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1. Introduction

L’éducation à la santé en milieu scolaire est une stratégie efficace en matière de promotion de la santé auprès des enfants et des adolescents, leur permettant de développer les ressources nécessaires pour faire des choix libres, responsables et éclairés (Organisation mondiale de la Santé, 1986 ; Koelen et Van den Ban, 2004 ; Green et Ottoson, 1999). C’est dans ce contexte que le Programme de formation de l’école québécoise propose plusieurs avenues visant le développement de compétences en lien avec la santé (MELS, 2006). Dans ce programme, certains enseignants se voient confier un mandat clair en éducation à la santé (ÉS) tels les éducateurs physiques et à la santé et les enseignants de science et technologie. Toutefois, l’intégration de l’ÉS à l’école ne se fait pas uniquement par les disciplines. Elle se fait aussi de façon interdisciplinaire et intersectorielle puisque tous les acteurs de l’école doivent arrimer leur travail aux intentions éducatives des domaines généraux de formation, en particulier celui de la Santé et du bien-être[1], et aux compétences transversales.

1.1 Compétences favorables à l’éducation à la santé et aux pratiques partenariales

Dans la prise en charge de cette responsabilité partagée qu’est l’ÉS, les enseignants demeurent sans conteste des acteurs de premier plan parce qu’ils côtoient les élèves dans le quotidien, qu’ils sont des interlocuteurs crédibles à leurs yeux et sensibles à leurs préoccupations et parce qu’ils ont déjà développé des compétences d’éducateur et de pédagogue qui les aideront à assumer leur rôle en ÉS (Jourdan, 2010).

Plusieurs travaux permettent de repérer les compétences professionnelles reliées à une ÉS efficace chez les professionnels de la santé (Battle-Kirk, Barry, Taub et Lysoby, 2009) et chez les enseignants (Frauenknecht, 2003). L’éducateur à la santé doit d’abord comprendre les concepts de base qui y sont liés (ses diverses définitions et les paradigmes qui les supportent, les modèles de planification ou d’action éprouvés, les formules pédagogiques appropriées, les critères d’efficacité, etc.) pour être ensuite en mesure de concevoir des programmes d’ÉS arrimés aux besoins du milieu et aux caractéristiques de l’environnement, de les implanter en tenant compte des ressources de ce même milieu et de les évaluer, d’une part, de manière à les réajuster et, d’autre part, de manière à porter un jugement sur leur efficacité. Ces compétences nécessitent la mobilisation et la gestion des ressources présentes dans le milieu, afin de se situer en complémentarité avec elles (Battle-Kirk et al., 2009). Faire de l’ÉS implique donc diverses formes de travail collectif et de partenariat.

Le partenariat va bien au-delà des échanges entre les acteurs et dépasse la simple collaboration. Adhérant à la vision de Zay (1994), Mérini (2006) souligne qu’il y aurait partenariat quand il y a « un minimum d’action commune négociée visant la résolution d’une problématique reconnue comme commune ». Cela implique le développement de compétences particulières qui amèneront l’enseignant à créer un environnement propice à la négociation entre lui et ses partenaires et à acquérir les habiletés nécessaires pour participer à ce processus. Cela implique aussi que les acteurs soient collectivement capables de comprendre les enjeux en cause de part et d’autre, et qu’ils soient capables non seulement de tolérer ou respecter les différences et ambiguïtés, mais aussi de réguler ces zones de divergences et ces controverses, tout en misant sur les forces et la complémentarité des expertises de chacun. La spécificité d’un réel partenariat repose donc sur cette négociation, favorable à la mise en place d’actions novatrices ou de solutions nouvelles. Pour Bilodeau, Lapierre et Marchand (2003), le partenariat ne sera possible qu’en présence des trois conditions suivantes : que les acteurs soient capables de créer une dynamique de participation suffisante, qu’ils soient en mesure d’égaliser les rapports de pouvoir et qu’ils sachent reconnaître et combiner les expertises. Un futur enseignant en ÉS devra donc aussi acquérir les savoirs et les savoir-faire qui lui permettront de mettre en place ces conditions favorables au travail collectif et aux pratiques partenariales (Hammick, Freeth, Koppel, Reeves et Barr, 2007 ; Mérini, 1999, 2006).

1.2 Importance de la formation initiale des futurs enseignants en éducation à la santé dans une perspective partenariale

Que ce soit au Québec ou ailleurs, plusieurs études démontrent que les situations pédagogiques développées en ÉS sont en général peu favorables à l’appropriation des concepts relatifs à la santé et au bien-être par les élèves (Frauenknecht, 2003 ; Turcotte, Gaudreau, Otis, 2007). Face à ce constat et dans le contexte du renouveau pédagogique québécois, la question de la formation des futurs enseignants se pose : ont-ils l’opportunité de développer les compétences nécessaires afin de s’approprier un nouveau champ, soit celui de l’ÉS, et ce, dans une perspective partenariale ?

L’importance de la formation initiale des enseignants quant à leur capacité de mettre en place des initiatives efficaces en ÉS à l’école est défendue par nombre d’auteurs (Jourdan, Samdal, Diagne, et Carvalho, 2008). Pour Jourdan (2010), la formation des enseignants en ÉS doit permettre le développement de la professionnalisation pour une construction de l’identité professionnelle, tout en augmentant le niveau de compétences dans ce champ. Il soutient aussi que, compte tenu de la nature des compétences dont il faut faire preuve comme éducateur à la santé, la formation initiale ne peut prétendre couvrir tous les aspects relatifs à l’ÉS uniquement par les cours magistraux. La formation pratique, par des stages par exemple, est nécessaire puisqu’elle permet « la réflexion en action » et l’établissement d’un lien entre la praxis et les réalités scolaires.

Cogérino, Marzin et Mechin (1998) soulignent, dans leur enquête auprès de 700 intervenants européens, un décalage important entre les besoins de formation propres à l’ÉS et la formation réellement offerte. En fait, on déplore le manque d’initiatives concrètes liées au développement de compétences dans ce domaine chez les enseignants (Thomas et Jones, 2005). Dans le contexte québécois, bien que des efforts aient été tentés depuis le milieu des années 2000, la formation initiale des enseignants en ÉS est encore limitée (Turcotte et al., 2007). Selon Thomas et Jones (2005), ce manque d’espace et d’initiatives de formation en ÉS a un effet négatif sur le sentiment d’autoefficacité (self-efficacy) des enseignants à l’égard de leur rôle d’éducateur à la santé. Or, plusieurs travaux supportent le fait qu’un sentiment d’autoefficacité élevé chez un enseignant influencera de manière positive sa pratique enseignante et par conséquent, le développement des compétences chez ses élèves (Dussault, Villeneuve et Deaudelin, 2001 ; Bandura, 2007).

1.3 CAP-Santé, un projet-pilote en réponse aux besoins de formation des futurs enseignants en éducation à la santé

Dans un contexte où les programmes de formation initiale offerts dans les universités québécoises se définissent par des modèles de formation prédéterminés laissant peu de possibilités d’ajustement, il était difficile de trouver, à court terme, des stratégies pour former les futurs enseignants en ÉS. Visant à combler ces lacunes, le projet-pilote CAP-Santé a été mis en place à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’automne 2008. CAP-Santé visait à offrir aux étudiants une formation de groupe et un accompagnement individualisé dans le but de les aider à acquérir des compétences relatives à l’ÉS et au travail partenarial telles que définies précédemment.

Compte tenu du calendrier serré qu’impose la session intensive en raison des stages, la formation offerte aux participants du projet-pilote CAP-Santé fut d’une durée de six heures, soit une heure par rencontre, à raison d’une rencontre par semaine. Lors de ces rencontres, plusieurs objets d’apprentissage ont été abordés permettant de clarifier les fondements, principes et modalités d’application de l’ÉS et du partenariat. Divers modèles de planification et de stratégies d’intervention en ÉS ont aussi été présentés et illustrés par des exemples concrets de projets interdisciplinaires appliqués à la santé, en tenant compte des éléments du Programme de formation de l’école québécoise et des particularités des milieux de stage des étudiants.

À la suite de cette formation, les participants étaient amenés à concevoir, puis à implanter dans leur milieu de stage, un projet d’ÉS en lien avec les priorités de santé du milieu, et ce, en partenariat avec au moins un autre acteur de l’école. Tout au long du stage, les responsables de CAP-Santé ont offert un accompagnement individuel aux participants par des visites dans leur milieu respectif (une à quatre selon l’étudiant) et par des échanges électroniques ou téléphoniques réguliers.

1.4 Ancrages théoriques de CAP-Santé

S’inspirant de la théorie de l’autoefficacité de Bandura (2007), l’équipe de CAP-Santé soutenait que ce projet pouvait améliorer le sentiment d’autoefficacité des stagiaires à l’égard de leur rôle comme éducateur à la santé et du travail en partenariat, ce sentiment étant, ici, un indice d’amélioration des compétences. Pour concevoir CAP-Santé, l’équipe a fait appel à chacune des quatre sources d’information ayant une influence sur le sentiment d’autoefficacité (Bandura, Ibid.). Par l’« expérience active », les stagiaires ont été appelés à planifier de façon concrète et réaliste, puis à implanter, un projet d’ÉS dans leur milieu de stage. Par l’« expérience vicariante », ils ont pu apprendre par l’observation du travail des ressources de l’école et par le partage d’expériences avec les autres stagiaires. L’accompagnement individuel leur a permis de reconnaître les conséquences positives de leurs apprentissages sur leur pratique et d’obtenir du renforcement sur ces aspects (« persuasion sociale »). De manière à susciter des affects positifs entre l’expérience et les apprentissages, lors de cet accompagnement individuel, les succès étaient soulignés de façon systématique et les échecs discutés et analysés, permettant, d’une part, de diminuer l’anxiété du stagiaire, d’autre part, d’augmenter son sentiment de fierté (« état physiologique »).

1.5 Objectifs de l’étude

Dans le cadre de cette recherche, les objectifs étaient : 1) évaluer les effets à court terme du projet-pilote CAP-Santé, c’est-à-dire, évaluer l’augmentation du sentiment d’autoefficacité des stagiaires à l’égard de leur rôle comme éducateur à la santé et l’augmentation de ce sentiment à l’égard du travail en partenariat ; 2) et décrire leur appréciation de CAP-Santé.

2. Méthodologie

2.1 Population de recherche et échantillon

Les étudiants de troisième année de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM ont été ciblés, soit 304 étudiants. Les étudiants d’éducation préscolaire et enseignement primaire (ÉPEP), d’éducation physique et à la santé (ÉPS) ainsi que d’adaptation scolaire et sociale (ASS) ont été sollicités, puisqu’en plus d’enseigner au primaire, les étudiants des trois programmes concernés étaient en stage au même moment, soit pendant huit semaines à l’automne 2008, ce qui permettait d’offrir la formation et l’accompagnement à tous ces stagiaires en même temps. Les responsables du projet ont rencontré les étudiants en classe afin de leur expliquer les objectifs de CAP-Santé et de recruter les étudiants intéressés. Suivant ces rencontres, 61 étudiants ont manifesté leur intérêt. Avec la réalité des programmes de formation initiale déjà surchargés et la session intensive qu’oblige le stage, plusieurs étudiants ayant démontré leur intérêt n’ont pu participer à CAP-Santé, faute de compatibilité d’horaire avec les moments de formation proposés. La participation s’est donc faite sur une base volontaire et selon la disponibilité des étudiants. Le projet-pilote prévoyait à la base un échantillon de 18 étudiants. Dans les faits, 19 étudiants ont suivi la formation, chacun ayant à réaliser son stage dans une école différente. Chaque milieu de stage avait préalablement été joint, afin qu’une problématique prioritaire de santé soit identifiée. Sur les 19 participants, 15 ont réussi à concevoir et implanter un projet d’ÉS dans leur milieu de stage.

2.2 Plan de la recherche

Afin de mener à bien l’évaluation formative de CAP-Santé, une méthodologie mixte a été privilégiée. L’approche quantitative a permis de mesurer les effets du projet-pilote sur le sentiment d’autoefficacité des futurs enseignants dans les champs de l’ÉS et du travail partenarial. Un devis pré-expérimental avec administration d’un questionnaire avant et après l’intervention a été utilisé (Campbell et Stanley, 1963). L’approche qualitative, basée sur l’entretien semi-dirigé, a permis de raffiner les résultats relatifs aux données quantitatives recueillies et de documenter l’expérience vécue par les participants (Boutin, 1997). Dans le cadre d’un projet-pilote avec un échantillon très réduit, un devis mixte a semblé une excellente option, apportant plus de nuances au moment d’interpréter les résultats et ajoutant à la validité interne de l’étude, tout en réduisant au minimum l’influence des biais associés à chacune des méthodes (Creswell, 2009).

2.3 Déroulement de la collecte de données

Le questionnaire fut complété en deux temps, une première fois à la deuxième semaine de la formation, accompagné du formulaire de consentement, et une seconde fois, la semaine suivant la fin du stage. Seize participants ont répondu au prétest et 15 au post-test (Tableau 1). Le questionnaire exigeait une dizaine de minutes pour être complété. Pour assurer l’anonymat et apparier les mesures, chacun a pu s’identifier par un pseudonyme sur le questionnaire prétest, qu’il n’a eu qu’à répéter sur le questionnaire post-test.

Tableau 1

Taille de l’échantillon pour le questionnaire prétest et post-test (Q) et pour l’entretien (E)

Taille de l’échantillon pour le questionnaire prétest et post-test (Q) et pour l’entretien (E)
*

ÉPEP : éducation préscolaire et enseignement primaire ; ÉPS : éducation physique et à la santé ; ASS : adaptation scolaire et sociale

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Parmi les étudiants inscrits à CAP-Santé, dix participants ont pris part à l’entretien (Tableau 1). Ce nombre fut suffisant pour atteindre une certaine saturation des données puisque l’information devenait répétitive (Miles et Huberman, 2003). Les entretiens, d’une durée d’environ 60 minutes, ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Ils ont eu lieu deux ou trois semaines après la fin du stage, soit après que le questionnaire ait été rempli, de manière à ne pas affecter les résultats avant-après sur les échelles de mesure. Plusieurs moyens ont été déployés afin de réduire le biais de désirabilité sociale : la personne responsable de la collecte de données n’était pas partie prenante de la formation et de l’accompagnement et on a rappelé aux stagiaires, au moment de la collecte de données, l’importance d’un point d’un vue honnête à l’évaluation du projet-pilote.

2.4 Instruments de collecte de données

2.4.1 Le questionnaire et les variables mesurées

La variable indépendante comprend la formation et l’accompagnement individualisé offert dans le cadre de CAP-Santé, alors que les variables dépendantes sont les mesures d’effets du projet-pilote sur les sentiments d’autoefficacité des stagiaires ainsi que leur appréciation de CAP-Santé. Le questionnaire incluait des variables plus descriptives telles que le sexe et le programme d’études du stagiaire ainsi que les variables dépendantes dont voici la description opérationnelle :

Sentiment d’autoefficacité à l’égard de son rôle en éducation à la santé : Cette échelle est constituée de sept énoncés, indicateurs des compétences à développer en ÉS telsque « je me sens capable d’identifier les objets d’apprentissage à viser en ÉS en fonction des besoins de mes élèves ». Le participant devait indiquer sur une échelle de un à dix son degré d’accord avec l’énoncé (1 = Pas du tout d’accord à 10 = Tout à fait d’accord). Le score moyen de l’échelle, obtenu par le calcul de la moyenne des scores sur les sept énoncés, varie de 1 à 10, (1) signifiant un « sentiment d’autoefficacité à l’égard de son rôle en ÉS très faible » et (10) signifiant un «sentiment d’autoefficacité à l’égard de son rôle très élevé ». L’alpha de Cronbach de cette échelle est de 0,93 au prétest et de 0,87 au post-test.

Sentiment d’autoefficacité à l’égard du travail en partenariat : Cette échelle, constituée de sept énoncés tels que «je me sens capable de solliciter la collaboration d’autres personnes » et « je me sens capable de reconnaître les compétences et les limites de chacun » a été mesurée et construite comme la précédente. L’alpha de Cronbach obtenu est de 0,92 au prétest et de 0,91 au post-test.

Appréciation du projet-pilote : Cette échelle est un score de satisfaction qui permet de décrire l’appréciation des participants à l’égard du projet CAP-Santé. Huit énoncés au post-test ont permis de mesurer cette variable. Les participants devaient, sur une échelle de un à dix (1 = Pas du tout d’accord à 10 = Tout à fait d’accord), identifier leur niveau de satisfaction selon divers énoncés tels que « j’ai reçu le soutien dont j’ai eu besoin de la part des ressources de CAP-Santé pendant mon stage ». Le score moyen de cette échelle est calculé par la moyenne des scores pour chacun des énoncés et varie de 1 à 10. L’alpha de Cronbach obtenu est de 0,74.

2.4.2 L’entretien semi-dirigé

Les entretiens semi-dirigés effectués dans le cadre de cette recherche étaient exploratoires. La grille d’entretien comportait trois parties. On demandait au stagiaire : 1) de préciser le contexte de son stage (caractéristiques des élèves, du milieu, des attentes du superviseur, etc.) ; 2) de raconter en détails son expérience d’ÉS et de travail en partenariat dans le cadre du projet CAP-Santé ; 3) de raconter comment les représentations de son rôle d’éducateur à la santé et du travail en partenariat ont évolué (ou non) au fil du projet.

2.5 Analyses

L’analyse des données quantitatives a été réalisée selon trois étapes : 1) la vérification de la cohérence interne de chaque échelle par l’alpha de Cronbach ; 2) la description des caractéristiques de l’échantillon par des statistiques descriptives sur l’ensemble des variables (moyenne, écart type, fréquences, etc.) ; 3) l’évaluation des effets du projet sur les deux mesures d’autoefficacité a été réalisée à l’aide du test des rangs de Wilcoxon (Siegel et Castellan, 1988). Ce test non paramétrique était approprié compte tenu de la très faible taille de l’échantillon et compte tenu du fait qu’il s’agissait de mesures appariées (Howell, 1998).

L’analyse des données qualitatives s’est faite selon les trois étapes définies par Miles et Huberman (2003) : 1) la condensation des données : c’est à cette première étape que se sont faits le codage et le regroupement des données selon les thèmes repérés ; 2) la présentation des données qui a permis la réduction des données afin de mieux les structurer et de les simplifier de manière à traiter l’information de façon plus parcimonieuse ; 3) l’élaboration et la vérification des conclusions : à cette étape ; on a tenté de donner du sens aux données, en notant les convergences et en précisant leur significations, compte tenu des objectifs poursuivis. Une grille de codification mixte a été utilisée, puisqu’une section était prédéterminée selon les concepts théoriques de l’étude et les mesures d’effets ou d’appréciation attendus, alors qu’une autre était plutôt ouverte, permettant ainsi à certaines catégories d’émerger. Les analyses qualitatives ont été réalisées à l’aide du logiciel NVivo 7.0 par l’agente de recherche et validées par deux chercheuses.

Une mise en commun des résultats obtenus à partir de ces deux méthodes a permis de consolider, de mettre en perspective et d’enrichir les résultats de l’étude, en plus d’ajouter à sa rigueur et à sa validité (Creswell, 2009).

3. Résultats

Les résultats concernent l’expérience des 15 stagiaires qui ont réussi à mettre en place une initiative en ÉS à leur école de stage en lien avec une préoccupation de santé préalablement identifiée. Ces initiatives rejoignent divers thèmes tels l’estime de soi, la résolution de conflits, le développement de l’esprit sportif, la promotion de l’activité physique hors école, la sécurité dans la cour de l’école par la responsabilisation des élèves, le développement du sentiment d’appartenance, la sensibilisation à l’environnement ou à l’importance du petit déjeuner, etc. La diversité de ces thèmes illustre que les stagiaires ont compris le caractère multidimensionnel de la santé au moment de concevoir leurs initiatives. Lorsqu’il y a eu collaboration ou partenariat, les acteurs impliqués étaient, selon le cas, le titulaire de classe, l’enseignant d’éducation physique et à la santé ou celui d’art dramatique, l’infirmière, une nutritionniste, une kinésiologue, un membre de la direction, des parents et les élèves eux-mêmes.

3.1 Sentiment d’autoefficacité et propos des stagiaires à l’égard de leur rôle en éducation à la santé

La participation au projet-pilote CAP-Santé semble avoir eu un effet significatif sur le sentiment d’autoefficacité des stagiaires à l’égard de leur rôle d’éducateur à la santé (p<0,003) (Tableau 2). Le score moyen obtenu avant la formation indiquait un sentiment d’autoefficacité modéré (5,91 ±0,65), alors que le score moyen calculé au post-test (8,13 ±0,67) témoigne d’un sentiment d’autoefficacité plus élevé.

Tableau 2

Sentiment d’autoefficacité à l’égard de son rôle en éducation à la santé

Sentiment d’autoefficacité à l’égard de son rôle en éducation à la santé

Échelle variant de 1 = Très défavorable à 10 = Très favorable.

*

ÉS : Éducation à la santé

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Si l’échelle de mesure démontre que les stagiaires se sentent désormais davantage capables de réaliser diverses tâches en lien avec les compétences reconnues comme efficaces en ÉS, les propos recueillis lors des entretiens supportent ce résultat et aident à le mettre en perspective.

3.1.1 Savoir quoi faire et comment le faire

En plus d’avoir renforcé la motivation des futurs enseignants à s’engager comme éducateur à la santé, la formation semble leur avoir appris ce qu’ils pouvaient faire en ÉS et comment ils pouvaient le faire. « Les formations, ça m’a aidé pour voir qu’est-ce que j’allais faire et comment le faire. Vous nous avez donné le coup de pouce, la petite motivation que ça prenait pour commencer tout ça » (Justine, ASS).

Ce sentiment d’autoefficacité semble s’être construit autour de plusieurs éléments. Le fait de réussir à concevoir et implanter une initiative en ÉS les confirme dans leur capacité à développer ce type d’actions, à trouver des façons diversifiées d’intégrer des préoccupations de santé dans leurs situations d’apprentissage habituelles et à reconnaître l’impact de leur travail sur la capacité des élèves à faire des choix éclairés en matière de santé. Par l’expérience vécue, plusieurs auront compris que l’ÉS s’inscrit dans la durée et qu’elle demande plus que des capsules d’information ponctuelles pour amener l’élève à gagner de l’autonomie en matière de santé. Certains ajouteront qu’ils ont maintenant confiance en leur capacité d’aller chercher l’information nécessaire dans le futur pour développer de nouvelles initiatives. « Je voyais pas l’ÉS de cette façon là nécessairement avant, c’est pas seulement en leur parlant et leur faisant des capsules d’ÉS que ça va changer les habitudes concrètement dans leur vie. C’est de l’implication à long terme, c’est des projets à long terme qui vont faire une différence » (Mélodie, ÉPS).

3.1.2 Pouvoir faire plus de choses que ce que l’on pensait

Selon les propos des stagiaires interrogés, un élément qui semble avoir contribué à leur donner confiance en leur capacité de devenir un éducateur à la santé est l’élargissement de leurs représentations de l’ÉS après les premières rencontres. Plusieurs diront d’ailleurs qu’avant leur participation au projet-pilote, ils entretenaient une conception de la santé et de l’ÉS relativement réduite qui souvent, se limitait aux habitudes de vie telles la pratique de l’activité physique ou une saine alimentation. Il semble que le projet leur ait permis de découvrir les multiples orientations et applications de l’ÉS et de la concevoir d’une façon plus globale et multidimensionnelle. « C’est qu’on a déjà eu le cours en ÉS, puis au début moi, quand on parlait d’ÉS, c’était santé physique. Là, je suis contente de savoir qu’y a pas juste la santé physique … » (Camille, ÉPS).

3.1.3 Gagner de la légitimité et de l’autonomie, partager la responsabilité

L’expérience de CAP-Santé semble aussi avoir provoqué chez les stagiaires une clarification des rôles à tenir en matière d’ÉS et une réflexion quant à leur propre identité professionnelle et à celle de leurs collègues dans ce domaine. Ce sont là d’autres éléments qui ont semblé contribuer à la construction de ce sentiment d’autoefficacité en matière d’ÉS.

Au départ, les stagiaires des programmes d’ÉPEP et d’ASS accordaient la responsabilité entière de l’ÉS aux enseignants d’ÉPS, ne voyant pas clairement leur propre rôle en ÉS ou se décrivant davantage comme collaborateurs plutôt qu’acteurs principaux. « J’ai vraiment adoré ça faire CAP-Santé […], puis j’aurais aimé ça avoir des cours là-dessus dans mon bac, parce que c’est important, puis c’est à tout le monde de l’école de faire de l’ÉS » (Raphaëlle, ÉPEP).Les enseignants d’ÉPS partageaient aussi cette vision et se voyaient assumer seuls la plupart des initiatives en ÉS. CAP-Santé semble avoir modulé cette vision des rôles des uns et des autres, donnant aux futurs enseignants d’ÉPEP et d’ASS une entière légitimité en ÉS et aux enseignants d’ÉPS, la certitude de ne pas être seuls à porter cette responsabilité. « L’éducateur physique est pas le seul, je pense qu’on est à la base de ça, mais on n’est pas les seuls à connaître la santé, je pense que tout le monde,… c’est pas juste à nous » (Alice, ÉPS).

3.2 Sentiment d’autoefficacité et propos des stagiaires à l’égard du travail en partenariat

Concernant le travail en partenariat, la comparaison des scores obtenus au prétest et au post-test sur l’échelle du sentiment d’autoefficacité n’indique aucun gain significatif chez les stagiaires après leur participation à CAP-Santé. Le score au prétest était de 7,65 (±0,48), ce qui signifie un sentiment d’autoefficacité plutôt élevé, pour se situer à peu près au même niveau 7,87 (±0,67) au moment du post-test, après le stage (Tableau 3). Les entretiens nous permettent de mieux comprendre et d’illustrer ce résultat.

Tableau 3

Sentiment d’autoefficacité à l’égard du travail en partenariat

Sentiment d’autoefficacité à l’égard du travail en partenariat

Échelle variant de 1 = Très défavorable à 10 = Très favorable.

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3.2.1 L’expérience partenariale dans le contexte de CAP-Santé

La plupart des stagiaires ont jugé que leur expérience partenariale dans le contexte de CAP-Santé avait été exigeante, voire difficile. Confrontés aux exigences de CAP-Santé et compte tenu des caractéristiques du milieu de stage, tous n’ont pas eu la même attitude à l’égard du partenariat. Après les premières approches et vu l’absence de réponses rapides, certains stagiaires ont cessé leurs démarches, s’accommodant de la liberté et de l’autonomie que le travail en solo leur apporterait. « Des partenaires, […] je n’ai pas poussé non plus pour aller en chercher, j’étais contente d’être quand même libre de faire ce que j’avais en tête, sinon il y avait toujours des contraintes ici et là » (Anaïs, ÉPEP).

En revanche, d’autres stagiaires ont été plus persévérants et rapportent avoir déployé bien des efforts afin d’établir diverses formes de partenariat. Ils mentionnent avoir multiplié les contacts auprès de quelques acteurs reconnus pour leur habituelle ouverture aux nouveaux projets, avoir invité d’éventuels partenaires à des rencontres ou leur avoir offert du matériel pédagogique afin de leur donner le goût de travailler avec eux. Une fois la collaboration établie, certains racontent les diverses stratégies de rappel, de suivi ou de renforcement déployées à l’intention de leurs partenaires. « À chaque début de semaine, je leur mettais un message dans leur pigeonnier pour leur rappeler qu’il fallait nommer l’élève de la semaine qui avait le meilleur esprit sportif, des petites notes comme ça » (Camille, ÉPS).

Plusieurs participants racontent que le fait d’être en stage, d’arriver dans un milieu inconnu et dans un contexte de temps limité (8 semaines), a rendu plus difficile leur recherche d’éventuels partenaires. La peur de déranger, avoir l’impression d’être un intrus et ne pas se sentir légitimes sont des sentiments rapportés par plusieurs et qui ont, pour certains, limité leur approche vers d’éventuels partenaires, pour d’autres, rendu plus difficiles les relations partenariales, sans nécessairement les compromettre. « Mais ça a été un peu plus difficile étant donné que le stage arrive bang et puis, c’est pas toujours évident de demander le partenariat de la personne lorsqu’on ne la connaît pas ; […] j’avais l’impression de marcher un peu sur des oeufs ou je ne voulais pas la déranger » (Kloé, ÉPEP).

D’autre part, le statut de stagiaire a semblé interférer avec une condition importante d’un partenariat réussi, soit des rapports de pouvoir équitables entre les acteurs. Malgré le lien de confiance, plusieurs raconteront que leur position d’apprenant a teinté leur sentiment d’être capables de prendre toute la place qu’ils auraient pu prendre et d’établir avec les collègues une relation collégiale légitime. « Il y avait un lien de confiance, mais pas une relation égalitaire, tu comprends, parce que là, moi je suis en formation, […], alors à ce moment là, moi j’ai trouvé ça plus difficile » (Anaïs, ÉPEP).

La qualité de l’expérience partenariale des stagiaires a aussi été liée à leur impression d’être soutenus ou non, dans leur milieu de stage, d’abord par leur maître associé, puis par tout autre acteur de l’école. À part quelques exceptions, la plupart des stagiaires se sont sentis seuls. Ce manque de soutien et d’intérêt, ou encore, ce manque d’implication malgré un intérêt manifeste, dans un contexte de stage tel que décrit précédemment, semble avoir ébranlé la confiance de plusieurs d’entre eux. «Wow! Beau projet, continue! Mais demande nous pas de t’aider. Je me disais, ouf, ça va être un petit peu plus difficile » (Justine, ASS).

3.2.2 Les apprentissages relativement au travail partenarial

Parmi les quinze étudiants ayant conçu et implanté un projet d’ÉS dans leur milieu de stage, dix ont été en mesure de développer une certaine collaboration avec au moins un autre acteur de l’école. Pour ces raisons, les conditions pour tirer des leçons du travail partenarial furent, dans l’ensemble, sous-optimales.

Du discours des stagiaires interrogés, une leçon centrale semble se dégager quant au partenariat, soit l’importance de mettre en commun les forces de chacun de manière à mieux répondre aux besoins ciblés et à y répondre de façon plus efficace. Cette efficacité se décline de multiples façons : le partenariat permet une réponse plus rapide et de plus grande envergure, une meilleure coordination entre les actions et par conséquent, un projet mieux implanté. Il permet aussi d’améliorer la cohérence des messages et actions proposés aux élèves et les différents points de vue favorisent l’émergence de solutions nouvelles. « Ça élargit les ressources, ça élargit les idées, puis les possibilités d’en venir à bout pour obtenir le résultat souhaité » (Marie, ÉPEP).

À travers cette expérience, quelques participants, principalement ceux qui ont eu la possibilité de vivre une expérience favorable de partenariat, ont réalisé que pour vivre un partenariat efficace, il fallait y mettre du temps, dans un contexte où l’un et l’autre ont déjà plusieurs obligations indépendantes du projet commun. « Les désavantages du partenariat, c’est le temps […] trouver le temps de se rencontrer, j’aurais aimé ça re-rencontrer [ma partenaire], mais au niveau du temps, c’était pas pensable […] on court vraiment beaucoup, j’ai des choses à planifier, mais elle aussi a des choses à planifier » (Justine, ASS).

D’autres, surtout ceux dont l’expérience a été moins positive, ont souligné la difficulté de trouver des partenaires motivés ou prêts à s’investir. Pour ces stagiaires, le partenariat devrait impliquer une répartition équitable des tâches et une certaine équité en ce qui concerne l’investissement de temps, d’énergie et de responsabilités, ce qui ne correspond pas à l’expérience vécue. « L’investissement c’est difficile, …de trouver des gens qui ont envie de s’investir autant que moi. Ou moi, je pourrais être approchée, puisque ça ne m’intéresse pas non plus tel projet, puisque je n’ai pas envie de m’investir. » (Anaïs, ÉPEP).

Finalement, plusieurs reconnaissent que les conflits et les controverses sont incontournables en situation partenariale puisque tout le monde n’a pas nécessairement la même façon de faire ou de penser. Des stagiaires ajoutent que dans ces situations, il faut essayer de s’entendre, négocier et se centrer sur le but commun poursuivi. C’est donc dire que plusieurs stagiaires ont réellement compris la notion de partenariat telle que présentée lors de la formation, soit un minimum d’actions négociées pour résoudre un problème reconnu comme commun par les partenaires. « Des fois, il y a du monde qui travaille plus que d’autres. Tout le monde a des façons de faire différentes […]. Faut faire des concessions, faut travailler avec l’autre, mais c’est ça dans nos vies, on est tout le temps en train de négocier […] c’est sûr que ça peut occasionner des conflits, mais quand on a un but commun, ben faut se concentrer là-dessus. » (Alice, ÉPS).

3.3 Appréciation du projet-pilote

Huit énoncés du questionnaire ont permis aux stagiaires de porter un jugement sur l’expérience vécue dans le cadre du projet CAP-Santé. Dans l’ensemble, le score moyen sur l’échelle d’appréciation est de 7,66 ±2,25, ce qui indique un niveau de satisfaction plutôt favorable quant à l’ensemble de leur expérience. Il y a, de plus, une grande concordance entre les scores donnés par les stagiaires à chaque énoncé de l’échelle (Tableau 4) et les propos recueillis auprès de ceux d’entre eux qui ont accepté de participer à l’entretien.

Tableau 4

Appréciation du projet-pilote CAP-Santé par les stagiaires

Appréciation du projet-pilote CAP-Santé par les stagiaires

Échelle variant de « 1 = Très défavorable à 10 = Très favorable ».

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Les points forts semblent être liés au soutien offert par les ressources de CAP-Santé, à leur engagement et à leur motivation à l’égard d’une telle expérience et aux apprentissages réalisés. Ils ont d’ailleurs souligné à maintes reprises que les apprentissages étaient concrets et que le projet aura répondu à un réel besoin de formation. « [Les responsables de CAP-Santé] m’ont donné beaucoup d’informations, ils m’ont beaucoup aidée aussi au niveau des activités, parce qu’ils ont des connaissances, […] ça m’a vraiment motivée » (Kloé, ÉPEP).

Le degré d’appréciation de l’utilité de la formation reçue en début de projet est toutefois moindre que celui exprimé à l’égard du soutien général dont ils ont pu profiter tout au long de leur stage. Les stagiaires diront avoir particulièrement apprécié les échanges entre étudiants, superviseurs et responsables formateurs de CAP-Santé. Ces six heures de formation étaient, aux dires des participants, très pertinentes, mais aussi très denses. Ils auraient souhaité avoir plus de temps de formation. Ils ajouteront toutefois que les documents écrits leur restent et seront pour eux, des outils de référence dans leur pratique future.

Les points plus faibles témoignent d’abord de la lourdeur de la tâche qu’a représentée pour eux cette expérience nouvelle, puis de leurs doutes quant à l’utilité de leur projet et quant à sa poursuite après leur départ, compte tenu du soutien très mitigé que la plupart d’entre eux ont reçu de la part des acteurs de l’école. « C’est difficile de se donner autant de peine pour savoir qu’après, il n’y aura personne. Ça c’est difficile, puis c’est triste aussi parce c’est des beaux projets qui ont beaucoup de potentiel » (Alice, ÉPS).

4. Discussion

Dans le contexte où la formation initiale des futurs enseignants au Québec est encore limitée dans le domaine de l’ÉS (Turcotte et al., 2007) malgré la prescription d’en faire une responsabilité partagée dans le contexte du renouveau pédagogique, un projet-pilote tel CAP-Santé semblait une avenue prometteuse à explorer. L’objectif de cette recherche était de voir dans quelle mesure ce projet-pilote atteignait ses objectifs, soit l’amélioration chez les stagiaires recrutés de leurs sentiments d’autoefficacité relativement à leur rôle d’éducateurs à la santé et au travail partenarial.

Rappelons que dans le cadre d’un projet-pilote comme celui-ci, le dispositif de recherche mis en place avait plusieurs limites, compte tenu du faible nombre de stagiaires qui pouvaient y participer, de la nature volontaire de leur participation avec les biais de sélection qu’un tel type d’échantillon comporte, de l’absence d’un groupe témoin, du nombre limité d’indicateurs d’effets retenus et de la mesure de ces effets à très court terme, soit immédiatement après la fin des stages, sans pouvoir porter de jugement sur le maintien de ces effets à plus long terme. Malgré ces limites qui doivent inciter à la prudence dans l’interprétation de la portée des résultats obtenus, l’utilisation d’une méthodologie mixte jumelant à ce volet pré-expérimental avant-après une approche qualitative basée sur des entretiens semi-dirigés auprès des deux tiers des participants, donne davantage de crédibilité à cette recherche (Creswell, 2009). Le volet qualitatif a, en fait, permis de mieux comprendre les résultats quantitatifs obtenus et de dégager d’autres effets potentiels de CAP-Santé. Considérant que CAP-Santé est un projet-pilote, cette évaluation de nature formative a permis de porter un premier jugement pour ce qui est des effets sur les stagiaires formés, de tirer des leçons utiles à la révision de la formule proposée et de discuter de la pertinence d’une telle initiative à plus large échelle (Ridde et Dagenais, 2009).

CAP-Santé semble avoir amélioré le sentiment d’autoefficacité des étudiants à l’égard de leur rôle en ÉS, les données tant quantitatives que qualitatives supportant ce résultat. Un des éléments explicatifs est sans nul doute le fait que chaque étudiant a réussi à concevoir et à implanter au moins une situation d’apprentissage relative à la santé, cette situation proposant de façon intégrée plusieurs activités, avec des formules pédagogiques interactives, pour répondre à des objets d’apprentissage précis en lien avec les besoins des élèves et des compétences spécifiques du Programme de formation de l’école québécoise. Les rétroactions positives des élèves, et celles obtenues en cours de route des responsables de CAP-Santé et, dans certains cas, des superviseurs ou des maîtres associés, ont permis aux stagiaires de faire les liens entre les apprentissages qu’ils ont réalisés, leurs pratiques et l’impact de leur travail sur les élèves. C’est par expérience directe (Bandura, 2007) et par le retour réflexif sur leurs pratiques, facilité par l’accompagnement individualisé, que les stagiaires auront consolidé ce sentiment d’autoefficacité relatif à l’ÉS. C’est donc dire que sur ce plan, CAP-Santé a atteint ses objectifs. Tel que le soutient Jourdan (2010), la formule de stage avec accompagnement pédagogique a été propice à de tels apprentissages et réflexions.

Outre le fait que le succès vécu et les renforcements obtenus aient consolidé le sentiment d’autoefficacité ainsi que la motivation à répéter l’expérience dans le futur, les six heures de formation reçues avant le stage ont permis aux étudiants de s’ouvrir à une vision plus juste et globale de ce que sont la santé et l’ÉS. Au début de la formation, les étudiants d’ÉPEP et d’ASS recrutés, bien qu’intéressés, ne voyaient pas vraiment quel pouvait être leur rôle en ÉS. Pour leur part, les étudiants d’ÉPS étaient confinés à une représentation réduite de ce champ, centrée sur la santé physique et les habitudes de vie saines (activité physique et alimentation). Ces positions respectives au début de la formation expliquent le score modéré sur l’échelle du sentiment d’autoefficacité à l’égard de leur rôle en ÉS, score d’ailleurs plus faible que celui obtenu sur l’échelle relative au travail partenarial. Rappelons que les étudiants d’ÉPEP et d’ASS n’avaient pas été exposés à ces concepts pendant leur formation initiale alors que les étudiants d’ÉPS avaient suivi un cours dans ce champ. La formation aura donc permis de démystifier, pour les uns, la complexité et l’illégitimité de l’ÉS, et pour les autres, d’élargir leur champ de pratiques et de s’ouvrir aux autres, les obligeant tous, à ajouter à leur identité professionnelle le statut « partagé et partageable » d’éducateur à la santé.

La composante formation de CAP-Santé a donc donné aux étudiants les acquis nécessaires pour passer à une autre étape. C’est là qu’ils ont développé des connaissances de base et une attitude favorable à l’égard de leur rôle d’éducateur à la santé. Par la suite, c’est par la pratique réflexive au travers du stage et avec un accompagnement pédagogique que leur sentiment d’autoefficacité s’est davantage ancré.

Ce qui s’est passé au niveau du sentiment d’autoefficacité à l’égard du travail en partenariat dans le contexte de CAP-Santé a été tout autre. Au prétest, le score sur cette échelle était déjà relativement élevé, ce qui est quelque peu surprenant, compte tenu de l’expérience à peu près nulle des stagiaires relativement au travail partenarial avec des acteurs de l’école, outre le fait qu’ils ont reçu quelques informations en classe concernant la façon de mener des projets interdisciplinaires ou qu’ils sont habitués au travail d’équipe. Le travail en partenariat ne semblait donc pas leur poser de défis particuliers en comparaison à l’ÉS. Or, l’expérience de CAP-Santé n’a ni diminué, ni amélioré le score sur cette échelle. Toutefois, l’analyse des entretiens permet de comprendre que si ce score n’a pas changé (considérant que très peu de stagiaires ont réellement vécu une expérience partenariale), leur compréhension des enjeux entourant le travail en partenariat semble s’être clarifiée. Saisissant mieux les principes clés, les stagiaires semblent avoir réalisé l’importance de combiner les savoirs et les expertises pour mieux répondre aux besoins des élèves et de le faire de façon plus cohérente et structurée.

Dans leur réflexion sur l’expérience partenariale, les stagiaires identifient les conditions qui n’étaient pas favorables à la mise en place d’un réel partenariat : peu de certitudes que la problématique retenue était reconnue comme commune ; manque de motivation ou de soutien des acteurs à résoudre la problématique ; manque de temps qui aurait permis une participation suffisante des partenaires-clés au moment de la conception et de l’implantation des initiatives ; inégalité des rapports de pouvoir, le statut d’apprenant ne donnant pas les mêmes droits, privilèges et devoirs dans les diverses démarches de négociation ; iniquité dans la répartition des tâches et responsabilités, etc. C’est donc de façon plutôt théorique qu’ils ont compris ces principes, l’apprentissage expérientiel faisant défaut pour la majorité d’entre eux. Toutefois, et c’est sans doute pour cette raison que le score sur l’échelle est resté le même (alors qu’une évaluation plus près des contraintes partenariales aurait pu provoquer une diminution de leur sentiment d’autoefficacité), l’esprit critique et réflexif des stagiaires leur aura permis de faire la part des choses entre le contexte particulier qui imposait un tel partenariat dans des conditions non optimales et ce qu’ils vivront plus tard, lorsqu’ils auront leur statut d’enseignant.

Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette expérience. Sur le plan du dispositif de la recherche lui-même, si une évaluation plus systématique devait être mise en place dans le futur concernant une telle initiative, les limites soulevées précédemment devraient être considérées certes, mais les mesures d’effets devraient être plus exhaustives et inclure certaines échelles de connaissances et d’attitudes. D’autre part, une analyse systématique des facteurs contextuels entourant la conceptualisation et l’implantation des initiatives en ÉS ainsi que des processus partenariaux en jeu, permettraient de comprendre plus finement les pratiques à l’oeuvre.

Sur le plan de l’intervention elle-même, la formule développée dans le contexte de CAP-Santé s’est avérée prometteuse en ce qui concerne le développement du sentiment d’autoefficacité du futur enseignant quant à son rôle d’éducateur à la santé par la combinaison d’une formation de base et d’un stage en milieu pratique avec accompagnement individualisé. En revanche, la formule telle qu’implantée n’a pas été suffisante pour améliorer chez les futurs enseignants, leur sentiment d’être capables de travailler en partenariat de façon efficace. La formule de stage conjoint en dyade ou triade devrait être testée. D’autre part, le nombre d’heures allouées à la formation et à l’encadrement devrait être plus important.

La réplication du modèle d’action CAP-Santé nécessite sans doute une amélioration du soutien du stagiaire dans le milieu. Ainsi, il semble crucial de prendre la peine de sensibiliser le milieu aux enjeux de la formation. Il semble par ailleurs judicieux d’associer à la formation des visites préalables de la part des responsables du projet de formation de manière à mobiliser les acteurs clés, à identifier les besoins et les ressources, à préciser les objectifs et modalités du stage sous son volet ÉS, etc. Au moment de ces rencontres, un contrat de collaboration (tout au moins informel) devrait être établi avec chacune des parties, contrat qui spécifierait la problématique à cibler, les partenaires à engager dans l’action, les devoirs et responsabilités du stagiaire et ceux des acteurs du milieu impliqués. D’autre part, une rencontre explicative entre le superviseur de stage et le maître associé permettrait à ces acteurs d’unir leurs expériences afin de devenir des ressources professionnelles à la formation.

Bien qu’imparfaite, CAP-Santé est une formule novatrice qui permet de pallier au manque de formation initiale en ÉS constatée dans le réseau universitaire actuel en formation des maîtres. La formation et l’accompagnement offerts pendant le stage auront permis aux participants, par l’expérimentation et la réflexion, de mieux comprendre leur rôle en ÉS et de se sentir capables de l’assumer. Ils auront compris l’importance du partenariat et des défis qu’il pose, sans toutefois avoir pu vivre une réelle expérience sur ce point. C’est un premier effort qui démontre qu’il est possible dans le contexte actuel d’offrir aux futurs enseignants un minimum de formation en ÉS, que ce type de formation répond à un besoin important et que les enjeux sociétaux dont les programmes de formation doivent tenir compte pour instruire, socialiser et qualifier exigent que les programmes de formation des maîtres mettent en place de façon urgente de tels initiatives. En parallèle, à court terme, dans une démarche de développement professionnel, d’autres formules devraient être explorées de manière à habiliter les enseignants et les autres acteurs de l’école à jouer leur rôle en ÉS, et ce, dans une perspective de collaboration.