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Neurogenèse et cellules souches neurales adultes

Chez les mammifères, et notamment chez l’homme, la neurogenèse se déroule essentiellement dans deux régions du cerveau adulte, le gyrus denté (GD) de l’hippocampe et la partie antérieure de la région sous-ventriculaire (RSV) [1]. Dans le GD, les nouvelles cellules sont produites dans la région sous-granulaire (RSG), puis migrent dans la couche granulaire où elles se différencient en cellules neuronales et gliales. Les nouvelles cellules produites dans la RSV se déplacent, via le courant de migration rostral, vers le bulbe olfactif (BO), où elles se différencient en neurones du BO. Ces cellules, qui établissent et reçoivent des connexions fonctionnelles avec les cellules de l’hippocampe et du BO, participeraient aux fonctions physiologiques de ces structures – mémorisation et odorat, mais aussi à la dépression [1, 2].

La neurogenèse se déroulerait également, mais à des taux plus faibles, dans d’autres régions du cerveau adulte comme la corne d’Ammon CA1 de l’hippocampe, le cortex et la substance noire (SN), chez différentes espèces [1, 3]. Cependant, certains de ces résultats ont été contredits et font encore l’objet de débats [1, 4, 5].

Il est probable que la neurogenèse s’effectue chez l’adulte à partir de CSN [6]. Des cellules multipotentes et autorenouvelables ont été isolées et caractérisées, in vitro, à partir de différentes régions du cerveau adulte, dont l’hippocampe et la RSV [1]. Ainsi, des CSN putatives résident dans le cerveau adulte, mais leur source et leur identité doivent encore être déterminées. Les CSN pourraient avoir une origine gliale, et même provenir de cellules progénitrices circulant dans le sang [1, 7] ; l’existence et la potentialité de cette dernière population de cellules progénitices restent toutefois sujettes à discussion [7]. Les CSN expriment des marqueurs tels que la nestine et Musashi 1 [1, 8] qui sont, cependant, également exprimées par d’autres types cellulaires, en particulier par des cellules gliales [1, 8].

L’existence d’une neurogenèse et la présence de CSN dans le cerveau adulte ont conduit à étudier leur implication dans le contexte de pathologies du système nerveux. Dans les études rapportées ci-dessous, la neurogenèse a été principalement caractérisée dans les modèles expérimentaux par marquage à la bromodésoxyuridine (BrdU), un marqueur de prolifération cellulaire : la BrdU, analogue de la thymidine, s’insère dans l’ADN des cellules au cours de la phase S du cycle cellulaire [1, 2].

Neurogenèse dans les maladies neurologiques

Des autopsies de patients atteints de la maladie d’Alzheimer (MA) montrent une augmentation, dans la RSG et la couche granulaire du GD, de l’expression de marqueurs de cellules neuronales immatures comme la doublecortine et la molécule polysialylée d’adhésion cellulaire des neurones, suggérant que la neurogenèse est augmentée dans l’hippocampe au cours de cette maladie [9]. La caractérisation de la neurogenèse dans des modèles animaux de MA, souris déficientes pour les gènes de la préséniline ou du précurseur de la protéine amyloïde, montrent que la neurogenèse y est diminuée dans la RSG et la RSV [10, 11]. Ces animaux présentent une RSV peu développée, ce qui suggère une diminution du nombre de cellules progénitrices lors du développement, entraînant une réduction du nombre de ces cellules chez l’adulte. Ainsi, la divergence des résultats observée entre les autopsies et les modèles animaux pourrait provenir de la limitation de ces modèles pour étudier les maladies complexes, mais aussi les phénotypes adultes. La neurogenèse a récemment été caractérisée chez des souris transgéniques exprimant des mutations de la protéine amyloïde [12] : elle est augmentée dans le GD et la RSV, en accord avec les observations réalisées chez l’homme.

Des autopsies de patients atteints de la maladie de Huntington (MH) montrent que l’expression des marqueurs du cycle cellulaire, dont l’antigène nucléaire de prolifération cellulaire, et des cellules neuronales immatures, dont la β-tubuline III, est augmentée dans la RSV, et que des cellules neuronales nouvellement produites migrent vers la région endommagée du striatum [13] : la neurogenèse serait donc augmentée dans la RSV au cours de cette maladie. Des études réalisées chez des souris transgéniques mutantes pour le gène de l’huntingtine (souris R6/1, modèles de la MH) ont rapporté une diminution de la neurogenèse dans le GD [14]. Dans un modèle de lésion de la MH, une augmentation de la neurogenèse dans la RSV, une migration de neuroblastes dans la région endommagée du striatum et la formation de nouveaux neurones ont été également remarquées, appuyant là aussi les résultats observés chez l’homme [15].

D’autres résultats suggèrent que de nouvelles cellules dopaminergiques sont produites dans la SN, chez le rat adulte [3]. Dans cette dernière étude, les auteurs montrent que leur production est multipliée par 2, trois semaines après une lésion induite par la MPTP (1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6 tétrahydropyridine). D’après ces données, la production de nouvelles cellules dopaminergiques serait stimulée dans la maladie de Parkinson (MP) ; la neurogenèse au sein de la SN pourrait alors être une cause de MP, dans le cas où elle ne produirait pas suffisamment de nouveaux neurones pour compenser ceux qui dégénèrent. Cependant, ces conclusions doivent être prises avec précaution, dans la mesure où ces résultats n’ont encore pu être reproduits [4, 5].

Dans des modèles animaux d’épilepsie chez le rongeur (crises induites par la pilocarpine, par exemple), la neurogenèse est stimulée bilatéralement dans le GD et la RSV, des cellules ectopiques de type granulaire sont produites dans le hile, jusque dans la région CA3, et des cellules naissantes contribuent au bourgeonnement des fibres moussues dans la couche moléculaire du GD [16, 17]. Ces résultats ont été confirmés dans d’autres modèles d’épilepsie. L’inhibition de la neurogenèse dans le GD, à l’aide d’une faible dose de rayon X sur le cerveau adulte, n’a pas d’effet sur les crises. Ainsi, l’augmentation de la neurogenèse, la production de cellules ectopiques de type granulaire et la synaptogenèse anormale des fibres moussues sont des traits de l’épilepsie, et représentent vraisemblablement des événements indépendants. Il reste à déterminer le rôle de chacun dans l’épilepsie, mais aussi de valider ces données chez l’homme.

Neurogenèse dans les accidents vasculaires cérébraux

Après ischémie cérébrale globale chez le rongeur, le nombre de cellules produites dans la RSG est augmentée par un facteur 12 dans les jours qui suivent l’accident vasculaire cérébral (AVC) [18]. Après 1 mois, ces cellules ont migré vers la couche granulaire, où elles se différencient en cellules neuronales matures exprimant des marqueurs tels que l'antigène nucléaire des cellules neuronales (NeuN), la protéine associée aux microtubules-2 (Map-2), et la protéine se liant au calcium (CaBP). Plusieurs études confirment ces résultats chez les rongeurs et les primates non humains, et montrent que la neurogenèse est stimulée bilatéralement dans la RSG et la RSV après ischémie globale ou focale. Par ailleurs, les cellules produites dans la RSG expriment Musashi 1 [19]. Ainsi, la neurogenèse est stimulée après ischémie cérébrale, et les cellules nouvellement produites ont un phénotype de cellules souches et progénitrices neurales.

Des cellules sont également produites dans les régions de dégénération après ischémie globale et focale, telles que la région CA1 de l’hippocampe, le striatum et le cortex, où elles se différencient en cellules neuronales dont le phénotype est semblable à celui des cellules ayant dégénéré [20-22]. Ce remplacement reste marginal, ne représentant qu’un faible pourcentage des neurones dégénérés, de l’ordre de 0,2 % dans le striatum après ischémie (focale) [21]. L’origine de ces cellules neuronales dans les régions de dégénération a été déterminée par des études de marquage, en particulier avec des rétrovirus : elles proviennent de la RSV, et empruntent, en partie, le courant de migration rostral pour atteindre leur destination [21, 22].

Neurogenèse dans les traumatismes crâniens

Dans des modèles de contusions expérimentales chez le rongeur, le niveau d’incorporation de BrdU dans la RSG est, bilatéralement, multiplié par 5,9 dans les jours qui suivent le traumatisme, puis revient à son niveau normal au bout de 15 jours. Après 1 mois, la majorité des cellules marquées par la BrdU ont migré dans la couche granulaire du GD et expriment des marqueurs de cellules neuronales matures comme la CaBP [23]. La neurogenèse est donc stimulée dans le GD après une contusion.

Une augmentation du nombre de cellules naissantes a également été rapportée au site de lésion. Un mois après le traumatisme, ces cellules expriment presque exclusivement un phénotype astrocytaire et participeraient principalement à la cicatrice gliale [24]. Une gliogenèse est donc observée après traumatisme crânien. Des marquages rétroviraux montrent que des cellules produites dans la RSV migrent vers le site de lésion, où elles se différencient en cellules gliales [25] ; ces résultats n’éliminent cependant pas une origine locale ou périphérique des cellules gliales constituant la cicatrice. Un seul rapport met en évidence la production de nouvelles cellules neuronales au site de lésion [26] : si l’origine de ces cellules n’a pas encore été déterminée, il est probable qu’elles proviennent de la migration de cellules progénitrices neuronales à partir de la RSV, comme cela a été observé dans d’autres modèles de lésions du système nerveux central [13, 15, 20-22]. Il est également possible qu’elles aient une origine locale, voire périphérique. Cependant, dans ce dernier cas, certaines données sont encore sujettes à controverse [7].

Mécanismes de stimulation de la neurogenèse

Ces mécanismes de stimulation de la neurogenèse dans les pathologies du système nerveux sont peu connus. Il est postulé que la mort cellulaire stimule la prolifération des cellules progénitrices dans le cerveau adulte [27]. Dans les maladies neurologiques, les AVC et les traumatismes crâniens, une augmentation de la neurogenèse coïncide avec la mort cellulaire. Cependant, dans des modèles d’épilepsie, la stimulation de la neurogenèse se produit même en présence d’inhibiteurs d’apoptose, comme les caspases, et l’augmentation de la neurogenèse a été inversement corrélée avec la dégénérescence cellulaire [28]. La mort cellulaire ne serait donc pas nécessaire pour stimuler la neurogenèse dans les pathologies du système nerveux, cette stimulation étant probablement régulée par le nombre de cellules progénitrices. La mort cellulaire pourrait ainsi agir séparément, ou en coopération avec d’autres mécanismes, pour solliciter la neurogenèse dans ces pathologies.

L’augmentation bilatérale de la neurogenèse rapportée dans l’épilepsie, les AVC et les traumatismes crâniens pourrait faire intervenir des facteurs trophiques, des régions neurogéniques et du liquide céphalorachidien. La migration des cellules naissantes vers les sites de lésions, dans la maladie de Huntington, les AVC et les traumatismes crâniens, suggère la présence de facteurs, au niveau des lésions, susceptibles d’attirer ces cellules. L’existence de tels facteurs a été mise en évidence dans des études où les cellules souches et progénitrices, greffées ou administrées intravasculairement chez des animaux atteints de tumeurs, lésions cérébrales ou maladies neurologiques, colonisent les régions endommagées du cerveau [29, 30]. Des mécanismes similaires pourraient intervenir au cours de la migration des cellules naissantes vers les lésions occasionnées par différentes maladies du système nerveux.

Conclusions et perspectives

Parce que les cellules souches neurales peuvent produire l’ensemble des phénotypes du système nerveux central, leur intérêt majeur repose sur leur utilisation à des fins thérapeutiques. Les résultats présentés ici montrent que la neurogenèse est augmentée dans différentes pathologies du système nerveux, et que de nouvelles cellules neuronales sont produites aux sites de lésions, où elles remplacent une partie des cellules nerveuses dégénérées. Cette augmentation de la neurogenèse, sa contribution et son rôle doivent cependant encore être définis ; la neurogenèse pourrait participer à des phénomènes de neuro-adaptation, dans les troubles de la mémoire ou la dépression associés à ces pathologies. La production de cellules neuronales au niveau des lésions pourrait, quant à elle, signifier une tentative de régénération. Leur origine, la région sous-ventriculaire, suggère que des protocoles de stimulation de la neurogenèse dans cette zone pourrait être bénéfique pour la réparation du système nerveux après lésions.