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Présentation

L’ouvrage de Maubant et Martineau se penche sur une problématique délicate au coeur de nombreuses recherches en sciences de l’éducation. En effet, la question des pratiques des enseignants, des pratiques enseignantes ou encore des pratiques d’enseignement traverse l’histoire et les continents et constitue un défi majeur, notamment au niveau de la formation des enseignants. Dans leur introduction, Maubant et Martineau précisent d’ailleurs: «l’objectif de ce livre est […] de mieux comprendre ce qui fonde les pratiques d’enseignement, en particulier si l’on souhaite apporter ou proposer des amendements significatifs aux dispositifs actuels de formation à l’enseignement et contribuer, in fine, à la réussite scolaire des élèves. Ce que l’on cherche ici à déterminer, c’est ce qui peut expliquer l’origine des postures professionnelles et des pratiques d’enseignement mises en oeuvre par l’enseignant» (p. 27).

Pour y parvenir, les deux directeurs de l’ouvrage ont fait appel à différents collègues provenant d’Europe et d’Amérique du Nord. En plus d’une préface, d’une introduction et d’une postface, le livre comporte dix chapitres, certains plus théoriques, d’autres plus pratiques ou présentant des dispositifs en tant que tels. Notons qu’une bibliographie accompagne chacun des chapitres.

Le premier chapitre revient sur ce qui fonde l’acte d’enseigner. Pour ce faire, Maubant pose la question des fondements des savoirs professionnels des enseignants, puis des enjeux constitutifs de l’analyse compréhensive de l’apprentissage professionnel, et enfin celle des fondements épistémologiques et méthodologiques de l’objet «pratique d’enseignement» en lui-même. Le deuxième chapitre présente un dispositif visant la maîtrise de la situation d’enseignement-apprentissage et l’identification des savoirs professionnels des futurs enseignants en Communauté française de Belgique, et plus particulièrement à l’Université de Liège. Les résultats mis de l’avant résultent non pas d’une recherche en tant que telle, mais plutôt d’un processus de recherche étroitement lié à un processus de formation. Le troisième chapitre propose lui aussi un dispositif de formation, mais dans un cadre différent, soit celui de l’alternance. Menée auprès de 82 apprenants «à l’aide d’une technique d’animation de type «expérienciation structurée» (Faulx, p. 124), cette recherche démontre que toute personne participant à un dispositif de formation en devient le co-concepteur, redéfinissant ainsi l’interaction formateur-formé-dispositif. Le quatrième chapitre traite de la question des savoirs professionnels des enseignants à travers leurs conceptions de l’enseignement. Se basant sur deux études de cas d’enseignantes de collège (en France) intervenant dans des secteurs socialement défavorisés à propos de disciplines littéraires, la recherche de Grangeat démontre «les effets de l’expérience et des interactions professionnelles sur les compétences individuelles» (Grangeat, p. 157). Le cinquième chapitre relate une partie d’une recherche-action portant sur la formation continue des enseignants du primaire afin de favoriser le transfert des apprentissages des élèves. S’interrogeant sur les dimensions des savoirs (théoriques ou pratiques) mobilisés par les enseignants dans leurs pratiques pour favoriser justement ce transfert, les auteurs concluent à la prédominance des savoirs d’expérience tout en soulignant une «perméabilité» des savoirs issus de la recherche. Le sixième chapitre interroge les savoirs professionnels, d’une part, du point de vue de leur définition et, d’autre part, du point de vue de la compréhension du processus d’apprentissage professionnel. Le septième chapitre s’intéresse à l’analyse ergonomique du travail pour la formation professionnelle des enseignants débutants au regard de l’identification des objets d’enseignement et des conditions de didactisation d’une pratique professionnelle. S’inscrivant dans une relecture du concept de pratique réflexive selon Schön, le huitième chapitre propose une modélisation des régulations et de la médiation dans la construction des savoirs professionnels des enseignants. Le neuvième chapitre s’interroge sur le fondement épistémologique pour la pratique enseignante. Astolfi y défend l’idée que «les professeurs sont insuffisamment spécialistes de leur discipline» (p. 292) et que la «forme scolaire» doit être remise en question. Considérant cela, l’auteur appelle à des «révolutions minuscules» afin de fonder davantage les pratiques enseignantes sur les savoirs et ainsi de présenter aux élèves ce qu’est réellement une discipline. Le dixième et dernier chapitre s’intéresse à la didactique professionnelle à travers trois notions critiques selon Mayen pour la conception de la formation des enseignants, soit le travail, l’apprentissage et l’expérience.

Point de vue

L’origine de cette réflexion sur la pratique professionnelle des enseignants et de l’ouvrage qui en découle réside dans le cadre d’un symposium organisé lors du congrès de l’Association mondiale des sciences de l’éducation (AMSE) en 2008. Ceci explique le caractère quelque peu hétéroclite du livre en matière d’importance des chapitres, de types d’écrits, d’approches conceptuelles, voire de qualité.

Il faut par contre reconnaître que Maubant et Martineau ont le mérite d’oser questionner «le couple maudit», comme le nomme Rey dans sa postface, théorie et pratique. Cette question est non seulement au coeur de la formation initiale des futurs enseignants, mais également de la formation continue. En ajoutant à cela la tension pédagogie et discipline et le fait que la recherche en éducation soit une pratique d’un autre ordre, le débat ne pouvait être qu’ouvert. En ce sens, le recueil de textes proposés par Maubant et Martineau interroge le rapport de pratiques entre les chercheurs et les enseignants de terrain et propose des regards différents, mais complémentaires, sur des objets communs.

Rey conclut d’ailleurs sa postface en précisant:

C’est là le grand enjeu de la formation des enseignants: concevoir des dispositifs qui permettent d’opérer la traduction des concepts issus de la pratique de recherche pour qu’ils soient utilisables dans la pratique d’enseignement. Si l’on néglige cette différence de pratiques ou si l’on tente de court-circuiter ce travail essentiel de traduction, on risque d’en rester à la sempiternelle complainte sur l’écart entre théorie et pratique.

p. 330

Comme nombre d’ouvrages collectifs, plus encore lorsqu’ils sont issus de symposiums ou de colloques, Fondements des pratiques professionnelles des enseignants pourrait laisser certains lecteurs sur leur faim. S’il s’inscrit dans un ensemble, avec un certain fil conducteur, parfois mince, il est plutôt à lire «par chapitre». Ainsi, les lecteurs intéressés par les dispositifs pourront directement consulter les chapitres ad hoc, etc. Il aurait d’ailleurs peut-être été pertinent de découper l’ouvrage en différentes parties pour offrir aux lecteurs une sorte de cadre de lecture. Notons que les chapitres plus théoriques, et particulièrement le premier, mettent la table et sont très pertinents du point de vue conceptuel.

Évidemment, comme le démontre Lenoir dans sa préface, pour faire évoluer les choses, il importe de mettre en oeuvre des changements, de reconceptualiser la formation à l’enseignement, d’oser sortir des sentiers battus, d’innover. Comme le dit Lenoir (p. 18), «I have a dream…». Pour que le rêve devienne réalité, pouvoirs publics, institutions de formation, chercheurs, praticiens, etc. doivent se parler, se comprendre, dépasser leurs contraintes et leurs divergences. Aucun livre n’a le pouvoir de faire cela, celui de Maubant et Martineau non plus. Il n’est donc pas un grimoire, mais un colligé de réflexions qui pourra nourrir celles des autres, probablement plus celles des chercheurs et des étudiants en recherche que des praticiens, par contre.