympathique via son action sur le récepteur β2-adrénergique et, d’autre part, via la voie CART.

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